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HISTOIRE PHILOSOPHIQUE ET POLITIQUE DES ETABLISSEMENS ET DU COMMERCE DES EUROPEENS DANS LES DEUX INDES.
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LIVRE SIXIÈME.
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LIVRE SIXIÈME.
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Découverte de l’Amérique.
Conquête du Mexique.
Etabliſſemens Eſpagnols dans cette partie du Nouveau-Monde.
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DÉCOUVERTE DE L’AMÉRIQUE.
CONQUÊTE DU MEXIQUE.
ÉTABLISSEMENS ESPAGNOLS DANS CETTE PARTIE DU NOUVEAU-MONDE.
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L’HISTOIRE ancienne offre un magnifique ſpectacle.
Ce tableau continu de grandes révolutions, de mœurs héroïques & d’événemens extraordinaires, deviendra de plus en plus intéreſſant, à meſure qu’il ſera plus rare de trouver quelque choſe qui lui reſſemble.
Il eſt paſſé, le tems de la fondation & du renverſement des empires !
Il ne ſe trouvera plus, l’homme devant qui la terre ſe taiſoit !
Les nations, après de longs ébranlemens, après les combats de l’ambition & de la liberté, ſemblent aujourd’hui fixées dans le morne repos de la ſervitude.
On combat aujourd’hui avec la foudre, pour la priſe de quelques villes, & pour le caprice de quelques hommes puiſſans : on combattoit autrefois avec l’épée, pour détruire & fonder des royaumes, ou pour venger les droits naturels de l’homme.
L’hiſtoire des peuples eſt ſèche & petite, ſans que les peuples ſoient plus heureux.
Une oppreſſion journalière a ſuccédé aux troubles & aux orages & l’on voit avec peu d’intérêt des eſclaves plus ou moins avilis, s’aſſommer avec leurs chaînes, pour amuſer la fantaiſie de leurs maîtres.
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L’HISTOIRE ancienne offre un magnifique spectacle.
Ce tableau continu de grandes révolutions, de mœurs héroïques et dʼévénemens extraordinaires, deviendra de plus en plus intéressant à mesure qu’il sera plus rare de trouver quelque chose qui lui ressemble.
Il est passé le temps de la fondation et du renversement des empires !
Il ne se trouvera plus l’homme devant qui la terre se taisait !
Les nations, après de longs ébranlemens, après les combats de l’ambition et de la liberté, semblent aujourd’hui fixées dans le morne repos de la servitude.
On combat aujourd’hui avec la foudre pour la prise de quelques villes et pour le caprice de quelques hommes puissans : on combattait autrefois avec l’épée pour détruire et fonder des royaumes, ou pour venger les droits naturels de l’homme.
L’histoire des peuples est sèche et petite, sans que les peuples soient plus heureux.
Une oppression journalière a succédé aux troubles et aux orages ; et l’on voit avec peu d’intérêt des esclaves plus ou moins avilis s’assommer avec leurs chaînes pour amuser la fantaisie de leurs maîtres.
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L’Europe, cette partie du globe qui agit le plus ſur toutes les autres, paroît avoir pris une aſſiette ſolide & durable.
Ce ſont des ſociétés puiſſantes, éclairées, étendues, jalouſes dans un degré preſque égal.
Elles ſe preſſeront les unes les autres ; & au milieu de cette fluctuation continuelle, les unes s’étendront, d’autres ſeront reſſerrées, & la balance penchera alternativement d’un côté & de l’autre, ſans être jamais renverſée.
Le fanatiſme de religion & l’eſprit de conquête, ces deux cauſes perturbatrices du globe, ne ſont plus ce qu’elles étoient.
Le levier ſacré, dont l’extrémité eſt ſur la terre & le point d’appui dans le ciel, eſt rompu ou très-affoibli.
Les ſouverains commencent à s’appercevoir, non pour le bonheur de leurs peuples, qui les touche peu, mais pour leur propre intérêt, que l’objet important eſt de réunir la ſûreté & les richeſſes.
On entretient de nombreuſes armées, on fortifie ſes frontières, & l’on commerce.
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L’Europe, cette partie du globe qui agit le plus sur toutes les autres, paraît avoir pris une assiette solide et durable.
Ce sont des sociétés puissantes, éclairées, étendues, jalouses dans un degré presque égal.
Elles se presseront les unes les autres ; et au milieu de cette fluctuation continuelle, les unes s’étendront, d’autres seront resserrées, et la balance penchera alternativement d’un côté et de l’autre sans être jamais renversée.
Le fanatisme de religion et l’esprit de conquête, ces deux causes perturbatrices du globe, ne sont plus ce qu’ils étaient.
Le levier sacré, dont l’extrémité est sur la terre et le point d’appui dans le ciel, est rompu ou très-affaibli.
Les souverains commencent à s’apercevoir, non pour le bonheur de leurs peuples, qui les touche peu, mais pour leur propre intérêt, que l’objet important est de réunir la sûreté et les richesses.
On entretient de nombreuses armées, on fortifie ses frontières, et l’on commerce.
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Il s’établit en Europe un eſprit de trocs & d’échanges, qui peut donner lieu à de vaſtes ſpéculations dans les têtes des particuliers : mais cet eſprit eſt ami de la tranquillité & de la paix.
Une guerre, au milieu des nations commerçantes, eſt un incendie qui les ravage toutes.
Le tems n’eſt pas loin, où la ſanction des gouvernemens s’étendra aux engagemens particuliers des ſujets d’un peuple avec les ſujets d’un autre, & où ces banqueroutes , dont les contre-coups ſe font ſentir à des diſtances immenſes, deviendront des conſidérations d’état.
Dans ces ſociétés mercantilles, la découverte d’une iſle, l’importation d’une nouvelle denrée, l’invention d’une machine, l’établiſſement d’un comptoir, l’invaſion d’une branche de commerce, la conſtruction d’un port, deviendront les tranſactions les plus importantes ; & les annales des peuples demanderont à être écrites par des commerçans philoſophes, comme elles l’étoient autrefois par des hiſtoriens orateurs.
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Il s’établit en Europe un esprit de trocs et d’échanges qui peut donner lieu à de vastes spéculations dans les têtes des particuliers ; mais cet esprit est ami de la tranquillité et de la paix.
Une guerre au milieu des nations commerçantes est un incendie qui les ravage toutes.
Le temps n’est pas loin où la sanction des gouvernemens s’étendra aux engagemens particuliers des sujets d’un peuple avec les sujets d’un autre, et où ces banqueroutes, dont les contre-coups se font sentir.
à des distances immenses, deviendront des considérations d’état.
Dans ces sociétés mercantiles, la découverte d’une île, l’importation d’une nouvelle denrée, l’invention d’une machine, l’établissement d’un comptoir, l’invasion d’une branche de commerce, la construction d’un port, deviendront les transactions les plus importantes ; et les annales des peuples demanderont à être écrites par des commerçans philosophes, comme elles l’étaient autrefois par des historiens orateurs.
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La découverte d’un nouveau monde pouvoit ſeule fournir des alimens à notre curioſité.
Une vaſte terre en friche, l’humanité réduite à la condition animale, des campagnes ſans récoltes, des tréſors ſans poſſeſſeurs, des ſociétés ſans police, des hommes ſans mœurs : combien un pareil ſpectacle n’eût-il pas été plein d’intérêt & d’inſtruction pour un Locke, un Buffon, un Monteſquieu !
Quelle lecture eût été auſſi ſurprenante, auſſi pathétique que le récit de leur voyage !
Mais l’image de la nature brute & ſauvage, eſt déja défigurée.
Il faut ſe hâter d’en raſſembler les traits à demi-effacés, après avoir peint & livré à l’exécration les avides & féroces chrétiens, qu’un malheureux haſard conduiſit d’abord dans cet autre hémiſphère.
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La découverte d’un nouveau monde pouvait seule fournir des alimens à notre curiosité.
Une vaste terre en friche, l’humanité réduite à la condition animale, des campagnes sans récoltes, des trésors sans possesseurs, des sociétés sans police, des hommes sans mœurs, combien un pareil spectacle n’eût-il pas été plein d’intérêt et d’instruction pour un Locke, un Buffon, un Montesquieu !
Quelle lecture eût été aussi surprenante, aussi pathétique que le récit de leur voyage !
Mais l’image de la nature brute et sauvage est déjà défigurée.
Il faut se hâter d’en rassembler les traits à demi-effacés, après avoir peint et livré à l’exécration les avides et féroces chrétiens qu’un malheureux hasard conduisit d’abord dans cet autre hémisphère.
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L’Eſpagne, connue dans les premiers âges ſous le nom d’Heſpérie & d’Ibérie, étoit habitée par des peuples, qui, défendus d’un côté par la mer, & gardés de l’autre par les Pyrénées, jouiſſoient tranquillement d’un climat agréable, d’un pays abondant, & ſe gouvernoient par leurs uſages.
La partie de la nation qui occupoit le Midi, étoit un peu ſortie de la barbarie, par quelque foible liaiſon qu’elle avoit avec les étrangers : mais les habitans des côtes de l’océan reſſembloient à tous les peuples qui ne connoiſſent d’autre exercice que celui de la chaſſe.
Ce genre de vie avoit pour eux tant de charmes, qu’ils laiſſoient à leurs femmes tous les travaux de l’agriculture.
On étoit parvenu à leur en faire ſupporter les fatigues, en formant tous les ans une aſſemblée générale, où celles qui s’étoient le plus diſtinguées dans cet exercice, recevoient des éloges publics.
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L’Espagne, connue dans les premiers âges sous le nom d’Hespérie et d’Ibérie, était habitée par des peuples qui, défendus d’un côté par la mer, et gardés de l’autre par les Pyrénées, jouissaient tranquillement d’un climat agréable, d’un pays abondant, et se gouvernaient par leurs usages.
Ils ne connaissaient d’autre exercice que celui de la chasse.
Ce genre de vie avait pour eux tant de charmes, qu’ils laissaient à leurs femmes tous les travaux de l’agriculture.
On était parvenu à leur en faire supporter les fatigues, en formant tous les ans une assemblée générale, où celles qui s’étaient le plus distinguées dans cet exercice recevaient des éloges publics.
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Voilà donc le ſexe le plus foible livré aux travaux les plus durs de la vie, ſoit ſauvage , ſoit civiliſée ; la jeune fille tenant dans ſes mains délicates les inſtrumens du labour ; ſa mère, peut-être enceinte d’un ſecond, d’un troiſième enfant, le corps penché ſur la charrue, & enfonçant le ſoc ou la bêche dans le ſein de la terre pendant des chaleurs brûlantes.
Ou je me trompe fort, ou ce phénomène eſt pour celui qui réfléchit un des plus ſurprenans qui ſe préſentent dans les annales bizarres de notre eſpèce.
Il ſeroit difficile de trouver un exemple plus frappant de ce que l’hommage national peut obtenir : car il y a moins d’héroïſme à expoſer ſa vie qu’à la conſacrer à de longues fatigues.
Mais ſi tel eſt le pouvoir des hommes raſſemblés ſur l’eſprit de la femme, quel ne ſeroit point celui des femmes raſſemblées ſur le cœur de l’homme ?
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Telle étoit la ſituation de l’Eſpagne, lorſque les Carthaginois tournèrent leurs regards avides vers une région remplie de richeſſes inconnues à ſes habitans.
Ces négocians qui couvroient la Méditerranée de leurs vaiſſeaux, ſe préſentèrent comme des amis, qui, en échange de métaux inutiles offroient des commodités sans nombre.
L’appât d’un commerce en apparence ſi avantageux, ſéduiſit à tel point les Eſpagnols, qu’ils permirent à ces républicains de bâtir ſur les côtes, des maiſons pour ſe loger, des magaſins pour la ſûreté de leurs marchandiſes, des temples pour l’exercice de leur religion.
Ces établiſſemens devinrent inſenſiblement des fortereſſes, dont une puiſſance plus ruſée que guerrière profita, pour aſſervir des peuples crédules, toujours diviſés entr’eux, toujours irréconciliables.
En achetant les uns, en intimidant les autres, Carthage vint à bout de ſubjuguer l’Eſpagne, avec les ſoldats & les tréſors de l’Eſpagne même.
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Telle était l’Espagne lorsque les Phéniciens y firent voir leur pavillon.
Ce fut à Cadix qu’ils abordèrent ; on les accueillit, et les échanges commencèrent.
L’importance qu’acquit assez rapidement cette liaison détermina les Phocéens, qui venaient de fonder Marseille, à donner la même direction à leurs voiles, et ils établirent des comptoirs sur les côtes de la Catalogne, de l’Aragon, de Valence, comme ceux dont ils suivaient les traces en avaient placé sur les rivages de l’Andalousie.
Il restait entre les deux nations rivales un espace que les Carthaginois ne tardèrent pas à occuper.
De l’aveu des naturels, ils y bâtirent des maisons pour se loger, des magasins pour recevoir leurs marchandises, des temples pour l’exercice de leur religion.
Ces établissemens devinrent insensiblement des forteresses qui mirent leurs heureux possesseurs en état d’éloigner les navigateurs qui les avaient précédés, et d’asservir des peuples crédules, toujours divisés entre eux.
En achetant les uns, en intimidant les autres, Carthage vint à bout de subjuguer l’Espagne avec les soldats et les trésors de l’Espagne même.
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Les Carthaginois devenus les maîtres de la plus grande & de la plus précieuſe partie de cette belle contrée, parurent ignorer ou mépriſer les moyens d’y affermir leur domination.
Au lieu de continuer à s’approprier pour des effets de peu de valeur, l’or & l’argent que fourniſſoient aux vaincus des mines abondantes, ils voulurent tout emporter de force.
Cet eſprit de tyrannie paſſa de la république au général, à l’officier, au ſoldat, au négociant même.
Une conduite ſi violente jetta les provinces ſoumiſes dans le déſeſpoir, & inſpira à celles qui étoient encore libres, une horreur extrême pour un joug ſi dur.
Ces diſpoſitions déterminèrent les unes & les autres à accepter des ſecours auſſi funeſtes que leurs maux étoient cruels.
L’Eſpagne devint un théâtre de jalouſie, d’ambition & de haîne entre Rome & Carthage.
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Les Carthaginois, devenus les maîtres de la plus grande et de la plus précieuse partie de cette belle contrée, parurent ignorer ou mépriser les moyens d’y affermir leur domination.
Au lieu de continuer à s’approprier, pour des effets de peu de valeur, l’or et l’argent que fournissaient aux vaincus des mines abondantes, ils voulurent tout emporter de force.
Cet esprit de tyrannie passa de la république au général, à l’officier, au soldat, au négociant même.
Une conduite si violente jeta les provinces soumises dans le désespoir, et inspira à celles qui étaient encore libres une horreur extrême pour un joug si dur.
Ces dispositions déterminèrent les unes et les autres à accepter des secours aussi funestes que leurs maux étaient cruels.
L’Espagne devint un théâtre de jalousie, d’ambition et de haine entre Rome et Carthage.
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Les deux républiques combattirent avec beaucoup d’acharnement, pour ſavoir à qui l’empire de cette belle portion de l’Europe appartiendroit.
Peut-être ne ſeroit-il reſté ni à l’une, ni à l’autre, ſi les Eſpagnols, ſpectateurs tranquilles des événemens, euſſent laiſſé le tems aux nations rivales de ſe conſumer.
Mais pour avoir voulu être acteurs dans ces ſcènes ſanglantes, ils ſe trouvèrent eſclaves des Romains, & continuèrent à l’être juſqu’au cinquième ſiècle.
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Les deux républiques combattirent avec beaucoup d’acharnement pour savoir à qui l’empire de cette belle portion de l’Europe appartiendrait.
Peut-être ne serait-il resté ni à l’une ni à l’autre, si les Espagnols, spectateurs tranquilles des événemens, eussent laissé le temps aux nations rivales de se consumer.
Mais, pour avoir voulu être acteurs dans ces scènes sanglantes, ils se trouvèrent esclaves des Romains, et continuèrent à l’être jusqu’au cinquième siècle.
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Alors la corruption des maîtres du monde inspira aux peuples sauvages du nord l’audace d’envahir des provinces mal gouvernées et mal défendues.
Les Vandales se jetèrent sur l’Espagne en 409, la ravagèrent d’un bout à l’autre, y causèrent par leurs brigandages une peste, une famine horrible, s’en rendirent maîtres en deux ans, et en partagèrent au sort les différentes parties.
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Ces barbares n’avaient pas encore établi solidement leur domination lorsqu’ils se virent attaqués par des hommes aussi féroces qu’eux, qui avaient une origine à peu près semblable, et qui voulaient aussi se faire une patrie.
Les deux nations se battirent avec l’acharnement que méritait la riche proie qu’on se disputait.
L’avantage resta aux Goths, qui, plus habiles ou plus heureux que leurs concurrens, fondèrent un empire qui, malgré le vice de ses institutions féodales, subsista jusqu’au commencement du huitième siècle.
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A cette époque les Arabes avaient soumis à leur religion et à leurs lois une grande partie du globe, et fait de Damas en Syrie le centre de leur puissance.
Les lieutenans du calife ne tardèrent pas à lui assujettir l’Afrique, et de cette région ils passèrent en Espagne, appelés, comme on le croit communément, par des traîtres, ou, plus vraisemblablement , entraînés par leur ambition seule.
La fortune, qui n’avait jamais ou presque jamais abandonné leurs drapeaux, voulut qu’ils n’eussent à combattre qu’un roi sans vertu et sans talens, que des soldats sans valeur et des généraux sans expérience, que des peuples amollis, pleins de mépris pour le gouvernement, et disposés à changer de maître.
Une victoire, qu’en 714 ils remportèrent dans les fertiles plaines de Xérès, donna de nouveaux souverains à la péninsule entière.
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Elle dut à ses vainqueurs des semences de goût, de politesse, d’humanité, de philosophie, quelques arts, et un assez grand commerce.
Ces jours brillans pouvaient durer, et leur éclat devait avec le temps augmenter encore.
S’il en fut autrement, ce fut la faute des conquérans euxmêmes.
Enorgueillis par leurs succès, ils se jetèrent inconsidérément sur les meilleures provinces de la France, et ne repassèrent les Pyrénées qu’après avoir vu exterminer la moitié de leur innombrable armée.
Le vide que ce grand revers laissait dans leurs cohortes aurait été rempli par les troupes aguerries et triomphantes que l’Afrique, que la Syrie étaient en état de leur fournir ; l’ambition prématurée qui les avait poussés à se soustraire à l’autorité du califat les priva de cette ressource.
Au défaut de secours étrangers, une union inaltérable pouvait perpétuer leurs prospérités : en formant autant de souverainetés particulières et indépendantes qu’il y avait de provinces dans les Espagnes, ils réduisirent à presque rien leurs premières forces.
Le peu qui leur restait de leur antique vigueur s’énerva insensiblement sous le beau ciel, dans le doux climat, au sein du pays abondant de Cordoue, devenue la capitale du nouvel empire.
Les fêtes, les spectacles, les tournois, la galanterie, mille genres de voluptés que l’Europe n’avait jamais connues, ou que les irruptions sans cesse renaissantes des barbares avaient fait oublier, ces objets, également séduisans et magnifiques, avaient remplacé les exercices d’une discipline austère, les marches rapides, les combats sanglans.
Du centre de la puissance, ce mauvais esprit était arrivé à ses extrémités les plus éloignées.
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Il était impossible qu’une révolution si marquée dans la politique et dans les mœurs restât long-temps cachée.
Elle fut aperçue par le petit nombre de Goths qui, sous la conduite de Pélage, parent de Rodrigue, leur dernier monarque, s’étaient réfugiés dans les rochers de l’Asturie.
Cette connaissance leur donna la hardiesse de sortir de leurs cavernes pour se procurer des subsistances, pour élargir les limites trop resserrées de leur asile.
Le succès de leurs premières excursions leur donna des compagnons.
Avec ce secours ils repoussèrent les détachemens envoyés contre eux, et eurent une contenance si assurée, qu’on s’engagea à ne pas troubler leur tranquillité pour un léger tribut auquel ils s’obligèrent.
Cette humiliation n’eut même que peu de durée.
Un des descendans de Pélage s’en déchargea l’an 796, et à cette époque il eut la jouissance paisible et indépendante de Léon et des Asturies.
La Navarre, l’Aragon, quelques parties de la Catalogne et de la Castille, d’autres contrées plus ou moins considérables, recouvrèrent aussi leur liberté, mais sans se réunir au prince généreux qui leur avait servi de guide et de modèle.
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Alors éclata singulièrement la haine qui animait les chrétiens et les musulmans.
Leurs préjugés eussent-ils été moins vifs, des possessions qui se touchaient par tant de points les auraient brouillés nécessairement.
Quelquefois les hostilités étaient opiniâtres ; quelquefois l’impuissance de les continuer les faisait finir le même jour.
Tantôt les souverains des deux partis se réunissaient, tantôt ils combattaient séparément.
Le pays était rempli d’aventuriers qui offraient indifféremment leurs épées et leurs soldats à qui voulait ou pouvait les payer.
Des braves de l’une et l’autre religions faisaient revivre l’esprit de l’ancienne chevalerie, sans que leur probité, sans que leur héroïsme pussent suspendre ou étouffer les perfidies, les assassinats, les empoisonnemens, tous ces crimes si ordinaires aux temps barbares, si familiers dans les démêlés des petits états.
Il y avait cinq ou six ans que l’Espagnol, alternativement vainqueur et vaincu, mais plus souvent heureux que malheureux, poussait les Arabes de poste en poste, lorsqu’enfin il réussit, au quinzième siècle, à les concentrer dans la province de Grenade.
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Bientôt la corruption des maîtres du monde inſpira aux peuples ſauvages du Nord, l’audace d’envahir des provinces mal gouvernées & mal défendues.
Les Sueves, les Alains, les Vandales, les Goths, paſſèrent les Pyrénées.
Accoutumés au métier des brigands, ces barbares ne purent devenir citoyens ; & ils ſe firent une guerre vivre.
Les Goths plus habiles ou plus heureux, ſoumirent leurs ennemis, & compoſèrent de toutes les Eſpagnes un état, qui, malgré le vice de ſes inſtitutions, malgré les rapines des Juifs qui en étoient les ſeuls commerçans, ſe ſoutint juſqu’au commencement du huitième ſiècle.
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A cette époque, les Maures qui avoient ſubjugué l’Afrique avec cette impétuoſité qui diſtinguoit toutes leurs entrepriſes, paſſent la mer.
Ils trouvent un roi ſans mœurs & ſans talens ; beaucoup de courtiſans & point de miniſtres ; des ſoldats ſans valeur & des généraux ſans expérience ; des peuples amollis, pleins de mépris pour le gouvernement, & diſpoſés à changer de maître ; des rebelles qui ſe joignent à eux, pour tout ravager, tout brûler, tout maſſacrer.
En moins de trois ans, l’empire des chrétiens eſt détruit, & celui des infidèles établi ſur des fondemens ſolides.
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L’Eſpagne dut à ſes vainqueurs des ſemences de goût, d’humanité, de politeſſe, de philoſophie, pluſieurs arts, & un aſſez grand commerce.
Ces jours brillans ne durèrent pas long-tems.
Ils furent éclipſés par les innombrables ſectes qui ſe formèrent parmi les conquérans, & par la faute qu’ils firent de ſe donner des ſouverains particuliers dans toutes les villes conſidérables de leur domination.
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Pendant ce tems-là, les Goths qui, pour ſe dérober au joug des Mahométans, avoient été chercher un aſyle au fond des Aſturies, ſuccomboient ſous le joug de l’anarchie, croupiſſoient dans une ignorance barbare, étoient opprimés par des prêtres fanatiques, languiſſoient dans une pauvreté inexprimable, ne ſortoient d’une guerre civile que pour entrer dans une autre.
Trop heureux dans le cours de ces calamités, d’être oubliés ou ignorés, ils étoient bien éloignés de ſonger à profiter des diviſions de leurs ennemis.
Mais auſſi-tôt que la couronne, d’abord élective, fut devenue héréditaire au dixième ſiècle ; que la nobleſſe & les évêques eurent perdu la faculté de troubler l’état ; que le peuple ſorti d’eſclavage eût été appellé au gouvernement, on vit ſe ranimer l’eſprit national.
Les Arabes, preſſés de tous les côtés, furent dépouillés ſucceſſivement.
A la fin du quinzième ſiècle, il ne leur reſtoit qu’un petit royaume.
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Leur décadence auroit été plus rapide, s’ils avoient eu affaire à une puiſſance qui pût réunir vers un centre commun, toutes les conquêtes qu’on faiſoit ſur eux.
Les choſes ne ſe paſſèrent pas ainſi.
Les Mahométans furent attaqués par différens chefs, dont chacun forma un état indépendant.
L’Eſpagne fut diviſée en autant de ſouverainetés qu’elle contenoit de provinces.
Combien il fallut de tems, de ſucceſſions, de guerres, de révolutions, pour que ces foibles états ſe trouvâſſent fondus dans ceux de Caſtille & d’Aragon !
Enfin le mariage d’Iſabelle & de Ferdinand ayant heureuſement réuni dans une même famille toutes les couronnes d’Eſpagne, on ſe trouva des forces ſuffiſantes pour attaquer le royaume de Grenade.
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La décadence de ces fiers Asiatiques aurait été plus rapide, s’ils avaient eu affaire à une puissance qui pût réunir vers un centre commun toutes les conquêtes qu’on faisait sur eux.
Les choses ne se passèrent pas ainsi.
Les Mahométans furent attaqués par différens chefs, dont chacun forma un état indépendant.
L’Espagne fut divisée en autant de souverainetés qu’elle contenait de provinces.
Combien il fallut de temps, de successions, de guerres, de révolutions pour que ces faibles états se trouvassent fondus dans ceux de Castille et d’Aragon !
Enfin le mariage d’Isabelle et de Ferdinand ayant heureusement réuni dans une même famille toutes les couronnes d’Espagne, on se trouva des forces suffisantes pour attaquer le royaume de Grenade.
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Cet état, qui faiſoit à peine la huitième partie de la péninſule, avoit été toujours floriſſant, depuis l’invaſion des Sarrazins ; mais il avoit vu croître ſes proſpérités, à meſure que les conquêtes des chrétiens avoient déterminé un grand nombre d’infidèles à s’y réfugier.
Le reſte de l’Europe n’offroit pas des terres auſſi-bien cultivées, des manufactures auſſi nombreuſes & auſſi parfaites ; une navigation auſſi ſuivie, auſſi étendue.
Le revenu public montoit, dit-on, à 7,000,000 livres, richeſſe prodigieuſe dans un tems où l’or & l’argent étoient très-rares.
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Cet état, qui faisait à peine la huitième partie de la péninsule, avait été toujours florissant depuis l’invasion des Sarrasins ; mais il avait vu croître ses prospérités à mesure que les conquêtes des chrétiens avaient déterminé un grand nombre d’infidèles à s’y réfugier.
Le reste de l’Europe n’offrait pas des terres aussi bien cultivées, des manufactures aussi nombreuses et aussi parfaites, une navigation aussi suivie, aussi étendue.
Les édifices, les amusemens, le revenu public , tout répondait à cette activité, à cette industrie, à cette opulence.
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Tant d’avantages, loin de détourner les ſouverains de la Caſtille & de l’Aragon d’attaquer Grenade, furent les motifs qui les pouſſèrent le plus vivement à cette entrepriſe.
Il leur fallut dix ans d’une guerre ſanglante & opiniâtre, pour ſubjuguer cette floriſſante province.
La conquête en fut achevée par la priſe de la capitale, vers les premiers jours de l’an 1492.
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Tant d’avantages, loin de détourner les souverains de la Castille et de l’Aragon d’attaquer Grenade, furent des motifs qui les poussèrent le plus vivement à cette entreprise.
Il leur fallut dix ans d’une guerre sanglante et opiniâtre pour subjuguer cette florissante province.
La conquête en fut achevée par la prise de la capitale, vers les premiers jours de l’an 1492.
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Ce fut dans ces circonſtances glorieuſes, qu’un homme obſcur, plus avancé que ſon ſiècle dans la connoiſſance de l’aſtronomie & de la navigation, propoſa à l’Eſpagne heureuſe au-dedans de s’agrandir au-dehors.
Chriſtophe Colomb ſentoit comme par inſtinct qu’il devoit y avoir un autre continent, & que c’étoit à lui de le découvrir.
Les Antipodes, que la raiſon même traitoit de chimère, & la ſuperſtition d’erreur & d’impiété, étoient aux yeux de cet homme de génie, une vérité inconteſtable.
Plein de cette idée, l’une des plus grandes qui ſoient entrées dans l’eſprit humain, il propoſa à Gênes ſa patrie, de mettre ſous ſes loix un autre hémiſphère.
Mépriſé par cette petite république, par le Portugal où il vivoit, & par l’Angleterre même, qu’il devoit trouver diſpoſée à toutes les entrepriſes maritimes, il porta ſes vues & ſes projets à Iſabelle.
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Ce fut dans ces circonstances glorieuses qu’un homme, jusqu’alors assez obscur, proposa à l’Espagne, heureuse au-dedans, de s’agrandir audehors d’un continent entier.
C’était une conception sublime.
Des voies déjà frayées à ce terme inconnu, il n’y avait qu’un pas, mais c’était un pas de géant.
Christophe Colomb devait le faire.
Son regard perçant avait démêlé un nouvel ordre de choses au-delà de quelques découvertes où le vulgaire, où les savans n’avaient vu que les découvertes mêmes.
Les antipodes, que la superstition avait si long-temps traités d’erreur ou d’impiété, et dont on commençait seulement à soupçonner l’existence, étaient, selon ses lumières, une vérité incontestable qu’il offrait de démontrer.
Ce projet de tirer des ténèbres une partie du globe n’était pas en lui l’ouvrage d’une imagination exaltée, d’une illusion ambitieuse ; il était fondé sur une connaissance profonde du ciel, de la terre, des mers ; sur une combinaison raisonnée de tous les moyens acquis pour dévoiler la moitié d’un monde à l’autre.
Plein de cette idée, l’une des plus grandes qui soient entrées dans l’esprit humain, il proposa à Gênes, sa patrie, de mettre sous ses lois un autre hémisphère.
Méprisé par cette petite république, par le Portugal où il vivait, et par l’Angleterre même, qu’il devait trouver disposée à toutes les entreprises maritimes, il porta ses vues et ses projets à Isabelle.
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Les miniſtres de cette princeſſe prirent d’abord pour un viſionnaire un homme qui vouloit découvrir un monde.
Ils le traitèrent long-tems avec cette hauteur inſultante que les hommes en place affectent ſi ſouvent avec ceux qui n’ont que du génie.
Colomb ne fut pas rebuté par les difficultés.
Il avoit, comme tous ceux qui forment des projets extraordinaires, cet enthouſiaſme qui les roidit contre les jugemens de l’ignorance, les dédains de l’orgueil, les petiteſſes de l’avarice, les délais de la pareſſe.
Son ame ferme, élevée, courageuſe, ſa prudence & ſon adreſſe, le firent enfin triompher de tous les obſtacles.
On lui accorda trois petits navires & quatre-vingt-dix hommes.
Sur cette foible eſcadre, dont l’armement ne coûtoit pas cent mille francs, il mit à la voile le 3 Août 1492, avec le titre d’amiral & de vice-roi des iſles & des terres qu’il découvriroit, & arriva aux Canaries où il s’étoit propoſé de relâcher.
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Les ministres de cette princesse prirent d’abord pour un visionnaire un homme qui voulait découvrir un monde.
Ils le traitèrent long-temps avec cette hauteur insultante que les hommes en place affectent si souvent avec ceux qui n’ont que du génie.
Colomb ne fut pas rebuté par les difficultés.
Il avait, comme tous ceux qui forment des projets extraordinaires, cet enthousiasme qui les roidit contre les jugemens de l’ignorance, les dédains de l’orgueil, les petitesses de l’avarice, les délais de la paresse.
Son âme ferme, élevée, courageuse, sa prudence et son adresse, le firent enfin triompher de tous les obstacles.
On lui accorda trois petits navires et quatre-vingt-dix hommes.
Sur cette faible escadre, dont l’armement ne coûtait pas cent mille francs, il mit à la voile le 3 août 1492, avec le titre d’amiral et de vice-roi des îles et des terres qu’il découvrirait, et arriva aux Canaries, où il s’était proposé de relâcher.
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Ces iſles, ſituées à cinq cens milles des côtes d’Eſpagne & à cent milles du continent d’Afrique, ſont au nombre de ſept.
L’antiquité les connut ſous le nom d’iſles Fortunées.
Ce fut à la partie la plus occidentale de ce petit archipel que le célèbre Ptolomée, qui vivoit dans le ſecond ſiècle de l’ère chrétienne, établit un premier méridien, d’où il compta les longitudes de tous les lieux, dont il détermina la poſition géographique.
Il auroit pu, ſelon la remarque judicieuſe des trois aſtronomes François qui ont publié en 1778 la relation ſi curieuſe & ſi inſtructive d’un voyage fait en 1771 & en 1772, il auroit pu choiſir Alexandrie : mais il craignit, ſans doute, que cette prédilection pour ſon pays ne fût imitée par d’autres, & qu’ il ne réſultât quelque embarras de ces variations.
Le parti auquel s’arrêta ce philoſophe, de prendre pour premier méridien celui qui paroiſſoit laiſſer à ſon orient toute la partie alors connue de la terre, fut généralement approuvé, généralement ſuivi pendant plusieurs ſiècles.
Ce n’eſt que dans les tems modernes que pluſieurs nations lui ont malà-propos ſubſtitué la capitale de leur empire.
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Ces îles, situées à cinq cents milles des côtes d’Espagne, et à cent cinquante milles du continent d’Afrique, sont au nombre de sept.
L’antiquité les connut sous le nom d’îles fortunées.
Ce fut à la partie la plus occidentale de ce petit archipel que le célèbre Ptolomée, qui vivait dans le second siècle de l’ère chrétienne, établit un premier méridien, d’où il compta les longitudes de tous les lieux, dont il détermina la position géographique.
Il aurait pu choisir Alexandrie ; mais il craignit sans doute que cette prédilection pour son pays ne fût imitée par d’autres, et qu’il ne résultât quelque embarras de ces variations.
Le parti auquel s’arrêta ce philosophe, de prendre pour premier méridien celui qui paraissait laisser à son orient toute la partie alors connue de la terre, fut généralement approuvé, généralement suivi pendant plusieurs siècles.
Ce n’est que dans les temps modernes que plusieurs nations lui ont mal à propos substitué la capitale de leur empire.
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L’habitude qu’on avoit contractée d’employer le nom des iſles Fortunées n’empêchoit pas qu’on ne les eût perdues entiérement de vue.
Quelque navigateur avoit ſans doute reconnu de nouveau ces terres infidelles, puiſqu’en 1344, la cour de Rome en donna la propriété à Louis de la Cerda, un des Infans de Caſtille.
Obſtinément traverſé par le chef de ſa famille, ce prince n’avoit encore pu rien tenter pour mettre à profit cette étrange libéralité, lorſque Béthencourt partit de la Rochelle le 6 Mai 1402, & s’empara deux mois après de Lancerote.
Dans l’impoſſibilité de rien opérer de plus avec les moyens qui lui reſtoient, cet aventurier ſe détermina à rendre hommage au roi de Caſtille de toutes les conquêtes qu’il pourroit faire.
Avec les ſecours que lui donna ce ſouverain, il envahit Fortaventure en 1404, Gomère en 1405, l’iſle de Fer en 1406.
Canarie, Palme & Teneriff ne ſubirent le joug qu’en 1483, en 1492 & en 1496.
Cet archipel, ſous le nom d’iſles Canaries, a fait toujours depuis partie de la domination Eſpagnole & a été conduit par les loix de Caſtille.
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L’habitude qu’on avait contractée d’employer le nom des îles fortunées n’empêchait pas qu’on ne les eût perdues entièrement de vue.
Quelque navigateur avait sans doute reconnu de nouveau cet archipel, puisqu’en 1344 la cour de Rome en donna la propriété à Louis de la Cerda, un des infans de Castille.
Obstinément traversé par le chef de sa famille, ce prince n’avait encore pu rien tenter pour mettre à profit cette étrange libéralité, lorsque Béthencourt partit de la Rochelle le 6 mai 1402, s’empara deux mois après de Lancerote .
Dans l’impossibilité de rien opérer de plus avec les moyens qui lui restaient, cet aventurier se détermina à rendre hommage au roi de Castille de toutes les conquêtes qu’il pourrait faire.
Avec les secours que lui donna ce souverain, il envahit Fortaventure en 1404, Gomère en 1405, l’île de Fer en 1406.
Canarie, Palme et Tenériffe ne subirent le joug qu’en 1483, en 1492 et en 1496.
Cet archipel, sous le nom d’îles Canaries, a fait toujours depuis partie de la domination espagnole, et a été conduit par les lois de Castille.
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Les Canaries jouiſſent d’un ciel communément ſerein.
Les chaleurs ſont vives ſur les côtes : mais l’air eſt agréablement tempéré ſur les lieux un peu élevés, & trop froid ſur quelques montagnes couvertes de neige la plus grande partie de l’année.
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Les Canaries jouissent d’un ciel communément serein.
Les chaleurs sont vives sur les côtes, mais l’air est agréablement tempéré sur les lieux un peu élevés, et trop froid sur quelques montagnes, couvertes de neige la plus grande partie de l’année.
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Les fruits & les animaux de l’ancien, du Nouveau-Monde, proſpèrent tous ou preſque tous ſur le ſol varié de ces iſles.
On y récolte des huiles, quelque ſoie, beaucoup d’orſeille & une aſſez grande quantité de ſucre inférieur à celui que donne l’Amérique.
Les grains qu’il fournit ſuffiſent le plus ſouvent à la conſommation du pays ; & ſans compter les boiſſons de moindre qualité, ſes exportations en vin s’élèvent annuellement à dix ou douze mille pipes de Malvoiſie.
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Les fruits et les animaux de l’ancien, du nouveau monde, prospèrent tous ou presque tous sur le sol varié de ces îles.
On y récolte des huiles, quelque soie, beaucoup d’orseille, et une assez grande quantité de sucre, inférieur à celui que donne l’Amérique.
Les grains qu’il fournit suffisent le plus souvent à la consommation du pays ; et sans compter les boissons de moindre qualité, ses exportations en vin s’élèvent annuellement à dix ou douze mille pipes de Malvoisie.
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En 1768, les Canaries comptoient cent cinquante-cinq mille cent ſoixante-ſix habitans, indépendamment de cinq cens huit eccléſiaſtiques, de neuf cens vingt-deux moines, & de ſept cens quarante-ſix religieuſes.
Vingt-neuf mille huit cens de ces citoyens étoient enrégimentés.
Ces milices n’étoient rien alors : mais depuis on les a un peu exercées, comme toutes celles des autres colonies Eſpagnoles.
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En 1768, les Canaries comptaient cent cinquante-cinq mille cent soixante-six habitans, indépendamment de cinq cent huit ecclésiastiques, de neuf cent vingt-deux moines, et de sept cent quarante-six religieuses.
Vingt-neuf mille huit cent de ces citoyens étaient enrégimentés.
Ces milices n’étaient rien alors : mais depuis on les a un peu exercées, comme toutes celles des autres colonies espagnoles.
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Quoique l’audience ou le tribunal supérieur de justice soit dans l’île spécialement appelée Canarie, on regarde comme la capitale de l’Archipel celle de Ténériffe, connue par ses volcans et par une montagne qui, selon les dernières et les meilleures observations, s’élève mille neuf cent quatre toises au-dessus de la mer.
Les flancs de cet énorme rocher sont remplis d’excavations qui de temps immémorial servirent de tombeau à un peuple nommé Guanche, qui n’existe plus.
L’entrée de ces singuliers sépulcres fut toujours un secret que les vieillards les plus distingués par leur discrétion se transmirent de siècle en siècle avec une fidélité qui ne s’est pas démentie jusqu’à notre âge.
Les morts y sont conservés en momies, avec le succès qu’eut une région autrefois célèbre.
La seule différence un peu prononcée qu’on peut remarquer entre les usages des deux nations, c’est que les Égyptiens enveloppaient leurs momies de bandelettes chargées de caractères vraisemblablement destinés à transmettre l’histoire ou le caractère des morts, au lieu que les Guanches ont simplement cousu les leurs dans des peaux, peut-être parce que l’écriture leur était inconnue.
Ténériffe est d’ailleurs l’île la plus étendue, la plus riche et la plus peuplée de son archipel.
Elle est le séjour du commandant-général et le siége de l’administration.
Les navigateurs, presque tous Anglais ou Américains, font leurs ventes dans son port de Sainte-Croix, et y prennent leur chargement.
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Quoique l’audience ou le tribunal ſupérieur de juſtice ſoit dans l’iſle ſpécialement appellée Canarie, on regarde comme la capitale de l’Archipel celle de Teneriff, connue par ſes volcans & par une montagne qui, ſelon les dernières & les meilleures obſervations, s’élève mille neuf cens quatre toiſes au-deſſus de la mer.
C’eſt la plus étendue, la plus riche & la plus peuplée.
Elle eſt le ſéjour du commandant général & le ſiège de l’adminiſtration.
Les navigateurs, preſque tous Anglois ou Américains, font leurs ventes dans ſon port de Sainte-Croix & y prennent leur chargement.
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L’argent que ces négocians y verſent, circule rarement dans les iſles.
Ce ne ſont pas les impôts qui l’en font ſortir, puiſqu’ils ſe réduiſent au monopole du tabac, & à une taxe de ſix pour cent ſur ce qui ſort, ſur ce qui entre : foibles reſſources que doivent abſorber les dépenſes de ſouveraineté.
Si les Canaries envoient annuellement quinze ou ſeize cens mille francs à la métropole, c’eſt pour la ſuperſtition de la croiſade : c’eſt pour la moitié de leurs appointemens que doivent la première année à la couronne ceux des citoyens qui en ont obtenu quelque place : c’eſt pour le droit des lances ſubſtitué ſur toute l’étendue de l’empire à l’obligation anciennement impoſée à tous les gens titrés de ſuivre le roi à la guerre : c’eſt pour le tiers du revenu des évêchés qui, dans quelque partie du monde que ce puiſſe être, appartient au gouvernement : c’eſt pour le produit des terres acquiſes ou conſervées par quelques familles fixées en Eſpagne : c’eſt enfin pour payer les dépenſes de ceux que l’inquiétude, l’ambition ou le deſir d’acquérir quelques connoiſſances font ſortir de leur archipel.
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L’argent que ces négocians y versent circule rarement dans les îles.
Ce ne sont pas les impôts qui l’en font sortir, puisqu’ils se réduisent au monopole du tabac, et à une taxe de six pour cent sur ce qui sort, sur ce qui entre ; faibles ressources que doivent absorber les dépenses de souveraineté.
Si les Canaries envoient annuellement 15 ou 1600,000 francs à la métropole, c’est pour la superstition de la croisade ; c’est pour la moitié de leurs appointemens que doivent la première année à la couronne ceux des citoyens qui en ont obtenu quelque place ; c’est pour le droit des lances substitué sur toute l’étendue de l’empire à l’obligation anciennement imposée à tous les gens titrés de suivre le roi à la guerre ; c’est pour le tiers du revenu des évêchés qui, dans quelque partie du monde que ce puisse être, appartient au gouvernement ; c’est pour le produit des terres acquises ou conservées par quelques familles fixées en Espagne ; c’est enfin pour payer les dépenses de ceux que l’inquiétude, l’ambition ou le désir d’acquérir quelques connaissances font sortir de leur archipel.
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Une exportation ſi conſidérable de métaux à tenu les Canaries dans un épuiſement continuel.
Elles en ſeroient ſorties, ſi on les eût laiſſé paiſiblement jouir de la liberté qui, en 1657, leur fut accordée d’expédier tous les ans pour l’autre hémiſphère cinq bâtimens chargés de mille tonneaux de denrées ou de marchandiſes.
Malheureuſement, les entraves que mit Cadix à ce commerce, le réduiſit peu-à-peu à l’envoi d’un très-petit navire à Caraque.
Cette tyrannie expire ; & nous parlerons de ſa chûte, après que nous aurons ſuivi Colomb ſur le grand théâtre où ſon génie & ſon courage vont ſe développer.
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Une exportation si considérable de métaux a tenu les Canaries dans un épuisement continuel.
Elles en seraient sorties, si on les eût laissées paisiblement jouir de la liberté qui, en 1657, leur fut accordée d’expédier tous les ans pour l’autre hémisphère cinq bâtimens chargés de mille tonneaux de denrées ou de marchandises.
Malheureusement les entraves que mit Cadix à ce commerce le réduisirent peu à peu à l’envoi d’un très-petit navire à Caraque.
Cette tyrannie expire, et nous parlerons de sa chute après que nous aurons suivi Colomb sur le grand théâtre où son génie et son courage vont se développer.
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Ce fut le 6 ſeptembre qu’il quitta Gomère où ſes trop frêles bâtimens avoient été radoubés & ſes vivres renouvellés ; qu’il abandonna les routes ſuivies par les navigateurs qui l’avoient précédé ; qu’il fit voile à l’Oueſt pour ſe jetter dans un océan inconnu.
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Ce fut le 6 septembre qu’il quitta Gomère, où ses trop frêles bâtimens avaient été radoubés et ses vivres renouvelés ; qu’il abandonna les routes suivies par les navigateurs qui l’avaient précédé ; qu’il fit voile à l’ouest pour se jeter dans un océan inconnu.
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Bientôt, ſes équipages épouvantés de l’immenſe étendue des mers qui les ſéparoient de leur patrie, commencèrent à s’effrayer.
Ils murmuroient, & les plus intraitables des mutins propoſèrent à pluſieurs repriſes de jetter l’auteur de leurs dangers dans les flots.
Ses plus zélés partiſans même étoient ſans eſpoir ; & il ne pouvoit plus rien ſe promettre, ni de la ſévérité, ni de la douceur.
Si la terre ne paroît dans trois jours, je me livre à votre vengeance, dit alors l’amiral.
Le diſcours étoit hardi, ſans être téméraire.
Depuis quelque tems, il trouvoit le fond avec la ſonde ; & des indices qui trompent rarement, lui faiſoient juger qu’il n’étoit pas éloigné du but qu’il s’étoit propoſé.
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Bientôt ses équipages, épouvantés de l’immense étendue des mers qui les séparaient de leur patrie, commencèrent à s’effrayer.
Ils murmuraient, et les plus intraitables des mutins proposèrent à plusieurs reprises de jeter l’auteur de leurs dangers dans les flots.
Ses plus zélés partisans même étaient sans espoir ; et il ne pouvait plus rien se promettre ni de la sévérité, ni de la douceur.
Si la terre ne paraît dans trois jours, je me livre à votre vengeance, dit alors l’amiral.
Le discours était hardi, sans être téméraire.
Depuis quelque temps il trouvait le fond avec la sonde, et des indices qui trompent rarement lui faisaient juger qu’il n’était pas éloigné du but qu’il s’était proposé.
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Ce fut au mois d’octobre que fut découvert le Nouveau-Monde.
Colomb aborda à une des iſles Lucayes, qu’il nomma San-Salvador, & dont il prit poſſeſſion au nom d’lſabelle.
Perſonne en Europe n’étoit capable de penſer, qu’il pût y avoir quelque injuſtice de s’emparer d’un pays qui n’étoit pas habité par des chrétiens.
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Ce fut au mois d’octobre que fut découvert le Nouveau-Monde.
Colomb aborda à une des îles Lucayes, qu’il nomma San-Salvador, et dont il prit possession au nom d’Isabelle.
Personne en Europe n’était capable de penser qu’il pût y avoir quelque injustice de s’emparer d’un pays qui n’était pas habité par des chrétiens.
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Les inſulaires, à la vue des vaiſſeaux & de ces hommes ſi différens d’eux, furent d’abord effrayés, & prirent la fuite.
Les Eſpagnols en arrêtèrent quelques-uns, qu’ils renvoyèrent, après les avoir comblés de careſſes & de préſens.
Il n’en fallut pas davantage pour raſſurer toute la nation.
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Les insulaires, à la vue des vaisseaux et de ces hommes si différens d’eux, furent d’abord effrayés, et prirent la fuite.
Les Espagnols en arrêtèrent quelques-uns, qu’ils renvoyèrent après les avoir comblés de caresses et de présens.
Il n’en fallut pas davantage pour rassurer toute la nation.
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Ces peuples vinrent ſans armes ſur le rivage.
Pluſieurs entrèrent dans les vaiſſeaux ; ils examinoient tout avec admiration.
On remarquoit en eux de la confiance & de la gaieté.
Ils apportoient des fruits.
Ils mettoient les Eſpagnols ſur leurs épaules, pour les aider à deſcendre à terre.
Les habitans des iſles voiſines montrèrent la même douceur & les mêmes mœurs.
Les matelots que Colomb envoyoit à la découverte, étoient fêtés dans toutes les habitations.
Les hommes, les femmes , les enfans, leur alloient chercher des vivres.
On rempliſſoit du coton le plus fin, les lits ſuſpendus dans leſquels ils couchoient.
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Ces peuples vinrent sans armes sur le rivage.
Plusieurs entrèrent dans les vaisseaux ; ils examinaient tout avec admiration.
On remarquait en eux de la confiance et de la gaîté.
Ils apportaient des fruits.
Ils mettaient les Espagnols sur leurs épaules pour les aider à descendre à terre.
Les habitans des îles voisines montrèrent la même douceur et les mêmes mœurs.
Les matelots que Colomb envoyait à la découverte étaient fêtés dans toutes les habitations.
Les hommes, les femmes, les enfans leur allaient chercher des vivres.
On remplissait du coton le plus fin les lits suspendus dans lesquels ils couchaient.
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Lecteur, dites-moi, ſont-ce des peuples civiliſés qui ſont deſcendus chez des ſauvages, ou des ſauvages chez des peuples civiliſés ?
Et qu’importe qu’ils ſoient nus ; qu’ils habitent le fond des forêts, qu’ils vivent ſous des hutes ; qu’il n’y ait parmi eux ni code de loix, ni juſtice civile, ni juſtice criminelle, s’ils ſont doux, humains, bienfaiſans, s’ils ont les vertus qui caractériſent l’homme.
Hélas ! par-tout on auroit obtenu le même accueil avec les mêmes procédés.
Oublions, s’il ſe peut, ou plutôt rappellons-nous ce moment de la découverte, cette première entrevue des deux mondes pour bien déteſter le nôtre.
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Lecteur, dites-moi, sont-ce des peuples civilisés qui sont descendus chez des sauvages, ou des sauvages chez des peuples civilisés ?
Et qu’importe qu’ils soient nus, qu’ils habitent le fond des forêts, qu’ils vivent sous des huttes, qu’il n’y ait parmi eux ni code de lois, ni justice civile, ni justice criminelle, s’ils sont doux, humains, bienfaisans, s’ils ont les vertus qui caractérisent l’homme.
Hélas ! partout on aurait obtenu le même accueil avec les mêmes procédés.
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C’étoit de l’or que cherchoient les Eſpagnols : ils en virent.
Pluſieurs ſauvages portoient des ornemens de ce riche métal ; ils en donnèrent à leurs nouveaux hôtes.
Ceuxci furent plus révoltés de la nudité, de la ſimplicite de ces peuples, que touchés de leur bonté.
Ils ne ſurent point reconnoître en eux l’empreinte de la nature.
Étonnés de trouver des hommes couleur de cuivre, ſans barbe & ſans poil ſur le corps, ils les regardèrent comme des animaux imparfaits, qu’on auroit dès-lors traités inhumainement, ſans l’intérêt qu’on avoit de ſavoir d’eux des détails importans ſur les contrées voiſines, & dans quel pays étoient les mines d’or.
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C’était de l’or que cherchaient les Espagnols : ils en virent.
Plusieurs sauvages portaient des ornemens de ce riche métal ; ils en donnèrent à leurs nouveaux hôtes.
Ceux-ci furent plus révoltés de la nudité, de la simplicité de ces peuples, que touchés de leur bonté.
Ils ne surent point reconnaître en eux l’empreinte de la nature.
Étonnés de trouver des hommes couleur de cuivre, sans barbe et sans poil sur le corps, ils les regardèrent comme des animaux imparfaits qu’on aurait dèslors traités inhumainement, sans l’intérêt qu’on avait de savoir d’eux des détails importans sur les contrées voisines et dans quel pays étaient les mines d’or.
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Après avoir reconnu quelques iſles d’une médiocre étendue, Colomb aborda au Nord d’une grande iſle, que les inſulaires appelloient Hayti, & qu’il nomma l’Eſpagnole : elle porte aujourd’hui le nom de Saint-Domingue.
Il y fut conduit par quelques ſauvages des autres iſles, qui l’avoient ſuivi ſans défiance, & qui lui avoient fait entendre que la grande iſle étoit le pays qui leur fourniſſoit ce métal, dont les Eſpagnols étoient ſi avides.
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Après avoir reconnu Cuba et quelques autres îles d’une médiocre étendue, Colomb aborda le 6 décembre au nord d’une grande île que les insulaires appelaient Haïti, et qu’il nomma l’Espagnole : elle porte aujourd’hui le nom de SaintDomingue.
Il y fut conduit par quelques sauvages des autres îles, qui l’avaient suivi sans défiance, et qui lui avaient fait entendre que la grande île était le pays qui leur fournissait ce métal dont les Espagnols étaient si avides.
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L’iſle de Hayti, qui a deux cens lieues de long, ſur ſoixante, & quelquefois quatrevingts de large, eſt coupée dans toute ſa largeur de l’Eſt à l’Oueſt, par une chaîne de montagnes, la plupart eſcarpées, qui en occupent le milieu.
On la trouva partagée entre cinq nations fort nombreuſes qui vivoient en paix.
Elles avoient des rois nommés caciques, d’autant plus abſolus, qu’ils étoient fort aimés.
Ces peuples étoient plus blancs que ceux des autres iſles.
Ils ſe peignoient le corps.
Les hommes étoient entiérement nus.
Les femmes portoient une ſorte de jupe de coton qui ne paſſoit pas le genou.
Les filles étoient nues comme les hommes.
Ils vivoient de maïs, de racines, de fruits & de coquillages.
Sobres, légers, agiles, peu robuſtes, ils avoient de l’éloignement pour le travail.
Ils couloient leurs jours ſans inquiétude & dans une douce indolence.
Leur tems s’employoit à danſer, à jouer, à dormir.
Ils montroient peu d’eſprit, à ce que diſent les Eſpagnols ; & en effet, des inſulaires ſéparés des autres peuples, ne devoient avoir que peu de lumières.
Les ſociétés iſolées s’éclairent lentement, difficilement ; elles ne s’enrichiſſent d’aucune des découvertes que le tems & l’expérience font naître chez les autres peuples.
Le nombre des haſards qui mènent à l’inſtruction eſt plus borné pour elles.
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L’île de Haïti, qui a deux cents lieues de long sur soixante, et quelquefois quatre-vingts de large, est coupée dans toute sa largeur, de l’est à l’ouest, par une chaîne de montagnes, la plupart escarpées, qui en occupent le milieu.
On la trouva partagée entre cinq nations fort nombreuses qui vivaient en paix.
Elles avaient des rois nommés caciques, d’autant plus absolus qu’ils étaient fort aimés.
Ces peuples étaient plus blancs que ceux des autres îles.
Ils se peignaient le corps.
Les hommes étaient entièrement nus.
Les femmes portaient une sorte de jupe de coton qui ne passait pas le genou.
Les filles étaient nues comme les hommes.
Ils vivaient de maïs, de racines, de fruits et de coquillages.
Sobres, légers, agiles, peu robustes, ils avaient de l’éloignement pour le travail.
Ils coulaient leurs jours sans inquiétude et dans une douce indolence.
Leur temps s’employait à danser, à jouer, à dormir.
Ils montraient peu d’esprit, à ce que disent les Espagnols ; et en effet, des insulaires séparés des autres peuples ne devaient avoir que peu de lumières.
Les sociétés isolées s’éclairent lentement, difficilement ; elles ne s’enrichissent d’aucune des découvertes que le temps et l’expérience font naître chez les autres peuples.
Le nombre des hasards qui mènent à l’instruction est plus borné pour elles.
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Ce ſont les Eſpagnols eux-mêmes, qui nous atteſtent que ces peuples étoient humains, ſans malignité, ſans eſprit de vengeance, preſque ſans paſſion.
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Ce sont les Espagnols eux-mêmes qui nous attestent que ces peuples étaient humains, sans malignité, sans esprit de vengeance, presque sans passions.
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Ils ne ſavoient rien, mais ils n’avoient aucun deſir d’apprendre.
Cette indifférence & la confiance avec laquelle ils ſe livroient à des étrangers, prouvent qu’ils étoient heureux.
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Ils ne savaient rien, mais ils n’avaient aucun désir d’apprendre.
Cette indifférence et la confiance avec laquelle ils se livraient à des étrangers prouvent qu’ils étaient heureux.
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Leur hiſtoire, leur morale, étoient renfermées dans un recueil de chanſons qu’on leur apprenoit dès l’enfance.
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Leur histoire, leur morale, étaient renfermées dans un recueil de chansons qu’on leur apprenait dès l’enfance.
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Ils avoient, comme tous les peuples, quelques fables ſur l’origine du genre-humain.
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Ils avaient, comme tous les peuples, quelques fables sur l’origine du genre humain.
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On ſait peu de choſe de leur religion, à laquelle ils n’étoient pas fort attachés ; & il y a apparence que ſur cet article comme ſur beaucoup d’autres, leurs deſtructeurs les ont calomniés.
Ils ont prétendu que ces inſulaires ſi doux adoroient une multitude d’être malfaiſans.
On ne le ſauroit croire.
Les adorateurs d’un dieu cruel n’ont jamais été bons.
Et qu’importoient leurs dieux & leur culte ?
Firent-ils aux nouveaux venus quelque queſtion ſur leur religion ?
Leur croyance futelle un motif de curioſité, de haîne ou de mépris pour eux ?
C’eſt l’Européen qui ſe conduiſit comme s’il eût été conſeillé par les démons de l’inſulaire ; c’eſt l’inſulaire qui ſe conduiſit comme s’il eût obéi à la divinité de l’Européen.
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On sait peu de chose de leur religion, à laquelle ils n’étaient pas fort attachés ; et il y a apparence que, sur cet article comme sur beaucoup d’autres, leurs destructeurs les ont calomniés.
Ils ont prétendu que ces insulaires si doux adoraient une multitude d’êtres malfaisans.
On ne le saurait croire.
Les adorateurs d’un dieu cruel n’ont jamais été bons.
Et qu’importaient leurs dieux et leur culte ?
Firent-ils aux nouveaux venus quelque question sur leur religion ?
Leur croyance fut-elle un motif de curiosité, de haine ou de mépris pour eux ?
C’est l’Européen qui se conduisit comme s’il eût été conseillé par les démons de l’insulaire ; c’est l’insulaire qui se conduisit comme s’il eût obéi à la divinité de l’Européen.
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Aucune loi ne régloit chez eux le nombre des femmes.
Ordinairement, une d’entre elles avoit quelques privilèges, quelques diſtinctions ; mais ſans autorité ſur les autres.
C’étoit celle que le mari aimoit le plus, & dont il ſe croyoit le plus aimé.
Quelquefois à la mort de cet époux, elle ſe faiſoit enterrer avec lui.
Ce n’étoit point chez ce peuple un uſage, un devoir, un point d’honneur ; c’étoit dans la femme une impoſſibilité de ſurvivre à ce que ſon cœur avoit de plus cher.
Les Eſpagnols appelloient débauche, licence, crime, cette liberté dans le mariage & dans l’amour, autoriſée par les loix & par les mœurs ; & ils attribuoient aux prétendus excès des inſulaires, l’origine d’un mal honteux & deſtructeur qu’on croit communément avoir été inconnu en Europe avant la découverte de l’Amérique.
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Aucune loi ne réglait chez eux le nombre des femmes.
Ordinairement une d’entre elles avait quelques priviléges, quelques distinctions, mais sans autorité sur les autres.
C’était celle que le mari aimait le plus, et dont il se croyait le plus aimé.
Quelquefois à la mort de cet époux elle se faisait enterrer avec lui.
Ce n’était point chez ce peuple un usage, un devoir, un point d’honneur ; c’était dans la femme une impossibilité de survivre à ce que son cœur avait de plus cher.
Les Espagnols appelaient débauche, licence, crime, cette liberté dans le mariage et dans l’amour autorisée par les lois et par les mœurs ; et ils attribuaient aux prétendus excès des insulaires l’origine d’un mal honteux et destructeur qu’on croit communément avoir été inconnu en Europe avant la découverte de l’Amérique.
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Ces inſulaires n’avoient pour armes, que l’arc avec des flèches d’un bois, dont la pointe durcie au feu, étoit quelquefois garnie de pierres tranchantes, ou d’arrêtes de poiſſon.
Les ſimples habits des Eſpagnols, étoient des cuiraſſes impénétrables contre ces flèches lancées avec peu d’adreſſe.
Ces armes jointes à de petites maſſues, ou plutôt à de gros bâtons, dont le coup devoit être rarement mortel, ne rendoient pas ce peuple bien redoutable.
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Ces insulaires n’avaient pour armes que l’arc avec des flèches d’un bois dont la pointe, durcie au feu, était quelquefois garnie de pierres tranchantes ou d’arêtes de poisson.
Les simples habits des Espagnols étaient des cuirasses impénétrables contre ces flèches lancées avec peu d’adresse.
Ces armes, jointes à de petites massues, ou plutôt à de gros bâtons dont le coup devait être rarement mortel, ne rendaient pas ce peuple bien redoutable.
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Il étoit compoſé de différentes claſſes, dont une s’arrogeoit une eſpèce de nobleſſe ; mais on ſait peu quelles étoient les prérogatives de cette diſtinction, & ce qui pouvoit y conduire.
Ce peuple ignorant & ſauvage, avoit auſſi des ſorciers, enfans ou pères de la ſuperſtition.
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Il était composé de différentes classes, dont une s’arrogeait une espèce de noblesse ; mais on sait peu quelles étaient les prérogatives de cette distinction , et ce qui pouvait y conduire.
Ce peuple ignorant et sauvage avait aussi des sorciers, enfans ou pères de la superstition.
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Colomb ne négligea aucun des moyens qui pouvoient lui concilier ces inſulaires.
Mais il leur fit ſentir auſſi, que ſans avoir la volonté de leur nuire, il en avoit le pouvoir.
Les effets ſurprenans de ſon artillerie, dont il fit des épreuves en leur préſence, les convainquirent de ce qu’il leur diſoit.
Les Eſpagnols leur parurent des hommes deſcendus du ciel ; & les préſens qu’ils en recevoient, n’étoient pas pour eux de ſimples curioſités, mais des choſes ſacrées.
Cette erreur étoit avantageuſe.
Elle ne fut détruite par aucun acte de foibleſſe ou de cruauté.
On donnoit à ces ſauvages des bonnets rouges, des grains de verre, des épingles, des couteaux, des ſonnettes, & ils donnoient de l’or & des vivres.
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Colomb ne négligea aucun des moyens qui pouvaient lui concilier ces insulaires.
Mais il leur fit sentir aussi que, sans avoir la volonté de leur nuire, il en avait le pouvoir.
Les effets surprenans de son artillerie, dont il fit des épreuves en leur présence, les convainquirent de ce qu’il leur disait.
Les Espagnols leur parurent des hommes descendus du ciel ; et les présens qu’ils en recevaient n’étaient pas pour eux de simples curiosités, mais des choses sacrées.
Cette erreur était avantageuse.
Elle ne fut détruite par aucun acte de faiblesse ou de cruauté.
On donnait à ces sauvages des bonnets rouges, des grains de verre, des épingles, des couteaux, des sonnettes, et ils donnaient de l’or et des vivres.
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Dans les premiers momens de cette union, Colomb marqua la place d’un établiſſement qu’il deſtinoit à être le centre de tous les projets qu’il ſe propoſoit d’exécuter.
Il conſtruiſit le fort de la Nativité avec le ſecours des inſulaires, qui travailloient gaiement à forger leurs fers.
Il y laiſſa trente-neuf Caſtillans ; & après avoir reconnu la plus grande partie de l’iſle il fit voile pour l’Eſpagne.
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Dans les premiers momens de cette union, Colomb marqua la place d’un établissement qu’il destinait à être le centre de tous les projets qu’il se proposait d’exécuter.
De l’aveu du souverain de la contrée, il construisit le fort de la Nativité avec le secours des insulaires, qui travaillaient gaîment à forger leurs fers.
Il y laissa trente-neuf Castillans ; et après avoir reconnu la plus grande partie de l’île, il fit voile pour l’Espagne le 16 janvier 1493.
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Sa navigation fut heureuse, très-heureuse durant près d’un mois.
Sans le moindre accident il avait fait cinq cents lieues, lorsque le 14 février il fut assailli par une des plus violentes tempêtes qui eussent jamais bouleversé l’Océan.
Sur les rivages mêmes d’Haïti, la Vierge-Marie, la meilleure de ses corvettes, avait été brisée.
L’ouragan l’avait séparée de la Pinta, dont la perte paraissait certaine.
Il ne lui restait aucun espoir de sauver la Nigna, qui faisait eau de tous les côtés.
L’équipage en avait abandonné la manœuvre, et se bornait à pousser des vœux impuissans vers le ciel.
Dans cette situation accablante, l’unique chagrin de l’amiral était de ne point laisser de nom, ou de ne laisser que celui d’un imprudent aventurier.
Pour préserver sa mémoire de l’oubli ou de l’opprobre, il traça par écrit l’importante découverte qu’il avait faite, le chemin qu’il avait tenu, l’établissement qu’il avait formé, et enferma sa relation dans un tonneau qu’il confia aux vagues.
C’était pour lui une grande consolation de penser que ce précieux dépôt pourrait être poussé vers quelques plages habitées, et que ce qu’il avait opéré de grand ne serait pas peut-être perdu pour le genre humain.
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Il arriva à Palos, port de l’Andalouſie, d’où ſept mois auparavant il étoit parti.
Il ſe rendit par terre à Barcelone, où étoit la cour.
Ce voyage fut un triomphe.
La nobleſſe & le peuple allèrent au-devant de lui, & le ſuivirent en foule juſqu’aux pieds de Ferdinand & d’Iſabelle.
Il leur préſenta des inſulaires, qui l’avoient ſuivi volontairement.
Il fit apporter des monceaux d’or, des oiſeaux, du coton, beaucoup de raretés que la nouveauté rendoit précieuſes.
Cette multitude d’objets étrangers expoſée aux yeux d’une nation, dont la vanité & l’imagination exagèrent tout, leur fit voir au loin, dans le tems & l’eſpace, une ſource inépuiſable de richeſſes qui devoit couler éternellement dans ſon ſein.
L’enthouſiaſme gagna juſqu’aux ſouverains.
Dans l’audience publique qu’ils donnèrent à Colomb, ils le firent couvrir & s’aſſeoir, comme un grand d’Eſpagne.
Il leur raconta ſon voyage.
Ils le comblèrent de careſſes, de louanges, d’honneurs ; & bientôt après, il repartit avec dixſept vaiſſeaux pour faire de nouvelles découvertes, & fonder des colonies.
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Par bonheur, au moment d’un naufrage inévitable, les flots s’apaisèrent.
Des vents favorables poussèrent d’abord les infortunés navigateurs aux Açores, ensuite en Portugal, et enfin à Palos, port de l’Andalousie, où ils débarquèrent sept mois et onze jours après en être partis.
Sans perdre un instant, Colomb se rendit par terre à Barcelonne, où était la cour.
Ce voyage fut un triomphe.
La noblesse et le peuple allèrent au-devant de lui et le suivirent en foule jusqu’aux pieds de Ferdinand et d’Isabelle.
Il leur présenta des insulaires qui l’avaient suivi volontairement.
Il fit apporter des monceaux d’or, des oiseaux, du coton, beaucoup de raretés que la nouveauté rendait précieuses.
Cette multitude d’objets étrangers, exposée aux yeux d’une nation dont la vanité et l’imagination exagèrent tout, leur fit voir au loin, dans le temps et l’espace, une source inépuisable de richesses qui devait couler éternellement dans son sein.
L’enthousiasme gagna jusqu’aux souverains.
Dans l’audience publique qu’ils donnèrent à Colomb, ils le firent couvrir et s’asseoir comme un grand d’Espagne.
Il leur raconta son voyage.
Ils le comblèrent de caresses, de louanges, d’honneurs ; et bientôt après il repartit avec dix-sept vaisseaux pour faire de nouvelles découvertes et fonder des colonies.
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A ſon arrivée à Saint-Domingue, avec quinze cens hommes, ſoldats, ouvriers, miſſionnaires ; avec des vivres pour leur ſubſiſtance ; avec les ſemences de toutes les plantes qu’on croyoit pouvoir réuſſir ſous ce climat humide & chaud ; avec les animaux domeſtiques de l’ancien hémiſphère dont le nouveau n’avoit pas un ſeul, Colomb ne trouva que des ruines & des cadavres, où il avoit laiſſé des fortifications & des Eſpagnols.
Ces brigands avoient provoqué leur ruine par leur orgueil, par leur licence & leur tyrannie.
L’amiral n’en douta pas après les éclairciſſemens qu’il ſe fit donner ; & il ſut perſuader à ceux qui avoient moins de modération que lui, qu’il étoit de la bonne politique de renvoyer la vengeance à un autre tems.
Un fort, honoré du nom d’Iſabelle, fut conſtruit aux bords de l’Océan, & celui de Saint-Thomas ſur les montagnes de Cibao, où les inſulaires ramaſſoient, dans des torrens, la plus grande partie de l’or qu’ils faiſoient ſervir à leur parure, & où les conquérans ſe propoſoient d’ouvrir des mines.
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A son arrivée à Saint-Domingue avec quinze cents hommes, soldats, ouvriers, missionnaires ; avec des vivres pour leur subsistance ; avec les semences de toutes les plantes qu’on croyait pouvoir réussir sous ce climat humide et chaud ; avec les animaux domestiques de l’ancien hémisphère dont le nouveau n’avait pas un seul, Colomb ne trouva que des ruines et des cadavres, où il avait laissé des fortifications et des Espagnols.
Ces brigands avaient provoqué leur ruine par leur orgueil, par leur licence et leur tyrannie.
L’amiral n’en douta pas après les éclaircissemens qu’il se fit donner ; et il sut persuader à ceux qui avaient moins de moderation que lui qu’il était de la bonne politique de renvoyer la vengeance à un autre temps.
Un fort, honoré du nom d’Isabelle, fut construit aux bords de l’Océan, et celui de Saint-Thomas sur les montagnes de Cibao, où les insulaires ramassaient dans des torrens la plus grande partie de l’or qu’ils faisaient servir à leur parure, et où les conquérans se proposaient d’ouvrir des mines.
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Pendant qu’on était occupé de ces travaux, les vivres apportés d’Europe avaient été consommés ou s’étaient corrompus.
La colonie n’en avait pas assez reçu de nouveaux pour remplir le vide ; et ses habitans nobles, roturiers ou prêtres, également mécontens d’avoir été réduits, comme leur chef, à prêter leurs bras à la construction de leurs maisons et des édifices publics, avaient tous fièrement repoussé les invitations qui leur étaient faites de créer des subsistances.
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Pendant qu’on étoit occupé de ces travaux, les vivres apportés d’Europe avoient été conſommés ou s’étoient corrompus.
La colonie n’en avoit pas aſſez reçu de nouveaux pour remplir le vuide ; & des ſoldats, des matelots n’avoient eu ni le tems, ni le talent, ni la volonté de créer des ſubſiſtances.
Il fallut recourir aux naturels du pays qui ne cultivant que peu étoient hors d’état de nourrir des étrangers qui, quoique les plus ſobres de l’ancien hémiſphère, conſommoient chacun ce qui auroit ſuffi aux beſoins de pluſieurs Indiens.
Ces malheureux livroient tout ce qu’ils avoient, & l’on exigeoit davantage.
Ces exactions continuelles les firent ſortir de leur caractère naturellement timide ; & tous les caciques, à l’exception de Guacanahari, qui le premier avoit reçu les Eſpagnols dans ſes états, réſolurent d’unir leurs forces pour briſer un joug qui devenoit chaque jour plus intolérable.
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Il fallut recourir aux naturels du pays, qui, ne cultivant que peu, étaient hors d’état de nourrir des étrangers qui, quoique les plus sobres de l’ancien hémisphère, consommaient chacun ce qui aurait suffi aux besoins de plusieurs Indiens.
Ces malheureux livraient tout ce qu’ils avaient, et l’on exigeait davantage.
Ces exactions continuelles les firent sortir de leur caractère, naturellement timide ; et tous les caciques, à l’exception de Guacanaghari, qui le premier avait reçu les Espagnols dans ses états, résolurent d’unir leurs forces pour briser un joug qui devenait chaque jour plus intolérable.
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Colomb interrompit le cours de ſes découvertes pour prévenir ou pour diſſiper ce danger inattendu.
Quoique la miſère, le climat & la débauche euſſent précipité au tombeau les deux tiers de ſes compagnons ; quoique la maladie empêchât pluſieurs de ceux qui avoient échappé à ces fléaux terribles, de ſe joindre à lui ; quoiqu’il ne pût mener à l’ennemi que deux cens fantaſſins & vingt cavaliers, cet homme extraordinaire ne craignit pas d’attaquer, en 1495, dans les plaines de Vega-Real, une armée que les hiſtoriens ont généralement portée à cent mille combattans.
La principale précaution qu’on prit fut de fondre ſur elle durant la nuit.
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Colomb interrompit le cours de ses découvertes pour prévenir ou pour dissiper ce danger inattendu.
Quoique la misère, le climat et la débauche eussent précipité au tombeau les deux tiers de ses compagnons ; quoique la maladie empêchât plusieurs de ceux qui avaient échappé à ces fléaux terribles de se joindre à lui ; quoiqu’il ne pût mener à l’ennemi que deux cents fantassins et vingt cavaliers, cet homme extraordinaire ne craignit pas d’attaquer en 1495, dans les plaines de Véga-Réal, une armée que les historiens ont généralement portée à cent mille combattans.
La principale précaution qu’on prit fut de fondre sur elle durant la nuit.
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Les inſulaires étoient vaincus avant que l’action s’engageât.
Ils regardoient les Eſpagnols comme des êtres d’une nature ſupérieure.
Les armes de l’Europe avoient augmenté leur admiration, leur reſpect & leur crainte.
La vue des chevaux les avoient ſurtout frappés d’admiration.
Pluſieurs étoient aſſez ſimples pour croire que l’homme & le cheval n’étoient qu’un ſeul & même animal, ou une eſpèce de divinité.
Quand une impreſſion de terreur n’auroit pas trahi leur courage, ils n’auroient pu faire encore qu’une foible réſiſtance.
Le feu du canon, les piques, une diſcipline inconnue les auroient aiſément diſperſés.
Ils prirent la fuite de tous côtés.
Pour les punir de ce qu’on appelloit leur rébellion, chaque Indien au-deſſus de quatorze ans fut aſſervi à un tribut en or ou en coton, ſelon la contrée qu’il habitoit.
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Les insulaires étaient vaincus avant que l’action s’engageât.
Ils regardaient les Espagnols comme des êtres d’une nature supérieure.
Les armes de l’Europe avaient augmenté leur admiration, leur respect et leur crainte.
La vue des chevaux les avait surtout frappés d’admiration.
Plusieurs étaient assez simples pour croire que l’homme et le cheval n’étaient qu’un seul et même animal, ou une espèce de divinité.
Quand une impression de terreur n’aurait pas trahi leur courage, ils n’auraient pu faire encore qu’une faible résistance.
Le feu du canon, les piques, une discipline inconnue les auraient aisément dispersés.
Ils prirent la fuite de tous côtés.
Pour les punir de ce qu’on appelait leur rébellion, chaque Indien au-dessus de quatorze ans fut asservi à un tribut en or ou en coton, selon la contrée qu’il habitait.
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Cet ordre de choſes, qui exigeoit un travail aſſidu, parut le plus grand des maux à un peuple qui n’avoit pas l’habitude de l’occupation.
Le deſir de ſe débarraſſer de ſes oppreſſeurs devint ſa paſſion unique.
Comme l’eſpoir de les renvoyer au-delà des mers par la force ne lui étoit plus permis, il imagina, en 1496, de les y contraindre par la famine.
Dans cette vue, il ne ſema plus de maïs, il arracha les racines de manioc qui étoient plantées, & il ſe réfugia dans les montagnes les plus arides, les plus eſcarpées.
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Cet ordre de choses, qui exigeait un travail assidu, parut le plus grand des maux à un peuple qui n’avait pas l’habitude de l’occupation.
Le désir de se débarrasser de ses oppresseurs devint sa passion unique.
Comme l’espoir de les renvoyer au-delà des mers par la force ne lui était plus permis, il imagina, en 1496, de les y contraindre par la famine.
Dans cette vue, il ne sema plus de maïs, il arracha les racines du manioc qui étaient plantées, et il se réfugia dans les montagnes les plus arides, les plus escarpées.
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Rarement les réſolutions déſeſpérées ſontelles heureuſes.
Celle que venoient de prendre les Indiens leur fut infiniment funeſte.
Les dons d’une nature brute & ingrate ne purent les nourrir, comme ils l’avoient inconsidérement eſpéré ; & leur aſyle, quelque difficile qu’en fût l’accès, ne put les ſouſtraire aux pourſuites d’un tyran irrité qui, dans cette privation abſolue de toutes les reſſources locales, reçut, par haſard, quelques ſubſiſtances de ſa métropole.
La rage fut portée au point de former des chiens à découvrir, à dévorer ces malheureux.
On a même prétendu que quelques Caſtillans avoient fait vœu d’en maſſacrer douze, chaque jour, en l’honneur des douze apôtres.
Il eſt reçu qu’avant cet événement, l’iſle comptoit un million d’habitans.
Le tiers d’une ſi grande population périt en cette occaſion, par la fatigue, par la faim & par le glaive.
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Rarement les résolutions désespérées sont-elles heureuses.
Celle que venaient de prendre les Indiens leur fut infiniment funeste.
Les dons d’une nature brute et ingrate ne purent les nourrir, comme ils l’avaient inconsidérément espéré ; et leur asile, quelque difficile qu’en fût l’accès, ne put les soustraire aux poursuites d’un tyran irrité, qui, dans cette privation absolue de toutes les ressources locales, reçut par hasard quelques subsistances de sa métropole.
La rage fut portée au point de former des chiens à découvrir, à dévorer ces malheureux.
On a même prétendu que quelques Castillans avaient fait vœu d’en massacrer douze chaque jour, en l’honneur des douze apôtres.
Il est reçu qu’avant cet événement l’île comptait un million d’habitans.
Le tiers d’une si grande population périt, en cette occasion, par la fatigue, par la faim et par le glaive.
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A peine ceux de ces infortunés qui avaient échappé à tant de désastres étaient rentrés dans leurs foyers, où des calamités d’un autre genre leur étaient préparées, qu’on vit arriver dans la colonie Aguado, valet de chambre du roi Ferdinand.
Il était chargé d’examiner à quel point pouvaient être fondées les plaintes qui ne cessaient de se renouveler contre Colomb.
Cet intrigant subalterne, auquel les ennemis d’un étranger trop justement célèbre avaient procuré une commission au-dessus de ses espérances, entra parfaitement dans les vues de ses protecteurs.
Son approche fut annoncée au son des trompettes ; des honneurs exagérés lui furent rendus ; l’autorité qu’il exerça excédait de beaucoup ses pouvoirs.
La plus douce de ses jouissances était d’avilir le génie hardi auquel les nations devaient la connaissance d’un nouveau monde.
Aux outrages journaliers qu’il lui faisait, il se permit plus d’une fois de joindre les menaces.
Toute accusation contre lui était accueillie, et ce qui pouvait servir à le justifier repoussé sans ménagement.
Jamais juge ne s’était montré sous un plus odieux aspect ; toutes ses actions furent d’un homme vain, partial et borné.
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Cet abus énorme d’une confiance inconsidérément accordée devait naturellement ramener à l’amiral la plupart de ceux que des préjugés de nation en avaient éloignés.
Les choses ne se passèrent pas ainsi.
Au lieu de diminuer, l’aigreur qu’on avait contre lui s’était accrue ; et, dans sa position, un voyage en Europe lui parut indispensable.
Il avait de grands trésors à y porter, et il se flatta que ces moyens, trop ordinairement employés pour racheter des crimes, lui feraient enfin obtenir justice.
Son espérance ne fut pas trompée.
L’or, les perles, d’autres richesses qu’il offrit aux deux souverains comme un produit des possessions nouvellement ajoutées à leur empire, firent oublier ou même approuver tout le passé.
La bonne Isabelle rendit à Colomb toute son estime, et l’avare Ferdinand lui-même se réconcilia un peu avec les navigations lointaines.
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A peine ceux de ces infortunés qui avoient échappé à tant de déſaſtres étoient rentrés dans leurs foyers, où des calamités d’un autre genre leur étoient préparées, que leurs perſécuteurs ſe diviſèrent.
La tranſlation du chef-lieu de la colonie, du Nord au Sud, d’Iſabelle à San-Domingo, put bien ſervir de prétexte à quelques plaintes : mais les diſcordes tiroient principalement leur ſource des paſſions miſes en fermentation par un ciel ardent, & trop peu réprimées par une autorité mal affermie.
On obéiſſoit au frère, au repréſentant de Colomb, lorſqu’il y avoit quelque cacique à détrôner, un canton à piller, des bourgades à exterminer.
Après le partage du butin, l’eſprit d’indépendance redevenoit l’eſprit dominant : les haînes & les jalouſies étoient ſeules écoutées.
Les factions finirent par tourner leurs armes les unes contre les autres : elles ſe firent ouvertement la guerre.
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Durant le cours de ces divisions, l’amiral étoit en Eſpagne.
Il y avoit paſſé pour diſſiper les accuſations qu’on ne ceſſoit de renouveller contre lui.
Le récit de ce qu’il avoit fait de grand, l’expoſé de ce qu’il ſe propoſoit d’exécuter d’utile, lui regagnèrent aſſez aiſément la confiance d’Iſabelle.
Ferdinand lui-même ſe réconcilia un peu avec les navigations lointaines.
L’on traça le plan d’un gouvernement régulier qui ſeroit d’abord eſſayé à Saint-Domingue, & enſuite ſuivi, avec les changemens dont l’expérience auroit démontré la néceſſité, dans les divers établiſſemens que la ſucceſſion des tems devoit élever ſur l’autre hémiſphère.
Des hommes habiles dans l’exploitation des mines furent choifis avec beaucoup de ſoin ; & le fiſc ſe chargea de leur ſolde, de leur entretien pour pluſieurs années.
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La nation penſa autrement que ſes ſouverains.
Le tems, qui amène la réflexion à la ſuite de l’enthouſiaſme, avoit fait tomber le deſir, originairement ſi vif, d’aller dans le Nouveau-Monde.
Son or ne tentoit plus perſonne.
La couleur livide de tous ceux qui en étoient revenus ; les maladies cruelles & honteuſes de la plupart ; ce qu’on diſoit de la malignité du climat, de la multitude de ceux qui y avoient péri, des diſettes qui s’y faiſoient ſentir ; la répugnance d’obéir à un étranger dont la ſévérité étoit généralement blâmée ; peut-être la crainte de contribuer à ſa gloire : toutes ces cauſes avoient donné un éloignement invincible pour Saint-Domingue aux ſujets de la couronne de Caſtille, les ſeuls des Eſpagnols auxquels il fut permis d’y paſſer jufqu en 1593.
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Les peuples ne pensèrent pas comme leurs maîtres.
Le temps, qui amène la réflexion à la suite de l’enthousiasme, avait fait tomber le désir, originairement si vif, d’aller dans le Nouveau-Monde.
La couleur livide de tous ceux qui en étaient revenus ; les maladies cruelles et honteuses de la plupart ; ce qu’on disait de la malignité du climat, de la multitude d’émigrés qui y avaient péri, des disettes qui s’y faisaient sentir ; la répugnance d’obéir à un étranger dont les rigueurs étaient généralement blâmées, peut-être la crainte de contribuer à sa gloire, toutes ces causes avaient donné un éloignement invincible pour l’île espagnole aux sujets de la couronne de Castille, les seuls des Espagnols auxquels il fût alors permis d’y passer.
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Il falloit pourtant des colons.
L’amiral propoſa de les prendre dans les priſons ; de dérober des criminels à la mort, à l’infamie pour l’agrandiſſement d’une patrie dont ils étoient le rebut & le fléau.
Ce projet eut eu moins d’inconvéniens pour des colonies ſolidement établies, où la vigueur des loix auroit contenu ou réprimé des ſujets effrénés ou corrompus.
Il faut aux nouveaux états d’autres fondateurs que des ſcélérats.
L’Amérique ne ſe purgera peut-être jamais du levain, de l’écume qui entrèrent dans la maſſe des premières populations que l’Europe y jetta ; & Colomb lui-même ne tarda pas à ſe convaincre qu’il avoit ouvert un mauvais avis.
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Si ce hardi navigateur eût ſeulement amené avec lui des hommes ordinaires, il leur auroit inſpiré, dans la traverſée, des principes peut-être élevés, du moins des ſentimens honnêtes.
Formant, à leur arrivée, le plus grand nombre, ils auroient donné l’exemple de la ſoumiſſion, & auroient néceſſairement fait rentrer dans l’ordre ceux qui s’en étoient écartés.
Cette harmonie auroit produit les meilleurs effets.
Les Indiens euſſent été mieux traités, les mines mieux exploitées, les tributs mieux payés.
Encouragée, par le ſuccès, à de nouveaux efforts, la métropole auroit formé d’autres établiſſemens qui euſſent étendu la gloire, les richeſſes, la puiſſance de l’Eſpagne.
Quelques années devoient amener ces événemens.
Une idée peu réfléchie gâta tout.
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Les malfaiteurs qui ſuivoient Colomb, joints aux brigands qui infeſtoient SaintDomingue, formèrent un des peuples les plus dénaturés que le globe eût jamais portés.
Leur aſſociation les mit en état de braver audacieuſement l’autorité ; & l’impoſſibilité de les réduire fit recourir aux moyens de les gagner.
Pluſieurs furent inutilement tentés.
Enfin on imagina, en 1499, d’attacher aux terres que recevoit chaque Eſpagnol, un nombre plus ou moins conſidérable d’inſulaires qui devroient tout leur tems, toutes leurs ſueurs à des maîtres ſans humanité & ſans prévoyance.
Cet acte de foibleſſe rendit une tranquillité apparente à la colonie, mais ſans concilier à l’amiral l’affection de ceux qui en profitoient.
Les plaintes formées contre lui furent même plus ſuivies, plus ardentes, plus appuyées, & plus accueillies qu’elles ne l’avoient encore été.
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Cet homme extraordinaire achetoit bien cher la célébrité que ſon génie & ſes travaux lui avoient acquiſe.
Sa vie fut un contraſte perpétuel d’élévation & d’abaiſſement.
Toujours en bute aux complots, aux calomnies, à l’ingratitude des particuliers, il eut encore à ſoutenir les caprices d’une cour fière & orageuſe, qui, tour-à-tour, le récompenſoit & le puniſſoit, le réduiſoit à d’humiliantes juſtifications, & lui rendoit ſa confiance.
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La prévention du miniſtère d’Eſpagne, contre l’auteur de la plus grande découverte qui eût jamais été faite, alla ſi loin, qu’on envoya dans le Nouveau-Monde un arbitre pour juger entre Colomb & ſes ſoldats.
Bovadilla, le plus avide, le plus injuſte, le plus féroce de tous ceux qui étoient paſſés en Amérique, arrive, en 1500, à Saint-Domingue ; dépouille l’amiral de ſes biens, de ſes honneurs, de ſon autorité, & l’envoie en Europe chargé de fers.
L’indignation publique avertit les ſouverains que l’univers attend, ſans délai, la punition d’un forfait ſi audacieux, la réparation d’un ſi grand outrage.
Pour concilier les bienſéances avec leurs préjugés, Iſabelle & Ferdinand rappellent , avec une indignation vraie ou ſimulée, l’agent qui avoit ſi cruellement abuſé du pouvoir qu’ils lui avoient commis : mais ils ne renvoient pas à ſon poſte la déplorable victime de ſon incompréhenſible ſcélérateſſe.
Plutôt que de languir dans l’oiſiveté, plutôt que de vivre dans l’humiliation, Colomb ſe détermine à faire, comme aventurier, un quatrième voyage dans des régions qu’on pouvoit preſque dire de ſa création.
Après ce nouvel effort, que la malice des hommes, que le caprice des élémens ne réuſſirent pas à rendre inutile, il termina, en 1506, à Valladolid une carrière brillante, que la mort récente d’Iſabelle lui avoit ôté toute eſpérance de voir jamais heureuſe.
Quoiqu’il n’eût que cinquante-neuf ans, ſes forces phyſiques étoient très-affoiblies : mais ſes facultés morales n’avoient rien perdu de leur énergie.
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Telle fut la fin de cet homme ſingulier qui avoit étonné l’Europe, en ajoutant une quatrième partie à la terre, ou plutôt une moitié du monde à ce globe ſi long-tems dévaſté & ſi peu connu.
La reconnoiſſance publique auroit dû donner, à cet hémiſphère étranger, le nom du premier navigateur qui y avoit pénétré.
C’étoit le moindre hommage qu’on dût à ſa mémoire : mais, ſoit envie, ſoit inattention, ſoit jeu de la fortune qui diſpoſe auſſi de la renommée, il n’en fut pas ainſi.
Cet honneur étoit réſervé au Florentin Améric Veſpuce, quoiqu’il ne fît que ſuivre les traces d’un homme dont le nom doit être placé à côté des plus grands noms.
Ainſi le premier inſtant où l’Amérique fut connue du reſte de la terre, fut marqué par une injuſtice, préſage fatal de toutes celles dont ce malheureux pays devoit être le théâtre.
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Ses malheurs avoient commencé avec la découverte.
Malgré ſon humanité & ſes lumières, Colomb les multiplia lui-même, en attachant des Américains aux champs qu’il diſtribuoit à ſes ſoldats.
Ce qu’il s’étoit permis pour ſortir des embarras où le jettoit une inſubordination rarement interrompue, Bovadilla le continua & l’étendit dans la vue de ſe rendre agréable.
Ovando, qui le remplaça, rompit tous ces liens, ſelon l’ordre qu’il en avoit reçu.
Le repos fut la première jouiſſance des êtres foibles que la violence avoit condamnés à des travaux que leur nourriture , leur conſtitution & leurs habitudes ne comportoient pas.
Ils erroient au haſard, ou reſtoient accroupis ſans rien faire.
La ſuite de cette inaction fut une famine qui leur fut funeſte, & qui le fut à leurs oppreſſeurs.
Avec de la douceur, des réglemens ſages & beaucoup de patience, il étoit poſſible d’opérer d’heureux changemens.
Ces voies lentes & tempérées ne convenoient pas à des conquérans preſſés d’acquérir, preſſés de jouir.
Ils demandèrent, avec la chaleur inſéparable d’un grand intérêt, que tous les Indiens leur fuſſent répartis pour être employés à l’exploitation des mines, à la culture des grains, aux différentes occupations dont on les jugeroit capables.
La religion & la politique furent les deux voiles dont ſe couvrit cet affreux ſyſtême.
Tout le tems, diſoit-on, que ces ſauvages auront le libre exercice de leurs ſuperſtitions, ils n’embraſſeront pas le chriſtianiſme ; & ils nourriront toujours un eſprit de révolte, à moins que leur diſperſion ne les mette hors d’état de rien entreprendre.
La cour, après bien des diſcuſſions, ſe décida pour un ordre de choſes, ſi contraire à tous les bons principes.
L’iſle entière fut diviſée en un grand nombre de diſtricts que les Eſpagnols obtinrent plus ou moins étendus, ſelon leur grade, leur crédit ou leur naiſſance.
Les Indiens, attachés à ces poſſeſſions précaires, furent des eſclaves que la loi voulut toujours protéger, & qu’elle ne protégea jamais efficacement, ni à SaintDomingue, ni dans les autres parties du Nouveau-Monde, où cette horrible diſpoſition s’établit depuis généralement.
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Quelques commotions ſuivirent cet arrangement : mais elles furent arrêtées par des perfidies ou étouffées dans le ſang.
Lorſque la ſervitude fut imperturbablement établie, les mines donnèrent un produit plus fixe.
La couronne en avoit d’abord la moitié ; elle ſe réduiſit dans la ſuite au tiers, & fut enfin obligée de ſe borner au cinquième.
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Les tréſors qui venoient de Saint-Domingue enflammèrent la cupidité de ceux-là même qui ne vouloient point paſſer les mers.
Les grands, les favoris & les gens en place ſe firent donner de ces propriétés qui procuroient des richeſſes, ſans ſoins, ſans avances & ſans inquiétude.
Ils les faiſoient régir par des agens, qui avoient leur fortune à faire, en augmentant celle de leurs commettans.
En moins de ſix ans ſoixante mille familles Américaines ſe trouvèrent réduites à quatorze mille.
Il fallut aller chercher ſur le continent & dans les iſles voiſines d’autres ſauvages pour les remplacer.
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Il fallait pourtant des colons.
L’amiral proposa de les prendre dans les prisons, de dérober des criminels à l’infamie ou à la mort pour l’agrandissement d’une patrie dont ils étaient le rebut et le fléau.
Un désir immodéré de réaliser sans délai les grandes promesses qu’il avait faites lui avait inspiré ce funeste projet, et une passion impatiente de jouir le fit accepter sans réflexion par une cour où les principes d’une société bien ordonnée étaient ignorés.
Quelques sages prévirent que les scélérats qu’on allait faire passer dans le Nouveau-Monde, joints aux scélérats qui s’y trouvaient déjà, y formeraient une population des plus corrompues qu’on eût jamais vues sur le globe ; mais ou ils craignirent de manifester leur opinion, ou on ne fit aucun cas de leurs lumières.
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Pendant les deux années que la lenteur ordinaire aux conseils de la puissance qu’il servait, que les artifices de la jalousie et de la haine retinrent forcément Colomb en Europe, l’île espagnole fut le le théâtre de divers événemens.
On abandonna au nord la ville d’Isabelle, privée de tous les avantages qu’exige un établissement principal, et les habitans furent transférés au sud, sous un beau ciel, dans un pays ouvert, au milieu d’une plaine féconde, sur les bords rians de l’Ozama, près d’un port excellent, et non loin des riches mines de Saint-Christophe, découvertes après celles de Cibao.
La nouvelle cité fut appelée San-Domingo, nom qui ne tarda pas à devenir celui de l’île entière.
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C’était un grand pas de fait ; les Indiens voisins de la moderne capitale, que leur éloignement avait jusqu’alors préservés du joug, s’y soumettaient assez facilement, lorsque Roldan, chef de la justice, mécontent de n’être que la troisième personne de la colonie, déclama hautement contre Colomb, contre Barthelemi et contre Diego, ses frères, principaux dépositaires de l’autorité.
Il les accusa de cruauté ; il les accusa d’avarice ; il les accusa d’ambition.
A l’en croire, les trois Génois n’avaient fait périr tant d’Espagnols que pour s’emparer des trésors du Nouveau-Monde et y former un empire indépendant.
Quelque peu de vraisemblance qu’eussent ces imputations, elles lui donnèrent assez de complices pour l’enhardir à la rébellion.
L’unique précaution qu’il prit fut de s’éloigner des lieux où étaient les troupes restées fidèles à leurs drapeaux, et de se retrancher dans des défilés où elles ne pouvaient l’attaquer sans courir de très-grands dangers.
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Tel était l’état des choses au retour de l’amiral dans la colonie.
Les forces qui le suivaient, jointes à celles qu’il trouvait rassemblées, étaient assurément très-suffisantes pour obliger les dissidens à rentrer dans l’ordre, ou pour les écraser s’ils se refusaient à la soumission.
C’était même le seul parti convenable à prendre, au gré des esprits ardens.
Son opinion ne fut pas celle de ces hommes exagérés.
Outre qu’il lui répugnait de verser du sang, il devait craindre que ses soldats ne se portassent mollement à cette guerre ; qu’un grand nombre même d’entre eux, dont les mauvaises dispositions lui étaient connues, ne se rangeassent du côté des mécontens.
Ces réflexions le décidèrent à tenter la voie des négociations.
Ses démarches furent long-temps infructueuses.
Les députés avec lesquels il était obligé de traiter s’obstinaient à regarder ses offres ou comme faites de mauvaise foi, ou comme dictées par la faiblesse.
A la fin il fut convenu qu’il y aurait une amnistie générale ; que le chef de la sédition reprendrait sa place ; qu’on embarquerait pour l’Espagne ceux qui voudraient y retourner, et que, dans l’île même, il serait accordé aux autres un vaste terrain qui serait cultivé à leur profit par les Indiens qu’on s’engageait à y attacher.
Telle fut l’origine de ces désastreuses commanderies qui s’établirent depuis si généralement dans toutes les contrées de l’Amérique que le fer asservit successivement à la Castille.
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Tandis que l’amiral se félicitait dans le Nouveau-Monde d’avoir rétabli le calme sans tirer l’épée, les clameurs contre lui se multipliaient dans l’ancien, et le ministre des Indes lui-même appuyait de son crédit tous les ressentimens.
Ferdinand entra en quelque sorte dans cette espèce de conjuration contre un homme qu’il n’aimait pas, et Isabelle fut de nouveau entraînée dans une démarche que son cœur désavouait.
On envoya à St.
- Domingue François de Bovadilla, autorisé à rechercher la conduite de Colomb ; et, si elle était trouvée repréhensible, à prendre lui-même les rênes du gouvernement.
C’était évidemment vouloir perdre l’accusé que de lui donner le même homme pour juge et pour successeur.
Aussi cette imprudente commission n’eut-elle pas été plus tôt rendue publique, que les délations devinrent innombrables.
Quoique contradictoires et invraisemblables, elles parurent suffisantes à un tribunal composé de magistrats sans honneur et sans probité.
La peine de mort fut prononcée d’une voix unanime contre les trois frères, et on les envoya en Europe avec la conviction que la sentence qui venait d’être rendue y aurait une pleine exécution.
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Comme c’eût été une sorte de consolation pour les malheureux d’être réunis, et qu’on ne voulait leur épargner aucun genre de supplice, ils furent embarqués sur trois navires différens.
Alonzo de Valejo, commandant de celui qui portait l’amiral, et qui ne partageait pas les torts de sa nation, n’eut pas plus tôt quitté la rade où il avait mis à la voile, qu’il voulut ôter à son prisonnier les chaînes dont il était chargé.
Non, non, répondit avec dignité ce grand homme, mes fers ne tomberont que par ordre de mes souverains ; partout ils me suivront ; jamais je ne les perdrai de vue, et ils descendront avec moi dans la tombe.
Ce sera une preuve ajoutée à cent mille autres de la récompense ordinairement réservée aux services les plus éminens.
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Après une très-courte traversée, la faible escadre mouilla à Cadix le 25 novembre 1500.
Le spectacle qu’elle offrait causa plus de surprise que d’indignation.
Tout intérêt fut refusé au navigateur qui avait ouvert à l’Espagne la route d’un autre hémisphère.
Les préventions que la malveillance n’avait cessé de semer contre lui étouffèrent la compassion assez généralement accordée au malheur.
Quoique les sentimens de la cour ne différassent vraisemblablement que peu de ceux de la multitude, elle se crut obligée à quelques démonstrations de plus.
On rendit la liberté à l’amiral ; on le reçut avec distinction ; on loua son zèle ; on désavoua son exécrable oppresseur ; mais sans lui faire espérer qu’il pût être un jour rétabli dans ses dignités.
Plutôt que de languir dans l’oisiveté, plutôt que de vivre dans l’humiliation, il se détermina à faire comme aventurier un quatrième voyage dans des régions qu’on pouvait dire de sa création.
Après ce nouvel effort, que la malice des hommes, que le caprice des élémens ne réussirent pas à rendre inutile, il termina en 1506, à Valladolid, une carrière agitée, que la mort récente d’Isabelle lui avait ôté toute espérance de voir jamais heureuse.
Quoiqu’il n’eût que cinquante-neuf ans, ses forces physiques étaient très-affaiblies, tandis que ses facultés morales n’avaient rien perdu de leur énergie.
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Avant que Colomb eût mis à la voile pour sa dernière expédition, son tyran, ses juges ; ses ennemis les plus acharnés avaient reçu l’ordre de repasser en Europe.
Quoique le but apparent de cette rigueur parût être de lui donner une sorte de satisfaction, on est autorisé à penser que le gouvernement se détermina plus spécialement à cette démarche pour purger la colonie des monstres qui la dévoraient, et pour s’enrichir de leurs dépouilles.
Si c’était réellement son espoir, il ne fut pas entièrement rempli.
Les brigands et leurs trésors devinrent généralement, à la vue même de l’île, la proie de l’Océan irrité.
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Cette terrible leçon fut perdue pour Ovando, qui succédait à Bovadilla.
Trompant l’opinion qu’on avait de ses lumières, il voulut obtenir par une infatigable activité des succès que le temps seul pouvait amener.
Cette ambition lui fit ordonner la construction de neuf à dix villes ou bourgades, que devaient peupler les anciens colons et les deux mille cinq cents hommes qui l’avaient suivi.
Peu content d’assurer les subsistances qu’exigeait la consommation locale, il voulut créer des denrées pour l’exportation.
Ayant fait réduire de la moitié au tiers, et du tiers au cinquième, les droits que percevait le fisc sur l’or que charriaient les rivières ou qu’on arrachait aux entrailles de la terre, il poussa l’exploitation des mines au-delà de ce qu’on avait cru possible.
Ces travaux étaient exécutés par les seuls Indiens, qui étaient encore obligés au service domestique.
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L’oppression enfanta le désespoir ; mais que peut le désespoir sans un corps robuste, sans l’énergie de l’âme, sans armes et sans discipline ?
Aussi les attroupemens qu’il avait formés furentils dissipés, quoique plus lentement, plus difficilement qu’on ne l’avait espéré.
Les chefs, tous les chefs sans exception, périrent dans des tourmens inexprimables ; et la nation entière, dont une partie avait jusqu’alors échappé au joug, se vit condamnée à une éternelle servitude.
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Cette tyrannie convenait à Ovando, dont les volontés arbitraires ne devaient plus trouver d’opposition.
Elle convenait aux Espagnols fixés dans la colonie, dont on multipliait les esclaves.
Elle convenait aux courtisans, qui, sans passer les mers, obtenaient des terres et des bras qui, en leur assurant un grand revenu, n’exigeaient de leur part ni soins ni avances.
Elle convenait au gouvernement, qui voyait croître chaque jour les trésors arrivés du nouveau monde.
Mais la source de ces criminelles prospérités allait tarir, parce que la fatigue, la misère, le chagrin et le glaive avaient moissonné la plupart des malheureux auxquels on les devait.
Une avidité insatiable imagina d’aller voler sur le continent et dans les îles voisines d’autres sauvages pour remplacer ceux qui avaient péri.
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Les uns & les autres étoient accouplés au travail comme des bêtes.
On faiſoit relever, à force de coups, ceux qui plioient ſous leurs fardeaux.
Il n’y avoit de communication entre les deux ſexes, qu’à la dérobée.
Les hommes périſſoient dans les mines, & les femmes dans les champs que cultivoient leurs foibles mains.
Une nourriture mal-ſaine, inſuffiſante, achevoit d’épuiſer des corps excédés de fatigues.
Le lait tarriſſoit dans le ſein des mères.
Elles expiroient de faim, de laſſitude, preſſant contre leurs mamelles deſſéchées leurs enfans morts ou mourans.
Les pères s’empoiſonnoient.
Quelques-uns ſe pendirent aux arbres, après y avoir pendu leurs fils & leurs épouſes.
Leur race n’eſt plus.
Il faut que je m’arrête ici un moment.
Mes yeux ſe rempliſſent de larmes, & je ne vois plus ce que j’écris.
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Le peu qui restait des anciens, les nouveaux, en plus grand nombre, qu’on devait à un trop horrible brigandage, tous étaient également accouplés au travail comme des bêtes.
Des verges faisaient relever ceux qui pliaient sous leurs fardeaux.
Il n’y avait de communication entre les deux sexes qu’à la dérobée.
Les hommes périssaient dans les mines, et les femmes dans les champs que cultivaient leurs faibles mains.
Une nourriture malsaine, insuffisante, achevait d’épuiser des corps excédés de fatigue.
Le lait tarissait dans le sein des mères.
Elles expiraient de faim et de lassitude, pressant contre leurs mamelles desséchées leurs enfans morts ou mourans.
Les pères s’empoisonnaient.
Quelques-uns se pendirent aux arbres, après y avoir pendu leurs fils et leurs épouses.
Leur race n’est plus.
Il faut que je m’arrête ici un moment.
Mes yeux se remplissent de larmes, et je ne vois plus ce que j’écris.
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Pendant que ces scènes d’horreur consommaient la ruine des premières plages envahies par les Espagnols dans le Nouveau-Monde, des aventuriers de leur nation dévastaient les grandes et petites Antilles, le continent depuis l’Orénoque jusqu’au Darien, quelques rivages de la mer du Sud.
Les moins féroces d’entre eux avaient même jeté les fondemens d’un petit nombre de colonies, dont celle de Cuba était la plus florissante.
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Diégo de Vélasquez, qui l’avait établie, et qui la gouvernait, conçut l’ambition de faire arborer les drapeaux espagnols dans des contrées qui ne se fussent pas encore courbées devant eux.
Ses regards s’arrêtèrent sur l’Yucatan, que quelques navigateurs de sa nation avaient aperçu, mais sans y descendre.
François Hernandès de Cordoue se chargea de l’expédition.
Il mit à la voile le 8 février 1517 avec cent dix hommes embarqués sur trois navires, et aborda le premier mars au cap Catoche, la pointe la plus méridionale de cette grande péninsule.
Dans deux combats que les Indiens lui livrèrent, il perdit le tiers de ses compagnons, et ce malheur le réduisit à regagner Cuba, où il ne tarda pas à mourir des blessures qu’il avait reçues.
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Avant que ces ſcènes d’horreur euſſent conſommé la ruine des premières plages reconnues par les Eſpagnols dans le NouveauMonde, quelques aventuriers de cette nation avoient formé des établiſſemens moins conſidérables à la Jamaïque, à Porto-Rico, à Cuba.
Velaſquès, fondateur de ce dernier, deſiroit que ſa colonie partageât, avec celle de Saint-Domingue, l’avantage de faire des découvertes dans le continent ; & il trouva très-diſpoſés à ſeconder ſes vues, la plupart de ceux qu’une avidité active & inſatiable avoit conduits dans ſon iſle.
Cent dix s’embarquèrent, le 8 février 1517, ſur trois petits bâtimens à Saint-Iago ; cinglèrent à l’Oueſt ; débarquèrent ſucceſſivement à Yucatan, à Campèche ; furent reçus en ennemis ſur les deux côtes ; périrent en grand nombre des coups qu’on leur porta, & regagnèrent dans le plus grand déſordre le port d’où, quelques mois auparavant, ils étoient partis avec de ſi flatteuſes eſpèrances.
Leur retour fut marqué par la fin du chef de l’expédition Cordova, qui mourut de ſes bleſſures.
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Juſqu’à cette époque, l’autre hémiſphère n’avoit offert aux Eſpagnols que des ſauvages nus, errans, ſans induſtrie, ſans gouvernement .
Pour la première fois, on venoit de voir des peuples logés, vêtus, formés en corps de nation, aſſez avancés dans les arts pour convertir en vaſes des métaux précieux.
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Jusqu’à cette époque, l’autre hémisphère n’avait offert aux Espagnols que des sauvages nus, errans, sans industrie, sans gouvernement.
Pour la première fois on venait de voir des hommes logés, vêtus, formés en corps de nation, assez avancés dans les arts pour convertir en vases les métaux précieux.
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Cette découverte pouvoit faire craindre des dangers nouveaux : mais elle préſentoit auſſi l’appât d’un butin plus riche ; & deux cens quarante Eſpagnols ſe précipitèrent dans quatre navires qu’armoit, à ſes dépens, le chef de la colonie.
Ils commencèrent par vérifier ce qu’avoient publié les aventuriers qui les avoient précédés, pouſſèrent enſuite leur navigation juſqu’à la rivière de Panuco, & crurent appercevoir par-tout des traces encore plus déciſives de civiliſation.
Souvent ils débarquèrent.
Quelquefois on les attaqua très-vivement, & quelquefois on les reçut avec un reſpect qui tenoit de l’adoration.
Dans une ou deux occaſions, ils purent échanger contre l’or du nouvel hémiſphère quelques bagatelles de l’ancien.
Les plus entreprenans d’entre eux, opinoient à former un établiſſement ſur ces belles plages ; leur commandant, Grijalva, qui, quoique actif, quoique intrépide, n’avoit pas l’ame d’un héros, ne trouva pas ſes forces ſuffiſantes pour une entrepriſe de cette importance.
Il reprit la route de Cuba, où il rendit un compte, plus ou moins exagéré, de tout ce qu’il avoit vu, de tout ce qu’il avoit pu apprendre de l’empire du Mexique.
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Cette découverte pouvait faire craindre des dangers nouveaux ; mais elle offrait aussi l’appât d’un butin plus riche, et deux cent quarante Espagnols se précipitèrent le 8 d’avril 1518 sur quatre vaisseaux qu’armait à ses dépens le chef de la colonie.
Ils commencèrent par vérifier ce qu’avaient publié les aventuriers qui les avaient précédés, poussèrent leur navigation plus loin vers l’ouest, et crurent apercevoir partout des traces encore plus décisives de civilisation.
Souvent ils débarquèrent.
Quelquefois on les attaqua très-vivement, et quelquefois on les reçut avec un respect qui tenait de l’adoration.
Dans une ou deux occasions ils purent échanger contre l’or du nouvel hémisphère quelques bagatelles de l’ancien.
Les plus entreprenans d’entre eux opinaient à former un établissement sur ces belles plages.
Leur commandant Grijalva, trop servilement soumis peutêtre à la défense qui lui en avait été faite, se refusa à leurs instances.
Il préféra d’aller rendre compte des connaissances qu’il avait acquises sur l’empire du Mexique, dont il avait parcouru toutes les côtes.
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Aussitôt la conquête de cette vaste et opulente région est arrêtée par Vélasquez.
Le choix de l’instrument qu’il y emploiera l’occupe plus longtemps.
Il craint également de la confier à un homme qui manquera des qualités nécessaires pour la faire réussir, ou qui aura trop d’élévation pour lui en rendre hommage.
On le décide enfin pour Fernand Cortez, celui des colons que ses talens appellent le plus impérieusement à une entreprise difficile, mais le moins disposé par caractère à céder la gloire de ses succès et à rester dans une éternelle dépendance.
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C’était un homme de condition, né en 1485 à Médellin, dans l’Estramadoure.
Sa famille le destinait à l’étude des lois ; mais son inclination le poussa aux armes.
Il devait partir pour aller apprendre la guerre en Italie sous Gonsalve de Cordoue, lorsqu’une maladie grave l’empêcha d’entrer dans la carrière qui lui était ouverte.
En 1504 ses espérances se tournèrent vers Saint-Domingue, où sa parenté avec Ovando lui promettait de l’avancement.
Peut-être se serait-il contenté de la fortune qu’il y avait faite, de la réputation qu’il y avait acquise, si Cuba ne lui eût offert un théâtre où son intelligence et sa valeur devaient se développer avec plus d’éclat.
Ses actions parurent en effet si brillantes et si bien combinées, que les mécontens de la nouvelle colonie le chargèrent du dangereux honneur de porter à l’audience royale leurs griefs contre un trop fier et trop injuste chef.
Le secret de sa mission fut pénétré, et on le condamna à porter sa tête sur un échafaud.
Des sollicitations puissantes ayant obtenu que la peine de mort serait commuée en une prison perpétuelle, il fut embarqué pour aller subir son sort.
Pour éviter cette destinée, il se précipita dans la mer, et regagna à travers mille périls le rivage qui l’avait vu partir.
Ce courage, ou si l’on veut cette témérité, lui valut son pardon ; et Vélasquez crut s’en être assez assuré par cette indulgence pour pouvoir lui confier sûrement une expédition au succès de laquelle il attachait sa gloire et son bonheur.
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La conquête de cette vaſte & opulente région eſt auſſi-tôt arrêtée par Velaſquès.
Le choix de l’inſtrument qu’il y emploiera l’occupe plus long-tems.
Il craint également de la confier à un homme qui manquera des qualités indiſpenſables pour la faire réuſſir, ou qui aura trop d’ambition pour lui en rendre hommage.
Ses confidens le décident enfin pour Fernand Cortès, celui de ſes lieutenans que ſes talens appellent le plus impérieuſement à l’exécution du projet, mais le moins propre à remplir ſes vues perſonnelles.
L’activité, l’élévation, l’audace que montre le nouveau chef dans les préparatifs d’une expédition dont il prévoit & veut écarter les difficultés, réveillent toutes les inquiétudes d’un gouverneur naturellement trop ſoupçonneux.
On le voit occupé, d’abord en ſecret & publiquement enſuite, du projet de retirer une commiſſion importante qu’il ſe reproche d’avoir inconſidérément donnée.
Repentir tardif .
Avant que ſoient achevés les arrangemens imaginés pour retenir la flotte compoſée de onze petits bâtimens, elle a mis à la voile, le 10 février 1519, avec cent neuf matelots, cinq cens huit ſoldats, ſeize chevaux, treize mouſquets, trente-deux arbalètes, un grand nombre d’épées & de piques, quatre fauconneaux & dix pièces de campagne.
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Les mesures hardies, fermes, sages, ardentes que prend Cortez pour faire réussir une entreprise dont il prévoit et veut écarter les difficultés, réveillent toutes les inquiétudes d’un gouverneur naturellement trop ombrageux.
On le voit occupé, d’abord en secret, et publiquement ensuite, du projet de retirer une commission importante, qu’il se reproche d’avoir inconsidérément donnée.
Repentir tardif.
Avant que soient achevés les arrangemens imaginés pour retenir la flotte composée de onze très-petits bâtimens, elle a mis à la voile, le 10 février 1519, avec cent neuf matelots, cinq cent huit soldats, seize chevaux, treize mousquets, trente-deux arbalètes, un grand nombre d’épées et de piques, quatre fauconneaux, et dix pièces de campagne.
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Ces moyens d’invaſion, tout inſuffiſans qu’ils pourront paroître, n’avoient pas même été fournis par la couronne qui ne contribuoit alors que de ſon nom aux découvertes, aux établiſſemens.
C’étoient les particuliers qui formoient des plans d’agrandiſſement, qui les dirigeoient par des combinaiſons bien ou mal réfléchies, qui les exécutoient à leurs dépens.
La ſoif de l’or & l’eſprit de chevalerie qui régnoit encore, excitoient principalement la fermentation.
Ces deux aiguillons faiſoient à la fois courir dans le Nouveau-Monde, des hommes de la première & de la dernière claſſe de la ſociété ; des brigands qui ne reſpiroient que le pillage, & des eſprits exaltés qui croyoient aller à la gloire.
C’eſt pourquoi la trace de ces premiers conquérans fut marquée par tant de forfaits & par tant d’actions extraordinaires ; c’eſt pourquoi leur cupidité fut ſi atroce & leur bravoure ſi giganteſque.
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Ces moyens d’invasion, tout insuffisans qu’ils pourront paraître, n’étaient pas même fournis par la couronne, qui ne contribuait alors que de son nom aux découvertes qu’on tentait, aux établissemens qui s’y formaient.
C’étaient les particuliers qui concevaient les plans d’agrandissement, qui les dirigeaient par des combinaisons bien ou mal réfléchies, qui les exécutaient à leurs dépens.
La soif de l’or et l’esprit de chevalerie, qui n’était pas éteint encore, excitaient principalement la fermentation.
Ces deux aiguillons faisaient également accourir au Nouveau-Monde des hommes de la première et de la dernière classe de la société, des brigands qui ne respiraient que le pillage, et des esprits exaltés qui croyaient voler à la gloire.
C’est pourquoi la trace de ces premiers conquérans fut marquée par tant de forfaits et par tant d’actions extraordinaires ; c’est pourquoi leur cupidité fut si atroce et leur vaillance si gigantesque.
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Cortez relâcha d’abord à l’île de Cozumel, où un heureux hasard lui amena l’Espagnol d’Aguilar, qui, jeté par la tempête sur une côte éloignée, avait erré huit ans dans ces régions.
Il continua sa navigation vers la grande rivière à laquelle Grisjalva s était permis de donner son nom.
Loin d’y trouver l’accueil que son prédécesseur y avait reçu, les habitans en parurent déterminés à l’empêcher de prendre terre.
Inutilement il envoya d’Aguilar, qui entendait leur langue, pour assurer que ses intentions n’avaient rien d’hostile, d’innombrables flèches lancées des canots et du rivage sur la flotte l’avertirent que les dispositions des peuples étaient entièrement changées.
Son artillerie dissipa deux fois ces faibles Indiens, et lui ouvrit Tabasco, leur bourgade principale.
Ses canons lui servirent encore à mettre en déroute une nombreuse armée qui s’était très-rapidement formée.
Trois défaites consécutives persuadèrent au cacique du pays qu’il était temps de procurer la paix à ses sujets.
Il l’obtint en reconnaissant les rois de Castille pour ses souverains, en livrant aux instrumens de leurs victoires de l’or, des vivres, des vêtemens, une vingtaine de femmes destinées à les servir et à leur préparer le maïs le seul grain alors connu dans le Nouveau-Monde.
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Ce succès ne toucha que peu Cortez, qui se sentait appelé à de plus hautes destinées.
Son impatience ne tarda pas à être satisfaite.
Quelques jours d’une navigation facile le portèrent au mois d’avril sur les côtes du Mexique.
A peine avait-il jeté l’ancre entre l’île Saint-Jean d’Ulua et le continent, que deux pirogues abordèrent la flotte.
Ceux qui les montaient se dirent envoyés par le gouverneur et par le général de la province pour s’informer du motif qui avait amené tant de vaisseaux sur ces rivages, et pour leur offrir les secours dont ils pourraient avoir besoin pour s’en éloigner.
Leur discours ne fut pas compris, et l’on allait les renvoyer sans réponse lorsque Marina, l’une des femmes obtenues à Tabasco, s’offrit pour interprète.
Elle rendit en yucatan ce qu’ils avaient dit, et d’Aguilar, qui entendait cet idiome, le traduisit en castillan.
Cortez se vit alors en état de s’expliquer, et assura les députés que bientôt leurs maîtres seraient instruits de ses intentions.
Le débarquement eut lieu le lendemain ; et un camp fortifié à la hâte reçut le même jour les troupes, les chevaux et l’artillerie.
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Pilpatoé et Teutilé, les deux personnages importans au nom desquels les premières paroles avaient été portées, ne se firent pas attendre.
Cortez les reçut à la tête de son armée, et leur signifia qu’il était chargé par le plus grand monarque de l’Orient de communiquer au puissant monarque du Mexique des secrets très-intéressans pour les deux empires ; qu’il lui serait impossible de remplir sa mission ailleurs qu’à la cour, et qu’il s’attendait à y trouver les égards dus au représentant d’un prince qui n’avait pas son égal au monde.
La connaissance de son arrivée, de ses prétentions et de ses forces, parvint très-rapidement à la capitale, quoique éloignée de soixante-dix à quatre-vingts lieues.
Dans cette vaste domination, des courriers placés de distance en distance instruisaient en moins de rien le ministère de ce qui se passait dans les provinces les plus reculées.
Leurs dépêches consistaient en des toiles de coton où étaient représentées les différentes circonstances des affaires qui méritaient l’attention du gouvernement.
Les figures étaient entremêlées de caractères hyéroglyphiques qui suppléaient à ce que l’art du peintre n’avait pu exprimer.
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La double paſſion des richeſſes & de la renommée paroît animer Cortès.
En ſe rendant à ſa deſtination, il attaque les Indiens de Tabaſco, bat pluſieurs fois leurs troupes, les réduit à demander la paix, reçoit leur hommage, & ſe fait donner des vivres, quelques toiles de coton, & vingt femmes qui le ſuivent avec joie.
Cet empreſſement avoit une cauſe trop légitime.
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En Amérique, les hommes ſe livroient généralement à cette débauche honteuſe qui choque la nature & pervertit l’inſtinct animal.
On a voulu attribuer cette dépravation à la foibleſſe phyſique, qui cependant devroit plutôt en éloigner qu’y entraîner.
Il faut en chercher la cauſe dans la chaleur du climat ; dans le mépris pour un ſexe foible ; dans l’inſipidité du plaiſir entre les bras d’une femme haraſſée de fatigues ; dans l’inconſtance du goût ; dans la bizarrerie qui pouſſe en tout à des jouiſſances moins communes ; dans une recherche de volupté, plus facile à concevoir qu’honnête à expliquer.
D’ailleurs, ces chaſſes qui ſéparoient quelquefois pendant des mois entiers l’homme de la femme, ne tendoient-elles pas à rapprocher l’homme de l’homme ?
Le reſte n’eſt plus que la ſuite d’une paſſion générale & violente, qui foule aux pieds, même dans les contrées policées, l’honneur, la vertu, la décence, la probité, les loix du ſang, le ſentiment patriotique : ſans compter qu’il eſt des actions auxquelles les peuples policés ont attaché avec raiſon des idées de moralité tout-à-fait étrangères à des ſauvages.
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Quoi qu’il en ſoit, l’arrivée des Européens fit luire un nouveau jour aux yeux des femmes Américaines.
On les vit ſe précipiter ſans répugnance dans les bras de ces lubriques étrangers, qui s’étoient fait des cœurs de tigre, & dont les mains avares dégouttoient de ſang.
Tandis que les reſtes infortunés de ces nations ſauvages cherchoient à mettre entre eux & le glaive qui les pourſuivoit, des déſerts immenſes, des femmes juſqu’alors trop négligées, foulant audacieuſement les cadavres de leurs enfans & de leurs époux maſſacrés, alloient chercher leurs exterminateurs juſques dans leur propre camp, pour leur faire partager les tranſports de l’ardeur qui les dévoroit.
Parmi les cauſes qui contribuèrent à la conquête du Nouveau-Monde, on doit compter cette fureur des femmes Américaines pour les Eſpagnols.
Ce furent elles qui leur ſervirent communément de guides, qui leur procurèrent ſouvent des vivres, & qui quelquefois leur découvrirent des conſpirations.
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La plus célèbre de ces femmes fut appellée Marina.
Quoique fille d’un cacique aſſez puiſſant, elle fut par des événemens ſinguliers, eſclave chez les Mexicains dès ſa première enfance.
De nouveaux haſards l’avoient conduite à Tabaſco avant l’arrivée des Eſpagnols.
Frappés de ſa figure & de ſes graces, ils la distinguèrent.
Leur général lui donna ſon cœur, & lui inſpira une paſſion trèsvive.
Dans de tendres embraſſemens, elle apprit bientôt le Caſtillan.
Cortès, de ſon côté, connut l’étendue de l’eſprit, la fermeté du caractère de ſon amante ; & il n’en fit pas ſeulement ſon interprète, mais encore ſon conſeil.
De l’aveu de tous les hiſtoriens, elle eut une influence principale dans tout ce qu’on entreprit contre le Mexique.
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Cet empire obéiſſoit à Montezuma, lorſque les Eſpagnols y abordèrent.
Le ſouverain ne tarda pas à être averti de l’arrivée de ces étrangers.
Dans cette vaſte domination, des couriers placés de diſtance en diſtance, inſtruiſoient rapidement la cour de toute ce qui arrivoit dans les provinces les plus reculées.
Leurs dépêches conſiſtoient en des toiles de coton, où étoient repréſentées les différentes circonſtances des affaires qui méritoient l’attention du gouvernement.
Les figures étoient entremêlées de caractères hyérogliphiques, qui ſuppléoient à ce que l’art du peintre n’avoit pu exprimer.
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On devoit s’attendre qu’un prince que ſa valeur avoit élevé au trône, dont les conquêtes avoient étendu l’empire, qui avoit des armées nombreuſes & aguerries, feroit attaquer, ou attaqueroit lui-même une poignée d’aventuriers, qui oſoient infeſter ſon domaine de leurs brigandages.
Il n’en fut pas ainſi ; & les Eſpagnols, toujours invinciblement pouſſés vers le merveilleux, cherchèrent, dans un miracle, l’explication d’une conduite ſi viſiblement oppoſée au caractère du monarque, ſi peu aſſortie aux circonſtances où il ſe trouvoit.
Les écrivains de cette ſuperſtitieuſe nation ne craignirent pas de publier à la face de l’univers, qu’un peu avant la découverte du Nouveau-Monde, on avoit annoncé aux Mexicains, que bientôt il arriveroit du côté de l’Orient un peuple invincible, qui vengeroit, d’une manière à jamais terrible, les dieux irrités par les plus horribles crimes, par celui en particulier que la nature repouſſe avec le plus de dégoût ; & que cette prédiction fatale avoit ſeule enchaîné les talens de Montezuma.
Ils crurent trouver dans cette impoſture le double avantage de juſtifier leurs uſurpations, & d’aſſocier le ciel à leurs cruautés.
Une fable ſi groſſière trouva long-tems des partiſans dans les deux hémiſphères ; & cet aveuglement n’eſt pas auſſi ſurprenant qu’on le pourroit croire.
Quelques réflexions pourront en développer les cauſes.
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On devait s’attendre qu’un souverain que sa valeur avait élevé au trône, dont l’ambition avait asservi d’immenses contrées, qui avait une milice nombreuse et aguerrie, ferait attaquer sans perdre un moment, ou attaquerait lui-même une poignée d’aventuriers qui osaient infester ses états de leurs brigandages, et ne craignaient pas même de montrer à découvert le projet qu’ils avaient de lui dicter la loi.
Il n’en fut pas ainsi, et les Espagnols, toujours invinciblement poussés vers le merveilleux, cherchèrent dans un miracle l’explication d’une conduite si visiblement opposée au caractère de Montézuma, si peu assortie aux circonstances où il se trouvait.
Les écrivains de cette superstitieuse nation ne craignirent pas de publier, à la face de l’univers, qu’un peu avant la découverte du Nouveau-Monde on avait annoncé aux Mexicains que bientôt il arriverait du côté de l’Orient un peuple invincible qui vengerait d’une manière à jamais terrible les dieux irrités par les plus horribles crimes, par celui en particulier que la nature repousse avec le plus de dégoût, et que cette prédiction fatale avait seule enchaîné les talens du monarque.
Ils crurent trouver dans cette imposture le double avantage de justifier leurs usurpations et d’associer le ciel à leurs cruautés.
Une fable si grossière trouva long-temps des partisans dans les deux hémisphères, et cet aveuglement n’est pas aussi surprenant qu’on le pourrait croire.
Quelques réflexions pourront en développer les causes.
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D’anciennes révolutions, dont l’époque eſt inconnue, ont bouleverſé la terre ; & l’aſtronomie nous montre la poſſibilité de ces cataſtrophes, dont l’hiſtoire phyſique & morale du monde offre une infinité de preuves inconteſtables.
Un grand nombre de comètes ſe meuvent dans tous les ſens autour du ſoleil .
Loin que les mouvemens de leurs orbites ſoient invariables, ils ſont ſenſiblement altérés par l’action des planètes.
Pluſieurs de ces grands corps ont paſſé près de la terre, & peuvent l’avoir rencontrée.
Cet événement eſt peu vraiſemblable dans le cours d’une année ou même d’un ſiècle : mais ſa probabilité augmente tellement par le nombre des révolutions de la terre, qu’on peut preſque aſſurer que cette planète n’a pas toujours échappé au choc des différentes comètes qui traverſoient ſon orbite.
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D’anciennes révolutions dont l’époque est inconnue ont bouleversé la terre, et l’astronomie nous montre la possibilité de ces catastrophes, dont l’histoire physique et morale du monde offre une infinité de preuves incontestables.
Un grand nombre de comètes se meuvent dans tous les sens autour du soleil.
Loin que les mouvemens de leurs orbites soient invariables, ils sont sensiblement altérés par l’action des planètes.
Plusieurs de ces grands corps ont passé près de la terre, et peuvent l’avoir rencontrée.
Cet événement est peu vraisemblable dans le cours d’une année ou même d’un siècle ; mais sa probabilité augmente tellement par le nombre des révolutions de la terre, qu’on peut presque assurer que cette planète n’a pas toujours échappé au choc des différentes comètes qui traversaient son orbite.
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Cette rencontre a dû occaſionner, ſur la ſurface du globe, des ravages inexprimables.
L’axe de rotation changé ; les mers abandonnant leur ancienne poſition pour ſe précipiter vers le nouvel équateur ; la plus grande partie des animaux noyée par le déluge, ou détruite par la violente ſecouſſe imprimée à la terre par la comète ; des eſpèces entières anéanties : tels ſont les déſaſtres qu’une comète a dû produire.
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Cette rencontre a dû occasionner sur la surface du globe des ravages inexprimables.
L’axe de rotation changé, les mers abandonnant leur ancienne position pour se précipiter vers le nouvel équateur, la plus grande partie des animaux noyée par le déluge ou détruite par la violente secousse imprimée à la terre par la comète, des espèces entières anéanties, telles sont les désastres qu’une comète a dû produire.
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Indépendamment de cette cauſe générale de dévaſtation, les tremblemens de terre, les volcans, mille autres cauſes inconnues, qui agiſſent dans l’intérieur du globe & à ſa ſurface , doivent changer la poſition reſpective de ſes parties, & par une ſuite néceſſaire la ſituation de ſes poles de rotation.
Les eaux de la mer, déplacées par ces changemens, doivent quitter un pays pour couvrir l’autre, & cauſer ainſi ces inondations, ces déluges ſucceſſifs qui ont laiſſé par-tout des monumens viſibles de ruine, de dévaſtation, & des traces profondes de leurs ravages dans le ſouvenir des hommes.
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Indépendamment de cette cause générale de dévastation, les tremblemens de terre, les volcans, mille autres causes inconnues qui agissent dans l’intérieur du globe et à sa surface, doivent changer la position respective de ses parties, et, par une suite nécessaire, la situation de ses poles de rotation.
Les eaux de la mer, déplacées par ces changemens, doivent quitter un pays pour couvrir l’autre, et causer ainsi ces inondations, ces déluges successifs qui ont laissé partout des monumens visibles de ruine, de dévastation, et des traces profondes de leurs ravages dans le souvenir des hommes.
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Cette lutte continuelle d’un élément contre l’autre, de la terre qui engloutit une partie de l’océan dans ſes cavités intérieures, de la mer qui ronge & emporte de grandes portions de la terre dans ſes abîmes ; ce combat éternel des deux élémens incompatibles, ce ſemble, & pourtant inſéparables, tient les habitans du globe dans un péril ſenſible, & dans des alarmes vives ſur leur deſtinée.
La mémoire ineffaçable des changemens arrivés, inſpire naturellement la crainte des changemens à venir.
De-là ces traditions univerſelles de déluges paſſés, & cette attente de l’embrâſement du monde.
Les tremblemens de terre occaſionnés par les inondations & les volcans, que ces ſecouſſes reproduiſent à leur tour, ces criſes violentes dont aucune partie du globe ne doit être exempte, engendrent & perpétuent la frayeur parmi les hommes.
On la trouve répandue & conſacrée dans toutes les ſuperſtitions.
Elle eſt plus vive dans les pays où, comme l’Amérique, les marques de ces révolutions du globe ſont plus ſenſibles & plus récentes.
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Cette lutte continuelle d’un élément contre l’autre, de la terre qui engloutit une partie de l’Océan dans ses cavités intérieures, de la mer qui ronge et emporte de grandes portions de la terre dans ses abîmes, ce combat éternel des deux élémens incompatibles, ce semble, et pourtant inséparables, tient les habitans du globe dans un péril sensible et dans des alarmes vives sur leur destinée.
La mémoire ineffaçable des changemens arrivés inspire naturellement la crainte des changemens à venir.
De là ces traditions universelles de déluges passés, et cette attente de l’embrasement du monde.
Les tremblemens de terre occasionnés par les inondations et les volcans que ces secousses reproduisent à leur tour, ces crises violentes dont aucune partie du globe ne doit être exempte, engendrent et perpétuent la frayeur parmi les hommes.
On la trouve répandue et consacrée dans toutes les superstitions.
Elle est plus vive dans les pays où, comme l’Amérique, les marques de ces révolutions du globe sont plus sensibles et plus récentes.
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L’homme épouvanté voit dans un ſeul mal le germe de mille autres.
Il en attend de la terre & des cieux ; il croit voir la mort ſur ſa tête & ſous ſes pieds.
Des événemens que le haſard a rapprochés lui paroiſſent liés dans la nature même & dans l’ordre des choſes.
Comme il n’arrive jamais rien ſur la terre, ſans qu’elle ſe trouve ſous l’aſpect de quelque conſtellation, on s’en prend aux étoiles de tous les malheurs dont on ignore la cauſe ; & de ſimples rapports de ſituation entre des planètes, ont pour l’eſprit humain, qui a toujours cherché dans les ténèbres l’origine du mal, une influence immédiate & néceſſaire ſur toutes les révolutions qui les ſuivent ou les accompagnent.
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L’homme épouvanté voit dans un seul mal le germe de mille autres.
Il en attend de la terre et des cieux ; il croit voir la mort sur sa tête et sous ses pieds.
Des événemens, que le hasard a rapprochés, lui paraissent liés dans la nature même et dans l’ordre des choses.
Comme il n’arrive jamais rien sur la terre sans qu’elle se trouve sous l’aspect de quelque constellation, on s’en prend aux étoiles de tous les malheurs dont on ignore la cause ; et de simples rapports de situation entre des planètes ont pour l’esprit humain, qui a toujours cherché dans les ténèbres l’origine du mal, une influence immédiate et nécessaire sur toutes les révolutions qui les suivent ou les accompagnent.
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Mais les événemens politiques, comme les plus intéreſſans pour l’homme, ont toujours eu à ſes yeux une dépendance très-prochaine du mouvement des aſtres.
De-là les fauſſes prédictions & les terreurs qu’elles ont inſpirées : terreurs qui ont toujours troublé la terre, & dont l’ignorance eſt tout-à-la-fois le principe & la meſure.
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Mais les événemens politiques, comme les plus intéressans pour l’homme, ont toujours eu à ses yeux une dépendance très-prochaine du mouvement des astres.
De là les fausses prédictions et les terreurs qu’elles ont inspirées ; terreurs qui ont toujours troublé la terre, et dont l’ignorance est tout à la fois le principe et la mesure.
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Quoique Montezuma eût pu, comme tant d’autres, être atteint de cette maladie de l’eſprit humain, rien ne porte à penſer qu’il ait eu une foibleſſe, alors ſi commune.
Mais ſa conduite politique n’en fut pas meilleure.
Depuis que ce prince étoit ſur le trône, il ne montroit aucun des talens qui l’y avoient fait monter.
Du ſein de la molleſſe, il mépriſoit ſes ſujets, il opprimoit ſes tributaires.
L’arrivée des Eſpagnols ne rendit pas du reſſort à cette ame avilie & corrompue.
Il perdit en négociations, le tems qu’il falloit employer en combats, & voulut renvoyer avec des préſens des ennemis qu’il falloit détruire.
Cortès, à qui cet engourdiſſement convenoit beaucoup, n’oublioit rien pour le perpétuer.
Ses diſcours étoient d’un ami.
Sa miſſion ſe bornoit, diſoit-il, à entretenir de la part du plus grand monarque de l’Orient, le puiſſant maître du Mexique.
A toutes les inſtances qu’on faiſoit pour preſſer ſon rembarquement, il répondoit toujours qu’on n’avoit jamais renvoyé un ambaſſadeur ſans lui donner audience.
Cette obſtination ayant réduit les envoyés de Montezuma à recourir, ſelon leurs inſtructions, aux menaces, & à vanter les tréſors & les forces de leur patrie : voilà, dit le général Eſpagnol, en ſe tournant vers ſes ſoldats, voilà ce que nous cherchons, de grands périls & de grandes richeſſes.
Il avoit alors fini ſes préparatifs, & acquis toutes les connoiſſances qui lui étoient néceſſaires.
Réſolu à vaincre ou à périr, il brûla ſes vaiſſeaux, & marcha vers la capitale de l’empire.
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Sur ſa route ſe trouvoit la république de Tlaſcala, de tout tems ennemie des Mexicains, qui vouloient la ſoumettre à leur domination.
Cortès ne doutant pas qu’elle ne dût favoriſer ſes projets, lui fit demander paſſage, & propoſer une alliance.
Des peuples qui s’étoient interdit preſque toute communication avec leurs voiſins & que ce principe inſociable avoit accoutumés à une défiance univerſelle, ne devoient pas être favorablement diſpoſés pour des étrangers dont le ton étoit impérieux & qui avoient ſignalé leur arrivée par des inſultes faites aux dieux du pays.
Auſſi repouſſèrent-ils, ſans ménagement, les deux ouvertures.
Les merveilles qu’on racontoit des Eſpagnols étonnoient les Tlaſcaltèques, mais ne les effrayoient pas.
Ils livrèrent quatre ou cinq combats.
Une fois les Eſpagnols furent rompus.
Cortès ſe crut obligé de ſe retrancher, & les Indiens ſe firent tuer ſur les parapets.
Que leur manquoit-il pour vaincre ?
Des armes.
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Que Montézuma fût ou ne fût pas atteint de cette maladie de l’esprit humain généralement répandue dans sa nation, la plus superstitieuse du Nouveau-Monde, il paraît prouvé que l’arrivée et les prétentions des Espagnols lui causèrent de vives inquiétudes.
Il espéra sortir d’embarras en leur envoyant des présens d’un très-haut prix, et en leur faisant dire que les circonstances ne lui permettaient pas de les admettre en sa présence.
Ses dons furent reçus avec respect ; mais ce respect n’apporta aucun changement aux volontés que ces formidables étrangers avaient d’abord manifestées.
Inutilement les plus grands trésors leur furent prodigués à plusieurs reprises pour les faire changer de résolution, ils continuèrent à toujours soutenir que des ambassadeurs n’avaient jamais été renvoyés sans avoir obtenu audience.
On se flatta que la faim pourrait surmonter une obstination que l’or n’avait pu vaincre, et l’on cessa de fournir à leur subsistance.
Ce nouvel expédient parut d’abord avoir quelque succès, et il en faut dire la raison.
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Parmi les soldats espagnols il s’en trouvait qui regardaient comme extravagant l’espoir de renverser avec le peu de forces qu’on avait un trône aussi solidement fondé que l’était celui du Mexique.
La diminution des vivres, dont même la source pouvait bientôt entièrement tarir, les confirma de plus en plus dans l’opinion où ils étaient qu’ils seraient tous un peu plus tôt un peu plus tard la victime d’une entreprise téméraire.
Dans leur découragement, ils députèrent un d’entre eux au général pour lui annoncer la résolution où ils étaient de retourner sans délai à Cuba.
Sur-le-champ Cortez fit publier que l’armée se disposât à s’embarquer le lendemain.
Cette précipitation apparente devait avoir des suites favorables, et il le savait bien.
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A peine l’ordre du départ fut-il devenu public, qu’accoururent à la tente du général ceux qui n’étaient pas entrés dans un complot que la lâcheté et la malveillance avaient seules pu, disait-on, former.
Leur indignation était extrême.
Une retraite exécutée avant d’avoir tiré l’épée leur paraissait devoir imprimer sur leur nation un opprobre ineffaçable, et c’était le comble de l’injustice de les priver du prix de leurs fatigues au moment même où ils en allaient recueillir le fruit.
Ils paraissaient déterminés à choisir un nouveau chef, si celui qui leur avait été donné refusait de les conduire à la gloire et à la fortune.
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Ce langage parut étonner Cortez, quoique luimême l’eût fait dicter par ses confidens.
Il protesta que c’était avec la plus grande répugnance qu’il avait pris la résolution qui excitait tant de murmures ; qu’il n’avait abandonné ses projets que parce qu’on l’avait assuré que le vœu général des troupes exigeait ce sacrifice ; que leur noble indignation le détrompait d’une funeste erreur où il s était laissé entraîner trop aisément ; qu’il allait hâter les préparatifs qu’exigeait une entreprise dont leur valeur assurait le succès, et qu’il ne laisserait pas languir leur impatience.
Des expressions qui rendaient si bien les sentimens dont la plupart des cœurs étaient pénétrés furent entendues, recueillies, et répétées avec un enthousiasme qui ressemblait à de l’ivresse.
Ceux même qui ne partageaient pas le commun délire affectèrent plus de joie que les autres, parce qu’ils avaient des torts à cacher ou à faire oublier.
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Cette circonstance parut favorable à Cortez pour se procurer une autorité plus étendue et mieux affermie que celle dont jusqu’alors il avait joui.
Dans cette vue, il proposa d’établir dans la colonie de la Véra-Cruz, qu’on venait de fonder, une juridiction municipale semblable à celles qui se voyaient dans toutes les villes de la métropole.
Les magistrats qui devaient la conduire n’eurent pas été plus tôt choisis, qu’il parut à leur tribunal.
« La commission que vous m’avez vu remplir, « leur dit-il, je la tenais de Vélasquez, et encore « fut-elle presque aussitôt révoquée qu’accordée. « C’est à vous, et à vous seuls, dépositaires du « pouvoir souverain, qu’il appartient de conférer « des dignités. Je mets à vos pieds celle dont j’ai « bien ou mal rempli les fonctions, et vous as- « sure que je serai content, dans quelque rang que « vous jugiez à propos de me placer. Comme sol- « dat, je combattrai avec autant de zèle que je « l’ai fait comme général. Si, dans le métier des « armes, c’est en obéissant qu’on apprend à com- « mander, il se trouve aussi des occasions sans « nombre où il faut avoir commandé pour sentir « la nécessité de l’obéissance ».
La délibération du conseil ne dura que peu.
D’une voix unanime il conféra la disposition absolue du civil et du militaire à un homme dont la conduite venait de beaucoup ajouter à l’idée qu’on avait de lui.
Cet heureux et sage choix trouva pourtant des contradicteurs.
Les plus emportés d’entre eux furent punis, mais avec tant de modération, et ensuite pardonnés de si bonne grâce, qu’ils ne tardèrent pas à devenir les amis les plus fidèles de celui dont ils avaient blâmé l’élévation.
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Tout paraissait soumis lorsque Cortez fut averti que quelques-uns de ceux qui lui étaient contraires méditaient d’aller avertir Vélasquez de ce qui s’était passé contre ses intérêts, et de l’instruire que toutes les richesses acquises jusqu’alors dans le Mexique avaient été envoyées en Europe dans la vue de faire détacher de sa juridiction une si opulente partie du NouveauMonde.
Cette connaissance le confirma dans le projet qu’il avait formé de détruire la flotte pour qu’il ne restât aux troupes à ses ordres d’espoir que dans la victoire.
Ses confidens adoptèrent sans balancer un plan si magnanime.
Ils publièrent que tous les navires étaient pourris, et ne devaient pas tarder à couler bas.
Soit conviction, soit séduction, les gens de mer confirmèrent cette opinion par leur témoignage ; et bientôt on débarqua les voiles, les cordages, les ferremens, tout ce qui quelque jour pouvait être utile.
Il ne restait plus qu’à faire échouer les bâtimens ; et ce dernier acte d’un héroïsme admiré depuis trois siècles ne se fit pas attendre.
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La plupart des obstacles qui depuis trois ou quatre mois retenaient dans une inaction apparente l’armée entière sur les côtes se trouvaient levés.
Par le ministère de Marina, qu’un heureux hasard avait donné aux Espagnols pour les guider dans leurs conquêtes pour les consoler dans leurs anxiétés, pour les encourager dans leurs malheurs, Cortez avait acquis quelque connaissance de la région qu’il voulait asservir.
Son premier établissement était assez bien fortifié pour braver les attaques des aborigènes, et quelques bourgades voisines qui s’étaient volontairement données, ne devaient pas laisser manquer d’alimens ce poste important.
Deux cantons moins bornés, qui s’étaient mis sous sa protection, lui offraient toutes leurs forces.
Dans cet état de choses, il laissa à la Véra-Cruz deux chevaux et cinquante soldats, ou faibles ou malades, aux ordres d’Escalante, dont la valeur, la prudence, la fidélité étaient généralement connues.
Deux cents hommes très-vigoureux destinés à traîner son artillerie et à porter ses bagages, quatre cents guerriers les plus distingués par leur origine et leur expérience, ce fut tout ce qu’il voulut accepter du cacique de Zampoala, le plus puissant et le plus dévoué de ses alliés.
Avec ce petit nombre d’auxiliaires, avec cinq cents Castillans, avec quinze chevaux, avec six pièces de campagne, le général ne craignit pas de diriger le 18 août sa marche vers la capitale d’un empire immense, qui avait cent fois plus de moyens qu’il n’en fallait pour l’arrêter ou pour le détruire.
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Sur sa route se trouvait la république de Tlascala, de tout temps ennemie des Mexicains, qui voulaient la soumettre à leur domination.
Cortez, ne doutant pas qu’elle ne dût favoriser ses projets, lui fit demander passage, et proposer une alliance.
Des peuples qui s’étaient interdit presque toute communication avec leurs voisins, et que ce principe insociable avait accoutumés à une défiance universelle, ne devaient pas être favorablement disposés pour des étrangers dont le ton était impérieux, et qui avaient signalé leur arrivée par des insultes faites aux dieux du pays.
Aussi repoussèrent-ils sans ménagement les deux ouvertures ; aussi ne virent-ils pas plus tôt les Espagnols sur leur territoire, qu’ils fondirent sur eux en gens déterminés à vaincre ou à mourir.
La valeur qu’ils montrèrent dans cette première action fit comprendre à Cortez que ce ne serait pas trop de toute sa science militaire pour repousser les attaques de ces hardis républicains.
La circonspection la plus marquée prit aussitôt la place de l’audace qui lui était ordinaire.
Il avança lentement ; il choisit de bons postes ; il fortifia ses camps.
Ces sages mesures le firent sortir victorieux d’un grand nombre de combats et de deux batailles qu’il lui fallut livrer ou soutenir dans le court espace de treize à quatorze jours.
Heureusement pour la cause qu’il défendait, les Indiens, foudroyés par son artillerie, écrasés par ses chevaux, n’avaient pour ressource que des flèches armées d’arêtes de poisson, que des piques de bois durcies au feu, qui, trop faibles pour percer les boucliers de ses soldats, ne lui en tuèrent aucun, n’en blessèrent même légèrement qu’un très-petit nombre.
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Un point d’honneur qui tient à l’humanité.
Un point d’honneur qu’on trouva chez les Grecs au ſiège de Troye, qui ſe fit remarquer chez quelques peuples des Gaules & qui paroît établi chez pluſieurs nations, contribua beaucoup à la défaite des Tlaſcaltèques.
C’étoit la crainte & la honte d’abandonner à l’ennemi leurs bleſſés & leurs morts.
A chaque moment, le ſoin de les enlever rompoit les rangs & ralentiſſoit les attaques.
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Un point d’honneur qui tient à l’humanité ; un point d’honneur qu’on trouva chez les Grecs au siége de Troie, qui se fit remarquer chez quelques peuples des Gaules, et qui paraît établi chez plusieurs nations, contribua beaucoup encore à la défaite des Tlascalans.
C’était la crainte et la honte d’abandonner à l’ennemi leurs blessés et leurs morts.
A chaque moment, le soin de les enlever rompait les rangs et ralentissait les attaques.
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La nation, peu accoutumée à tant d’humiliations, à tant d’infortunes, voulut savoir de ses prêtres les causes de ces événemens déplorables, et quels en pourraient être les remèdes.
Vos ennemis, répondirent ces oracles mensongers, sont enfans du soleil.
Sa présence les rend invincibles.
Qu’on les attaque durant les ténèbres, et on ne les trouvera pas plus redoutables que les autres hommes.
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Pleine de confiance dans les promesses de ces imposteurs, l’armée indienne se précipita la nuit suivante sur les retranchemens des Espagnols.
Le feu vif et soutenu du canon et de la mousqueterie ne lui laissa pas ignorer que ses desseins avaient été pénétrés, et lui coûta plus de sang qu’aucune des défaites précédentes.
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Les factions, jusqu’alors partagées sur le meilleur parti à prendre, se réunirent toutes pour la cessation des hostilités.
Mais comment traiter avec des êtres d’une nature inconnue, et dont les actions avaient été alternativement atroces et magnanimes.
On l’ignorait ; et les harangues des ambassadeurs chargés de la négociation manifestèrent cet embarras.
Si vous êtes, dirent-ils aux Espagnols, des divinités cruelles, nous vous offrons des esclaves dont vous mangerez la chair, dont vous boirez le sang.
Si vous êtes des dieux bienfaisans, acceptez des parfums ; si vous êtes des hommes, voilà des viandes, voilà du pain, voilà des fruits pour vous nourrir.
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Comme la paix était également désirée des deux côtés, elle fut bientôt et facilement conclue.
Les Tlascalans se reconnurent tributaires de la Castille ; et Cortez s’obligea à couvrir de toutes ses forces leurs personnes et leur territoire.
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Une conſtitution politique, qu’on ne ſe ſeroit pas attendu à trouver dans le NouveauMonde, s’étoit formée dans cette contrée.
Le pays étoit partagé en pluſieurs cantons, où régnoient des hommes qu’on appelloit caciques.
Ils conduiſoient leurs ſujets à la guerre, levoient les impôts & rendoient la juſtice : mais il falloit que leurs édits fuſſent confirmés par le ſénat de Tlaſcala qui étoit le véritable ſouverain.
Il étoit compoſé de citoyens choiſis dans chaque diſtrict par les aſſemblées du peuple.
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Une constitution politique, qu’on ne se serait pas attendu à trouver dans le Nouveau-Monde, s’était formée dans cette contrée.
Le pays était partagé en plusieurs cantons, où régnaient des hommes qu’on appelait caciques.
Ils conduisaient leurs sujets à la guerre, levaient les impôts et rendaient la justice ; mais il fallait que leurs édits fussent confirmés par le sénat de Tlascala, qui était le véritable souverain.
Il était composé de citoyens choisis dans chaque district par les assemblées du peuple.
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Les Tlaſcaltèques avoient des mœurs extrêmement ſévères.
Ils puniſſoient de mort le menſonge, le manque de reſpect du fils à ſon père, le péché contre nature.
Le larcin, l’adultère & l’ivrognerie étoient en horreur : ceux qui étoient coupables de ces crimes étoient bannis.
Les loix permettoient la pluralité des femmes ; le climat y portoit, & le gouvernement y encourageoit.
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Les Tlascalans avaient des mœurs extrêmement sévères.
Ils punissaient de mort le mensonge, le manque de respect du fils à son père, le péché contre nature.
Le larcin, l’adultère et l’ivrognerie étaient en horreur ; ceux qui étaient coupables de ces crimes étaient bannis.
Comme le territoire ne produisait ni sel, ni cacao, ni coton, ni or, ni argent, l’usage n’en était permis qu’à ceux qui devaient ces objets à leur bravoure.
Les lois permettaient la pluralité des femmes ; le climat y portait, et le gouvernement y encourageait.
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Le mérite militaire étoit le plus honoré, comme il l’eſt toujours chez les peuples ſauvages ou conquérans.
A la guerre, les Tlaſcaltèques portoient dans leurs carquois deux flèches, ſur leſquelles étoient gravées les images de leurs anciens héros.
On commençoit le combat par lancer une de ces flèches, & l’honneur obligeoit à la reprendre.
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Le mérite militaire était le plus honoré, comme il l’est toujous chez les peuples sauvages ou conquérans.
A la guerre les Tlascalans portaient dans leurs carquois deux flèches, sur lesquelles étaient gravées les images de leurs anciens héros.
On commençait le combat par lancer une de ces flèches, et l’honneur obligeait à la reprendre.
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Dans la ville, ils étoient vêtus : mais ils ſe dépouilloient de leurs habits pour combattre.
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Dans la ville, ils étaient vêtus ; mais ils se dépouillaient de leurs habits pour combattre.
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On vantoit leur bonne-foi & leur franchiſe dans les traités : & entre eux ils honoroient les vieillards.
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On vantait leur bonne foi et leur franchise dans les traités, et entre eux ils honoraient les vieillards.
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Leur pays, quoiqu’inégal, quoique peu étendu, quoique médiocrement fertile, étoit fort peuplé, aſſez bien cultivé, & l’on y vivoit heureux.
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Leur pays, quoique inégal, quoique peu étendu, quoique médiocrement fertile, était fort peuplé, assez bien cultivé, et l’on y vivait heureux.
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Voilà les hommes que les Eſpagnols ne daignoient pas admettre dans l’eſpèce humaine.
Une des qualités qu’ils mépriſoient le plus chez les Tlaſcaltèques, c’étoit l’amour de la liberté.
Ils ne trouvoient pas que ce peuple eût un gouvernement, parce qu’il n’avoit pas celui d’un ſeul ; ni une police, parce qu’il n’avoit pas celle de Madrid ; ni des vertus, parce qu’il n’avoit pas leur culte ; ni de l’eſprit, parce qu’il n’avoit pas leurs opinions.
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Voilà les hommes que les Espagnols ne daignaient pas admettre dans l’espèce humaine.
Une des qualités qu’ils méprisaient le plus chez les Tlascalans, c’était l’amour de la liberté.
Ils ne trouvaient pas que ce peuple eût un gouvernement, parce qu’il n’avait pas celui d’un seul ; ni une police, parce qu’il n’avait pas celle de Madrid ; ni des vertus, parce qu’il n’avait pas leur culte ; ni de l’esprit, parce qu’il n’avait pas leurs opinions.
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Jamais peut-être aucune nation ne fut idolâtre de ſes préjugés, au point où l’étoient alors, où le ſont peut-être encore aujourd’hui les Eſpagnols.
Ces préjugés faiſoient le fond de toutes leurs penſées, influoient ſur leurs jugemens, formoient leur caractère.
Ils n’employoient le génie ardent & vigoureux que leur a donné la nature, qu’à inventer une foule de ſophiſmes, pour s’affermir dans leurs erreurs.
Jamais la déraiſon n’a été plus dogmatique, plus décidée, plus ferme & plus ſubtile.
Ils étoient attachés à leurs uſages comme à leurs préjugés.
Ils ne reconnoiſſoient qu’eux dans l’univers de ſenſés, d’éclairés, de vertueux.
Avec cet orgueil national, le plus aveugle qui fut jamais, ils auroient eu pour Athènes, le mépris qu’ils avoient pour Tlaſcala.
Ils auroient traité les Chinois comme des bêtes ; & par-tout ils auroient outragé, opprimé, dévaſté.
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Jamais peut-être aucune nation ne fut idolâtre de ses préjugés au point où l’étaient alors, où le sont peut-être encore aujourd’hui les Espagnols.
Ces préjugés faisaient le fond de toutes leurs pensées, influaient sur leurs jugemens, formaient leur caractère.
Ils n’employaient le génie ardent et vigoureux que leur a donné la nature qu’à inventer une foule de sophismes pour s’affermir dans leurs erreurs.
Jamais la déraison n’a été plus dogmatique, plus décidée, plus ferme, plus subtile.
Ils étaient attachés à leurs usages comme à leurs préjugés.
Ils ne reconnaissaient qu’eux dans l’univers de sensés, d’éclairés, de vertueux.
Avec cet orgueil national, le plus aveugle qui fut jamais, ils auraient eu pour Athènes le mépris qu’ils avaient pour Tlascala.
Ils auraient traité les Chinois comme des bêtes ; et partout ils auraient outragé, opprimé, dévasté.
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Malgré cette manière de penſer ſi hautaine & ſi dédaigneuſe, les Eſpagnols firent alliance avec les Tlaſcaltèques, qui leur donnèrent ſix mille ſoldats pour les conduire & les appuyer.
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Malgré cette manière de penser si hautaine et si dédaigneuse, les Espagnols prirent avec eux six mille soldats tlascalans, qui devaient les conduire et les appuyer.
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Avec ce ſecours, Cortès s’avançoit vers Mexico, à travers un pays abondant, arroſé, couvert de bois, de champs cultivés, de villages & de jardins.
La campagne étoit féconde en plantes inconnues à l’Europe.
On y voyoit une foule d’oiſeaux d’un plumage éclatant, des animaux d’eſpèces nouvelles.
La nature étoit différente d’elle-même, & n’en étoit que plus agréable & plus riche.
Un air tempéré, des chaleurs continues, mais ſupportables , entretenoient la parure & la fécondité de la terre.
On voyoit dans le même canton, des arbres couverts de fleurs, des arbres chargés de fruits.
On ſemoit dans un champ le grain qu’on moiſſonnoit dans l’autre.
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Avec ce secours Cortez s’avançait vers Mexico, à travers un pays abondant, arrosé, couvert de bois, de champs cultivés, de villages et de jardins.
La campagne était féconde en plantes inconnues à l’Europe.
On y voyait une foule d’oiseaux d’un plumage éclatant, des animaux d’espèces nouvelles.
La nature était différente d’elle-même, et n’en était que plus agréable et plus riche.
Un air tempéré, des chaleurs continues, mais supportables , entretenaient la parure et la fécondité de la terre.
On voyait dans le même canton des arbres couverts de fleurs, des arbres chargés de fruits.
On semait dans un champ le grain qu’on moissonnait dans l’autre.
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Les Eſpagnols ne parurent point ſenſibles à ce nouveau ſpectacle.
Tant de beautés ne les touchoient pas.
Ils voyoient l’or ſervir d’ornement dans les maiſons & dans les temples, embellir les armes des Mexicains, leurs meubles & leurs perſonnes ; ils ne voyoient que ce métal.
Semblables à ce Mammona dont parle Milton, qui dans le ciel oubliant la divinité même, avoit toujours les yeux fixés ſur le parvis qui étoit d’or.
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Les Espagnols ne parurent point sensibles à ce nouveau spectacle.
Tant de beautés ne les touchaient pas.
Ils voyaient l’or servir d’ornemens dans les maisons et dans les temples, embellir les armes des Mexicains, leurs meubles et leurs personnes ; ils ne voyaient que ce métal.
Semblables à cet Mammona dont parle Milton, qui, dans le ciel, oubliant la Divinité même, avait toujours les yeux fixés sur le parvis qui était d’or.
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Montezuma, que ſes incertitudes, & peutêtre la crainte de commettre ſon ancienne gloire, avoient empêché d’attaquer les Eſpagnols à leur arrivée ; de ſe joindre depuis aux Tlaſcaltèques plus hardis que lui ; d’aſſaillir enfin des vainqueurs, fatigués de leurs propres triomphes : Montezuma, dont les mouvemens s’étoient réduits à détourner Cortès du deſſein de venir dans ſa capitale, prit le parti de l’y introduire lui-même.
Il commandoit à trente princes, dont pluſieurs pouvoient mettre ſur pied des armées.
Ses richeſſes étoient conſidérables, & ſon pouvoir abſolu.
Il paroît que ſes ſujets avoient quelques connoiſſances & de l’induſtrie.
Ce peuple étoit guerrier & rempli d’honneur.
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Montézuma, que ses incertitudes, et peut-être la crainte de commettre son ancienne gloire, avaient empêché d’attaquer les Espagnols à leur arrivée ; de se joindre depuis aux Tlascalans, plus hardis que lui ; d’assaillir enfin des vainqueurs fatigués de leurs propres triomphes ; Montézuma, dont les mouvemens s’étaient réduits à détourner Cortez du dessein de venir dans sa capitale, prit le parti de l’y introduire lui-même, mais après lui avoir tendu des piéges, dont le mieux ordonné coûta la vie à six mille Cholulans, malheureusement choisis pour être les instrumens des lâches vues de leur maître.
Il commandait à trente princes, dont plusieurs pouvaient mettre sur pied des armées.
Ses richesses étaient considérables, et son pouvoir absolu.
Il paraît que ses sujets avaient quelques connaissances et de l’industrie.
Le peuple était guerrier et rempli d’honneur.
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Si l’empereur du Mexique eût ſu faire uſage de ces moyens, ſon trône eût été inébranlable.
Mais ce prince oubliant ce qu’il ſe devoit, ce qu’il devoit à ſa couronne, ne montra pas le moindre courage, la moindre intelligence.
Tandis qu’il pouvoit accabler les Eſpagnols de toute ſa puiſſance, malgré l’avantage de leur diſcipline & de leurs armes, il voulut employer contre eux la perfidie.
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Si l’empereur du Mexique eût su faire usage de ses moyens, son trône eût été inébranlable.
Mais ce prince, oubliant ce qu’il se devait, ce qu’il devait à sa couronne, ne montra pas le moindre courage, la moindre intelligence.
Tandis qu’il pouvait accabler les Espagnols de toute sa puissance, malgré l’avantage de leur discipline et de leurs armes, il voulut employer contre eux la perfidie.
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Il les comblait à Mexico de présens, d’égards, de caresses, et il faisait menacer Véra-Cruz.
Sorti de la place avec une partie de sa garnison et quelques montagnards qui l’avaient joint, Escalante attaqua l’armée envoyée pour le combattre, et la mit en déroute.
Sa victoire coûta cher.
Il fut mortellement blessé, ainsi que sept de ses plus braves compagnons.
Un d’entre eux tomba même vivant au pouvoir des fuyards, et on envoya sa tête à la capitale de l’empire pour détromper ceux qui persistaient à croire à l’immortalité des Espagnols.
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Cortez, instruit de ce triste événement par deux Tlascalans déguisés qui lui avaient été expédiés, en fit part à ceux de ses officiers en qui il avait placé sa confiance, et les invita à méditer profondément sur le parti qu’il convenait de prendre.
Les uns pensèrent qu’il fallait demander un passe-port pour se retirer.
Il parut à d’autres qu’il valait mieux s’éloigner secrètement pendant la nuit.
Le plus grand nombre fut d’avis d’ignorer ce qui s’était passé, et d’attendre quelque circonstance favorable pour sortir de l’embarras où l’on se trouvait.
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Aucune de ces opinions ne se trouva à la hauteur des pensées du général.
« Il ne doit, dit-il « d’un ton imposant, il ne doit appartenir qu’à « un coup du plus grand éclat de décider de notre « destinée.
Nous irons, oui, nous irons arrêter « l’empereur jusque sur son trône, et le condui- « rons dans le quartier que nous occupons.
C’est « la résolution la plus facile, la plus sûre, la plus « utile, la plus honorable à laquelle nous puis- « sions nous arrêter.
Dans la crainte d’être poi- « gnardé, Montezuma ne fera point de résistance.
« Le peuple étonné ne hasardera aucun mouve- « ment en sa faveur.
L’importance de l’otage fera « notre sûreté.
Sous son nom, nous deviendrons « les arbitres du gouvernement.
L’idée déjà éta- « blie que nous sommes des êtres supérieurs au « reste du genre humain sera de plus en plus « confirmée.
« Ce discours entraîna tous les suffrages, et les mesures pour le succès furent si habilement combinées, que tout se passa comme on l’avait prévu.
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A peine le souverain de tant de vastes états avait-il été ainsi dégradé, qu’il lui fallut livrer à ses geôliers ceux de ses lieutenans qui leur avaient fait la guerre.
Un tribunal espagnol condamna ces malheureux aux flammes, et ils subirent leur sentence dans la capitale même de l’empire, aux yeux d’une multitude immense, saisie d’étonnement, d’effroi et d’horreur.
Cortez, qui, avant cet acte d’insolence et de barbarie, avait fait charger l’empereur de chaînes, se rendit sans perdre un moment auprès de lui.
Les imposteurs qui vous avaient accusé d’être le premier auteur de leur crime sont enfin punis, lui dit-il.
Vous avez confondu la calomnie en vous soumettant à une mortification de quelques heures.
Vos fers sont rompus, et vous rentrerez dans votre palais quand il vous plaira.
L’offre ne fut pas acceptée, et celui qui la faisait avait pris des mesures sûres pour qu’on n’en profitât pas.
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Il restait à l’infortuné Montezuma une dernière humiliation à essuyer, et elle ne se fit pas attendre.
L’ambition de ses oppresseurs était de le rendre vassal de la Castille.
C’était une proposition délicate à faire.
On lui fit insinuer par Marina que c’était le seul moyen de se debarrasser des orgueilleux étrangers qui l’abreuvaient de tant d’opprobres.
Il se laissa prendre au piége.
Lui-même offrit ce que vraisemblablement on n’aurait jamais osé lui demander.
L’hommage de sa couronne fut fait avec une solennité qui pouvait le faire regarder comme un acte national ; et pour premier tribut, il livra tout l’or qui se trouvait dans ses trésors, tout celui que ses courtisans y purent joindre.
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Il les combloit à Mexico de préſens, d’égards, de careſſes, & il faiſoit attaquer la Vera-Crux, colonie que les Eſpagnols avoient fondée dans le lieu où ils avoient débarqué pour s’aſſurer une retraite, ou pour recevoir des ſecours.
Il faut, dit Cortès à ſes compagnons, en leur apprenant cette nouvelle, il faut étonner ces barbares par une action d’éclat : j’ai réſolu d’arrêter l’empereur, & de me rendre maître de ſa perſonne.
Ce deſſein fut approuvé.
Auſſi-tôt, accompagné de ſes officiers, il marche au palais de Montezuma, & lui déclare qu’il faut le ſuivre, ou ſe réſoudre à périr.
Ce prince, par une baſſeſſe égale à la témérité de ſes ennemis, ſe met entre leurs mains.
Il eſt obligé de livrer au ſupplice les généraux qui n’avoient agi que par ſes ordres ; & il met le comble à ſon aviliſſement, en rendant hommage de ſa couronne au roi d’Eſpagne.
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Au milieu de ces ſuccès, on apprend que Narvaès vient d’arriver de Cuba avec huit cens fantaſſins, avec quatre-vingts chevaux, avec douze pièces de canon, pour prendre le commandement de l’armée & pour exercer des vengeances.
Ces forces étoient envoyées par Velaſquès, mécontent que des aventuriers partis ſous ſes auſpices euſſent renoncé à toute liaiſon avec lui, qu’ils ſe fuſſent déclarés indépendans de ſon autorité, & qu’ils euſſent envoyés des députés en Europe, pour obtenir la confirmation des pouvoirs qu’ils s’étoient arrogés eux-mêmes.
Quoique Cortès n’ait que deux cens cinquante hommes ; il marche à ſon rival ; il le combat, le fait priſonnier, oblige les vaincus à mettre bas les armes, puis les leur rend en leur propoſant de le ſuivre.
Il gagne leur cœur par ſa confiance & ſa magnanimité.
Ces ſoldats ſe rangent ſous ſes drapeaux ; & avec eux, il reprend, ſans perdre un moment, la route de Mexico où il n’avoit pu laiſſer que cent cinquante Eſpagnols qui, avec les Tlaſcaltèques gardoient étroitement l’empereur.
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Au milieu de ces succès, on apprend que Narvaès vient d’arriver de Cuba avec huit cents fantassins , avec quatre-vingts chevaux, avec douze pièces de canon, pour prendre le commandement de l’armée et pour exercer des vengeances.
Ces forces étaient envoyées par Vélasquez, mécontent que des aventuriers, partis sous ses auspices, eussent renoncé à toute liaison avec lui, qu’ils se fussent déclarés indépendans de son autorité, et qu’ils eussent envoyé des députés en Europe pour obtenir la confirmation des pouvoirs qu’ils s’étaient arrogés eux-mêmes.
Quoique Cortez n’ait que deux cent cinquante hommes, il marche à son rival : il le combat, le fait prisonnier, oblige les vaincus à mettre bas les armes, puis les leur rend en leur proposant de le suivre.
Il gagne leur cœur par sa confiance et sa magnanimité.
Les soldats se rangent sous ses drapeaux, et avec eux il reprend, sans perdre un moment, la route de Mexico, où il n’avait pu laisser que cent cinquante Espagnols qui, avec les Tlascalans, gardaient étroitement l’empereur.
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Il y avoit des mouvemens dans la nobleſſe Mexicaine, qui étoit indignée de la captivité de ſon prince ; & le zèle indiſcret des Eſpagnols, qui dans une fête publique en l’honneur des dieux du pays, renverſèrent les autels & maſſacrèrent les adorateurs & les prêtres, avoit fait prendre les armes au peuple.
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Il y avait des mouvemens dans la noblesse mexicaine, qui était indignée de la captivité de son prince ; et le zèle indiscret des Espagnols qui, dans une fête publique en l’honneur des dieux du pays, renversèrent les autels et massacrèrent les adorateurs et les prêtres, avait fait prendre les armes au peuple.
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Les Mexicains avoient des ſuperſtitions barbares ; & leurs prêtres étoient des monſtres, qui faiſoient l’abus le plus affreux du culte abominable qu’ils avoient impoſé à la crédulité de la nation.
Elle reconnoiſſoit, comme tous les peuples policés, un être ſuprême, une vie à venir, avec ſes peines & ſes récompenſes : mais ces dogmes ſublimes étoient mêlés d’abſurdités, qui les rendoient incroyables.
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Les Mexicains avaient des superstitions barbares, et leurs prêtres étaient des monstres qui faisaient l’abus le plus affreux du culte abominable qu’ils avaient imposé à la crédulité de la nation.
Elle reconnaissait, comme tous les peuples policés, un être suprême, une vie à venir, avec ses peines et ses récompenses ; mais ces dogmes sublimes étaient mêlés d’absurdités qui les rendaient incroyables.
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Dans la religion du Mexique, on attendoit la fin du monde à la fin de chaque ſiècle ; & cette année étoit dans l’empire un tems de deuil & de déſolation.
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Dans la religion du Mexique, on attendait la fin du monde à la fin de chaque siècle, et cette année était dans l’empire un temps de deuil et de désolation.
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Les Mexicains invoquoient des puiſſances ſubalternes, comme les autres nations en ont invoquées, ſous le nom de génies, de camis, de manitous, d’anges, de fétiches.
La moindre de ces divinités avoit ſes temples, ſes images, ſes fonctions, ſon autorité particulière, & toutes faiſoient des miracles.
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Les Mexicains invoquaient des puissances subalternes, comme les autres nations en ont invoqué sous le nom de génies, de camis, de manitous,d’anges, de fétiches.
La moindre de ces divinités avait ses temples, ses images, ses fonctions, son autorité particulière, et toutes faisaient des miracles.
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Ils avoient une eau ſacrée dont on faiſoit des aſperſions.
On en faiſoit boire à l’empereur.
Les pélerinages, les proceſſions, les dons faits aux prêtres, étoient de bonnes œuvres.
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Ils avaient une eau sacrée dont on faisait des aspersions.
On en faisait boire à l’empereur.
Les pèlerinages, les processions, les dons faits aux prêtres étaient de bonnes œuvres.
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On connoiſſoit chez eux des expiations, des pénitences, des macérations, des jeûnes.
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On connaissait chez eux des expiations, des pénitences, des macérations, des jeûnes.
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Quelques-unes de leurs ſuperſtitions leur étoient particulières.
Tous les ans ils choiſiſſoient un eſclave.
On l’enfermoit dans le temple, on l’adoroit, on l’encenſoit, on l’invoquoit, & on finiſſoit par l’égorger en cérémonie.
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Quelques-unes de leurs superstitions leur étaient particulières.
Tous les ans ils choisissaient un esclave.
On l’enfermait dans le temple ; on l’adorait ; on l’encensait, et on finissait par l’égorger en cérémonie.
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Voici encore une ſuperſtition qu’on ne trouvoit pas ailleurs.
Les prêtres pétriſſoient en certains jours une ſtatue de pâte qu’ils faiſoient cuire.
Ils la plaçoient ſur l’autel, où elle devenoit un dieu.
Ce jour-là, une foule innombrable de peuple, ſe rendoit dans le temple.
Les prêtres découpoient la ſtatue.
Ils en donnoient un morceau à chacun des aſſiſtans, qui le mangeoit, & ſe croyoit ſanctifié après avoir mangé ſon dieu.
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Voici encore une superstition qu’on ne trouvait pas ailleurs.
Les prêtres pétrissaient en certains jours une statue de pâte qu’ils faisaient cuire.
Ce jour-là une foule innombrable de peuple se rendait dans le temple.
Les prêtres découpaient la statue ; ils en donnaient un morceau à chacun des assistans, qui le mangeait, et se croyait sanctifié après avoir mangé son dieu.
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Il vaut mieux manger des dieux que des hommes : mais les Mexicains immoloient auſſi des priſonniers de guerre dans le temple du dieu des batailles.
Les prêtres, dit-on, mangeoient enſuite ces priſonniers, & en envoyoient des morceaux à l’empereur & aux principaux ſeigneurs de l’empire.
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Il vaut mieux manger des dieux que des hommes ; mais les Mexicains immolaient aussi des prisonniers de guerre dans le temple du dieu des batailles.
Les prêtres, dit-on, mangeaient ensuite ces prisonniers, et en envoyaient des morceaux à l’empereur et aux principaux seigneurs de l’empire.
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Quand la paix avoit duré quelque tems, les prêtres faiſoient dire à l’empereur que les dieux avoient faim ; & dans la ſeule vue de faire des priſonniers, on recommençoit la guerre.
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Quand la paix avait duré quelque temps, les prêtres faisaient dire à l’empereur que les dieux avaient faim ; et, dans la seule vue de faire des prisonniers, on recommençait la guerre.
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A tous égards, cette religion étoit atroce & terrible.
Toutes ſes cérémonies étoient lugubres & ſanglantes.
Elle tenoit ſans ceſſe l’homme dans la crainte.
Elle devoit rendre les hommes inhumains, & les prêtres toutpuiſſans.
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A tous égards, cette religion était atroce et terrible ; toutes ses cérémonies étaient lugubres et sanglantes.
Elle tenait sans cesse l’homme dans la crainte.
Elle devait rendre les hommes inhumains, et les prêtres tout-puissans.
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On ne peut faire un crime aux Eſpagnols d’avoir été révoltés de ces abſurdes barbaries : mais il ne falloit pas les détruire par de plus grandes cruautés ; il ne falloit pas ſe jetter ſur le peuple aſſemblé dans le premier temple de la ville, & l’égorger ; il ne falloit pas aſſaſſiner les nobles pour les dépouiller.
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On ne peut faire un crime aux Espagnols d’avoir été révoltés de ces absurdes barbaries ; mais il ne fallait pas les détruire par de plus grandes cruautés ; il ne fallait pas se jeter sur le peuple assemblé dans le premier temple de la ville, et l’égorger ; il ne fallait pas assassiner les nobles pour les dépouiller.
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Cortès à ſon retour à Mexico, trouva les ſiens aſſiégés dans le quartier où il les avoit laiſſés.
C’étoit un eſpace aſſez vaſte pour contenir les Eſpagnols & leurs alliés, & entouré d’un mur épais, avec des tours placées de diſtance en diſtance.
On y avoit diſpoſé l’artillerie le mieux qu’il avoit été poſſible ; & le ſervice s’y étoit toujours fait avec autant de régularité & de vigilance que dans une place aſſiégée ou dans le camp le plus expoſé.
Le général ne pénétra dans cette eſpèce de fortereſſe qu’après avoir ſurmonté beaucoup de difficultés ; & quand il y fut enfin parvenu les dangers continuoient encore.
L’acharnement des naturels du pays étoit tel qu’ils haſardoient de pénétrer par les embrâſures du canon, dans l’aſyle qu’ils vouloient forcer.
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Pour ſe tirer d’une ſituation ſi déſeſpérée, les Eſpagnols ont recours à des ſorties.
Elles ſont heureuſes, ſans être déciſives.
Les Mexicains montrent un courage extraordinaire.
Ils ſe dévouent gaiement à une mort certaine.
On les voit ſe précipiter nus & ſans défenſe dans les rangs de leurs ennemis pour rendre leurs armes inutiles ou pour les leur arracher.
Tous veulent périr pour délivrer leur patrie de ces étrangers qui prétendoient y régner.
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Le combat le plus ſanglant ſe donne ſur une élévation dont les Américains s’étoient emparés, & d’où ils accabloient de traits plus ou moins meurtriers tout ce qui ſe préſentoit.
La troupe chargée de les déloger eſt trois fois repouſſée.
Cortès s’indigne de cette réſiſtance, & quoiqu’aſſez griévement bleſſé veut ſe charger lui-même de l’attaque.
A peine eſtil en poſſeſſion de ce poſte important, que deux jeunes Mexicains jettent leurs armes & viennent à lui comme déſerteurs.
Ils mettent un genou à terre, dans la poſture de ſupplians, le ſaiſiſſent & s’élancent avec une extrême vivacité dans l’eſpérance de le faire périr, en l’entraînant avec eux.
Sa force ou ſon adreſſe le débarraſſent de leurs mains, & ils meurent victimes d’une entrepriſe généreuſe & inutile.
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Cette action, mille autres d’une vigueur pareille, font deſirer aux Eſpagnols qu’on puiſſe trouver des moyens de conciliation.
Montezuma, toujours priſonnier, conſent à devenir l’inſtrument de l’eſclavage de ſon peuple, & il ſe montre, avec tout l’appareil du trône, ſur la muraille pour engager ſes ſujets à ceſſer les hoſtilités.
Leur indignation lui apprend que ſon règne eſt fini ; & les traits qu’ils lui lancent le percent d’un coup mortel.
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Un nouvel ordre de choſes ſuit de près cet événement tragique.
Les Mexicains voient à la fin que leur plan de défenſe, que leur plan d’attaque ſont également mauvais ; & ils ſe bornent à couper les vivres à un ennemi que la ſupériorité de ſa diſcipline & de ſes armes rend invincible.
Cortès ne s’apperçoit pas plutôt de ce changement de ſyſtême, qu’il penſe à ſe retirer chez les Tlaſcaltèques.
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Ces barbaries mirent les armes à la main des Mexicains, et occasionnèrent plusieurs combats plus ou moins sanglans.
La nouvelle en était parvenue à Cortez ; et quand même il n’en aurait pas été instruit, ce qu’il remarqua sur sa route, ce qu’il aperçut au voisinage de la capitale lui en aurait fait naître le soupçon.
Tout lui faisait craindre de trouver impraticable l’entrée de la ville, et que, pour l’empêcher d’y arriver, on n’eût rompu les digues qui y conduisaient.
Si cette précaution d’une exécution facile n’eut pas lieu, ce fut vraisemblablement dans l’espoir d’exterminer à la fois tous les ennemis de la religion et de l’empire.
Ainsi l’armée, victorieuse de Narvaés, put regagner sans obstacle le poste qu’elle occupait avant son départ.
C’était un espace assez vaste pour contenir les Espagnols et leurs alliés, et entouré d’un mur épais avec des tours placées de distance en distance.
On y avait disposé l’artillerie du mieux qu’il avait été possible ; et le service s’y était toujours fait avec autant de régularité et de vigilance que dans une place assiégée ou dans le camp le plus exposé.
Jamais ni le jour ni la nuit aucun officier, aucun soldat n’avait quitté sa pesante armure ; et cette sévère discipline continua tout le temps qu’on put rester dans la ville.
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A peine les Espagnols commençaient à se réjouir de leur réunion, que leur quartier fut attaqué de tous les côtés.
Les assaillans étaient en grand nombre, et tous transportés d’une rage égale.
Vainement l’artillerie abattait-elle des rangs entiers ; ceux qui suivaient remplissaient à l’instant le vide, et étaient eux-mêmes bientôt remplacés par ceux qui avaient moins souffert.
Cet emportement se soutint du matin au soir.
Un succès complet paraissait devoir le couronner.
Déjà le feu avait pris à quelques ouvrages, et d’autres étaient assez endommagés pour ne pas laisser craindre une grande résistance.
Heureusement pour les assiégés, l’usage où étaient les naturels du pays de ne jamais combattre durant les ténèbres les décida à se retirer à l’entrée de la nuit.
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Cortez était trop éclairé pour ne pas comprendre qu’une guerre défensive ne convenait pas à sa situation.
Aussi ne tarda-t-il pas à ordonner ou à conduire lui-même des sorties vigoureuses.
Elles étaient heureuses et très-heureuses partout où ses troupes pouvaient manœuvrer et faire usage de leurs arquebuses.
Mais aussitôt qu’il leur fallait poursuivre dans les rues ceux des Mexicains qui avaient échappé au carnage, des flèches et des pierres lancées du haut des maisons les empêchaient de recueillir aucun fruit durable de leurs victoires.
Rarement rentraient-elles dans leurs retranchemens sans avoir essuyé quelque perte.
Dans une action seule elles laissèrent douze de leurs plus intrépides guerriers sur le champ de bataille, et en ramenèrent soixante de blessés.
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La résolution où paraissaient être et où étaient en effet les Mexicains de répandre jusqu’à la dernière goutte de leur sang plutôt que de souffrir plus long-temps la tyrannie d’un petit nombre d’insolens étrangers, fit juger aux Espagnols qu’ils périraient infailliblement les uns après les autres, s’ils s’opiniâtraient à rester dans la capitale.
La difficulté était d’en sortir sans perdre leur réputation et sans risquer leur vie.
Dans la vue de sauver l’une et l’autre, ils annoncèrent à Montézuma que, l’objet pour lequel ils avaient été envoyés étant rempli, il ne leur restait que d’aller rendre compte à leur souverain du succès de leur ambassade.
La valeur qu’on nous connaît, ajoutèrent-ils, serait plus que suffisante pour assurer notre retraite ; mais il ne nous convient pas de quitter le pays en ennemis.
Instruisez vos peuples de nos volontés, et que l’exécution n’en soit pas troublée.
L’empereur trouva l’ouverture qui lui était faite favorable à ses intérêts et dans les principes d’une justice exacte.
Aussi ne balançat-il pas à se porter pour arbitre entre ses sujets et ses oppresseurs.
De bons observateurs doutèrent de l’issue de sa médiation, et voici pourquoi.
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Lorsque ce prince était tombé au pouvoir des Espagnols, il avait assuré sa cour que c’était pour s’instruire des mœurs et des usages des régions orientales d’où ces hommes extraordinaires étaient arrivés, qu’il se rendait librement dans celui de ses palais qu’il leur avait assigné pour demeure.
Tout ce qui se passa depuis parut confirmer la vérité de ses premières paroles.
Ses officiers lui rendaient leurs services ordinaires.
Il travaillait avec ses ministres.
Les conseils se tenaient régulièrement.
Aucune place civile ou militaire ne restait vacante.
La marche du gouvernement était toujours la même.
Le chef de l’état visitait les temples, allait à la chasse, ne montrait aucune inquiétude.
Les Castillans qui formaient sa garde recevaient ses ordres, et leur général paraissait lui-même plus respectueux et plus soumis qu’aucun des siens.
Ces apparences ne trompaient pas les gens éclairés ; mais ils se taisaient.
En parlant, ils auraient craint de se rendre odieux aux Européens, qui alors disposaient de tout, et d’offenser leur maître, qui n’aurait pas pardonné qu’on l’eût jugé capable d’avoir avili la dignité de sa couronne.
La multitude fut long-temps abusée.
Ses murmures commencèrent avec ses soupçons.
On la vit se porter aux dernières violences aussitôt qu’il ne lui fut plus possible de douter de l’humiliation de son souverain.
Elle allait livrer un nouvel assaut à l’instant même où Montézuma, avec toute la pompe qui, dans les grandes occasions, entourait le trône, se présenta sur les murailles pour parler.
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A sa vue on se prosterne.
Un silence profond succède à des cris tumultueux.
Les armes tombent de toutes les mains.
A peine les plus échauffés se permettent-ils de respirer.
Mais la fureur, un moment suspendue, ne tarde pas à se ranimer.
Des traits sans nombre sont lancés sur un ancien objet d’idolâtrie devenu celui d’un mépris universel.
Atteint par deux flèches et par une pierre, l’infortuné monarque tombe privé de tout sentiment.
Ce spectacle glace d’effroi les timides Mexicains.
Une terreur panique les saisit.
Ils s’éloignent en tumulte, comme si la fuite devait les soustraire au courroux du ciel, qu’ils s’imaginent avoir provoqué en versant le sang de leur souverain.
D’autres pensées occupent les Espagnols.
Comme leur sort paraît attaché à la conservation de Montézuma, ils ne négligent aucun des remèdes, aucune des consolations qui peuvent contribuer à sa guérison.
Tant de soins deviennent inutiles.
On a le chagrin de lui voir repousser les alimens qui lui sont offerts, de lui voir déchirer l’appareil mis sur ses blessures.
Il expire enfin le troisième jour, après avoir rejeté avec horreur la religion de l’Europe, et après avoir, dit-on, fait promettre à ses geôliers qu’ils le vengeraient de ses assassins.
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Soit remords, soit crainte, les peuples étaient restés dans une inaction entière tout le temps que l’état de leur empereur les avait tenus dans l’incertitude.
Sa mort les tira de cette espèce de langueur.
Ils lui rendirent les honneurs funèbres, ils lui donnèrent un successeur, et recommencèrent les hostilités.
Leur plus grande espérance était fondée sur la tour d’un temple qui dominait le quartier de leur ennemi, et où ils avaient rassemblé ce qu’il fallait de troupes, d’armes, et de vivres pour faire une longue résistance.
Cortez, qui se vit perdu, s’il ne se rendait maître d’un poste d’où l’on pouvait incendier ceux qu’il occupait, le fit attaquer sans délai par ce qu’il avait de meilleurs soldats.
Les voyant repoussés jusqu’à trois fois, il se mit lui-même à leur tête, et bientôt tous les obstacles furent surmontés.
Mais ce succès l’exposa à un des plus grands dangers qu’il eût jamais courus.
Deux jeunes Mexicains vinrent à lui comme déserteurs.
Ils mirent un genou en terre en supplians, le saisirent, et s’élancèrent, comptant le faire périr en l’entraînant avec eux.
Sa force ou son adresse le débarrassèrent de leurs mains, et ils devinrent les victimes d’une entreprise généreuse et inutile.
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Les Espagnols tirèrent de leur victoire tous les avantages qu’ils avaient pu s’en promettre.
La brave garnison qu’ils avaient eue à combattre avait été massacrée.
Les subsistances assemblées pour soutenir un siége étaient passées dans leurs magasins.
Il ne restait pas pierre sur pierre à l’édifice qui leur avait causé tant d’alarmes.
Cependant leur position n’était que peu améliorée, et tout leur faisait craindre qu’elle ne devînt bientôt plus fâcheuse.
Pour en sortir, ils se résolurent à une retraite pour laquelle ils avaient jusqu’alors montré une répugnance invincible ; mais cette espèce de fuite ne convenait pas au nouvel empereur.
Il craignit que ces étrangers, aussi adroits qu’intrépides, n’allassent soulever des provinces peu affectionnées, ne fussent joints à Tlascala par de nombreuses cohortes, ne reçussent même à travers les mers de puissans renforts de leur patrie, et que l’état ne se trouvât engagé dans une guerre plus désastreuse que celle qui le tourmentait.
Ces réflexions le décidèrent à faire périr par la faim des ennemis qu’on n’avait pu vaincre ; et il ordonna que tous les passages par où les vivres pourraient leur arriver fussent ou rompus, ou sévèrement gardés.
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Instruits des mesures qu’on prenait contre eux, les Espagnols comprirent que leur ruine était assurée pour peu que leur départ souffrît de retardement.
L’orgueil national aurait exigé qu’on se mît en marche en plein jour ; mais la nuit fut préférée, parce que l’expérience avait appris que les Mexicains ne se battaient jamais dans les ténèbres.
L’armée avançait sans avoir trouvé d’obstacle, lorsque la digue qui lui servait de chemin se trouva coupée.
Un pont-volant, préparé contre cet accident, fut aussitôt jeté.
Il ne se trouva pas assez solide pour porter l’artillerie, les chevaux, le bagage, et fut enfoncé par leur poids.
Dans le temps qu’on était occupé à le dégager pour s’en servir ailleurs, les naturels, qui avaient observé en silence les mouvemens de leur ennemi, s’élevant au-dessus de leurs superstitions, fondirent avec fureur sur son arrière-garde, tandis que d’autres naturels, s’élançant de leurs canots sur la chaussée, attaquaient non moins vivement son corps de bataille et son avant-garde.
Une obscurité profonde enveloppait tous les combattans.
Chacun d’eux pouvait douter si ce n’était pas un ami que ses traits allaient percer, si ce n’était pas d’un ami qu’il recevait la mort.
La terre était jonchée de cadavres, les flots étaient teints de sang, qu’on s’arrachait encore les entrailles.
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L’exécution de ce projet exigeoit une grande célérité, un ſecret impénétrable, des meſures bien combinées.
On ſe met en marche vers le milieu de la nuit.
L’armée défiloit en ſilence & en ordre ſur une digue, lorſque ſon arrière-garde fut attaquée avec impétuoſité par un corps nombreux, & ſes flancs par des canots diſtribués aux deux côtés de la chauſſée.
Si les Mexicains, qui avoient plus de forces qu’ils n’en pouvoient faire agir, euſſent eu la précaution de jetter des troupes à l’extrémité des ponts qu’ils avoient ſagement rompus, les Eſpagnols & leurs alliés auroient tous péri dans cette action ſanglante.
Leur bonheur voulut que leur ennemi ne ſût pas profiter de tous ſes avantages ; & ils arrivèrent enfin ſur les bords du lac, après des dangers & des fatigues incroyables.
Le déſordre où ils étoient, les expoſoit encore à une défaite entière.
Une nouvelle faute vint à leur ſecours.
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Si les Américains, qui avaient plus de forces qu’ils n’en pouvaient faire agir, avaient eu la précaution de jeter des troupes à l’extrémité des ponts qu’ils avaient rompus, les Européens et leurs alliés auraient tous vraisemblablement péri dans cette journée mémorable.
Leur bonheur voulut que leur ennemi ne sût pas profiter de tous ses avantages, et ils arrivèrent enfin sur les bords du lac après des dangers et des fatigues incroyables.
Le désordre où ils étaient les exposait encore à une entière destruction.
Une nouvelle faute vint à leur secours.
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L’aurore permit à peine aux Mexicains de découvrir le champ de bataille dont ils étoient reſtés les maîtres, qu’ils apperçurent parmi les morts un fils & deux filles de Montezuma, que les Eſpagnols emmenoient avec quelques autres priſonniers.
Ce ſpectacle les glaça d’effroi.
L’idée d’avoir maſſacré les enfans après avoir immolé le père, étoit trop forte, pour que des ames foibles & énervées par l’habitude d’une obéiſſance aveugle, puſſent la ſoutenir.
Ils craignirent de joindre l’impiété au régicide ; & ils donnèrent à de vaines cérémonies funèbres, un tems qu’ils devoient au ſalut de leur patrie.
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L’aurore permit à peine aux Mexicains de découvrir le champ de bataille dont ils étaient restés les maîtres, qu’ils aperçurent parmi les morts un fils et deux filles de Montezuma, que les Espagnols emmenaient avec quelques prisonniers.
Ce spectacle les glaça d’effroi.
L’idée d’avoir massacré les enfans après avoir immolé le père était trop forte pour que des âmes faibles et énervées par l’habitude d’une obéissance aveugle pussent la soutenir.
Ils craignirent de joindre l’impiété au régicide ; et ils donnèrent à de vaines funérailles un temps qui pouvait et devait être plus utilement employé.
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Durant cet intervalle, l’armée battue qui avoit perdu ſon artillerie, ſes munitions, ſes bagages, ſon butin, cinq ou ſix cens Eſpagnols, deux mille Tlaſcaltèques, & à laquelle il ne reſtoit preſque pas un ſoldat qui ne fût bleſſé, ſe remettoit en marche.
On ne tarda pas à la pourſuivre, à la harceler, à l’envelopper enfin dans la vallée d’Otumba.
Le feu du canon & de la mouſqueterie, le fer des lances, & des épées n’empêchoient pas les Indiens, tout nus qu’ils étoient, d’approcher, & de ſe jetter ſur leurs ennemis avec une grande animoſité.
La valeur alloit céder au nombre, lorſque Cortès décida de la fortune de cette journée.
Il avoit entendu dire que dans cette partie du Nouveau-Monde, le ſort des batailles dépendoit de l’étendard royal.
Ce drapeau, dont la forme étoit remarquable, & qu’on ne mettoit en campagne que dans les occaſions les plus importantes, étoit aſſez près de lui.
Il s’élance avec ſes plus braves compagnons, pour le prendre.
L’un d’eux le ſaiſit & l’emporte dans les rangs des Eſpagnols.
Les Mexicains perdent courage ; ils prennent la fuite en jettant leurs armes.
Cortès pourſuit ſa marche, & arrive ſans obſtacle chez les Tlaſcaltèques.
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Durant cet intervalle, l’armée battue, qui avait perdu son artillerie, ses munitions, ses bagages, son butin, cinq ou six cents Espagnols, deux mille Tlascalans, et à laquelle il ne restait presque pas un soldat qui ne fût blessé, se remettait en marche.
On ne tarda pas à la poursuivre, à la harceler, à l’envelopper enfin dans la vallée d’Otumba.
Le feu du canon et de la mousqueterie, le fer des lances et des épées, n’empèchaient pas les Indiens, tout nus qu’ils étaient, d’approcher, et de se jeter sur leurs ennemis avec une grande animosité.
La valeur allait céder au nombre lorsque Cortez décida de la fortune de cette journée.
Il avait entendu dire que dans cette partie du Nouveau - Monde le sort des batailles dépendait de l’étendard royal.
Ce drapeau, dont la forme était remarquable, et qu’on ne mettait en campagne que dans les occasions les plus importantes, était assez près de lui.
Il s’élance avec ses plus braves compagnons pour le prendre ; l’un d’eux le saisit et l’emporte dans les rangs des Espagnols.
Les Mexicains perdent courage ; ils prennent la fuite en jetant leurs armes.
Cortez poursuit sa marche sans obstacle, et arrive chez les Tlascalans, où la victoire qu’il venait de remporter avait fait oublier les disgrâces qui l’avaient précédée.
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Il n’avoit perdu ni le deſſein, ni l’eſpérance de ſoumettre l’empire du Mexique ; mais il avoit fait un nouveau plan.
Il vouloit ſe ſervir d’une partie des peuples, pour aſſujettir l’autre.
La forme du gouvernement, la diſpoſition des eſprits, la ſituation de Mexico, favoriſoient ce projet, & les moyens de l’exécuter.
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Il n’avait perdu ni le dessein, ni l’espérance de soumettre l’empire du Mexique ; mais il avait fait un nouveau plan.
Il voulait se servir d’une partie des peuples pour assujettir l’autre.
La forme du gouvernement, la disposition des esprits, la situation de Mexico, favorisaient ce projet et les moyens de l’exécuter.
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L’empire étoit électif, & quelques rois ou caciques étoient les électeurs.
Ils choiſiſſoient d’ordinaire un d’entr’eux.
On lui faiſoit jurer que tout le tems qu’il ſeroit ſur le trône, les pluies tomberoient à propos, les rivières ne cauſeroient point de ravages, les campagnes n’éprouveroient point de ſtérilité, les hommes ne périroient point par les influences malignes d’un air contagieux.
Cet uſage pouvoit tenir au gouvernement théocratique, dont on trouve encore des traces dans preſque toutes les nations de l’univers.
Peutêtre auſſi le but de ce ſerment bizarre étoit-il de faire entendre au nouveau ſouverain, que les malheurs d’un état venant preſque toujours des déſordres de l’adminiſtration, il devoit régner avec tant de modération & de ſageſſe, qu’on ne pût jamais regarder les calamités publiques comme l’effet de ſon imprudence, ou comme une juſte punition de ſes déréglemens.
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L’empire était électif, et quelques rois ou caciques étaient les électeurs.
Ils choisissaient d’ordinaire un d’entre eux.
On lui faisait jurer que tout le temps qu’il resterait sur le trône les pluies tomberaient à propos, les rivières ne causeraient point de ravages, les campagnes n’éprouveraient point de stérilité, les hommes ne périraient point par les influences malignes d’un air contagieux.
Cet usage pouvait tenir au gouvernement théocratique, dont on trouve encore des traces dans presque toutes les nations de l’univers.
Peut-être aussi le but de ce serment bizarre était-il de faire entendre au nouveau souverain que, les malheurs d’un état venant presque toujours des désordres de l’administration, il devait régner avec tant de modération et de sagesse, qu’on ne pût jamais regarder les calamités publiques comme l’effet de son imprudence, ou comme une juste punition de ses dérèglemens.
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On avoit fait les plus belles loix pour obliger à ne donner la couronne qu’au mérite : mais la ſuperſtition donnoit aux prêtres une grande influence dans les élections.
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On avait fait les plus belles lois pour obliger à ne donner la couronne qu’au mérite ; mais la superstition donnait aux prêtres une grande influence dans les élections.
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Dès que l’empereur étoit inſtallé, il étoit obligé de faire la guerre, & d’amener des priſonniers aux dieux.
Ce prince, quoique électif, étoit fort abſolu, parce qu’il n’y avoit point de loix écrites, & qu’il pouvoit changer les uſages reçus.
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Dès que l’empereur était installé, il était obligé de faire la guerre et d’amener des prisonniers aux dieux.
Ce prince, quoique électif, était fort absolu, parce qu’il n’y avait point de lois écrites, et qu’il pouvait changer les usages reçus.
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Preſque toutes les formes de la juſtice & les étiquettes de la cour étoient conſacrées par la religion.
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Presque toutes les formes de la justice et les étiquettes de la cour étaient consacrées par la religion.
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Les loix puniſſoient les crimes qui ſe puniſſent par-tout : mais les prêtres ſauvoient ſouvent les criminels.
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Les lois punissaient les crimes qui se punissent partout ; mais les prêtres sauvaient souvent les criminels.
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Il y avoit deux loix propres à faire périr bien des innocens, & qui devoient appeſantir ſur les Mexicains le double joug du deſpotiſme & de la ſuperſtition.
Elles condamnoient à mort ceux qui auroient bleſſé la ſainteté de la religion, & ceux qui auroient bleſſé la majeſté du prince.
On voit combien des loix ſi peu préciſes facilitoient les vengeances particulières, ou les vues intéreſſées des prêtres & des courtiſans.
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Il y avait deux lois propres à faire périr bien des innocens, et qui devaient appesantir sur les Mexicains le double joug du despotisme et de la superstition.
Elles condamnaient à mort ceux qui auraient blessé la sainteté de la religion, et ceux qui auraient blessé la majesté du prince.
On voit combien des lois si peu précises facilitaient les vengeances particulières, ou les vues intéressées des prêtres et des courtisans.
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On ne parvenoit à la nobleſſe, & les nobles ne parvenoient aux dignités que par des preuves de courage, de piété & de patience.
On faiſoit dans les temples un noviciat plus pénible que dans les armées ; & enſuite, ces nobles auxquels il en avoit tant coûté pour l’être, ſe dévouoient aux fonctions les plus viles dans le palais des empereurs.
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On ne parvenait à la noblesse, et les nobles ne parvenaient aux dignités que par des preuves de courage, de piété et de patience.
On faisait dans les temples un noviciat plus pénible que dans les armées ; et ensuite ces nobles, auxquels il en avait tant coûté pour l’être, se dévouaient aux fonctions les plus viles dans le palais des empereurs.
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Cortès penſa que dans la multitude des vaiſſaux du Mexique, il y en auroit qui ſecoueroient volontiers le joug, & s’aſſocieroient aux Eſpagnols.
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Cortez pensa que dans la multitude des vassaux du Mexique il y en aurait qui secoueraient volontiers le joug, et s’associeraient aux Espagnols.
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Il avoit vu combien les Mexicains étoient haïs des petites nations dépendantes de leur empire, & combien les empereurs faiſoient ſentir durement leur puiſſance.
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Il avait vu combien les Mexicains étaient haïs des petites nations dépendantes de leur empire, et combien les empereurs faisaient sentir durement leur puissance.
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Il s’étoit apperçu que la plupart des provinces déteſtoient la religion de la capitale, & que dans Mexico même, les grands, les hommes riches, dans qui l’eſprit de ſociété diminuoit la férocité des préjugés & des mœurs du peuple, n’avoient plus que de l’indifférence pour cette religion.
Pluſieurs d’entre les nobles étoient révoltés d’exercer les emplois les plus humilians auprès de leurs maîtres.
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Il s’était aperçu que la plupart des provinces détestaient la religion de la capitale, et que, dans Mexico même, les grands, les hommes riches, dans qui l’esprit de société diminuait la férocité des préjugés et des mœurs du peuple, n’avaient plus que de l’indifférence pour cette religion.
Plusieurs d’entre les nobles étaient révoltés d’exercer les emplois les plus humilians auprès de leurs maîtres.
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Depuis ſix mois, Cortès mûriſſoit, en ſilence, ſes grands projets, lorſqu’on le vit ſortir de ſa retraite, ſuivi de cinq cens quatrevingt-dix Eſpagnols, de dix mille Tlaſcaltèques, de quelques autres Indiens, amenant quarante chevaux & traînant huit ou neuf pièces de campagne.
Sa marche vers le centre des états Mexicains fut facile & rapide.
Les petites nations, qui auroient pu la retarder ou l’embarraſſer, furent toutes aiſément ſubjuguées, ou ſe donnèrent librement à lui.
Pluſieurs des peuplades qui occupoient les environs de la capitale de l’empire, furent auſſi forcées de ſubir ſes loix ou s’y ſoumirent d’elles-mêmes.
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Depuis six mois Cortez nourrissait en silence ses grands projets, lorsqu’il pensa que le temps était venu de sortir de sa retraite.
Sa marche vers le centre de l’empire du Mexique fut facile et rapide.
Les petites nations qui auraient pu la retarder ou l’embarrasser furent toutes aisément subjuguées ou se donnèrent librement à lui.
Plusieurs peuplades qui occupaient les environs de la capitale furent également forcées de subir ses lois, ou se soumirent d’elles-mêmes.
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Ces premiers succès auraient dû, ce semble, ouvrir tous les cœurs à l’espérance.
Il n’en fut pas ainsi.
Parmi les soldats espagnols il s’en trouvait un assez grand nombre qui avaient trop bien conservé le souvenir des dangers auxquels ils avaient si difficilement échappé.
La crainte de ceux qu’il fallait courir encore les précipita dans le plus noir de tous les complots.
Ils convinrent entre eux de massacrer leur général, et de déférer le commandement à un officier qui, abandonnant sans peine une entreprise dont un autre avait formé le plan, ne ferait aucune difficulté de les ramener au lieu où ils s’étaient embarqués.
La trahison allait s’exécuter lorsque le remords conduisit un des conjurés aux pieds de Cortez.
Leur chef Villefagna fut aussitôt arrêté, et livré au dernier supplice, mais après qu’on lui eut arraché une liste exacte de ses complices.
Il s’agissait de dissiper les inquiétudes que cette découverte devait infailliblement causer.
On y réussit en publiant que le scélérat avait déchiré le papier qui contenait le nom des coupables, et emporté au tombeau le secret d’une association si honteuse et si criminelle.
Par cet heureux artifice furent conservés avec bienséance des hommes nécessaires, et qui, pour dissiper les défiances que leurs liaisons avaient pu faire naître, ne pouvaient manquer de redoubler de soumission et de courage.
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Cet orage était à peine dissipé, qu’on vit s’en former un autre.
Xicotencatl, qui d’abord avait commandé l’armée de Tlascala, levée pour repousser les Espagnols, conduisait alors les troupes que la république s’était déterminée à mettre sous leurs drapeaux.
Soit ressentiment de ses anciennes défaites, soit quelque mécontentement nouveau, il résolut de ne pas concourir au succès d’une entreprise dont le succès lui paraissait devoir couvrir de gloire son vainqueur.
La douce voie de la persuasion fut en vain tentée pour le retenir au camp.
Le fier Américain n’en fut que plus affermi dans son projet de désertion.
Son audace se soutint à l’aspect même des forces envoyées pour le réduire ; et il ne cessa de combattre qu’en cessant de vivre.
A sa mort, le petit nombre de soldats de sa nation qu’il avait séduits rentrèrent dans le devoir, et leur conduite fut toujours depuis sans reproche.
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L’oisiveté forcée où à cette époque languissait l’armée pouvait occasionner de nouveaux soulèvemens.
Les circonstances permirent, exigèrent même qu’on la tirât de son inaction.
Les observations qu’avait faites Cortez pendant son séjour à Mexico, les énormes pertes qu’il avait essuyées quand il en était sorti, tout l’avait convaincu que la prise de cette grande ville serait difficile, impossible peut-être, si l’on ne parvenait à se rendre maître des lacs qui en faisaient la force.
Mais comment acquérir cet empire ?
Le hasard voulut qu’il se trouvât parmi les aventuriers espagnols un homme en état de rendre un si important service.
Martin Lopez se chargea de construire des bâtimens tels qu’il les fallait, sans d’autres moyens que les voiles, les câbles, les ferremens conservés à la Véra-Cruz, que les bois qu’il lui fut permis d’abattre, que le secours de quatre ou cinq charpentiers mêlés dans les troupes, que les bras de quelques Indiens moins paresseux ou moins ineptes que les autres.
Au temps dont nous parlons, les matériaux, préparés à Tlascala, furent portés sous bonne escorte à Tezcuco, la seconde ville de l’empire, située sur les bords des lacs, et devenue toute espagnole.
De leur rassemblement sortirent treize brigantins qui permirent de commencer le siége.
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Tout à Mexico était préparé pour une résistance opiniâtre.
Une alliance avec Tlascala avait paru à Quatlavaca, successeur immédiat de Montézuma, la plus sûre voie pour exterminer les Espagnols ; mais jamais il ne put obtenir de la république qu’elle se déclarât contre eux, ni même qu’elle se détachât de leurs intérêts.
Réduit aux moyens qui lui étaient propres, il n’en negligea aucun.
Les petites nations tributaires de l’empire n’éprouvèrent plus les hauteurs qui les avaient alienées.
L’on adoucit ou l’on supprima les impôts, sous lesquels les sujets succombaient.
La noblesse cessa d’être avilie par les plus vils offices.
L’accès auprès du trône devint facile à tous les ordres de la société.
Les fortifications détruites furent réparées, et de nouvelles mieux entendues s’élevèrent.
Les arsenaux se remplirent d’armes et les magasins de vivres.
La milice, plus nombreuse et plus régulièrement exercée, se forma aux évolutions.
Des poignards arrachés à l’ennemi dans des combats précédens, furent attachés à de longues piques pour repousser la cavalerie, qui portait le désordre et le carnage dans tous les rangs.
La petite vérole, qui pour la première fois se montrait dans cette partie du Nouveau-Monde, emporta un prince si digne de régner ; mais il fut remplacé par Guatimosin, qui, quoique jeune encore, se livra aux soins du gouvernement avec autant d’assiduité que son prédécesseur, et même plus utilement, parce qu’il avait à un plus haut degré que lui la confiance et l’amour des peuples.
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Des ſuccès propres à étonner, même les plus préſomptueux, auroient dû naturellement livrer tous les cœurs au chef intrépide & prévoyant dont ils étoient l’ouvrage.
Il n’en fut pas ainſi.
Parmi ſes ſoldats Eſpagnols, il s’en trouvoit un aſſez grand nombre qui avoient trop bien conſervé le ſouvenir des dangers auxquels ils avoient ſi difficilement échappé.
La crainte de ceux qu’il falloit courir encore les rendit perfides.
Ils convinrent entre eux de maſſacrer leur général & de faire paſſer le commandement à un officier, qui, abandonnant des projets qui leur paroiſſoient extravagans, prendroit des meſures ſages pour leur conſervation.
La trahiſon alloit s’exécuter, quand le remords conduiſit un des conjurés aux pieds de Cortès.
Auſſi tôt ce génie hardi, dont les événemens inattendus développoient de plus en plus les reſſources, fait arrêter, juger & punir Villafagna, moteur principal d’un ſi noir complot ; mais après lui avoir arraché une liſte exacte de tous ſes complices.
Il s’agiſſoit de diſſiper les inquiétudes que cette découverte pouvoit cauſer.
On y réuſſit, en publiant que le ſcélérat a déchiré un papier qui contenoit, ſans doute, le plan de la conſpiration ou le nom des aſſociés, & qu’il a emporté ſon ſecret au tombeau, malgré la rigueur des ſupplices employés pour le lui arracher.
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Cependant, pour ne pas donner aux troupes le tems de trop réfléchir ſur ce qui vient de ſe paſſer, le général ſe hâta d’attaquer Mexico, le grand objet de ſon ambition & le terme des eſpérances de l’armée.
Ce projet préſentoit de grandes difficultés.
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Des montagnes, qui la plupart avoient mille pieds d’élévation, entouroient une plaine d’environ quarante lieues.
La majeure partie de ce vaſte eſpace étoit occupée par des lacs qui communiquoient enſemble.
A l’extrémité ſeptentrionale du plus grand, avoit été bâtie, dans quelques petites iſles, la plus conſidérable cité qui exiſtât dans le NouveauMonde, avant que les Européens l’euſſent découvert.
On y arrivoit par trois chauſſées plus ou moins longues, mais toutes larges & ſolidement conſtruites.
Les habitans des rivages trop éloignés de ces grandes voies, s’y rendoient ſur leurs canots.
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Des montagnes, dont la plupart avaient mille pieds d’élévation, entouraient une plaine d’environ quarante lieues, qui depuis quelques mois était le théâtre de la guerre.
La majeure partie de ce vaste espace était occupée par deux lacs qui communiquaient ensemble.
A l’extrémité septentrionale du plus étendu s’élevait dans quelques petites îles la plus considérable cité qui existât dans le nouvel hémisphère avant que les Européens l’eussent découvert.
On y arrivait par trois chaussées plus ou moins longues, mais toutes larges et solidement construites.
Les habitans des rivages trop éloignés de ces grandes voies s’y rendaient sur leurs canots.
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Cortès ſe rendit maître de la navigation par le moyen des petits navires dont on avoit préparé les matériaux à Tlaſcala ; & il fit attaquer les digues par Sandoval, par Alvarado & par Olid, à chacun deſquels il avoit donné un nombre égal de canons, d’Eſpagnols & d’Indiens auxiliaires.
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Tout étoit diſpoſé de longue main pour une réſiſtance opiniâtre.
Les moyens de défenſe avoient été préparés par Quetlavaca, qui avoit remplacé Montezuma ſon frère : mais la petite vérole, portée dans ces contrées par un eſclave de Narvaès, l’avoit fait périr ; & lorſque le ſiège commença, c’étoit Guatimoſin qui tenoit les rênes de l’empire.
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La ville, entourée d’eau salée, en recevait de douce par un aquéduc qui s’étendait depuis ses murailles jusqu’aux hauteurs de Chapultepeque.
Cortez jugea convenable de commencer le siége par la destruction des tuyaux qui formaient la communication.
Ses lieutenans exécutèrent ses ordres après avoir dissipé les troupes envoyées pour s’y opposer.
Alors les assiégés furent réduits à une boisson malsaine, ou, pour s’en procurer une plus salubre, obligés d’employer des forces qui auraient servi ailleurs utilement.
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L’attaque régulière de la place suivit de près ce premier succès.
Cortez comptait alors sous ses drapeaux huit cent dix-huit fantassins, et quatrevingt-six cavaliers européens successivement arrivés de Cuba, de la Jamaïque, de Saint-Domingue, des Canaries, de la Castille, et que des motifs divers avaient attirés ou fixés auprès de lui.
Il avait dix-sept pièces d’artillerie de différens calibres, avec les armes et les munitions qu’exigeaient ses grands projets.
Cent mille Américains, impatiens de venger d’anciennes injures, s’étaient rendus dans son camp.
Ces troupes formèrent trois divisions, chacune composée de cent cinquante Espagnols de pied, de vingthuit ou trente chevaux, de trente mille auxiliaires, et pourvue d’une ou deux pièces de campagne.
Sandoval, qui commandait la première, devait agir sur la chaussée de Tezcuco ; Alvarado, qui conduisait la seconde, sur la chaussée de Tacuba ; et Olid, à laquelle la troisième obéissait, sur la chaussée de Gayoacan.
Toutes, par des marches parallèles et bien combinées, devaient, s’il était possible, arriver dans le même temps aux portes de Mexico où aboutissaient les chaussées.
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Le poste du général était partout.
Indépendamment des opérations militaires qu’il dirigea toujours jusque dans les moindres détails, il lui fallait, par des caresses adroitement ménagées, exciter l’indolence si naturelle aux Américains ; contenir par des règlemens sévères les peuples qu’il avait séduits ou entraînés ; rendre dociles à sa voix, aux signaux, aux évolutions, des combattans qui n’étaient pas formés à la discipline ; maintenir une harmonie imperturbable entre des hommes divisés de temps immémorial par des antipathies nationales ; pourvoir à la subsistance d’une très-nombreuse armée dans une contrée ravagée, dépouillée, épuisée.
Malgré des soins si multipliés, il crut devoir s’embarquer sur la flottille, après avoir placé sur chacun des grossiers bâtimens qui la formaient vingt-cinq Espagnols, un plus grand nombre de soldats auxiliaires, douze rameurs indiens, et un canon.
Quatre mille pirogues s’avancèrent pour l’attaquer.
Un calme profond qui régnait alors leur laissait quelque espoir de succès.
Mais bientôt une brise, enflant les voiles des brigantins, les poussa sur ces faibles canots, qui, écrasés par ces masses relativement énormes, furent la plupart engloutis ou mis en pièces, tandis que ceux qui avaient échappé à ce malheur voyaient périr leurs défenseurs par le fer ou par le feu de l’ennemi.
Le reste, épouvanté, se retira en désordre dans les lieux dont on était parti.
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Voyant sa domination imperturbablement établie sur le lac, Cortez vola au secours de ceux de ses lieutenans qui étaient le plus pressés sur les chaussées, et, après avoir amélioré leur situation, attacha à chacun des corps à leurs ordres une partie de ses forces navales, dont il avait formé trois petites escadres destinées à agir séparément, ou à se réunir selon les circonstances.
Ces dispositions faites, il se mit à la tête de ses meilleures troupes, et par d’heureuses combinaisons arriva aux portes de la capitale, où il franchit quelquesunes des tranchées, détruisit plusieurs des fortifications qui les couvraient.
L’impossibilité de surmonter d’autres obstacles qu’on lui opposa rendit la retraite nécessaire ; mais elle était devenue plus que difficile.
Julien de Aldereto, chargé de la garde d’un poste qui devait l’assurer, n’avait pas trouvé cette fonction assez honorable ou assez lucrative, et l’avait quittée pour aller cueillir des lauriers ou partager un butin qui devaient illustrer et enrichir ses compagnons.
Les Mexicains remarquèrent cette faute énorme, et la mirent à profit.
Beaucoup d’entre eux se rendirent par des voies détournées au lieu abandonné, et s’y formèrent avec plus d’art qu’ils n’en avaient montré jusqu’alors.
Attaquée par-devant, combattue parderrière, inquiétée sur ses flancs, l’armée, qui se retirait, put se croire sans ressource.
La terreur précipita ses auxiliaires dans une ouverture qui occupait toute la largeur de la digue, et ils y périrent par milliers.
Les Espagnols montrèrent plus de fermeté ; mais la plupart furent plus ou moins dangereusement blessés.
Plusieurs trouvèrent la mort dans cette mémorable action.
Quarante même tombèrent vivans au pouvoir du vainqueur.
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Le sang des malheureux prisonniers coula sur les autels.
Leurs têtes furent envoyées dans les villes les plus importantes, comme un témoignage éclatant de la victoire qu’on venait de remporter.
Le dieu de la guerre déclara par l’organe de ses ministres qu’apaisé par les holocaustes qui venaient de lui être offerts, il exterminerait en moins de huit jours les ennemis de ses vrais adorateurs, et que la paix, le bonheur, allaient régner d’une extrémité de l’empire à l’autre.
Cet oracle trouva une foi entière.
Les provinces restées fidèles à Guatimosin lui envoyèrent de nouveaux secours.
Celles qui avaient vu d’un œil passif ses infortunes sortirent de leur indifférence.
Quelques-unes qui s’étaient déclarées contre lui rentrèrent dans la soumission.
Les Indiens même auxiliaires des Espagnols, qui avaient des superstitions semblables à celles des Mexicains, et qui ne croyaient pas moins obstinément qu’eux à l’infaillibilité des prêtres, désertant des étendards sous lesquels ils avaient jusqu’alors combattu, abandonnèrent à leur mauvais sort des alliés dont la ruine leur paraissait si assurée et si prochaine.
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Cortez, instruit des motifs de cette défection générale, députa aux fugitifs le petit nombre de leurs officiers qui, préférant l’honneur à la vie, avaient persévéré dans leurs premiers engagemens.
Ils devaient inviter leurs soldats à suspendre leur marche jusqu’à l’époque fixe et peu éloignée où ils pourraient juger si c’était à de vraies ou à de fausses prédictions qu’ils avaient cédé.
La demande parut raisonnable, et l’on s’arrêta où l’on était.
Au terme annoncé, il se trouva que les Espagnols, quoique attaqués sans relâche, quoique privés de toute assistance étrangère, n’avaient éprouvé aucun malheur.
L’illusion fut alors dissipée ; et les déserteurs, honteux de leur crédulité, rentrèrent au camp avec plus de célérité encore qu’ils n’en étaient depuis peu sortis.
Ils ne tardèrent pas à être joints par des milliers d’Indiens qui n’en avaient jamais approché, et que les impostures sacerdotales y poussaient.
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Le siége fut repris, mais sur un nouveau plan.
Dans le premier, les Espagnols, impatiens d’acquérir, impatiens de jouir, avaient pensé pouvoir s’écarter sans inconvénient de la méthode usitée dans l’attaque des places fortes.
Leurs travaux se réduisaient à rétablir les ponts qu’ils trouvaient rompus, à combler les tranchées qu’ils trouvaient creusées, à détruire les retranchemens qu’ils trouvaient élevés sur leur route.
Quelquefois ils ne surmontaient qu’une partie des obstacles qu’on leur opposait, et quelquefois ils arrivaient en douze heures aux portes de la cité, dont le plus ardent de leurs désirs était de se voir en possession.
Quel que fût l’événement, ils étaient réduits à regagner chaque soir leurs camps, placés à l’extrémité des trois chaussées, dans l’espoir de s’y procurer un peu de repos.
Les Mexicains ne manquaient jamais de recouvrer la nuit les postes qui leur avaient été enlevés pendant le jour.
Un mois s’était écoulé sans que les assaillans, affaiblis par leurs pertes, eussent obtenu aucun avantage permanent.
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Les actions de ce jeune prince furent toutes héroïques & toutes prudentes.
Le feu de ſes regards, l’élévation de ſes diſcours, l’éclat de ſon courage faiſoient ſur ſes peuples l’impreſſion qu’il deſiroit.
Il diſputa le terrein pied à pied ; & jamais il n’en abandonna un pouce qui ne fût jonché des cadavres de ſes ſoldats & teint du ſang de ſes ennemis.
Cinquante mille hommes, accourus de toutes les parties de l’empire à la défenſe de leur maître & de leurs dieux, avoient péri par le fer ou par le feu ; la famine faiſoit tous les jours des ravages inexprimables ; des maladies contagieuſes s’étoient jointes à tant de calamités, ſans que ſon ame eût été un inſtant, un ſeul inſtant ébranlée.
Les aſſaillans, après cent combats meurtriers & de grandes pertes, étoient parvenus au centre de la place, qu’il ne ſongeoit pas encore à céder.
On le fit enfin conſentir à s’éloigner des décombres qui ne pouvoient plus être défendus, pour aller continuer la guerre dans les provinces.
Dans la vue de faciliter cette retraite, quelques ouvertures de paix furent faites à Cortès : mais cette noble ruſe n’eut pas le ſuccès qu’elle méritoit ; & un brigantin s’empara du canot où étoit le généreux & infortuné monarque.
Un financier Eſpagnol imagina que Guatimoſin avoit des tréſors cachés ; & pour le forcer à les déclarer, il le fit étendre ſur des charbons ardens.
Son favori, expoſé à la même torture, lui adreſſoit de triſtes plaintes :Et moi, lui dit l’empereur, ſuis-je ſur des roſes ?
Mot comparable à tous ceux que l’hiſtoire a tranſmis à l’admiration des hommes.
Les Mexicains le rediroient à leurs enfans, ſi quelque jour ils pouvoient rendre aux Eſpagnols ſupplice pour ſupplice, noyer cette race d’exterminateurs dans la mer ou dans le ſang.
Ce peuple auroit peut-être les actes de ſes martyrs, les annales de ſes perſécutions.
On y liroit, ſans doute, que Guatimoſin fut tiré demi-mort d’un gril ardent, & que, trois ans après, il fut pendu publiquement, ſous prétexte d’avoir conſpiré contre ſes tyrans & ſes bourreaux.
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Le vice de ce système frappa Cortez.
La circonspection lui parut devoir remplacer l’audace.
Il prit le parti d’aller pas à pas, et de ne se porter en avant qu’après avoir mis hors d’insulte, par les bras de ses auxiliaires, les postes dont il s’était emparé avec une plus grande ou une moindre effusion de sang.
Cette manière de faire la guerre, inconnue dans le Nouveau-Monde, étonna les Mexicains sans les abattre.
Cinquante mille des innombrables défenseurs accourus au secours de leurs dieux et de leur empire avaient péri par le fer ou par le feu ; la famine faisait tous les jours des ravages inexprimables ; des maladies contagieuses moissonnaient ceux qui avaient échappé au glaive et à la disette ; l’ennemi était parvenu au centre de leur capitale, qu’ils ne songeaient pas encore à céder.
Tous consentirent à s’ensevelir sous les ruines de leurs temples et de leurs maisons, pourvu que leur magnanime maître s’éloignât pour aller couvrir les provinces.
Dans la vue de faciliter cette retraite, quelques ouvertures de paix furent faites ; mais cette noble ruse n’eut pas le succès qu’elle méritait, et un brigantin s’empara du canot où était le généreux et infortuné monarque.
Un financier espagnol imagina que Guatimosin avait des trésors cachés ; et, pour le forcer à les déclarer, il le fit étendre sur des charbons ardens.
Son favori, exposé à la même torture, lui adressait de tristes plaintes : Et moi, lui dit l’empereur, suis-je sur des roses ?
mot comparable à tous ceux que l’histoire a transmis à l’admiration des hommes.
Les Mexicains le rediraient à leurs enfans, si quelque jour ils pouvaient rendre aux Espagnols supplice pour supplice, noyer cette race d’exterminateurs dans la mer ou dans le sang.
Ce peuple aurait peutêtre les actes de ses martyrs, les annales de ses persécutions.
On y lirait sans doute que Guatimosin fut tiré demi-mort d’un gril ardent, et que, trois ans après, il fut pendu publiquement, sous prétexte d’avoir conspiré contre ses tyrans et ses bourreaux.
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De tous les événemens militaires dont le Nouveau-Monde a été le théâtre, le siége de Mexico, qui ne se rendit, le 13 août 1521, qu’après quatrevingt-treize jours d’une attaque et d’une défense opiniâtres, fut de beaucoup le plus éclatant.
Il s’y fit des deux côtés des actions dignes de fixer l’attention de la postérité la plus reculée.
Une exposition simple de ces faits héroïques aurait trouvé une créance universelle.
Le merveilleux dont les historiens espagnols ont eu la vanité de les envelopper a jeté une grande défaveur sur leurs récits.
Les gens éclairés ont surtout refusé d’ajouter foi aux dénombremens qui portent à quatre cent mille le nombre des combattans de l’un ou de l’autre parti.
On nous fera la justice de penser que c’est aussi notre opinion, quoique, privé de meilleurs guides, nous ayons été réduit à adopter dans notre narration les calculs de Cortez, de ses compagnons, de ses admirateurs.
On ne connaît aucun écrivain qui ait tenté jusqu’ici d’expliquer comment, dans un pays où l’agriculture était dans l’enfance, et dont les habitans n’étendaient pas leur prévoyance jusqu’au lendemain, purent être rassemblées des subsistances suffisantes pour nourrir tant d’hommes trois mois et plus.
Les conquérans imaginèrent de résoudre le problème en disant que les Indiens dévoraient réciproquement les prisonniers qu’ils avaient faits, les ennemis qu’ils avaient tués, et qu’ils en séchaient ou salaient le superflu pour s’en servir dans le besoin.
Le lecteur portera de cette ressource le jugement qui lui conviendra.
Il aura encore à prononcer sur l’idée qu’il faut se former de l’ancien Mexico.
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Si l’on en croit les Eſpagnols, Mexico, dont après deux mois & demi d’une attaque vive & régulière, ils s’étoient enfin emparés avec le ſecours de ſoixante ou de cent mille Indiens alliés, & par la ſupériorité de leur diſcipline, de leurs armes & de leurs navires : ce Mexico étoit une ville ſuperbe.
Ses murs renfermoient trente mille maiſons, un peuple immenſe, de beaux édifices.
Le palais du chef de l’état, bâti de marbre & de jaſpe, avoit une étendue prodigieuſe.
Des bains, des fontaines, des ſtatues le décoroient.
Il étoit rempli de tableaux, qui, quoique faits avec des plumes ſeulement, avoient de la couleur, de l’éclat, de la vérité.
La plupart des grands avoient, ainſi que l’empereur, des ménageries où étoient raſſemblés tous les animaux du nouveau continent.
Des plantes de toute eſpèce couvroient leurs jardins.
Ce que le ſol & le climat avoient de rare & de brillant, étoit un objet de luxe chez une nation riche, où la nature étoit belle & les arts imparfaits.
Les temples étoient en grand nombre & la plupart magnifiques : mais teints du ſang & tapiſſés des têtes des malheureux qu’on avoit ſacrifiés.
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Cette ville, nous dit-on, était superbe.
Ses murs renfermaient soixante mille maisons, un peuple immense, de beaux édifices.
Le palais du chef de l’état, bâti de marbre et de jaspe, avait une étendue prodigieuse.
Des bains, des fontaines, des statues le décoraient.
Il était rempli de tableaux qui, quoique faits avec des plumes seulement, avaient de la couleur, de l’éclat, de la vérité.
La plupart des grands avaient, ainsi que l’empereur, des ménageries où étaient rassemblés tous les animaux du nouveau continent.
Des plantes de toute espèce couvraient leurs jardins.
Ce que le sol et le climat avaient de rare et de brillant était un objet de luxe chez une nation riche où la nature était belle et les arts imparfaits.
Les temples étaient en grand nombre, et la plupart magnifiques, mais teints du sang et tapissés des têtes des malheureux qu’on avait sacrifiés.
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Une des plus grandes beautés de cette cité impoſante étoit une place, ordinairement remplie de cent mille hommes, couverte de tentes & de magaſins, où les marchands étaloient toutes les richeſſes des campagnes, tous les ouvrages de l’induſtrie des Mexicains.
Des oiſeaux de toute couleur, des coquillages brillans, des fleurs ſans nombre, des émaux, des ouvrages d’orfévrerie, donnoient à ces marchés un coup-d’œil plus beau & plus éclatant que ne peuvent l’avoir les foires les plus riches de l’Europe.
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Une des plus grandes beautés de cette cité imposante était une place ordinairement remplie de cent mille hommes, couverte de tentes et de magasins où les marchands étalaient toutes les richesses des campagnes, tous les ouvrages de l’industrie des Mexicains.
Des oiseaux de toute couleur, des coquillages brillans, des fleurs sans nombre, des émaux, des ouvrages d’orfévrerie donnaient à ces marchés un coup-d’œil plus beau et plus éclatant que ne peuvent l’avoir les foires les plus riches de l’Europe.
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Cent mille canots alloient ſans ceſſe des rivages à la ville, de la ville aux rivages.
Les lacs étoient bordés de cinquante villes, & d’une multitude de bourgs & de hameaux.
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Cent mille canots allaient sans cesse des rivages à la ville, de la ville aux rivages.
Les lacs étaient bordés de cinquante villes, et d’une multitude de bourgs et de hameaux.
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Le reſte de l’empire, autant que le permettoient les ſites, préſentoit le même ſpectacle : mais avec la différence qu’on trouve par-tout entre la capitale & les provinces.
Ce peuple, qui n’étoit pas d’une antiquité bien reculée, ſans communication avec des nations éclairées, ſans l’uſage du fer, ſans le ſecours de l’écriture, ſans aucun des arts à qui nous devons l’avantage d’en connoître & d’en exercer d’autres, placé ſous un climat où les facultés de l’homme ne ſont pas éveillées par ſes beſoins : ce peuple, nous dit-on, s’étoit élevé à cette hauteur, par ſon ſeul génie.
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Le reste de l’empire, autant que le permettaient les sites, présentait le même spectacle, mais avec la différence qu’on trouve partout entre la capitale et les provinces.
Ce peuple, qui n’était pas d’une antiquité bien reculée, sans communication avec des nations éclairées, sans l’usage du fer, sans le secours de l’écriture, sans aucun des arts à qui nous devons l’avantage d’en connaître et d’en exercer d’autres, placé sous un climat où les facultés de l’homme ne sont pas éveillées par ses besoins, ce peuple, nous dit-on, s’était élevé à cette hauteur par son seul génie.
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La fauſſeté de cette deſcription pompeuſe, tracée dans des momens de vanité par un vainqueur naturellement porté à l’exagération, ou trompé par la grande ſupériorité qu’avoit un état réguliérement ordonné ſur les contrées ſauvages, dévaſtées juſqu’alors dans l’autre hémiſphère : cette fauſſeté peut être miſe aiſément à la portée de tous les eſprits.
Pour y parvenir, il ne ſuffiroit pas d’oppoſer l’état actuel du Mexique à l’état où les conquérans prétendent l’avoir trouvé.
Qui ne connoit les déplorables effets d’une tyrannie deſtructive, d’une longue oppreſſion ?
Mais qu’on ſe rappelle les ravages que les barbares, ſortis du Nord, exercèrent autrefois dans les Gaules & en Italie.
Lorſque ce torrent fut écoulé, ne reſta-t-il pas ſur la terre de grandes maſſes qui atteſtoient, qui atteſtent encore la puiſſance des peuples ſubjugués.
La région qui nous occupe, offret-elle de ces magnifiques ruines ?
Il doit donc paſſer pour démontrer que les édifices publics & particuliers, ſi orgueilleuſement décrits, n’étoient que des amas informes de pierres entaſſées les unes ſur les autres ; que la célèbre Mexico n’étoit qu’une bourgade formée d’une multitude de cabanes ruſtiques répandues irréguliérement ſur un grand eſpace ; & que les autres lieux dont on a voulu exalter la grandeur ou la beauté, étoient encore inférieurs à cette première des cités.
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La fausseté de cette description pompeuse, tracée dans des momens de vanité par un vainqueur naturellement porté à l’exagération, ou trompé par la grande supériorité qu’avait un état régulièrement ordonné sur les contrées sauvages, dévastées jusqu’alors dans l’autre hémisphère, cette fausseté peut être mise aisément à la portée de tous les esprits.
Pour y parvenir, il ne suffirait pas d’opposer l’état actuel du Mexique à l’état où les conquérans prétendent l’avoir trouvé.
Qui ne connaît les déplorables effets d’une tyrannie destructive, d’une longue oppression ?
Mais qu’on se rappelle les ravages que les barbares sortis du nord exercèrent autrefois dans les Gaules et en Italie.
Lorsque ce torrent fut écoulé, ne resta-til pas sur la terre de grandes masses qui attestaient, qui attestent encore la puissance des peuples subjugués ?
La région qui nous occupe offre-t-elle de ces magnifiques ruines ?
Il doit donc passer pour démontré que les édifices publics et particuliers, si orgueilleusement décrits, n’étaient que des amas informes de pierres entassées les unes sur les autres ; que la célèbre Mexico n’était qu’une bourgade formée d’une multitude de cabanes rustiques répandues irrégulièrement sur un grand espace ; et que les autres lieux dont on a voulu exalter la grandeur ou la beauté étaient encore inférieurs à cette première des cités.
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Les travaux des hommes ont toujours été proportionnés à leur force & aux inſtrumens dont ils ſe ſervoient.
Sans la ſcience de la méchanique & l’invention de ſes machines, point de grands monumens.
Sans quarts de cercle & ſans téleſcope, point de progrès merveilleux en aſtronomie, nulle préciſion dans les obſervations.
Sans fer, point de marteaux, point de tenailles, point d’enclumes, point de forges, point de ſcies, point de haches, point de coignées, aucun ouvrage en métaux qui mérite d’être regardé, nulle maçonnerie, nulle charpente, nulle menuiſerie, nulle architecture, nulle gravure, nulle ſculpture.
Avec ces moyens, quel tems ne faut-il pas à nos ouvriers pour ſéparer de la carrière, enlever & tranſporter un bloc de pierre ?
Quel tems pour l’équarrir ?
Sans nos reſſources, comment en viendroit-on à bout ?
Ç’auroit été un homme d’un grand ſens que le ſauvage qui, voyant pour la première fois un de nos grands édifices, l’auroit admiré, non comme l’œuvre de notre force & de notre induſtrie, mais comme un phénomène extraordinaire de la nature qui auroit élevé d’elle-même ces colonnes, percé ces fenêtres, poſé ces entablemens & préparé une ſi merveilleuſe retraite.
C’eût été la plus belle des cavernes que les montagnes lui euſſent encore offertes.
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Les travaux des hommes ont toujours été proportionnés à leur force et aux instrumens dont ils se servaient.
Sans la science de la mécanique et l’invention de ses machines, point de grands monumens.
Sans quarts de cercle et sans télescope, point de progrès merveilleux en astronomie, nulle précision dans les observations.
Sans fer, point de marteaux, point de tenailles, point d’enclumes, point de forges, point de scies, point de haches, point de cognées, aucun ouvrage en métaux qui mérite d’être regardé ; nulle maçonnerie, nulle charpente, nulle menuiserie, nulle architecture, nulle gravure, nulle sculpture.
Avec ces moyens, quel temps ne faut-il pas à nos ouvriers pour séparer de la carrière, enlever et transporter un bloc de pierre !
Quel temps pour l’équarrir !
Sans nos ressources, comment en viendrait-on à bout ?
C’aurait été un homme d’un grand sens que le sauvage qui, voyant pour la première fois un de nos grands édifices, l’aurait admiré, non comme l’œuvre de notre force et de notre industrie, mais comme un phénomène extraordinaire de la nature, qui aurait élevé d’elle-même ces colonnes, percé ces fenêtres, posé ces entablemens et préparé une si merveilleuse retraite.
C’eût été la plus belle des cavernes que les montagnes lui eussent encore offertes.
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Dépouillons le Mexique de tout ce que des récits fabuleux lui ont prêté, & nous trouverons que ce pays, fort ſupérieur aux contrées ſauvages que les Eſpagnols avoient juſqu’alors parcourues dans le NouveauMonde, n’étoit rien en comparaiſon des peuples civiliſés de l’ancien continent.
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Dépouillons le Mexique, nommé par les conquérans Nouvelle-Espagne, de tout ce que des récits fabuleux lui ont prêté, et nous trouverons que ce pays, fort supérieur aux contrées sauvages que les Espagnols avaient jusqu’alors parcourues dans le Nouveau-Monde, n’était rien en comparaison des peuples civilisés de l’ancien continent.
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Autant qu’on en peut juger à travers les relations confuses et contradictoires qui sont venues jusqu’à nous, le gouvernement féodal fut celui que les Mexicains établirent dans le pays qu’ils venaient d’asservir, soit qu’ils eussent porté ce régime de leur patrie originaire, soit que des compagnons de fortune répugnassent à se donner un maître.
Leur chef ne pouvait ni faire la guerre, ni disposer du trésor public, ni décider aucune affaire importante sans l’aveu d’un conseil, qu’il n’avait pas formé et qu’il ne pouvait pas détruire.
La couronne était élective.
C’était d’abord le corps entier de la noblesse qui la conférait.
Avec le temps cette grande prérogative fut usurpée par les six plus puissans seigneurs de l’empire.
Rarement le trône sortit-il de la même famille ; mais ce n’était pas toujours l’héritier du roi mort qui lui succédait.
Les suffrages se réunissaient communément sur celui de ses proches dont les talens étaient le plus généralement avoués.
Ces choix réfléchis donnèrent à l’état des princes habiles, qui, après en avoir rapidement reculé les frontières, finirent par se donner un pouvoir illimité.
C’étaient des espèces de divinités sur lesquelles les plus téméraires n’osaient porter un regard, et dont les plus imprudens ne se seraient pas permis de juger les actions.
On conçoit comment des citoyens achètent tous les jours, par le sacrifice de leur liberté, les douceurs et les commodités de la vie auxquelles ils sont accoutumés dès l’enfance ; mais que des peuples à qui la nature brute offrait plus de bonheur que la chaîne sociale qui les unissait restassent tranquillement dans la servitude sans penser qu’il n’y avait qu’une montagne ou une rivière à traverser pour être libres, voilà ce qui serait incompréhensible, si l’on ne savait combien l’habitude et la superstition dénaturent partout l’espèce humaine.
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L’empire étoit ſoumis à un deſpotiſme auſſi cruel que mal combiné.
La crainte, cette grande roue des gouvernemens arbitraires, y tenoit lieu de morale & de principes.
Le chef de l’état étoit devenu peu-à-peu une eſpèce de divinité ſur laquelle les plus téméraires n’oſoient porter un regard, & dont les plus imprudens ne ſe ſeroient pas permis de juger les actions.
On conçoit comment des citoyens achètent tous les jours, par le ſacrifice de leur liberté, les douceurs & les commodités de la vie auxquelles ils ſont accoutumés dès l’enfance : mais que des peuples à qui la nature brute offroit plus de bonheur que la chaîne ſociale qui les uniſſoit, reſtâſſent tranquillement dans la ſervitude, ſans penſer qu’il n’y avoit qu’une montagne ou une rivière à traverſer pour être libres : voilà ce qui ſeroit incompréhenſible, ſi l’on ne ſavoit combien l’habitude & la ſuperſtition dénaturent par-tout l’eſpèce humaine.
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Pluſieurs des provinces qu’on pouvoit regarder comme faiſant partie de cette vaſte domination ſe gouvernoient par leurs premières loix & ſelon leurs maximes anciennes.
Tributaires ſeulement de l’empire, elles continuoient à être régies par leurs caciques.
Les obligations de ces grands vaſſaux ſe réduiſoient à couvrir ou à reculer les frontières de l’état lorſqu’ils en recevoient l’ordre ; à contribuer ſans ceſſe aux charges publiques, originairement d’après un tarif réglé, & dans les derniers tems ſuivant les beſoins, l’avidité ou les caprices du deſpote.
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Plusieurs des provinces, qu’on pouvait regarder comme faisant partie de cette vaste domination, se gouvernaient par leurs premières lois et selon leurs maximes anciennes.
Tributaires seulement de l’empire, elles continuaient à être régies par leurs caciques.
Les obligations de ces grands vassaux se réduisaient à couvrir ou à reculer les frontières de l’état lorsqu’ils en recevaient l’ordre ; à contribuer sans cesse aux charges publiques, originairement d’après un tarif réglé, et, dans les derniers temps, suivant les besoins, l’avidité ou les caprices du despote.
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L’adminiſtration des contrées plus immédiatement dépendantes du trône étoit confiée à des grands qui, dans leurs fonctions, étoient ſoulagés par des nobles d’un rang inférieur.
Ces officiers eurent d’abord de la dignité & de l’importance : mais ils n’étoient plus que les inſtrumens de la tyrannie, depuis que le pouvoir arbitraire s’étoit élevé ſur les ruines d’un régime qu’on eût pu appeller féodal.
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L’administration des contrées plus immédiatement dépendantes du trône était confiée à des grands qui, dans leurs fonctions, étaient soulagés par des nobles d’un rang inférieur.
Ces officiers eurent d’abord de la dignité et de l’importance ; mais ils n’étaient plus que les instrumens de la tyrannie, depuis que le pouvoir arbitraire s’était elevé sur les ruines du régime féodal.
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A chacune de ces places étoit attachée une portion de terre, plus ou moins étendue.
Ceux qui dirigeoient les conſeils, qui conduiſoient les armées, que leurs poſtes fixoient à la cour, jouiſſoient du même avantage.
On changeoit de domaine en changeant d’occupation, & l’on le perdoit dès qu’on rentroit dans la vie privée.
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A chacune de ces places était attachée une portion de terre plus ou moins étendue.
Ceux qui dirigeaient les conseils, qui conduisaient les armées, que leurs postes fixaient à la cour, jouissaient du même avantage.
On changeait de domaine en changeant d’occupation, et on le perdait dès qu’on rentrait dans la vie privée.
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Il exiſtoit des poſſeſſions plus entières, & qu’on pouvoit aliéner ou tranſmettre à ſes deſcendans.
Elles étoient en petit nombre & devoient être occupées par les citoyens des claſſes les plus diſtinguées.
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Il existait des possessions plus entières, et qu’on pouvait aliéner ou transmettre à ses descendans.
Elles étaient en petit nombre, et devaient être occupées par les citoyens des classes les plus distinguées.
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Le peuple n’avoit que des communes.
Leur étendue étoit réglée ſur le nombre des habitans.
Dans quelques-unes, les travaux ſe faiſoient en ſociété, & les récoltes étoient dépoſées dans des greniers publics, pour être diſtribuées ſelon les beſoins.
Dans d’autres, les cultivateurs ſe partageoient les champs & les exploitoient pour leur utilité particulière.
Dans aucune, il n’étoit permis de diſpoſer du territoire.
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Le peuple n’avait que des communes.
Leur étendue était réglée sur le nombre des habitans.
Dans quelques-unes les travaux se faisaient en société, et les récoltes étaient déposées dans des greniers publics, pour être distribuées selon les besoins.
Dans d’autres, les cultivateurs se partageaient les champs et les exploitaient pour leur utilité particulière.
Dans aucune, il n’était permis de disposer du territoire.
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Pluſieurs diſtricts, plus ou moins étendus, étoient couverts d’eſpèces de ſerfs attachés à la glèbe, paſſant d’un propriétaire à l’autre, & ne pouvant prétendre qu’à la ſubſiſtance la plus groſſière & la plus étroite.
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Plusieurs districts, plus ou moins étendus, étaient couverts d’espèces de serfs attachés à la glèbe, passant d’un propriétaire à l’autre, et ne pouvant prétendre qu’à la subsistance la plus grossière et la plus étroite.
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Des hommes plus avilis encore ; c’étoient les eſclaves domeſtiques.
Leur vie étoit cenſée ſi mépriſable, qu’au rapport d’Herrera, on pouvoit les en priver, ſans craindre d’être jamais recherché par la loi.
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Des hommes plus avilis encore, c’étaient les esclaves domestiques.
Leur vie était censée si méprisable, qu’au rapport d’Herréra, on pouvait les en priver, sans craindre d’être jamais recherché par la loi.
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Tous les ordres de l’état contribuoient au maintien du gouvernement.
Dans les ſociétés un peu avancées les tributs ſe paient avec des métaux.
Cette meſure commune de toutes les valeurs étoit ignorée des Mexicains, quoique l’or & l’argent fuſſent ſous leurs mains.
Ils avoient, à la vérité, commencé à ſoupçonner l’utilité d’un moyen univerſel d’échange, & déja ils employoient les grains de cacao dans quelques menus détails de commerce : mais leur emploi étoit très-borné & ne pouvoit s’étendre juſqu’à l’acquittement de l’impôt.
Les redevances dues au fiſc étoient donc toutes ſoldées en nature.
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Tous les ordres de l’état contribuaient au maintien du gouvernement.
Dans les sociétés un peu avancées les tributs se paient avec des métaux.
Cette mesure commune de toutes les valeurs était ignorée des Mexicains, quoique l’or et l’argent fussent sous leurs mains.
Ils avaient, à la vérité, commencé à soupçonner l’utilité d’un moyen universel d’échange, et déjà ils employaient les grains de cacao dans quelques menus détails de commerce ; mais leur emploi était très-borné, et ne pouvait s’étendre jusqu’à l’acquittement de l’impôt.
Les redevances dues au fisc étaient donc toutes soldées en nature.
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Comme tous les agens du ſervice public recevoient leur ſalaire en denrées, on retenoit pour leur contribution une partie de ce qui leur étoit aſſigné.
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Comme tous les agens du service public recevaient leur salaire en denrées, on retenait pour leur contribution une partie de ce qui leur était assigné.
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Les terres attachées à des offices & celles qu’on poſſédoit en toute propriété, donnoient à l’état une partie de leurs productions.
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Les terres attachées à des offices, et celles qu’on possédait en toute propriété, donnaient à l’état une partie de leurs productions.
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Outre l’obligation impoſée à toutes les communautés de cultiver une certaine étendue de ſol pour la couronne, elles lui devoient encore le tiers de leurs récoltes.
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Outre l’obligation imposée à toutes les communautés de cultiver une certaine étendue de sol pour la couronne, elles lui devaient encore le tiers de leurs récoltes.
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Les chaſſeurs, les pêcheurs, les potiers, les peintres, tous les ouvriers ſans diſtinction rendoient chaque mois la même portion de leur induſtrie.
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Les chasseurs, les pêcheurs, les potiers, les peintres, tous les ouvriers sans distinction rendaient chaque mois la même portion de leur industrie.
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Les mendians même étoient taxés à des contributions fixes que des travaux ou des aumônes devoient les mettre en état d’acquitter.
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Les mendians même étaient taxés à des contributions fixes, que des travaux ou des aumônes devaient les mettre en état d’acquitter.
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Ce que l’état obtenait de ces divers contribuables était réuni dans ses magasins.
On tirait de ces grands dépôts de quoi fournir aux besoins ou aux profusions de la cour, et ce que pouvaient exiger les travaux publics ; mais ils étaient surtout vidés durant les guerres offensives ou défensives, qui se renouvelaient sans interruption.
Comme les troupes ne recevaient point de solde, il fallait toujours avoir en réserve de quoi les armer, de quoi les vêtir, de quoi les nourrir.
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Au Mexique, l’agriculture étoit trèsbornée, quoique le plus grand nombre de ſes habitans en fiſſent leur occupation unique.
Ses ſoins ſe bornoient au maïs & au cacao, & encore récoltoit-on fort peu de ces productions.
S’il en eût été autrement, les premiers Eſpagnols n’auroient pas manqué ſi ſouvent de ſubſiſtances.
L’imperfection de ce premier des arts pouvoit avoir pluſieurs cauſes.
Ces peuples avoient un grand penchant à l’oiſiveté.
Les inſtrumens dont ils ſe ſervoient étoient défectueux.
Ils n’avoient dompté aucun animal qui pût les ſoulager dans leurs travaux.
Des peuples errans ou des bêtes fauves ravageoient leurs champs.
Le gouvernement les opprimoit ſans relâche.
Enfin leur conſtitution phyſique étoit ſinguliérement foible, ce qui venoit en partie d’une nourriture mauvaiſe & inſuffiſante.
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Au Mexique, l’agriculture était très-bornée, quoique le plus grand nombre de ses habitans en fissent leur occupation unique.
Ses soins se bornaient au maïs et au cacao, et encore récoltait-on fort peu de ces productions.
S’il en eût été autrement, les premiers Espagnols n’auraient pas manqué si souvent de subsistances.
L’imperfection de ce premier des arts pouvait avoir plusieurs causes.
Ces peuples avaient un grand penchant à l’oisiveté.
Les instrumens dont ils se servaient étaient défectueux.
Ils n’avaient dompté aucun animal qui pût les soulager dans leurs travaux.
Des peuples errans ou des bêtes fauves ravageaient leurs champs.
Le gouvernement les opprimait sans relâche.
Enfin leur constitution physique était singulièrement faible, ce qui venait en partie d’une nourriture mauvaise et insuffisante.
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Celle des hommes riches, des nobles & des gens en place avoit pour baſe, outre le produit des chaſſes & des pêches, les poules d’inde, les canards & les lapins, les ſeuls animaux, avec de petits chiens, qu’on eût ſu apprivoiſer dans ces contrées.
Mais les vivres de la multitude ſe réduiſoient à du maïs, préparé de diverſes manières ; à du cacao délayé dans l’eau chaude & aſſaiſonné avec du miel & du piment ; aux herbes des champs qui n’étoient pas trop dures ou qui n’avoient pas de mauvaiſe odeur.
Elle faiſoit uſage de quelques boiſſons qui ne pouvoient pas enivrer.
Pour les liqueurs fortes, elles étoient ſi rigoureuſement défendues, que pour en uſer il falloit la permiſſion du gouvernement.
On ne l’accordoit qu’aux vieillards & aux malades.
Seulement, dans quelques ſolemnités & dans les travaux publics, chacun en avoit une meſure proportionnée à l’âge.
L’ivrognerie étoit regardée comme le plus odieux des vices.
On raſoit publiquement ceux qui en étoient convaincus, & leur maiſon étoit abattue.
S’ils exerçoient quelque office public, ils en étoient dépouillés, & déclarés incapables de jamais poſſéder des charges.
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Celle des hommes riches, des nobles et des gens en place avait pour base, outre le produit des chasses et des pêches, les poules d’Inde, les canards et les lapins, les seuls animaux, avec de petits chiens, qu’on eût su apprivoiser dans ces contrées.
Mais les vivres de la multitude se réduisaient à du maïs, préparé de diverses manières ; à du cacao délayé dans l’eau chaude et assaisonné avec du miel et du piment ; aux herbes des champs qui n’étaient pas trop dures ou qui n’avaient pas de mauvaise odeur.
Elle faisait usage de quelques boissons qui ne pouvaient pas enivrer.
Pour les liqueurs fortes, elles étaient si rigoureusement défendues, que pour en user il fallait la permission du gouvernement.
On ne l’accordait qu’aux vieillards et aux malades ; seulement, dans quelques solennités et dans les travaux publics, chacun en avait une mesure proportionnée à l’âge : l’ivrognerie était regardée comme le plus odieux des vices ; on rasait publiquement ceux qui en étaient convaincus, et leur maison était abattue.
S’ils exerçaient quelque office public, ils en étaient dépouillés, et déclarés incapables de jamais posséder des charges.
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Les Mexicains étoient preſque généralement nus.
Leur corps étoit peint.
Des plumes ombrageoient leur tête.
Quelques oſſemens ou de petits ouvrages d’or, ſelon les rangs, pendoient à leur nez & à leurs oreilles.
Les femmes n’avoient pour tout vêtement qu’une eſpèce de chemiſe qui deſcendoit juſqu’aux genoux & qui étoit ouverte ſur la poitrine.
C’étoit dans l’arrangement de leurs cheveux que conſiſtoit leur parure principale.
Les perſonnes d’un ordre ſupérieur, l’empereur luimême n’étoient diſtingués du peuple que par une eſpèce de manteau, compoſé d’une pièce de coton quarrée, nouée ſur l’épaule droite.
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Les Mexicains étaient presque généralement nus.
Leur corps était peint ; des plumes ombrageaient leur tête.
Quelques ossemens ou de petits ouvrages d’or, selon les rangs, pendaient à leur nez et à leurs oreilles.
Les femmes n’avaient pour tout vêtement qu’une espèce de chemise qui descendait jusqu’aux genoux, et qui était ouverte sur la poitrine.
C’était dans l’arrangement de leurs cheveux que consistait leur parure principale.
Les personnes d’un ordre supérieur, l’empereur lui-même, n’étaient distingués du peuple que par une espèce de manteau, composé d’une pièce de coton carrée, nouée sur l’épaule droite.
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Le palais du prince & ceux des grands quoiqu’aſſez étendus & conſtruits de pierre, n’avoient ni commodités, ni élégance, ni même des fenêtres.
La multitude occupoit des cabanes bâties avec de la terre & couvertes de branches d’arbre.
Il lui étoit défendu de les élever au-deſſus du rez-de-chauſſée.
Pluſieurs familles étoient ſouvent entaſſées ſous le même toit.
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Le palais du prince et ceux des grands, quoique assez étendus et construits de pierre, n’avaient ni commodités, ni élégance, ni même des fenêtres.
La multitude occupait des cabanes bâties avec de la terre et couvertes de branches d’arbres.
Il lui était défendu de les élever au-dessus du rezde-chaussée.
Plusieurs familles étaient souvent entassées sous le même toit.
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L’ameublement étoit digne des habitations.
Dans la plupart, on ne trouvoit pour tapiſſerie que des nattes, pour lit que de la paille, pour ſiège qu’un tiſſu de feuilles de palmier, pour uſtenſiles que des vaſes de terre.
Des toiles & des tapis de coton, travaillés avec plus ou moins de ſoin & employés à divers uſages : c’étoit ce qui diſtinguoit principalement les maiſons riches de celles des gens du commun.
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L’ameublement était digne des habitations.
Dans la plupart on ne trouvait pour tapisserie que des nattes, pour lit que de la paille, pour siége qu’un tissu de feuilles de palmier, pour ustensiles que des vases de terre.
Des toiles et des tapis de coton, travaillés avec plus ou moins de soin et employés à divers usages, c’était ce qui distinguait principalement les maisons riches de celles des gens du commun.
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Si les arts de néceſſité première étoient ſi imparfaits au Mexique, il en faut conclure que ceux d’agrément l’étoient encore plus.
La forme & l’exécution du peu de vaſes & de bijoux d’or ou d’argent qui ſont venus juſqu’à nous : tout eſt également barbare.
C’eſt la même groſſiéreté dans ces tableaux dont les premiers Eſpagnols parlèrent avec tant d’admiration, & qu’on compoſoit avec des plumes de toutes les couleurs.
Ces peintures n’exiſtent plus ou ſont du moins très-rares : mais elles ont été gravées.
L’artiſte eſt infiniment au-deſſous de ſon ſujet, ſoit qu’il repréſente des plantes, des animaux ou des hommes.
Il n’y a ni lumière, ni ombre, ni deſſin, ni vérité dans ſon ouvrage.
L’architecture n’avoit pas fait de plus grands progrès.
On ne retrouve dans toute l’étendue de l’empire aucun ancien monument qui ait de la majeſté, ni même des ruines qui rappellent le ſouvenir d’une grandeur paſſée.
Jamais le Mexique ne put ſe glorifier que des chauſſées qui conduiſoient à ſa capitale, que des acqueducs qui y amenoient de l’eau potable d’une diſtance fort conſidérable.
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Si les arts de nécessité première étaient si imparfaits aux Mexique, il en faut conclure que ceux d’agrément l’étaient encore plus.
La forme et l’exécution du peu de vases et de bijoux d’or ou d’argent qui sont venus jusqu’à nous, tout est également barbare.
C’est la même grossièreté dans ces tableaux dont les premiers Espagnols parlèrent avec tant d’admiration, et qu’on composait avec des plumes de toutes les couleurs.
Ces peintures n’existent plus, ou sont du moins très-rares ; mais elles ont été gravées.
L’artiste est infiniment au-dessous de son sujet, soit qu’il représente des plantes, des animaux ou des hommes.
Il n’y a ni lumière, ni ombre, ni dessin, ni vérité dans son ouvrage.
L’architecture n’avait pas fait de plus grands progrès.
On ne retrouve dans toute l’étendue de l’empire aucun ancien monument qui ait de la majesté, ni même des ruines qui rappellent le souvenir d’une grandeur passée.
Jamais le Mexique ne put se glorifier que des chaussées qui conduisaient à sa capitale, que des aquéducs qui y amenaient de l’eau potable d’une distance fort considérable.
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On étoit encore plus reculé dans les ſciences que dans les arts ; & c’étoit une ſuite naturelle de la marche ordinaire de l’eſprit humain.
Il n’étoit guère poſſible qu’un peuple dont la civiliſation n’étoit pas ancienne & qui n’avoit pu recevoir aucune inſtruction de ſes voiſins, eût des connoiſſances un peu étendues.
Tout ce qu’on pourroit conclure de ſes inſtitutions religieuſes & politiques, c’eſt qu’il avoit fait quelques pas dans l’aſtronomie.
Combien même il lui auroit fallu de ſiècles pour s’éclairer, puiſqu’il étoit privé du ſecours de l’écriture, puiſqu’il étoit encore très-éloigné de ce moyen puiſſant & peut-être unique de lumière, par l’imperfection de ces hiéroglyphes !
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On était encore plus reculé dans les sciences que dans les arts ; et c’était une suite naturelle de la marche ordinaire de l’esprit humain.
Il n’était guère possible qu’un peuple dont la civilisation n’était pas ancienne, et qui n’avait pu recevoir aucune instruction de ses voisins, eût des connaissances un peu étendues.
Tout ce qu’on pourrait conclure de ses institutions religieuses et politiques, c’est qu’il avait fait quelques pas dans l’astronomie.
Combien même il lui aurait fallu de siècles pour s’éclairer, puisqu’il était privé du secours de l’écriture, puisqu’il était encore trèséloigné de ce moyen puissant et peut-être unique de lumière, par l’imperfection de ses hiéroglyphes !
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C’étoient des tableaux tracés ſur des écorces d’arbre, ſur des peaux de bête fauve, ſur des toiles de coton, & deſtinés à conſerver le ſouvenir des loix, des dogmes, des révolutions de l’empire.
Le nombre, la couleur, l’attitude des figures : tout varioit ſelon les objets qu’il s’agiſſoit d’exprimer.
Quoique ces ſignes imparfaits ne duſſent pas avoir ce grand caractère qui exclut tout doute raiſonnable, on peut penſer qu’aidés par des traditions de corps & de famille ; ils donnoient quelque connoiſſance des événemens paſſés.
L’indifférence des conquérans pour tout ce qui n’avoit pas trait à une avidité inſatiable leur fit négliger la clef de ces dépôts importans.
Bientôt leurs moines les regardèrent comme des monumens d’idolâtrie ; & le premier évêque de Mexico, Zummaraga, condamna aux flammes tout ce qu’on en put raſſembler.
Le peu qui échappa de ce fanatique incendie & qui s’eſt conſervé ſous l’un & l’autre hémiſphère, n’a pas diſſipé depuis les ténèbres où la négligence des premiers Eſpagnols nous avoit plongés.
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C’étaient des tableaux tracés sur des écorces d’arbres, sur des peaux de bêtes fauves, sur des toiles de coton, et destinés à, conserver le souvenir des lois, des dogmes, des révolutions de l’empire.
Le nombre, la couleur, l’attitude des figures, tout variait selon les objets qu’il s’agissait d’exprimer.
Quoique ces signes imparfaits ne dussent pas avoir ce grand caractère qui exclut tout doute raisonnable, on peut penser qu’aidés par des traditions de corps et de famille, ils donnaient quelque connaissance des événemens passés.
L’indifférence des conquérans pour tout ce qui n’avait pas trait à une avidité insatiable leur fit négliger la clef de ces dépôts importans.
Bientôt leurs moines les regardèrent comme des monumens d’idolâtrie ; et le premier évêque de Mexico, Zummaraga, condamna aux flammes tout ce qu’on en put rassembler.
Le peu qui s’échappa de ce fanatique incendie, et qui s’est conservé sous l’un et l’autre hémisphère, n’a pas dissipé depuis les ténèbres où la négligence des premiers Espagnols nous avait plongés.
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On ignore juſqu’à l’époque de la fondation de l’empire.
A la vérité, les hiſtoriens Caſtillans nous diſent qu’avant le dixième ſiècle ce vaſte eſpace n’étoit habité que par des hordes errantes & tout-à-fait ſauvages.
Ils nous diſent que vers cette époque, des tribus venues du Nord & du Nord-Oueſt, occupèrent quelques parties du territoire & y portèrent des mœurs plus douces.
Ils nous diſent que trois cens ans après, un peuple encore plus avancé dans la civiliſation & ſorti du voiſinage de la Californie s’établit ſur les bords des lacs & y bâtit Mexico.
Ils nous diſent que cette dernière nation, ſi ſupérieure aux autres, n’eut durant un aſſez long période, que des chefs plus ou moins habiles, qu’elle élevoit, qu’elle deſtituoit ſelon qu’elle le jugeoit convenable à ſes intérêts.
Ils nous diſent que l’autorité, juſqu’alors partagée & révocable, fut concentrée dans une ſeule main & devint inamovible, cent trente ou cent quatre-vingt dix-ſept ans, avant l’arrivée des Eſpagnols.
Ils nous diſent que les neuf monarques qui portèrent ſucceſſivement la couronne, donnèrent au domaine de l’état une extenſion qu’il n’avoit pas eue ſous l’ancien gouvernement.
Mais quelle foi peut-on raiſonnablement accorder à des annales confuſes, contradictoires & remplies des plus abſurdes fables qu’on ait jamais expoſées à la crédulité humaine ?
Pour croire qu’une ſociété dont la domination étoit ſi étendue, dont les inſtitutions étoient ſi multipliées, dont le rit étoit ſi régulier, avoit une origine auſſi moderne qu’on l’a publié, il faudroit d’autres témoignages que ceux des féroces ſoldats qui n’avoient ni le talent ni la volonté de rien examiner ; il faudroit d’autres garans que des prêtres fanatiques qui ne ſongeoient qu’à élever leur culte ſur la ruine des ſuperſtitions qu’ils trouvoient établies.
Que ſauroit-on de la Chine, ſi les Portugais avoient pu l’incendier, la bouleverſer ou la détruire comme le Bréſil ?
Parleroit-on aujourd’hui de l’antiquité de ſes livres, de ſes loix & de ſes mœurs ?
Quand on aura laiſſé pénétrer au Mexique quelques philoſophes pour y déterrer, pour y déchiffrer les ruines de ſon hiſtoire, que ces ſavans ne feront, ni des moines, ni des Eſpagnols, mais des Anglois, des François qui auront toute la liberté, tous les découvrir la vérité : peut-être alors la ſaurat-on, ſi la barbarie n’a pas détruit tous les monumens qui pouvoient en marquer la trace.
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On ignore jusqu’à l’époque de la fondation de l’empire.
A la vérité, les historiens castillans nous disent qu’avant le dixième siècle ce vaste espace n’était habité que par des hordes errantes et tout-à-fait sauvages.
Ils nous disent que vers cette époque des tribus, venues du nord et du nord-ouest, occupèrent quelques parties du territoire, et y portèrent des mœurs plus douces.
Ils nous disent que, trois cents ans après, un peuple encore plus avancé dans la civilisation, et sorti du voisinage de la Californie, s’établit sur les bords des lacs, et y bâtit Mexico.
Ils nous disent que cette dernière nation, si supérieure aux autres, n’eut, durant un assez long période, que des chefs plus ou moins habiles, qu’elle élevait, qu’elle destituait selon qu’elle le jugeait convenable à ses intérêts.
Ils nous disent que l’autorité, jusqu’alors partagée et révocable, fut concentrée dans une seule main, et devint inamovible cent trente ou cent quatre-vingt-dix-sept ans avant l’arrivée des Espagnols.
Ils nous disent que les neuf monarques qui portèrent successivement la couronne donnèrent au domaine de l’état une extension qu’il n’avait pas eue sous l’ancien gouvernement.
Mais quelle foi peut-on raisonnablement accorder à des annales confuses, contradictoires, et remplies des plus absurdes fables qu’on ait jamais exposées à la crédulité humaine ?
Pour croire qu’une société dont la domination était si étendue, dont les institutions étaient si multipliées, dont le rit était si régulier, avait une origine aussi moderne qu’on l’a publié, il faudrait d’autres témoignages que ceux des féroces soldats, qui n’avaient ni le talent ni la volonté de rien examiner ; il faudrait d’autres garans que des prêtres fanatiques, qui ne songeaient qu’à élever leur culte sur la ruine des superstitions qu’ils trouvaient établies.
Que saurait-on de la Chine, si les Portugais avaient pu l’incendier, la bouleverser ou la détruire comme le Brésil ?
Parlerait-on aujourd’hui de l’antiquité de ses livres, de ses lois et de ses mœurs ?
Quand on aura laissé pénétrer au Mexique quelques philosophes pour y déterrer, pour y déchiffrer les ruines de son histoire, que ces savans ne seront ni des moines, ni des Espagnols, mais des Anglais, des Français qui auront toute la liberté, tous les moyens de découvrir la vérité, peut-être alors la saura-t-on, si la barbarie n’a pas détruit tous les monumens qui pouvaient en marquer la trace.
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Ces recherches ne pourroient pas cependant conduire à une connoiſſance exacte de l’ancienne population de l’empire.
Elle étoit immenſe, diſent les conquérans.
Des habitans couvroient les campagnes ; les citoyens fourmilloient dans les villes ; les armées étoient très-nombreuſes.
Stupides relateurs, n’eſt-ce pas vous qui nous aſſurez que c’étoit un état naiſſant ; que des guerres opiniâtres l’agitoient ſans ceſſe ; qu’on maſſacroit ſur le champ de bataille ou qu’on ſacrifioit aux dieux dans les temples tous les priſonniers ; qu’à la mort de chaque empereur, de chaque cacique, de chaque grand, un nombre de victimes proportionné à leur dignité étoit immolé ſur leur tombe ; qu’un goût dépravé faiſoit généralement négliger les femmes ; que les mères nourriſſoient de leur propre lait leurs enfans durant quatre ou cinq années, & ceſſoient de bonne heure d’être fécondes ; que les peuples gémiſſoient par-tout & ſans relâche ſous les vexations du fiſc ; que des eaux corrompues, que de vaſtes forêts couvroient les provinces ; que les aventuriers Eſpagnols eurent plus à ſouffrir de la diſette que de la longueur des marches, que des traits de l’ennemi.
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Ces recherches ne pourraient pas cependant conduire à une connaissance exacte de l’ancienne population de l’empire.
Elle était immense, disent les conquérans.
Des habitans couvraient les campagnes ; les citoyens fourmillaient dans les villes ; les armées étaient très-nombreuses.
Stupides relateurs, n’est-ce pas vous qui nous assurez que c’était un état naissant ; que des guerres opiniâtres l’agitaient sans cesse ; qu’on massacrait sur le champ de bataille ou qu’on sacrifiait aux dieux dans les temples tous les prisonniers ; qu’à la mort de chaque empereur, de chaque cacique, de chaque grand, un nombre de victimes proportionné à leur dignité étaient immolées sur leur tombe ; qu’un goût dépravé faisait généralement négliger les femmes ; que les mères nourrissaient de leur propre lait leurs enfans durant quatre ou cinq années, et cessaient de bonne heure d’être fécondes ; que les peuples gémissaient partout et sans relâche sous les vexations du fisc ; que des eaux corrompues, que de vastes forêts couvraient les provinces ; que les aventuriers espagnols eurent plus à souffrir de la disette que de la longueur des marches, que des traits de l’ennemi ?
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Comment concilier des faits, certifiés par tant de témoins, avec cette exceſſive population ſi ſolemnellement atteſtée dans vos orgueilleuſes annales ?
Avant que la ſaine philoſophie eût fixé un regard attentif ſur vos étranges contradictions ; lorſque la haîne qu’on vous portoit faiſoit ajouter une foi entière à vos folles exagérations, l’univers, qui ne voyoit plus qu’un déſert dans le Mexique, étoit convaincu que vous aviez précipité au tombeau des générations innombrables.
Sans doute, vos farouches ſoldats ſe ſouillèrent trop ſouvent d’un ſang innocent ; ſans doute, vos fanatiques miſſionnaires ne s’oppoſèrent pas à ces barbaries comme ils le devoient ; ſans doute, une tyrannie inquiète, une avarice inſatiable enlevèrent à cette infortunée partie du Nouveau-Monde beaucoup de ſes foibles enfans : mais vos cruautés furent moindres que les hiſtoriens de vos ravages n’ont autoriſé les nations à le penſer.
Et c’eſt moi, moi que vous regardez comme le détracteur de votre caractère, qui même en vous accuſant d’ignorance & d’impoſture, deviens, autant qu’il ſe peut, votre apologiſte.
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Comment concilier des faits certifiés par tant de témoins, avec cette excessive population si solennellement attestée dans vos orgueilleuses annales ?
Avant que la saine philosophie eût fixé un regard attentif sur vos étranges contradictions, lorsque la haine qu’on vous portait faisait ajouter une foi entière à vos folles exagérations, l’univers, qui ne voyait plus qu’un désert dans le Mexique, était convaincu que vous aviez précipité au tombeau des générations innombrables.
Sans doute vos farouches soldats se souillèrent trop souvent d’un sang innocent ; sans doute vos fanatiques missionnaires ne s’opposèrent pas à ces barbaries comme ils le devaient ; sans doute une tyrannie inquiète, une avarice insatiable enlevèrent à cette infortunée partie du NouveauMonde beaucoup de ses faibles enfans ; mais vos cruautés furent moindres que les historiens de vos ravages n’ont autorisé les nations à le penser.
Et c’est moi, moi que vous regardez comme le détracteur de votre caractère, qui, même en vous accusant d’ignorance et d’imposture, deviens, autant qu’il se peut, votre apologiste.
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Aimeriez-vous mieux qu’on ſurfît le nombre de vos aſſaſſinats, que de dévoiler votre ſtupidité & vos contradictions ?
Ici, j’en atteſte le ciel, je ne me ſuis occupé qu’à vous laver du ſang dont vous paroiſſez glorieux d’être couverts ; & par-tout ailleurs où j’ai parlé de vous, que des moyens de rendre à votre nation ſa première ſplendeur & d’adoucir le ſort des peuples malheureux qui vous ſont ſoumis.
Si vous me découvrez quelque haîne ſecrete ou quelque vue d’intérêt, je m’abandonne à votre mépris.
Ai-je traité les autres dévaſtateurs du NouveauMonde, les François même mes compatriotes, avec plus de ménagement ?
Pourquoi donc êtes-vous les ſeuls que j’aie offenſés ?
C’eſt qu’il ne vous reſte que de l’orgueil.
Devenez puiſſans, vous deviendrez moins ombrageux ; & la vérité, qui vous fera rougir, ceſſera de vous irriter.
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Aimeriez-vous mieux qu’on surfît le nombre de vos assassinats que de dévoiler votre stupidité et vos contradictions ?
Ici, j’en atteste le ciel, je ne me suis occupé qu’à vous laver du sang dont vous paraissez glorieux d’être couverts, et partout ailleurs où j’ai parlé de vous, que des moyens de rendre à votre nation sa première splendeur, et d’adoucir le sort des peuples malheureux qui vous sont soumis.
Si vous me découvrez quelque haine secrète ou quelque vue d’intérêt, je m’abandonne à votre mépris.
Ai-je traité les autres dévastateurs du Nouveau-Monde, les Français même, mes compatriotes, avec plus de ménagement ?
Pourquoi donc êtes-vous les seuls que j’aie offensés ?
C’est qu’il ne vous reste que de l’orgueil.
Devenez puissans, vous deviendrez moins ombrageux ; et la vérité, qui vous fera rougir, cessera de vous irriter.
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Quelle que fût la population du Mexique, la priſe de la capitale entraîna la ſoumiſſion de l’état entier.
Il n’étoit pas auſſi étendu qu’on le croit communément.
Sur la mer du Sud, l’Empire ne commençoit qu’à Nicaragua & ſe terminoit à Acapulco : encore une partie des côtes qui baignent cet océan n’avoit-elle jamais été ſubjuguée.
Sur la mer du Nord, rien preſque ne le coupoit depuis la rivière de Tabaſco juſqu’à celle de Panuco : mais dans l’intérieur des terres, Tlaſcala, Tepeaca, Mechoacan, Chiapa, quelques autres diſtricts moins conſidérables, avoient conſervé leur indépendance.
La liberté leur fut ravie, en moins d’une année, par le conquérant auquel il ſuffiſoit d’envoyer dix, quinze, vingt chevaux pour n’éprouver aucune réſiſtance ; & avant la fin de 1522, les provinces qui avoient repouſſé les loix des Mexicains & rendu la communication de leurs poſſeſſions difficile ou impraticable, firent toutes partie de la domination Eſpagnole.
Avec le tems, elle reçut encore des accroiſſemens immenſes du côté du Nord.
Ils auroient même été plus conſidérables, ſur-tout plus utiles, ſans les barbaries incroyables qui les accompagnoient ou qui les ſuivoient.
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Quelle que fût la population du Mexique, la prise de la capitale entraîna la soumission de l’état entier.
Il n’était pas aussi étendu qu’on le croit communément.
Sur la mer du Sud, l’empire ne commençait qu’à Nicaragua, et se terminait à Acapulco : encore une partie des côtes qui baignent cet océan n’avait-elle jamais été subjuguée.
Sur la mer du Nord, rien presque ne le coupait depuis la rivière de Tabasco jusqu’à celle de Panuco ; mais, dans l’intérieur des terres, Tlascala, Tepeaca, Mechoacan, Chiapa, quelques autres districts moins considérables avaient conservé leur indépendance.
La liberté leur fut ravie, en moins d’une année, par le conquérant auquel il suffisait d’envoyer dix, quinze, vingt chevaux pour n’éprouver aucune résistance ; et avant la fin de 1522, les provinces qui avaient repoussé les lois des Mexicains, et rendu la communication de leurs possessions difficile ou impraticable, firent toute partie de la domination espagnole.
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A peine les Caſtillans ſe virent-ils les maîtres du Mexique, qu’ils s’en partagèrent les meilleures terres, qu’ils réduiſirent en ſervitude le peuple qui les avoit défrichées, qu’ils le condamnèrent à des travaux que ſa conſtitution phyſique, que ſes habitudes ne comportoient pas.
Cette oppreſſion générale excita de grands ſoulevemens.
Il n’y eut point de concert, il n’y eut point de chef il n’y eut point de plan ; & ce fut le déſeſpoir ſeul qui produiſit cette grande exploſion.
Le ſort voulut qu’elle tournât contre les trop malheureux Indiens.
Un conquérant irrité, le fer & la flamme à la main, ſe porta avec la rapidité de l’éclair d’une extrémité de l’empire à l’autre, & laiſſa par-tout des traces d’une vengeance éclatante dont les détails feroient frémir les ames les plus ſanguinaires.
Il y eut une barbare émulation entre l’officier & le ſoldat à qui immoleroit le plus de victimes ; & le général lui-même ſurpaſſa peut-être en férocité ſes troupes & ſes lieutenans.
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Combien il eût été aisé, combien il eût été glorieux, combien il eût été utile aux nouveaux souverains de faire bénir leur domination !
Mais ces redoutables aventuriers ne se virent pas plus tôt les maîtres de la vaste région que la fortune leur avait donnée, qu’ils s’en partagèrent les meilleures terres, qu’ils réduisirent en servitude le peuple qui les avait défrichées, qu’ils le condamnèrent à des travaux que sa constitution physique, que ses habitudes ne comportaient pas.
Cette oppression générale excita de grands soulèvemens.
Il n’y eut point de concert, il n’y eut point de chef, il n’y eut point de plan ; et ce fut le désespoir seul qui produisit cette grande explosion.
Le sort voulut qu’elle tournât contre les trop malheureux Indiens.
Un tyran irrité, le fer et la flamme à la main, se porta avec la rapidité de l’éclair d’une extrémité de l’empire à l’autre, et laissa partout des traces d’une vengeance éclatante, dont le souvenir durera éternellement.
Il y eut une barbare émulation, entre l’officier et le soldat, à qui immolerait le plus de victimes ; et le général lui-même fut peut-être de tous le plus coupable.
Ce fut de son aveu ou par ses ordres que soixante caciques, que quatre cents nobles furent brûlés vifs le même jour dans une seule province.
On poussa même la barbarie jusqu’à forcer les proches et les enfans de ces malheureux d’assister à cette épouvantable tragédie.
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Cependant, Cortès ne recueillit pas de tant d’inhumanités le fruit qu’il s’en pouvoit promettre.
Il commençoit à entrer dans la politique de la cour de Madrid de ne pas laiſſer à ceux de ſes ſujets qui s’étoient ſignalés par quelque importante découverte le tems de s’affermir dans leur domination, dans la crainte bien ou mal fondée qu’ils ne ſongeâſſent à ſe rendre indépendans de la couronne.
Si le conquérant du Mexique ne donna pas lieu à ce ſyſtême, du moins en fut-il une des premières victimes.
On diminuoit chaque jour les pouvoirs illimités dont il avoit joui d’abord ; & avec le tems on les réduiſit à ſi peu de choſe, qu’il crut devoir préférer une condition privée aux vaines apparences d’une autorité qu’accompagnoient les plus grands d’égoûts.
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Cependant Cortez ne recueillit pas de tant d’inhumanités le fruit qu’il s’en pouvait promettre.
Il commençait à entrer dans la politique de la cour de Madrid de ne pas laisser à ceux de ses sujets qui s’étaient signalés par quelque importante découverte le temps de s’affermir dans leur domination, dans la crainte bien ou mal fondée qu’ils ne songeassent à se rendre indépendans.
Si le conquérant du Mexique ne donna pas lieu à ce système, du moins en fut-il une des premières victimes.
On diminuait chaque jour les pouvoirs illimités dont il avait joui d’abord ; et avec le temps on les réduisit à si peu de chose, qu’il crut devoir préférer une condition privée aux vaines apparences d’une autorité qu’accompagnaient les plus grands dégoûts.
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Cet Eſpagnol fut deſpote & cruel.
Ses ſuccès ſont flétris par l’injuſtice de ſes projets.
C’eſt un aſſaſſin couvert de ſang innocent : mais ſes vices ſont de ſon tems ou de ſa nation, & ſes vertus ſont à lui.
Placez cet homme chez les peuples anciens.
Donnez-lui une autre patrie, une autre éducation, un autre eſprit, d’autres mœurs, une autre religion.
Mettez-le à la tête de la flotte qui s’avança contre Xerxès.
Comptez-le parmi les Spartiates qui ſe préſentèrent au détroit des Thermopiles, ou ſuppoſez-le parmi ces généreux Bataves qui s’affranchirent de la tyrannie de ſes compatriotes, & Cortès ſera un grand homme.
Ses qualités ſeront héroïques, ſa mémoire ſera ſans reproche.
Céſar né dans le quinzième ſiècle & général au Mexique eût été plus méchant que Cortès.
Pour excuſer les fautes qui lui ont été reprochées, il faut ſe demander à ſoi-même ce qu’on peut attendre de mieux d’un homme qui fait les premiers pas dans des régions inconnues & qui eſt preſſé de pourvoir à ſa ſûreté.
Il ſeroit bien injuſte de le confondre avec le fondateur paiſible qui connoît la contrée & qui diſpoſe à ſon gré des moyens, de l’eſpace & du tems.
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Cet Espagnol fut despote et cruel.
Ses succès sont flétris par l’injustice de ses projets.
C’est un assassin couvert de sang innocent : mais ses vices sont de son temps ou de sa nation, et ses vertus sont à lui.
Placez cet homme chez les peuples anciens ; donnez-lui une autre patrie, une autre éducation, un autre esprit, d’autres mœurs, une autre religion ; mettez-le à la tête de la flotte qui s’avança contre Xerxès ; comptez-le parmi les Spartiates qui se présentèrent au détroit des Thermopyles, ou supposez-le parmi ces généreux Bataves qui s’affranchirent de la tyrannie de ses compatriotes, et Cortez sera un grand homme.
Ses qualités seront héroïques, sa mémoire sera sans reproche.
César, né dans le quinzième siècle et général au Mexique, eût été plus méchant que Cortez.
Pour excuser les fautes qui lui ont été reprochées, il faut se demander à soi-même ce qu’on peut attendre de mieux d’un homme qui fait les premiers pas dans des régions inconnues, et qui est pressé de pourvoir à sa sûreté.
Il serait bien injuste de le confondre avec le fondateur paisible qui connaît la contrée et qui dispose à son gré des moyens, de l’espace et du temps.
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Depuis que le Mexique eut ſubi le joug des Caſtillans, cette vaſte contrée ne fut plus expoſée à l’invaſion.
Aucun ennemi voiſin ou éloigné ne ravagea ſes provinces.
La paix dont elle jouiſſoit ne fut extérieurement troublée que par des pirates.
Dans la mer du Sud, les entrepriſes de ces brigands ſe bornèrent à la priſe d’un petit nombre de vaiſſeaux : mais au Nord, ils pillèrent une fois Campeche, deux fois Vera-Crux, & ſouvent ils portèrent la déſolation ſur des côtes moins connues, moins riches & moins défendues.
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Depuis que le Mexique eut subi le joug des Castillans, cette vaste contrée ne fut plus exposée à l’invasion.
Aucun ennemi voisin ou éloigné ne ravagea ses provinces.
La paix dont elle jouissait ne fut extérieurement troublée que par des pirates.
Dans la mer du Sud, les entreprises de ces brigands se bornèrent à la prise d’un petit nombre de vaisseaux : mais au nord ils pillèrent une fois Campèche, deux fois Véra-Cruz, et souvent ils portèrent la désolation sur des côtes moins connues, moins riches et moins défendues.
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Pendant que la navigation & les rivages de cette opulente région ſont en proie aux corſaires & aux eſcadres des nations révoltées de l’ambition de l’Eſpagne, ou ſeulement jalouſes de ſa ſupériorité, les Chichemecas troublent l’intérieur de l’empire.
C’étoient, ſi l’on en croit Herrera & Torquemada, les peuples qui occupoient les meilleures plaines de la contrée avant l’arrivée des Mexicains.
Pour éviter les fers que leur préparoit le conquérant, ils ſe réfugièrent dans des cavernes & dans des montagnes où s’accrut leur férocité naturelle & où ils menoient une vie entiérement animale.
La nouvelle révolution qui venoit de changer l’état de leur ancienne patrie ne les diſpoſa pas à des mœurs plus douces ; & ce qu’ils virent ou qu’ils apprirent du caractère Eſpagnol leur inſpira une haîne implacable contre une nation ſi fière & ſi oppreſſive.
Cette paſſion, toujours terrible dans des ſauvages, ſe manifeſta par les ravages qu’ils portèrent dans tous les établiſſemens qu’on formoit à leur voiſinage, par les cruautés qu’ils exerçoient ſur ceux qui entreprenoient d’y ouvrir des mines.
Inutilement, pour les contenir ou les réprimer, il fut établi des forts & des garniſons ſur la frontière, leur rage ne diſcontinua pas juſqu’en 1592.
A cette époque, le capitaine Caldena leur perſuada de mettre fin aux hoſtilités.
Dans la vue de rendre durables ces ſentimens pacifiques, le gouvernement leur fit bâtir des habitations, les raſſembla dans pluſieurs bourgades, & envoya au milieu d’eux quatre cens familles Tlaſcaltèques dont l’emploi devoit être de former à quelques arts, à quelques cultures un peuple qui juſqu’alors n’avoit été couvert que de peaux n’avoit vécu que de chaſſe ou des productions ſpontanées de la nature.
Ces meſures, quoique ſages, ne réuſſirent que tard.
Les Chichemecas ſe refuſèrent long-tems à l’inſtruction qu’on avoit entrepris de leur donner, repouſſèrent même toute liaiſon avec des inſtituteurs bienfaiſans & Américains.
Ce ne fut qu’en 1608 que l’Eſpagne fut déchargée du ſoin de les habiller & de les nourrir.
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Pendant que la navigation et les rivages de cette opulente région sont en proie aux corsaires et aux escadres des nations révoltées de l’ambition de l’Espagne, ou seulement jalouses de sa supériorité, les Chichemecas troublent l’intérieur de l’empire.
C’étaient, si l’on en croit Herréra, les peuples qui occupaient les meilleures plaines de la contrée avant l’arrivée des Mexicains.
Pour éviter les fers que leur préparait le conquérant, ils se réfugièrent dans des cavernes et dans des montagnes, où s’accrut leur férocité naturelle, et où ils menaient une vie entièrement animale.
La nouvelle révolution qui venait de changer l’état de leur ancienne patrie ne les disposa pas à des mœurs plus douces ; et ce qu’ils virent ou qu’ils apprirent du caractère espagnol leur inspira une haine implacable contre une nation si fière et si oppressive.
Cette passion, toujours terrible dans des sauvages, se manifesta par les ravages qu’ils portèrent dans tous les établissemens qu’on formait à leur voisinage, par les cruautés qu’ils exerçaient sur ceux qui entreprenaient d’y ouvrir des mines.
Inutilement, pour les contenir ou les réprimer, il fut établi des forts et des garnisons sur la frontière ; leur rage ne discontinua pas jusqu’en 1592.
A cette époque le capitaine Caldena leur persuada de mettre fin aux hostilités.
Dans la vue de rendre durables ces sentimens pacifiques, le gouvernement leur fit bâtir des habitations, les .
rassembla dans plusieurs bourgades, et envoya de Tlascala au milieu d’eux quatre cents familles, dont l’emploi devait être de former à quelques arts, à quelques cultures un peuple qui jusqu’alors n’avait été couvert que de peaux, n’avait vécu que de chasse ou des productions spontanées de la nature.
Ces mesures, quoique sages, ne réussirent que tard.
Les Chichemecas se refusèrent long-temps à l’instruction qu’on avait entrepris de leur donner, repoussèrent même toute liaison avec des instituteurs bienfaisans et américains.
Ce ne fut qu’en 1608 que l’Espagne fut déchargée du soin de les habiller et de les nourrir.
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Dans la première année du dix-septième siècle, plusieurs tribus de Guadalajara, qui sollicitaient vainement depuis long-temps quelque adoucissement à leur sort trop infortuné, prirent enfin la résolution de massacrer tous les Espagnols répandus sur leur territoire.
Le carnage allait commencer lorsque l’évêque de la capitale, Alfonse de la Mota, envoya aux mécontens des agens de confiance pour les assurer que leurs griefs seraient redressés, et, pour gage de sa parole, leur fit remettre quelques marques de sa dignité.
Au nom d’un prélat généralement révéré, les Indiens s’arrêtèrent, et, après une courte délibération, lui firent dire que dans la lune suivante ils l’instruiraient de leurs intentions.
C’était chez ces peuples un ancien usage de mettre dans les affaires importantes un mois d’intervalle entre la résolution et l’exécution.
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Le hasard voulut que dans ces circonstances arrivât dans ce pays un corps de troupes castillanes qui parcourait les provinces pour les contenir ou les faire rentrer dans l’ordre.
Instruits ou non de ce qui s’était passé, ces soldats féroces dirigèrent leur marche sur des hommes qu’ils croyaient ou feignaient de croire révoltés.
Ceuxci, pensant qu’on les trahissait, reprirent les armes qu’ils avaient quittées, et allaient eux-mêmes commencer les hostilités, si un de leurs chefs ne leur eût adressé ces paroles : « N’avons-nous pas la mitre de notre pasteur et de celui de nos oppresseurs ? Faisons-en notre étendard. S’ils respectent autant que nous cette enseigne, le sang ne sera pas versé. S’ils la dédaignent, le ciel sera pour nous, et la victoire nous est assurée. »
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Sur cette promesse, l’armée indienne se mit en mouvement, aussi éloignée de laisser paraître de la crainte que de montrer un air menaçant.
Le général Espagnol n’eut pas plus tôt aperçu la mitre, qu’il descendit de cheval, se prosterna devant elle, et la baisa respectueusement.
Les siens, tous les siens sans exception, suivirent son exemple.
La concorde entre les deux nations fut rétablie par la médiation du pontife ; et l’audience royale elle-même donna sa sanction à tout ce qui avait été arrêté.
Des fêtes religieuses trèsmultipliées et très-solennelles suivirent un accommodement regardé comme l’ouvrage de la religion.
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Dix-huit ans après, Mexico voit ſe heurter avec le plus grand éclat la puiſſance civile & la puiſſance eccléſiaſtique.
Un homme convaincu de mille crimes cherche au pied des autels l’impunité de tous ſes forfaits.
Le vice-roi Gelves l’en fait arracher.
Cet acte d’une juſtice néceſſaire paſſe pour un attentat contre la divinité même.
La foudre de l’excommunication eſt lancée.
Le peuple ſe ſoulève.
Le clergé ſéculier & régulier prend les armes.
On brûle le palais du commandant ; on enfonce le poignard dans le ſein de ſes gardes, de ſes amis, de ſes partiſans.
Lui-même il eſt mis aux fers & embarqué pour l’Europe avec ſoixante-dix gentilshommes qui n’ont pas craint d’embraſſer ſes intérêts.
L’archevêque, auteur de tant de calamités & dont la vengeance n’eſt pas encore aſſouvie, ſuit ſa victime avec le deſir & l’eſpoir de l’immoler.
Après avoir quelque tems balancé, la cour ſe décide enfin pour le fanatiſme.
Le défenſeur des droits du trône & de l’ordre eſt condamné à un oubli entier ; & ſon ſucceſſeur autoriſé à conſacrer ſolemnellement toutes les entrepriſes de la ſuperſtition, & plus particuliérement la ſuperſtition des aſyles.
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Seize ans après Mexico, voit se heurter avec le plus grand éclat la puissance civile et la puissance ecclésiastique.
Un homme convaincu de mille crimes cherche au pied des autels l’impunité de tous ses forfaits.
Le vice-roi Gelves l’en fait arracher.
Cet acte d’une justice nécessaire passe pour un attentat contre la Divinité même.
La foudre de l’excommunication est lancée.
Le peuple se soulève.
Le clergé séculier et régulier prend les armes.
On brûle le palais du commandant ; on enfonce le poignard dans le sein de ses gardes, de ses amis, de ses partisans.
Lui-même il est mis aux fers et embarqué pour l’Europe avec soixante-dix gentilshommes qui n’ont pas craint d’embrasser ses intérêts.
L’archevêque, auteur de tant de calamités, et dont la vengeance n’est pas encore assouvie, suit sa victime avec le désir et l’espoir de l’immoler.
Après avoir quelque temps balancé, la cour se décide enfin pour le fanatisme.
Le défenseur des droits du trône et de l’ordre est condamné à un oubli entier ; et son successeur autorisé à consacrer solennellement toutes les entreprises de la superstition, et plus particulièrement la superstition des asiles.
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Le mot aſyle, pris dans toute ſon étendue, pourroit ſignifier tout lieu, tout privilège, toute diſtinction qui garantit un coupable de l’exercice impartial de la juſtice.
Car qu’eſt-ce qu’un titre qui affoiblit ou ſuſpend l’autorité de la loi ?
un aſyle.
Qu’eſt-ce que la priſon qui dérobe le criminel à la priſon commune de tous les malfaiteurs ?
un aſyle.
Qu’eſt-ce qu’une retraite où le créancier ne peut aller ſaiſir le débiteur frauduleux ?
un aſyle.
Qu’eſt-ce que l’enceinte où l’on peut exercer ſans titre toutes les fonctions de la ſociété, & cela dans une contrée où le reſte des citoyens n’en obtient le droit qu’à prix d’argent ?
un aſyle.
Qu’eſt-ce qu’un tribunal auquel on peut appeller d’une ſentence définitive prononcée par un autre tribunal cenſé le dernier de la loi ?
un aſyle.
Qu’eſt-ce qu’un privilège excluſif, pour quelque motif qu’il ait été ſollicité & obtenu ?
un aſyle.
Dans un empire où les citoyens partageant inégalement les avantages de la ſociété n’en partagent pas les fardeaux proportionnellement à ces avantages, qu’eſt-ce que les diverſes diſtinctions qui ſoulagent les uns aux dépens des autres ?
des aſyles.
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Le mot asile, pris dans toute son étendue, pourrait signifier tout lieu, tout privilége, toute distinction qui garantit un coupable de l’exercice impartial de la justice.
Car qu’est-ce qu’un titre qui affaiblit ou suspend l’autorité de la loi ?
un asile.
Qu’est-ce que la prison qui dérobe le criminel à la prison commune de tous les malfaiteurs ?
un asile.
Qu’est-ce qu’une retraite où le créancier ne peut aller saisir le débiteur frauduleux ?
un asile.
Qu’est-ce que l’enceinte où l’on peut exercer sans titre toutes les fonctions de la société, et cela dans une contrée où le reste des citoyens n’en obtient le droit qu’à prix d’argent ?
un asile.
Qu’est-ce qu’un tribunal auquel on peut appeler d’une sentence définitive prononcée par un autre tribunal censé le dernier de la loi ?
un asile.
Qu’est-ce qu’un privilége exclusif, pour quelque motif qu’il ait été sollicité et obtenu ?
un asile.
Dans un empire où les citoyens, partageant inégalement les avantages de la société, n’en partagent pas les fardeaux proportionnellement à ces avantages, qu’est-ce que les diverses distinctions qui soulagent les uns aux dépens des autres ?
des asiles.
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On connoît l’aſyle du tyran, l’aſyle du prêtre, l’aſyle du miniſtre, l’aſyle du noble, l’aſyle du traitant, l’aſyle du commerçant.
Je nommerois preſque toutes les conditions de la ſociété.
Quelle eſt en effet celle qui n’a pas un abri en faveur d’un certain nombre de malverſations qu’elle peut commettre avec impunité ?
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On connaît l’asile du tyran, l’asile du prêtre, l’asile du ministre, l’asile du noble, l’asile du traitant, l’asile du commerçant.
Je nommerais presque toutes les conditions de la société.
Quelle est en effet celle qui n’a pas un abri en faveur d’un certain nombre de malversations qu’elle peut commettre avec impunité ?
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Cependant les plus dangereux des aſyles ne ſont pas ceux où l’on ſe ſauve, mais ceux que l’on porte avec ſoi, qui ſuivent le cou- & qui l’entourent, qui lui ſervent de bouclier & qui forment entre lui & moi une enceinte au centre de laquelle il eſt placé, & d’où il peut m’inſulter ſans que le châtiment puiſſe l’atteindre.
Tels ſont l’habit & le caractère eccléſiaſtiques.
L’un & l’autre étoient autrefois une ſorte d’aſyle où l’impunité des forfaits les plus criants étoit preſqu’aſſurée .
Ce privilège eſt-il bien éteint ?
J’ai vu ſouvent conduire des moines & des prêtres dans les priſons : mais je n’en ai preſque jamais vu ſortir pour aller au lieu public des exécutions.
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Cependant les plus dangereux des asiles ne sont pas ceux où l’on se sauve, mais ceux que l’on porte avec soi, qui suivent le coupable et qui l’entourent, qui lui servent de bouclier, et qui forment entre lui et moi une enceinte au centre de laquelle il est placé, et d’où il peut m’insulter sans que le châtiment puisse l’atteindre.
Tels sont l’habit et le caractère ecclésiastiques.
L’un et l’autre étaient autrefois une sorte d’asile où l’impunité des forfaits les plus crians était presque assurée.
Ce privilége est-il bien éteint ?
J’ai vu souvent conduire des moines et des prêtres dans les prisons ; mais je n’en ai presque jamais vu sortir pour aller au lieu public des exécutions.
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Eh quoi ! parce qu’un homme par ſon état eſt obligé à des mœurs plus ſaintes, il obtiendra des ménagemens, une commiſération qu’on refuſera au coupable qui n’eſt pas lié par la même obligation...
Mais le reſpect dû à ſes fonctions, à ſon vêtement, à ſon caractère ?
...
Mais la juſtice due également & ſans diſtinction à tous les citoyens ...
Si le glaive de la loi ne ſe promène pas indifféremment par-tout ; s’il vacille, s’il s’élève ou s’abaiſſe ſelon la tête qu’il rencontre ſur ſon paſſage, la ſociété eſt mal ordonnée.
Alors il exiſte, ſous un autre nom, ſous une autre forme, un privilège déteſtable, un abri interdit aux uns & réſervé aux autres.
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Eh quoi ! parce qu’un homme par son état est obligé à des mœurs plus saintes, il obtiendra des ménagemens, une commisération qu’on refusera au coupable qui n’est pas lié par la même obligation.
....
Mais le respect dû à ses fonctions, à son vêtement, à son caractère ?
...
Mais la justice due également et sans distinction à tous les citoyens...
Si le glaive de la loi ne se promène pas indifféremment partout ; s’il vacille, s’il s’élève ou s’abaisse selon la tête qu’il rencontre sur son passage, la société est mal ordonnée.
Alors il existe sous un autre nom, sous une autre forme, un privilége détestable, un abri interdit aux uns et réservé aux autres.
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Mais ces aſyles, quoique généralement contraires à la proſpérité des ſociétés, ne fixeront pas ici notre attention.
Il s’agira uniquement de ceux qu’ont offert, qu’offrent encore aujourd’hui les temples dans pluſieurs parties du globe.
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Mais ces asiles, quoique généralement contraires à la prospérité des sociétés, ne fixeront pas ici notre attention.
Il s’agira uniquement de ceux qu’ont offerts, qu’offrent encore aujourd’hui les temples dans plusieurs parties du globe.
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Ces refuges furent connus des anciens.
Dans la Grèce encore à demi-barbare, on penſa que la tyrannie ne pouvoit être réfrénée que par la religion.
Les ſtatues d’Hercule, de Theſée, de Pirithoüs parurent propres à inſpirer de la terreur aux ſcélérats, lorſqu’ils n’eurent plus à redouter leurs maſſues.
Mais auſſi-tôt que l’aſyle inſtitué en faveur de l’innocence ne ſervit plus qu’au ſalut du coupable, aux intérêts & à la vanité des conſervateurs du privilège, ces retraites furent abolies.
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Ces refuges furent connus des anciens.
Dans la Grèce encore à demi-barbare, on pensa que la tyrannie ne pouvait être réfrénée que par la religion.
Les statues d’Hercule, de Thésée, de Pirithoüs, parurent propres à inspirer de la terreur aux scélérats, lorsqu’ils n’eurent plus à redouter leurs massues.
Mais aussitôt que l’asile institué en faveur de l’innocence ne servit plus qu’au salut du coupable, aux intérêts et à la vanité des conservateurs du privilége, ces retraites furent abolies.
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D’autres peuples, à l’imitation des Grecs, établirent des aſyles.
Mais le citoyen ne ſe jettoit dans le ſein des dieux que pour ſe ſouſtraire à la main armée qui le pourſuivoit.
Là, il invoquoit la loi ; il appelloit le peuple à ſon ſecours.
Ses concitoyens accouroient.
Le magiſtrat approchoit.
Il étoit interrogé.
S’il avoit abuſé de l’aſyle, il étoit doublement puni.
Il recevoit le châtiment & du forfait qu’il avoit commis, & de la profanation du lieu où il s’étoit ſauvé.
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D’autres peuples, à l’imitation des Grecs, établirent des asiles.
Mais le citoyen ne se jetait dans le sein des dieux que pour se soustraire à la main armée qui le poursuivait.
Là, il invoquait la loi, il appelait le peuple à son secours.
Ses concitoyens accouraient.
Le magistrat approchait ; il était interrogé.
S’il avait abusé de l’asile, il était doublement puni.
Il recevait le châtiment et du forfait qu’il avait commis, et de la profanation du lieu où il s’était sauvé.
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Romulus voulut peupler ſa ville, & il en fit un aſyle.
Quelques temples devinrent des aſyles ſous la république.
Après la mort de Céſar, les Triumvirs voulurent que ſa chappelle fût un aſyle.
Dans les ſiècles ſuivans, la baſſeſſe des peuples érigea ſouvent les ſtatues des tyrans en aſyles.
C’eſt de-là que l’eſclave inſultoit ſon maître.
C’eſt de-là que le perſécuteur du repos public ſoulevoit la canaille contre les gens de bien.
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Romulus voulut peupler sa ville, et il en fit un asile.
Quelques temples devinrent des asiles sous la république.
Après la mort de César, les triumvirs voulurent que sa chapelle fût un asile.
Dans les siècles suivans, la bassesse des peuples érigea souvent les statues des tyrans en asiles.
C’est de là que l’esclave insultait son maître.
C’est de là que le persécuteur du repos public soulevait la canaille contre les gens de bien.
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Cette horrible inſtitution de la barbarie & du paganiſme cauſoit des maux inexprimables, lorſque le chriſtianiſme, monté ſur le trône de l’empire ne rougit pas de l’adopter & même de l’étendre.
Bientôt, les ſuites de cette politique eccléſiaſtique ſe firent cruellement ſentir.
Les loix perdirent leur autorité.
L’ordre ſocial étoit interverti.
Alors le magiſtrat attaqua les aſyles avec courage ; le prêtre les défendit avec opiniâtreté.
Ce fut durant pluſieurs ſiècles, une guerre vive & pleine d’animoſité.
Le parti qui prévaloit ſous un règne ferme ſuccomboit ſous un prince ſuperſticieux.
Quelquefois cet aſyle étoit général, & quelquefois il étoit reſtreint.
Anéanti dans un tems, réintégré dans un autre.
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Cette horrible institution de la barbarie et du paganisme causait des maux inexprimables, lorsque le christianisme, monté sur le trône de l’empire, ne rougit pas de l’adopter, et même de l’étendre.
Bientôt les suites de cette politique ecclésiastique se firent cruellement sentir.
Les lois perdirent leur autorité.
L’ordre social était interverti.
Alors le magistrat attaqua les asiles avec courage ; le prêtre les défendit avec opiniâtreté.
Ce fut durant plusieurs siècles une guerre vive et pleine d’animosité.
Le parti qui prévalait sous un règne ferme succombait sous un prince superstitieux.
Quelquefois cet asile était général, et quelquefois il était restreint.
Anéanti dans un temps, réintégré dans un autre.
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Ce qui doit ſurprendre dans une inſtitution ſi viſiblement contraire à l’équité naturelle, à la loi civile, à la ſainteté de la religion, à l’eſprit de l’évangile, au bon ordre de la ſociété : c’eſt ſa durée ; c’eſt la diverſité des édits des empereurs, la contradiction des canons, l’entêtement de pluſieurs évêques ; c’eſt ſur-tout l’extravagance des juriſconſultes, ſur l’étendue de l’aſyle ſelon le titre des égliſes.
Si c’eſt une grande égliſe, l’aſyle aura tant de pieds de franchiſe hors de ſon enceinte ; ſi c’eſt une moindre égliſe, la franchiſe de l’enceinte ſera moins étendue ; moins encore ſi c’eſt une chapelle ; la même que l’égliſe ſoit conſacrée ou ne le ſoit pas.
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Ce qui doit surprendre dans une institution si visiblement contraire à l’équité naturelle, à la loi civile, à la sainteté de la religion, à l’esprit de l’Évangile, au bon ordre de la société, c’est sa durée ; c’est la diversité des édits des empereurs, la contradiction des canons, l’entêtement de plusieurs évêques ; c’est surtout l’extravagance des jurisconsultes sur l’étendue de l’asile selon le titre des églises.
Si c’est une grande église, l’asile aura tant de pieds de franchise hors de son enceinte ; si c’est une moindre église, la franchise de l’enceinte sera moins étendue ; moins encore si c’est une chapelle ; la même, que l’église soit consacrée ou ne le soit pas.
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Il eſt bien étrange que dans une longue ſuite de générations, pas un monarque, pas un eccléſiaſtique, pas un magiſtrat, pas un ſeul homme n’ait rappellé à ſes contemporains les beaux jours du chriſtianiſme.
Autrefois, auroit-il pu leur dire, autrefois le pécheur étoit arrêté pendant des années à la porte du temple où il exploit ſa faute expoſé aux injures de l’air, en préſence de tous les fidèles, de tous les citoyens.
L’entrée de l’égliſe ne lui étoit accordée que pas à pas.
Il n’approchoit du ſanctuaire qu’à meſure que ſa pénitence s’avançoit.
Et aujourd’hui un ſcélérat, un concuſſionnaire, un voleur, un aſſaſſin couvert de ſang ne trouve pas ſeulement les portes de nos temples ouvertes ; il y trouve encore protection, impunité, aliment & ſécurité.
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Il est bien étrange que, dans une longue suite de générations, pas un monarque, pas un ecclésiastique, pas un magistrat, pas un seul homme n’ait rappelé à ses contemporains les beaux jours du christianisme.
Autrefois, aurait-il pu leur dire, autrefois le pécheur était arrêté pendant des années à la porte du temple, où il expiait sa faute exposé aux injures de l’air, en présence de tous les fidèles, de tous les citoyens.
L’entrée de l’église ne lui était accordée que pas à pas.
Il n’approchait du sanctuaire qu’à mesure que sa pénitence s’avançait.
Et aujourd’hui un scélérat, un concussionnaire, un voleur, un assassin couvert de sang, ne trouve pas seulement les portes de nos temples ouvertes, il y trouve encore protection, impunité, aliment et sécurité.
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Mais ſi l’aſſaſſin avoit plongé le poignard dans le ſein d’un citoyen ſur les marches même de l’autel, que feriez-vous ?
Le lieu de la ſcène ſanglante deviendra-t-il ſon aſyle ?
Voilà certes un privilège bien commode pour les ſcélérats.
Pourquoi tueront-ils dans les rues, dans les maiſons, ſur les grands chemins où ils peuvent être ſaiſis ?
Que ne tuent-ils dans les égliſes ?
Jamais il n’y eut un exemple plus révoltant du mépris des loix & de l’ambition eccléſiaſtique que cette immunité des temples.
Il étoit reſervé à la ſuperſtition de rendre dans ce monde l’Etre ſuprême protecteur des mêmes crimes qu’il punit dans une autre vie par des peines éternelles.
On doit eſpérer que l’excès du mal fera ſentir la néceſſité du remède.
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Mais si l’assassin avait plongé le poignard dans le sein d’un citoyen sur les marches mêmes de l’autel, que feriez-vous ?
Le lieu de la scène sanglante deviendra-t-il son asile ?
Voilà, certes, un privilége bien commode pour les scélérats.
Pourquoi tueront-ils dans les rues, dans les maisons, sur les grands chemins, où ils peuvent être saisis ?
Que ne tuent-ils dans les églises ?
Jamais il n’y eut un exemple plus révoltant du mépris des lois et de l’ambition ecclésiastique que cette immunité des temples.
Il était réservé à la superstition de rendre dans ce monde l’Être suprême protecteur des mêmes crimes qu’il punit dans une autre vie par des peines éternelles.
On doit espérer que l’excès du mal fera sentir la nécessité du remède.
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Cette heureuſe révolution arrivera plus tard ailleurs qu’au Mexique, où les peuples ſont plongés dans une ignorance plus profonde encore que dans les autres régions ſoumiſes à la Caſtille.
En 1732, les élémens conjurés engloutirent une des plus riches flottes qui fuſſent jamais ſorties de cette opulente partie du Nouveau-Monde.
Le déſeſpoir fut univerſel dans les deux hémiſphères.
Chez un peuple plongé dans la ſuperſtition, tous les événemens ſont miraculeux ; & le courroux du ciel fut généralement regardé comme la cauſe unique d’un grand déſaſtre, que l’inexpérience du pilote & d’autres cauſes tout auſſi naturelles pouvoient fort bien avoir amené.
Un auto da fé parut le plus ſûr moyen de recouvrer les bontés divines ; & trentehuit malheureux périrent dans les flammes, victimes d’un aveuglement ſi déplorable.
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Cette heureuse révolution arrivera plus tard ailleurs qu’au Mexique, où les peuples sont plongés dans une ignorance plus profonde encore que dans les autres régions soumises à la Castille.
En 1632, les élémens conjurés engloutirent une des plus riches flottes qui fussent jamais sorties de cette opulente partie du Nouveau-Monde.
Le désespoir fut universel dans les deux hémisphères.
Chez un peuple plongé dans la superstition tous les événemens sont miraculeux ; et le courroux du ciel fut généralement regardé comme la cause unique d’un grand désastre, que l’inexpérience du pilote et d’autres causes tout aussi naturelles pouvaient fort bien avoir amené.
Un auto-da-fé parut le plus sûr moyen de recouvrer les bontés divines ; et trente-huit malheureux périrent dans les flammes, victimes d’un aveuglement si déplorable.
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Il me ſemble que j’aſſiſte à cette horrible expiation.
Je la vois, je m’écrie : “ Monſtres „ exécrables, arrêtez.
Quelle liaiſon y a-t-il „ entre le malheur que vous avez éprouvé „ & le crime imaginaire ou réel de ceux que „ vous détenez dans vos priſons ?
S’ils ont „ des opinions qui les rendent odieux aux „ yeux de l’Eternel, c’eſt à lui à lancer la „ foudre ſur leurs têtes ?
Il les a ſoufferts „ pendant un grand nombre d’années ; il les „ ſouffre, & vous les tourmentez.
Quand il „ auroit à les condamner à des peines ſans fin „ au jour terrible de ſa vengeance, eſt-ce à „ vous d’accélérer leurs ſupplices ?
Pourquoi „ leur ravir le moment d’une réſipiſcence „ qui les attend peut-être dans la caducité, „ dans le danger, dans la maladie ?
Mais, „ infâmes que vous êtes, prêtres diſſolus, „ moines impudiques, vos crimes ne ſuffi- „ ſoient-ils pas pour exciter le courroux du „ ciel ?
Corrigez-vous, proſternez-vous „ aux pieds des autels ; couvrez-vous de „ ſacs & de cendres ; implorez la miſéricorde „ d’en haut, au lieu de traîner ſur un bûcher „ des innocens dont la mort, loin d’effacer „ vos forfaits, en accroîtra le nombre de „ trente-huit autres qui ne vous ſeront ja- „ mais remis.
Pour appaiſer Dieu, vous „ brûlez des hommes !
Etes-vous des adora- „ teurs de Moloch ?
„ Mais ils ne m’entendent pas ; & les malheureuſes victimes de leur ſuperſtitieuſe barbarie ont été précipitées dans les flammes.
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Il me semble que j’assiste à cette horrible expiation.
Je la vois, je m’écrie : « Monstres exé- « crables, arrêtez ! Quelle liaison y a-t-il entre le « malheur que vous avez éprouvé et le crime « imaginaire ou réel de ceux que vous détenez « dans vos prisons ? S’ils ont des opinions qui « les rendent odieux aux yeux de l’Éternel, c’est « à lui à lancer la foudre sur leurs têtes. Il les « a soufferts pendant un grand nombre d’années ; « il les souffre, et vous les tourmentez. Quand « il aurait à les condamner à des peines sans fin « au jour terrible de sa vengeance, est-ce à vous « d’accélérer leurs supplices ? Pourquoi leur ravir « le moment d’une résipiscence qui les attend « peut-être dans la caducité, dans le danger, « dans la maladie ? Mais, infâmes que vous êtes, « prêtres dissolus, moines impudiques, vos cri- « mes ne suffisaient-ils pas pour exciter le cour- « roux du ciel ? Corrigez-vous, prosternez-vous « au pied des autels, couvrez-vous de sacs et « de cendres ; implorez la miséricorde d’en-haut « au lieu de traîner sur un bûcher des innocens « dont la mort, loin d’effacer vos forfaits, en « accroîtra le nombre de trente-huit autres qui « ne vous seront jamais remis. Pour apaiser « Dieu, vous brûlez des hommes ! Êtes-vous des « adorateurs de Moloch ? » Mais ils ne m’entendent pas ; et les malheureuses victimes de leur superstitieuse barbarie ont été précipitées dans les flammes.
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Une calamité d’un autre genre affligea peu après le nouveau Mexique.
C’est une région immense, bornée au sud par la Nouvelle-Espagne, au septentrion par des déserts inconnus, à l’ouest par la mer Vermeille, à l’est par la Louisiane.
Les géographes ne sont pas d’accord sur sa position, mais ils en placent tous la plus grande partie sous la zone tempérée.
Aussi le ciel y est-il communément serein ; aussi l’air y est-il communément pur.
Ni le froid ni le chaud n’y sont excessifs.
Les sécheresses y sont rares, et rarement les pluies y tombent-elles en torrens.
La nature n’y a été ni prodigue, ni avare de ses dons.
Sur ce sol très-inégal sont répandues un grand nombre de faibles tribus errantes ou sédentaires, qui, comme les autres petites nations du Nouveau-Monde, vivent de leur chasse et de leur pêche.
On y a trouvé dans la plupart un peu de l’énergie des sauvages du nord, un peu de l’apathie de ceux du midi.
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Une calamité d’un autre genre affligea peu après le nouveau Mexique, limitrophe & dépendant de l’ancien.
Cette vaſte contrée, ſituée pour la plus grande partie dans la Zone tempérée, fut aſſez long-tems inconnue aux dévaſtateurs de l’Amérique.
Le miſſionnaire Ruys y pénétra le premier en 1580.
Il fut bientôt ſuivi par le capitaine Eſpajo, & enfin par Jean d’Onâte, qui, par une ſuite de travaux commencés en 1599 & terminés en 1611, parvint à ouvrir des mines, à multiplier les troupeaux & les ſubſiſtances, à établir ſolidement la domination Eſpagnole.
Des troubles civils dérangent, en 1652, l’ordre qu’il a établi.
Dans le cours de ces animoſités, le commandant Roſas eſt aſſaſſiné, & ceux de ſes amis qui tentent de venger ſa mort, périſſent après lui.
Les atrocités continuent juſqu’à l’arrivée tardive de Pagnaloſſe.
Ce chef intrépide & ſévère, avoit preſque étouffé la rebellion, lorſque, dans l’accès d’une juſte indignation, il donne un ſoufflet à un moine turbulent qui lui parloit avec inſolence, qui oſoit même le menacer.
Auſſi-tôt les cordeliers, maîtres du pays, l’arrêtent.
Il eſt excommunié, livré à l’inquiſition, & condamné à des amendes conſidérables.
Inutilement, il preſſe la cour de venger l’autorité royale violée en ſa perfonne, le crédit de ſes ennemis l’emporte ſur ſes ſollicitations.
Leur rage & leur influence lui font même craindre un ſort plus funeſte ; & pour ſe dérober à leurs poignards, pour ſe ſouſtraire à leurs intrigues, il ſe réfugie en Angleterre, abandonnant les rênes du gouvernement à qui voudra ou pourra s’en ſaiſir.
Cette retraite plonge encore la province dans de nouveaux malheurs ; & ce n’eſt qu’après dix ans d’anarchie & de carnage, que tout rentre enfin dans l’ordre & la ſoumiſſion.
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Ces contrées restèrent long-temps inconnues aux dévastateurs de l’Amérique.
Le missionnaire Ruys y pénétra le premier en 1580.
Il fut bientôt suivi par le capitaine Espejo, et enfin par Jean d’Onate, qui, par une suite de travaux commencés en 1599, et terminés en 1611, parvint à former quelques petits établissemens.
On les voyait se multiplier, surtout se perfectionner, lorsque la division se mit entre ceux qui les avaient entrepris.
Dans le cours de ces animosités, le commandant Rosas fut assassiné ; et ceux de ses amis qui tentèrent de venger sa mort périrent après lui.
Les atrocités continuèrent jusqu’à l’arrivée tardive de Pagnalosse.
Ce chef intrépide et sévère avait presque étouffé la rébellion, lorsque, dans l’accès d’une juste indignation, il donna un soufflet à un moine turbulent qui lui parlait avec insolence, qui osait même le menacer.
Aussitôt les cordeliers, maîtres du pays, l’arrêtent.
Il est excommunié, livré à l’inquisition, et condamné à des amendes considérables.
Inutilement il presse la cour de venger l’autorité royale violée en sa personne ; le crédit de ses ennemis l’emporte sur ses sollicitations.
Leur rage et leur influence lui font même craindre un sort plus funeste ; et, pour se dérober à leurs poignards, pour se soustraire à leurs intrigues, il se réfugie en Angleterre, abandonnant les rênes du gouvernement à qui voudra ou pourra s’en saisir.
Cette retraite plonge encore la province dans de nouveaux malheurs ; et ce n’est qu’après dix ans d’anarchie et de carnage que tout rentre enfin dans l’ordre et la soumission.
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Eſt-il rien de plus abſurde que cette autorité des moines en Amérique ?
Ils y ſont ſans lumières & ſans mœurs ; leur indépendance y foule aux pieds leurs conſtitutions & leurs vœux ; leur conduite eſt ſcandaleuſe ; leurs maiſons ſont autant de mauvais lieux, & leurs tribunaux de pénitence autant de boutiques de commerce.
C’eſt-là que, pour une pièce d’argent, ils tranquilliſent la conſcience du ſcélérat ; c’eſt-là qu’ils inſinuent la corruption au fond des ames innocentes, & qu’ils entraînent les femmes & les filles dans la débauche ; ce ſont autant de ſimoniaques qui trafiquent publiquement des choſes ſaintes.
Le chriſtianiſme qu’ils enſeignent eſt ſouillé de toutes ſortes d’abſurdités.
Captateurs d’héritages, ils trompent, ils volent, ils ſe parjurent.
Ils aviliſſent les magiſtrats ; ils les croiſent dans leurs opérations.
Il n’y a point de forfaits qu’ils ne puiſſent commettre impunément.
Ils inſpirent aux peuples l’eſprit de la révolte.
Ce ſont autant de fauteurs de la ſuperſtition, la cauſe de tous les troubles qui ont agité ces contrées lointaines.
Tant qu’ils y ſubſiſteront, ils y entretiendront l’anarchie, par la confiance auſſi aveugle qu’illimitée qu’ils ont obtenue des peuples, & par la puſillanimité qu’ils ont inſpirée aux dépoſitaires de l’autorité dont ils diſpoſent par leurs intrigues.
De quelle ſi grande utilité ſont-ils donc ?
Seroient-ils délateurs ?
Une ſage adminiſtration n’a pas beſoin de ce moyen.
Les ménageroit-on comme un contrepoids à la puiſſance des vices-rois ?
C’eſt une terreur panique.
Seroient-ils tributaires des grands ?
C’eſt un vice qu’il faut faire ceſſer.
Sous quelque face qu’on conſidère les choſes, les moines ſont des miſérables qui ſcandaliſent & qui fatiguent trop le Mexique pour les y laiſſer ſubſiſter plus long-tems.
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Est-il rien de plus absurde que cette autorité des moines en Amérique ?
Ils y sont sans lumières et sans mœurs : leur indépendance y foule aux pieds leurs constitutions et leurs vœux ; leur conduite est scandaleuse ; leurs maisons sont autant de mauvais lieux, et leurs tribunaux de pénitence autant de boutiques de commerce.
C’est là que, pour une pièce d’argent, ils tranquillisent la conscience du scélérat ; c’est là qu’ils insinuent la corruption au fond des âmes innocentes, et qu’ils entraînent les femmes et les filles dans la débauche ; ce sont autant de simoniaques qui trafiquent publiquement des choses saintes.
Le christianisme qu’ils enseignent est souillé de toutes sortes d’absurdités.
Captateurs d’héritages, ils trompent, ils volent, ils se parjurent.
Ils avilissent les magistrats ; ils les croisent dans leurs opérations.
Il n’y a point de forfait qu’ils ne puissent commettre impunément ; ils inspirent aux peuples l’esprit de la révolte.
Ce sont autant de fauteurs de la superstition, la cause de la plupart des troubles qui ont agité ces contrées lointaines.
Tant qu’ils y subsisteront, ils y entretiendront l’anarchie par la confiance aussi aveugle qu’illimitée qu’ils ont obtenue des peuples, et par la pusillanimité qu’ils ont inspirée aux dépositaires de l’autorité, dont ils disposent par leurs intrigues.
De quelle si grande utilité sont-ils donc ?
Seraient-ils délateurs ?
Une sage administration n’a pas besoin de ce moyen.
Les ménagerait-on comme un contre-poids à la puissance des vice-rois ?
C’est une terreur panique.
Seraient-ils tributaires des grands ?
C’est un vice qu’il faut faire cesser.
Sous quelque face qu’on considère les choses, les moines sont des misérables qui scandalisent et qui fatiguent trop les possessions espagnoles du NouveauMonde pour les y laisser subsister plus longtemps.
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Le nouveau Mexique a encore plus besoin que les autres colonies d’être déchargé de ce fardeau.
C’est un pays plutôt parcouru qu’occupé par les conquérans.
Ce n’est que de loin en loin qu’on y trouve quelques misérables sortis successivement de la Nouvelle-Espagne.
Le soin des troupeaux qu’ils ont amenés de leur première patrie empêche seul que leur vie ne soit tout-à-fait sauvage.
La religion, les lois, l’agriculture, les usages de l’Europe, ne sont réellement établis qu’auprès de Santa-Fé, élevée sur les bords fertiles et rians du fleuve Norte.
Les naturels, qui y sont établis en grand nombre dans une circonférence de trente à quarante lieues, nous paraissent les seuls sujets soumis et utiles que deux siècles de possession aient acquis à la cour de Madrid.
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Mais le pays sortira-t-il un jour enfin du néant où on l’a trouvé, du néant où on l’a laissé ?
Il est difficile de l’espérer.
Les provinces de l’intérieur, absolument privées de rivières navigables, n’attireront jamais, quoique la plupart susceptibles d’une excellente culture, une grande population, qui n’aurait aucun moyen pour exporter le superflu de ses productions ; et le sol voisin du golfe du Mexique est trop stérile pour être mis jamais en valeur.
Si ces contrées reçoivent quelque amélioration , ce ne pourra être que par les mines.
Depuis long-temps nous entendons parler de leur multiplicité, de leur abondance.
Où sont-elles placées ?
Avec quel succès sont-elles exploitées ?
Personne ne le sait ou ne le dit.
Est-ce réserve, est-ce indolence de la part des Espagnols ?
Le lecteur en jugera.
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La ſoumiſſion, l’ordre y furent de nouveau & plus généralement troublés en 1693, par une loi qui interdiſoit aux Indiens l’uſage des liqueurs fortes.
La défenſe ne pouvoit pas avoir pour objet celles de l’Europe, d’un prix néceſſairement trop haut, pour que des hommes conſtamment opprimés, conſtamment dépouillés, en fiſſent jamais uſage.
C’étoit uniquement du pulque que le gouvernement cherchoit à les détacher.
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En 1693 l’ordre fut généralement troublé dans l’ancien Mexique par une loi qui interdisait aux Indiens l’usage des liqueurs fortes.
La défense ne pouvait pas avoir pour objet celles de l’Europe, d’un prix nécessairement trop haut pour que des hommes constamment opprimés, constamment dépouillés, en fissent jamais usage ; c’était uniquement du pulque que le gouvernement cherchait à les détacher.
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On tire cette boiſſon d’une plante connue au Mexique ſous le nom de maguey, & ſemblable à un aloës pour la forme.
Ses feuilles, raſſemblées autour du collet de la racine, ſont épaiſſes, charnues, preſque droites, longues de pluſieurs pieds, creuſées en gouttières, épineuſes ſur le dos, & terminées par une pointe très-acérée.
La tige qui ſort du milieu de cette touffe s’élève deux fois plus haut, & porte à ſon ſommet ramifié des fleurs jaunâtres.
Leur calice à ſix diviſions eſt chargé d’autant d’étamines.
Il adhère par le bas au piſtil qui devient avec lui une capſule à trois loges remplie de ſemences.
Le maguey croît par-tout dans le Mexique, & ſe multiplie facilement de bouture.
On en fait des haies.
Ses diverſes parties ont chacune leur utilité.
Les racines ſont employées pour faire des cordes ; les tiges donnent du bois ; les pointes des feuilles ſervent de clous ou d’aiguilles ; les feuilles elles-mêmes ſont bonnes pour couvrir les toits ; on les fait auſſi rouir, & l’on en retire un fil propre à fabriquer divers tiſſus.
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On tire cette boisson d’une plante connue au Mexique sous le nom de maguey, et semblable à un aloës pour la forme.
Ses feuilles, rassemblées autour du collet de la racine, sont épaisses, charnues, presque droites, longues de plusieurs pieds, creusées en gouttière, épineuses sur le dos, et terminées par une pointe très-acérée.
La tige qui sort du milieu de cette touffe s’élève deux fois plus haut, et porte à son sommet ramifié des fleurs jaunâtres.
Leur calice, à six divisions, est chargé d’autant d’étamines.
Il adhère par le bas au pistil, qui devient avec lui une capsule à trois loges remplies de semences.
Le maguey croît partout dans le Mexique, et se multiplie facilement de bouture : on en fait des haies.
Ses diverses parties ont chacune leur utilité.
Les racines sont employées pour faire des cordes ; les tiges donnent du bois ; les pointes des feuilles servent de clous ou d’aiguilles ; les feuilles elles-mêmes sont bonnes pour couvrir les toits ; on les fait aussi rouir, et l’on en retire un fil propre à fabriquer divers tissus.
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Mais le produit le plus eſtimé du maguey eſt une eau douce & tranſparente qui ſe ramaſſe dans un trou creuſé avec un inſtrument dans le milieu de la touffe, après qu’on en a arraché les bourgeons & les feuilles intérieures.
Tous les jours, ce trou profond de trois ou quatre pouces ſe remplit, tous les jours on le vuide ; & cette abondance dure une année entière, quelquefois même dixhuit mois.
Cette liqueur épaiſſie forme un véritable ſucre : mais mêlée avec de l’eau de fontaine & dépoſée dans de grands vaſes, elle acquiert au bout de quatre ou cinq jours de fermentation, le piquant & preſque le goût du cidre.
Si l’on y ajoute des écorces d’orange & de citron, elle devient enivrante.
Cette propriété la rend plus agréable aux Mexicains, qui, ne pouvant ſe conſoler de la perte de leur liberté, cherchent à s’étourdir ſur l’humiliation de leur ſervitude.
Auſſi eſt-ce vers les maiſons où l’on diſtribue le pulque que ſont continuellement tournés les regards de tous les Indiens.
Ils y paſſent les jours, les ſemaines ; ils y laiſſent la ſubſiſtance de leur famille, très-ſouvent le peu qu’ils ont de vêtemens.
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Mais le produit le plus estimé du maguey est une eau douce et transparente, qui se ramasse dans un trou creusé avec un instrument dans le milieu de la touffe, après qu’on en a arraché les bourgeons et les feuilles intérieures.
Tous les jours ce trou, profond de trois ou quatre pouces, se remplit, tous les jours on le vide ; et cette abondance dure une année entière, quelquefois même dixhuit mois.
Cette liqueur épaissie forme un véritable sucre ; mais, mêlée avec de l’eau de fontaine, et déposée dans de grands vases, elle acquiert au bout de quatre ou cinq jours de fermentation le piquant et presque le goût du cidre.
Si l’on y ajoute des écorces d’orange et de citron, elle devient enivrante.
Cette propriété la rend plus agréable aux Mexicains, qui, ne pouvant se consoler de la perte de leur liberté, cherchent à s’étourdir sur l’humiliation de leur servitude.
Aussi est-ce vers les maisons où l’on distribue le pulque que sont continuellement tournés les regards de tous les Indiens.
Ils y passent les jours, les semaines ; ils y laissent la subsistance de leur famille, trèssouvent le peu qu’ils ont de vêtemens.
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Le miniſtère Eſpagnol, averti de ces excès, en voulut arrêter le cours.
Le remède fut mal choiſi.
Au lieu de ramener les peuples aux bonnes mœurs par des ſoins paternels, par le moyen ſi efficace de l’enſeignement, on eut recours à la funeſte voie des interdictions.
Les eſprits s’échauffèrent, les ſéditions ſe multiplièrent, les actes de violence ſe répétèrent d’une extrémité de l’empire à l’autre.
Il fallut céder.
Le gouvernement retira ſes actes prohibitifs : mais il voulut que l’argent le dédommageât du ſacrifice qu’il faiſoit de ſon autorité.
Le pulque fut aſſujetti à des impoſitions qui rendent annuellement au fiſc onze ou douze cens mille livres.
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Le ministère espagnol, averti de ces excès, en voulut arrêter le cours.
Le remède fut mal choisi.
Au lieu de ramener les peuples aux bonnes mœurs par des soins paternels, par le moyen si efficace de l’enseignement, on eut recours à la funeste voie des interdictions.
Les esprits s’échauffèrent, les séditions se multiplièrent, les actes de violence se répétèrent d’une extrémité de l’empire à l’autre.
Il fallut céder.
Le gouvernement retira ses actes prohibitifs : mais il voulut que l’argent le dédommageât du sacrifice qu’il faisait de son autorité.
Le pulque fut assujetti à des impositions qui rendent annuellement au fisc onze ou douze cent mille livres.
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Une nouvelle ſcène, d’un genre plus particulier, s’ouvrit vingt-cinq ou trente ans plus tard au Mexique.
Dans cette importante poſſeſſion, la police étoit négligée au point qu’une nombreuſe bande de voleurs parvint à s’emparer de toutes les routes.
Sans un paſſeport d’un des chefs de ces bandits, aucun citoyen n’oſoit ſortir de ſon domicile.
Soit indifférence, ſoit foibleſſe, ſoit corruption, le magiſtrat ne prenoit aucune meſure pour faire ceſſer une ſi grande calamité.
Enfin la cour de Madrid, réveillée par les cris de tout un peuple, chargea Valeſquès du ſalut public.
Cet homme juſte, ferme, ſévère, indépendant des tribunaux & du vice-roi, réuſſit enfin à rétablir l’ordre & à lui donner des fondemens qui depuis n’ont pas été ébranlés.
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Une nouvelle scène d’un genre plus particulier s’ouvrit vingt-cinq ou trente ans plus tard au Mexique.
Dans cette importante possession, la police était négligée au point qu’une nombreuse bande de voleurs parvint à s’emparer de toutes les routes.
Sans un passe-port d’un des chefs de ces bandits, aucun citoyen n’osait sortir de son domicile.
Soit indifference, soit faiblesse, soit corruption, le magistrat ne prenait aucune mesure pour faire cesser une si grande calamité.
Enfin la cour de Madrid, réveillée par les cris de tout un peuple, chargea Vélasquez du salut public.
Cet homme juste, ferme, sévère, indépendant des tribunaux et du vice-roi, réussit enfin à rétablir l’ordre et à lui donner des fondemens qui depuis n’ont pas été ébranlés.
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Une guerre entrepriſe contre les peuples de Cinaloa, de Sonora, de la nouvelle Navarre, a été le dernier événement remarquable qui ait agité l’empire.
Ces provinces, ſituées entre l’ancien & le nouveau Mexique, ne faiſoient point partie des états de Montezuma.
Ce ne fut qu’en 1540, que les dévaſtateurs du Nouveau-Monde y pénétrèrent ſous les ordres de Vaſquès Coronado.
Ils y trouvèrent de petites nations qui vivoient de pêche ſur les bords de l’océan, de chaſſe dans l’intérieur des terres ; & qui, quand ces moyens de ſubſiſtance leur manquoient, n’avoient de reſſource que les productions ſpontanées de la nature.
Dans cette région, on ne connoiſſoit ni vêtemens, ni cabanes.
Des branches d’arbre pour ſe garantir des ardeurs d’un ſoleil brûlant ; des roſeaux liés les uns aux autres pour ſe mettre à couvert des torrens de pluie : c’eſt tout ce que les habitans avoient imaginé contre l’inclémence des ſaiſons.
Durant les froids les plus rigoureux, ils dormoient à l’air libre, autour des feux qu’ils avoient allumés.
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Une guerre entreprise contre les peuples de Cinaloa, de Sonora, de la nouvelle Navarre, a été le dernier événement remarquable qui ait agité l’empire.
Ces provinces, situées entre l’ancien et le nouveau Mexique, ne faisaient point partie des états de Montézuma.
Ce ne fut qu’en 1540 que les dévastateurs du Nouveau-Monde y pénétrèrent sous les ordres de Vasquès Coronado.
Ils y trouvèrent de petites nations qui vivaient de pêche sur les bords de l’Océan, de chasse dans l’intérieur des terres ; et qui, quand ces moyens de subsistance leur manquaient, n’avaient de ressources que les productions spontanées de la nature.
Dans cette région, on ne connaissait ni vêtemens ni cabanes.
Des branches d’arbres pour se garantir des ardeurs d’un soleil brûlant, des roseaux liés les uns aux autres pour se mettre à couvert des torrens de pluie, c’est tout ce que les habitans avaient imaginé contre l’inclémence des saisons.
Durant les froids les plus rigoureux, ils dormaient à l’air libre, autour des feux qu’ils avaient allumés.
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Ce pays, ſi pauvre en apparence, renfermoit des mines.
Quelques Eſpagnols entreprirent de les exploiter.
Elles ſe trouvèrent abondantes, & ce pendant leurs avides propriétaires ne s’enrichiſſoient pas.
Comme on étoit réduit à tirer de la Vera-Crux, à dos de mulet, par une route difficile & dangereuſe de ſix à ſept cens lieues, le vif argent, les étoffes, la plupart des choſes néceſſaires pour la nourriture & pour les travaux, tous ces objets avoient à leur terme une valeur ſi conſidérable, que l’entrepriſe la plus heureuſe rendoit à peine de quoi les payer.
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Ce pays, si pauvre en apparence, renfermait des mines.
Quelques Espagnols entreprirent de les exploiter.
Elles se trouvèrent abondantes ; et cependant leurs avides propriétaires ne s’enrichissaient pas.
Comme on était réduit à tirer de la Véra-Cruz, à dos de mulet, par une route difficile et dangereuse de six à sept cents lieues, le vif-argent, les étoffes, la plupart des choses nécessaires pour la nourriture et pour les travaux, tous ces objets avaient à leur terme une valeur si considérable, que l’entreprise la plus heureuse rendait à peine de quoi les payer.
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Il falloit tout abandonner, ou faire d’autres arrangemens.
On s’arrêta au dernier parti.
Le jéſuite Ferdinand Conſang fut chargé, en 1746, de reconnoître le golfe de la Californie, qui borde ces vaſtes contrées.
Après cette navigation, conduite avec intelligence, la cour de Madrid connut les côtes de ce continent, les ports que la nature y a formés, les lieux ſablonneux & arides qui ne ſont pas ſuſceptibles de culture, les rivières qui, par la fertilité qu’elles répandent ſur leurs bords, invitent à y établir des peuplades.
Rien, à l’avenir, ne devoit empêcher que les navires, partis d’Acapulco, n’entrâſſent dans la mer Vermeille, ne portâſſent facilement dans les provinces limitrophes des miſſionnaires, des ſoldats, des mineurs, des vivres, des marchandiſes, tout ce qui eſt néceſſaire aux colonies, & n’en revinſſent chargés de métaux.
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Il fallait tout abandonner, ou faire d’autres arrangemens.
On s’arrêta au dernier parti.
Le jésuite Ferdinand Consang fut chargé, en 1746, de reconnaître le golfe de la Californie qui borne ces vastes contrées.
Après cette navigation, conduite avec intelligence, la cour de Madrid connut les côtes de ce continent, les ports que la nature y a formés, les lieux sablonneux et arides qui ne sont pas susceptibles de culture, les rivières qui, par la fertilité qu’elles répandent sur leurs bords, invitent à y établir des peuplades.
Rien à l’avenir ne devait empêcher que les navires partis d’Acapulco n’entrassent dans la mer Vermeille, ne portassent facilement dans les provinces limitrophes des missionnaires, des soldats, des mineurs, des vivres, des marchandises, tout ce qui est nécessaire aux colonies, et n’en revinssent chargés de métaux.
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Cependant c’étoit un préliminaire indiſpenſable de gagner les naturels du pays par des actes d’humanité, ou de les ſubjuguer par la force des armes.
Mais comment ſe concilier des hommes dont on vouloit faire des bêtes de ſomme, ou qui devoient être enterrés vivans dans les entrailles de la terre ?
Auſſi le gouvernement ſe décida-t-il pour la violence.
La guerre ne fut différée que par l’impoſſibilité où étoit un fiſc obéré d’en faire la dépenſe.
On trouva enfin, en 1768, un crédit de douze cens mille livres, & les hoſtilités commencèrent.
Quelques hordes de ſauvages ſe ſoumirent après une légère réſiſtance.
II n’en fut pas ainſi des Apaches, la plus belliqueuſe de ces nations, la plus paſſionnée pour l’indépendance.
On les pourſuivit ſans relâche pendant trois ans, avec le projet de les exterminer.
Grand Dieu, exterminer des hommes !
Parleroit-on autrement des loups ?
Les exterminer, & pourquoi ?
Parce qu’ils avoient l’ame fière, parce qu’ils ſentoient le droit naturel qu’ils avoient à la liberté, parce qu’ils ne vouloient pas être eſclaves.
Et nous ſommes des peuples civiliſés, & nous ſommes chrétiens ?
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Cependant c’était un préliminaire indispensable de gagner les naturels du pays par des actes d’humanité, ou de les subjuguer par la force des armes.
Mais comment se concilier des hommes dont on voulait faire des bêtes de somme, ou qui devaient être enterrés vivans dans les entrailles de la terre ?
Aussi le gouvernement se décida-t-il pour la violence.
La guerre ne fut différée que par l’impossibilité où était un fisc obéré d’en faire la dépense.
On trouva enfin, en 1768, un crédit de douze cent mille livres, et les hostilités commencèrent.
Quelques hordes de sauvages se soumirent après une légère résistance.
Une seule de ces petites nations se défendit vaillamment, et on la poursuivit sans relâche avec le projet de l’exterminer.
Grand Dieu ! exterminer des hommes !
Parlerait-on autrement des loups ?
Les exterminer ! et pourquoi ?
parce qu’ils avaient l’âme fière, parce qu’ils sentaient le droit naturel qu’ils avaient à la liberté, parce qu’ils ne voulaient pas être esclaves.
Et nous sommes des peuples civilisés ! et nous sommes chrétiens !
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Le glaive, ne trouvant plus de sang à verser, s’arrêta en 1771.
Alors on avait reconnu que l’or et l’argent n’étaient pas moins communs dans cette région que dans les plus renommées de celles qui avaient été anciennement asservies.
Deux ou trois mille Espagnols y accoururent aussitôt pour puiser à cette nouvelle source de richesses.
D’autres ne tardèrent pas à les suivre.
Leur nombre augmentrea très-rapidement, si, comme tous les rapports paraissent le confirmer, la réalité répond aux apparences.
Encore quelques années, et ces vastes contrées verront se former dans leur sein une population et une activité proportionnées aux trésors qu’elles renferment.
Une surveillance immédiate, toujours plus énergique qu’une surveillance éloignée, paraissant propre à accélérer ces prospérités, la cour de Madrid a formé un gouvernement particulier de Cinaloa, de Sonora, de la Nouvelle-Navarre, et y a ajouté la Californie, qui n’est séparée de ces trois grandes provinces que par le golfe très-étroit de la mer Vermeille.
Le chef du nouveau département n’a pas été entouré de la même pompe, revêtu de prérogatives aussi honorables que le vice-roi du Mexique, qui voyait avec regret un territoire si étendu sortir de sa dépendance ; mais les lois lui accordent une autorité égale, et son éloignement de la métropole lui en assure une beaucoup plus étendue.
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L’éloignement où étoient les anciennes & les nouvelles conquêtes du centre de l’autorité, fit juger qu’elles languiroient juſqu’à ce qu’on leur eût accordé une adminiſtration indépendante.
On leur donna donc un commandant particulier, qui, avec un titre moins impoſant que celui du vice-roi de la NouvelleEſpagne, jouit des mêmes prérogatives.
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II faut voir maintenant à quel degré de proſpérité s’eſt élevé le Mexique, malgré les énormes pertes que des ennemis étrangers lui ont fait eſſuyer, malgré les troubles domeſtiques qui lui ont ſi ſouvent déchiré le ſein.
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Voyons à quel degré de prospérité s’est élevée la plus importante conquête que les Espagnols ont faite dans le Nouveau-Monde malgré les énormes pertes que des ennemis étrangers lui ont fait essuyer, malgré les troubles domestiques qui lui ont si souvent déchiré le sein.
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La grande Cordelière, après avoir traverſé toute l’Amérique Méridionale, s’abaiſſe & ſe retrécit dans l’iſtme de Panama ; ſuit dans la même forme les provinces de CoſtaRicca, de Nicaragua, de Guatimala ; s’élargit, s’élève de nouveau dans le reſte du Mexique, mais ſans approcher jamais de la hauteur prodigieuſe qu’elle a dans le Pérou.
Ce changement eſt ſur-tout remarquable vers la mer du Sud.
Les rives y ſont très-profondes, & n’offrent un fonds que fort près de terre, tandis que dans la mer du Nord on le trouve à une très-grande diſtance du continent.
Auſſi les rades ſont-elles auſſi bonnes, auſſi multipliées dans la première de ces mers, qu’elles ſont rares & mauvaiſes dans l’autre.
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Le climat d’une région ſituée preſqu’entiérement dans la Zone Torride, eſt alternativement humide & chaud.
Ces variations ſont plus ſenſibles & plus communes dans les contrées baſſes, marécageuſes, remplies de forêts & incultes de l’Eſt, que dans les parties de l’empire qu’une nature bienfaiſante a traitées plus favorablement.
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La qualité du ſol eſt auſſi très-différente.
Il eſt quelquefois ingrat, quelquefois fertile, ſelon qu’il eſt montueux, uni ou ſubmergé.
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Les Eſpagnoſs ne ſe virent pas plutôt les maîtres de cette riche & vaſte région, qu’ils s’empreſſèrent d’y édifier des villes dans les lieux qui leur paroiſſoient le plus favorables au maintien de leur autorité, dans ceux qui leur promettoient de plus grands avantages de leur conquête.
Ceux des Européens qui vouloient s’y fixer obtenoient une poſſeſſion aſſez étendue : mais ils étoient réduits à chercher des cultivateurs que la loi ne leur donnoit pas.
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Un autre ordre de choſes s’obſervoit dans les campagnes.
Elles étoient la plupart diſtribuées aux conquérans pour prix de leur ſang ou de leurs ſervices.
L’étendue de ces domaines, qui n’étoient accordés que pour deux ou trois générations, étoit proportionnée au grade & à la faveur.
On y attacha, comme ſerfs, un nombre plus ou moins grand de Mexicains.
Cortès en eut vingt-trois mille dans les provinces de Mexico, de Tlaſcala, de Mechoacan & de Oaxaca, avec cette diſtinction qu’ils devoient être l’apanage de ſa famille à perpétuité.
Il faut que l’oppreſſion ait été moindre dans ces poſſeſſions héréditaires que dans le reſte de l’empire, puiſqu’en 1746 on y comptoit encore quinze mille neuf cens quarante Indiens, dix-huit cens Eſpagnols, métis du mulâtres, & ſeize cens eſclaves noirs.
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Le pays n’avoit aucun des animaux néceſſaires pour la ſubſiſtance de ſes nouveaux habitans, pour le labourage & pour les autres beſoins inſéparables d’une ſociété un peu compliquée.
On les fit venir des iſles déja ſoumiſes à la Caſtille qui elles-mêmes les avoient naguère reçus de notre hémiſphère.
Ils propagèrent avec une incroyable célérité.
Tous dégénérèrent ; & comment, affoiblis par le trajet des mers, privés de leur nourriture originaire, livrés à des mains incapables de les élever & de les ſoigner : comment n’auroientils pas ſouffert des altérations ſenſibles ?
La plus marquée fut celle qu’éprouva la brebis.
Mendoza fit venir des béliers d’Eſpagne pour renouveller des races abâtardies ; & depuis cette époque, les toiſons ſe trouvèrent de qualité ſuffiſante pour ſervir d’aliment à pluſieurs manufactures aſſez importantes.
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La multiplication des troupeaux amena une grande augmentation dans les cultures.
Au maïs, qui avoit toujours fait la principale nourriture des Mexicains, on aſſocia les grains de nos contrées.
Dans l’origine, ils ne réuſſirent pas.
Leurs ſemences jettées au haſard dans des ronces, ne donnèrent d’abord que des herbes épaiſſes & ſtériles.
Un végétation trop rapide & trop vigoureuſe ne leur laiſſoit pas le tems de mûrir, ni même de ſe former : mais cette ſurabondance de ſucs diminua peuà-peu ; & l’on vit enfin proſpérer la plupart de nos grains, de nos légumes & de nos fruits.
Si la vigne & l’olivier ne furent pas naturaliſés dans cette partie du Nouveau-Monde, ce fut le gouvernement qui l’empêcha, dans la vue de laiſſer des débouchés aux productions de la métropole.
Peut-être le ſol & le climat auroient-ils eux-mêmes repouſſé ces précieuſes plantes.
Du moins eſt-on autoriſé à le penſer quand on voit que les eſſais que vers 1706 il fut permis aux jéſuites & aux héritiers de Cortès de tenter, ne furent pas heureux, & que les expériences qu’on a tentées depuis ne l’ont pas été beaucoup davantage.
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Le Mexique est situé dans l’Amérique septentrionale, entre le septième et le trentième degré de latitude du nord.
Il est borné au nord par la Louisiane, au midi par la mer du Sud, au couchant par la mer Vermeille, à l’orient par le golfe du Mexique et par l’isthme de Darien.
On lui donne plus de huit cents lieues du nord-ouest au sud-ouest ; mais sa largeur, qui est fort irrégulière, n’est que de deux cent cinquante.
Le pays est coupé dans toute sa longueur par une chaîne de montagnes qui heureusement sont moins hautes , moins larges, moins froides et moins stériles que les Cordilières du Pérou, dont elles paraissent la continuation.
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Cette région est trop étendue et trop inégale pour que le climat y puisse être partout le même.
Elle est glaciale en plusieurs endroits, embrasée dans d’autres, mais le plus généralement d’une température agréable.
Si l’on y respire un air malsain dans quelques gorges profondes, sur des plages basses, auprès des rivières qui débordent périodiquement, partout ailleurs il est salubre.
Ceux de ses habitans qui ont des mœurs réglées arrivent au terme prescrit par la nature sans avoir éprouvé d’autres incommodités que celles auxquelles la triste humanité est exposée sur le reste du globe.
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La cour de Madrid ne vit pas plus tôt sa domination imperturbablement établie dans ces vastes contrées, qu’elle en confia le gouvernement à un chef unique.
Sous son inspection furent établies trois audiences qui devaient rendre la justice et avoir aussi quelque part à l’administration.
On attacha sept provinces à la juridiction de Guadalajara, huit à celle de Guatimala, et sept à celle de Mexico.
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Le pays qu’on venait d’asservir voyait bien errer dans ses forêts plusieurs de nos quadrupèdes sauvages, quelques-uns même qui lui étaient propres ; mais il n’avait aucun des animaux domestiques qui servent si utilement à la nourriture , au labourage, aux besoins inséparables d’une société un peu compliquée.
On les tira des îles déjà soumises à la Castille, qui elles-mêmes les avaient reçus naguère de l’ancien hémisphère.
Tous dégénérèrent très-rapidement.
Eh ! comment, affaiblis par le trajet des mers, privés de leur nourriture originaire, livrés à des mains incapables de les élever et de les soigner, comment n’auraient-ils pas souffert une altération sensible ?
Cependant, comme leur propagation ne diminuait pas, on se flatta qu’avec le temps ils redeviendraient ce qu’ils devaient être.
Cette espérance ne fut pas toutefois trompée.
Le bœuf, le porc, la chèvre, le cheval, recouvrèrent peu à peu en partie ce qu’ils avaient perdu.
La brebis eut une destinée moins heureuse.
Son lait et sa chair furent toujours d’une qualité inférieure, et pendant long-temps il ne fut pas possible de mettre sa toison en œuvre.
Depuis même que des béliers ont été envoyés d’Europe pour régénérer cette espèce abâtardie, sa dépouille n’a pu être employée que dans quelques étoffes d’un tissu trèsgrossier et de peu de durée.
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L’introduction des troupeaux devait amener une grande augmentation dans les cultures.
Celle du maïs était la seule connue au Mexique, comme dans le reste du Nouveau-Monde.
Les grains de l’ancien lui furent associés.
Ils ne réussirent pas dans les premières années.
Leurs semences, jetées au hasard sur des terres mal préparées, se convertissaient en mauvaises herbes.
Une végétation trop rapide et trop vigoureuse ne leur laissait pas le temps de mûrir, ni même de former des épis.
Cette surabondance de sucs diminua peu à peu, et l’on vit prospérer le froment et l’orge, mais moins heureusement que dans le pays de leur origine.
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Les premières relations qu’on eut sur le Mexique célébraient toutes, avec plus ou moins d’exagération, les jardins du chef et des principaux membres de l’empire.
Les fleurs et les simples qui les couvraient formaient, selon leurs auteurs, un des plus délicieux tableaux que l’œil pût contempler.
Mais ils conviennent généralement qu’on n’y voyait ni racines, ni légumes.
Ces objets même n’étaient cultivés nulle part.
Les grands, comme le peuple, n’avaient en ce genre que ce que la nature seule, secondée par l’union continuelle de la chaleur et de l’humidité, faisait croître dans les campagnes.
Les conquérans portèrent dans leur nouvelle acquisition les richesses qui abondaient dans les potagers d’Europe ; et ces plantes utiles et salutaires n’y perdirent rien de ce qui les faisait rechercher dans nos climats.
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Entre les arbres fruitiers qui furent introduits au Mexique, les orangers, les citronniers, les figuiers, les pêchers, les abricotiers furent ceux qui se multiplièrent le plus, et qui réussirent le mieux.
La pomme, la poire, la prune, la cerise , y perdirent beaucoup de leur goût et de leur parfum.
Dans la vue d’assurer un débouché aux plus importantes denrées de la métropole, il fut défendu à la colonie de planter la vigne et l’olivier.
On permit, en 1706, aux descendans de Cortez et aux jésuites d’en essayer la culture, liberté qui devint depuis générale.
Cette faveur, car c’est ainsi qu’on osa nommer un acte de justice étroite, n’eut aucune suite.
Le sol et le climat ont opiniâtrément repoussé ces productions.
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Le coton, le tabac, le cacao, le ſucre, quelques autres productions réuſſirent généralement : mais faute de bras ou d’activité, ces objets furent concentrés dans une circulation intérieure.
Il n’y a que le jalap, la vanille, l’indigo & la cochenille qui entrent dans le commerce de la Nouvelle-Eſpagne avec les autres nations.
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Le coton, le tabac, le cacao, le sucre, sont cultivés avec plus ou moins de succès dans le Mexique ; mais, faute de bras ou d’activité, ces productions furent toujours concentrées dans la circulation intérieure.
Le pays ne fournit au commerce extérieur que du jalap, de la vanille, de l’indigo et de la cochenille.
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Le jalap eſt un des purgatifs les plus employés dans la médecine.
Il tire ſon nom de la ville de Xalapa, aux environs de laquelle il croît abondamment.
Sa racine, la ſeule partie qui ſoit d’uſage, eſt tubéreuſe, groſſe, alongée en forme de navet, blanche à l’intérieur & remplie d’un ſuc laiteux.
La plante qu’elle produit a été long-tems inconnue.
On ſait maintenant que c’eſt un liſeron ſemblable pour le port à celui de nos haies.
Sa tige eſt grimpante, anguleuſe, légérement velue.
Ses feuilles diſpoſées alternativement ſont aſſez grandes, veloutées en-deſſus, ridées en-deſſous, marquées de ſept nervures, quelquefois entières en cœur, quelquefois partagées en pluſieurs lobes plus ou moins diſtincts.
Les fleurs qui naiſſent par bouquets le long de la tige ont un calice glanduleux à ſa baſe, diviſé profondément en cinq parties & accompagné de deux feuilles florales.
La corolle grande, conformée en cloche, blanchâtre en-dehors, d’un pourpre foncé à l’intérieur, ſupporte cinq étamines blanches de longueur inégale.
Le germen placé dans le milieu & ſurmonté d’un ſeul ſtyle, devient, en mûriſſant une capſule ronde, renfermant dans une ſeule loge quatre ſemences rouſſes & très-velues.
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Le jalap est un des purgatifs les plus employés dans la médecine.
Il tire son nom de la ville de Xalapa, aux environs de laquelle il croît abondamment.
Sa racine, la seule partie qui soit d’usage, est tubéreuse, grosse, allongée en forme de navet, blanche à l’intérieur, et remplie d’un suc laiteux.
La plante qu’elle produit a été long-temps inconnue.
On sait maintenant que c’est un liseron semblable pour le port à celui de nos haies.
Sa tige est grimpante, anguleuse, légèrement velue.
Ses feuilles, disposées alternativement, sont assez grandes, veloutées en dessus, ridées en dessous, marquées de sept nervures, quelquefois entières en cœur, quelquefois partagées en plusieurs lobes plus ou moins distincts.
Les fleurs qui naissent par bouquets le long de la tige ont un calice glanduleux à sa base, divisé profondément en cinq parties, et accompagné de deux feuilles florales.
La corolle, grande, conformée en cloche, blanchâtre en dehors, d’un pourpre foncé à l’intérieur, supporte cinq étamines blanches de longueur inégale.
Le germe, placé dans le milieu et surmonté d’un seul style, devient, en mûrissant, une capsule ronde, renfermant dans une seule loge quatre semences rousses et très-velues.
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Cette plante ſe trouve non-ſeulement dans le voiſinage de Xalapa, mais encore ſur les ſables de la Vera-Crux.
On la cultive facilement.
Le poids des racines eſt depuis douze juſqu’à vingt livres.
On les coupe par tranches pour les faire ſécher.
Elles acquièrent alors une couleur brune, un œil réſineux.
Leur goût eſt un peu âcre & cauſe des nauſées.
Le meilleur jalap eſt compact, réſineux, brun, difficile à rompre & inflammable.
On ne le donne qu’à une doſe très-petite, parce qu’il eſt très-actif & purge violemment.
Son extrait réſineux fait par l’eſprit-de-vin eſt employé aux mêmes uſages, mais avec plus de précaution .
L’Europe en conſomme annuellement ſept mille cinq cens quintaux qu’elle paie 972,000 livres.
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Cette plante se trouve non-seulement dans le voisinage de Xalapa, mais encore sur les sables de la Véra-Cruz.
On la cultive facilement.
Le poids des racines est depuis douze jusqu’à vingt livres.
On les coupe par tranches pour les faire sécher.
Elles acquièrent alors une couleur brune, un œil résineux.
Leur goût est un peu âcre et cause des nausées.
Le meilleur jalap est compacte, résineux, brun, difficile à rompre et inflammable.
On ne le donne qu’à une dose très-petite, parce qu’il est très-actif et purge violemment.
Son extrait résineux fait par l’esprit-de-vin est employé aux mêmes usages, mais avec plus de précaution.
L’Europe en consomme annuellement sept à huit mille quintaux, qu’elle paie onze à douze cent mille livres.
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La vanille eſt une plante qui, comme le lierre, s’accroche aux arbres qu’elle rencontre, les couvre preſqu’entiérement & s’élève par leur ſecours.
Sa tige, de la groſſeur du petit doigt, eſt verdâtre, charnue, preſque cylindrique, noueuſe par intervalle, & ſarmenteuſe comme celle de la vigne.
Chaque nœud eſt garni d’une feuille alterne, aſſez épaiſſe, de forme ovale, longue de huit pouces & large de trois.
Il pouſſe auſſi des racines qui pénétrant l’écorce des arbres en tirent une nourriture ſuffiſante pour ſoutenir quelque tems la plante en vigueur, lorſque par accident le bas de la tige eſt endommagé ou même ſéparé de la racine principale.
Cette tige, parvenue à une certaine hauteur, ſe ramifie, s’étend ſur les côtés & ſe couvre de bouquets de fleurs aſſez grandes, blanches en-dedans, verdâtres en-dehors.
Cinq des diviſions de leur calice ſont longues, étroites & ondulées.
La ſixième, plus intérieure, préſente la forme d’un cornet.
Le piſtil qu’elles couronnent ſupporte une ſeule étamine.
Il devient, en mûriſſant, un fruit charnu, compoſé comme une gouſſe de ſept à huit pouces de longueur, qui s’ouvre en trois valves chargées de menues ſemences.
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La vanille est une plante qui, comme le lierre, s’accroche aux arbres qu’elle rencontre, les couvre presque entièrement, et s’élève par leur secours.
Sa tige, de la grosseur du petit doigt, est verdâtre, charnue, presque cylindrique, noueuse par intervalles, et sarmenteuse comme celle de la vigne.
Chaque nœud est garni d’une feuille alterne, assez épaisse, de forme ovale, longue de huit pouces et large de trois.
Il pousse aussi des racines qui, pénétrant l’écorce des arbres, en tirent, une nourriture suffisante pour soutenir quelque temps la plante en vigueur, lorsque, par accident le bas de la tige est endédommagé, ou même séparé de la tige principale.
Cette tige, parvenue à une certaine hauteur, se ramifie, s’étend sur les côtés, et se couvre de bouquets de fleurs assez grandes, blanches en dedans, verdâtres en dehors.
Cinq des divisions de leur calice sont longues, étroites et ondulées.
La sixième, plus intérieure, présente la forme d’un cornet.
Le pistil qu’elles couronnent supporte une seule étamine.
Il devient, en mûrissant, un fruit charnu, composé comme une gousse de sept à huit pouces de longueur, qui s’ouvre en trois valves chargées de menues semences.
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Cette plante croît naturellement dans les terreins incultes, toujours humides, ſouvent inondés & couverts de grands arbres ; d’où l’on peut inférer que ces terreins ſont les plus propres à ſa culture.
Pour la multiplier, il ſuffit de piquer au pied des arbres quelques rameaux ou ſarmens qui prennent racine & s’élèvent en peu de tems.
Quelques cultivateurs, pour préſerver leurs plants de la pourriture, préfèrent de les attacher aux arbres même à un pied de terre.
Ces plants ne tardent pas à pouſſer des filets qui, deſcendant en ligne droite, vont s’enfoncer dans la terre & y former des racines.
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Cette plante croît naturellement dans les terrains incultes, toujours humides, souvent inondés et couverts de grands arbres ; d’où l’on peut inférer que ces terrains sont les plus propres à sa culture.
Pour la multiplier, il suffit de piquer au pied des arbres quelques rameaux ou sarmens, qui prennent racine et s’élèvent en peu de temps.
Quelques cultivateurs, pour préserver leurs plants de la pourriture, préfèrent de les attacher aux arbres, même à un pied de terre.
Ces plants ne tardent pas à pousser des filets qui, descendant en ligne droite, vont s’enfoncer dans la terre et y former des racines.
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La récolte des gouſſes commence vers la fin de ſeptembre, & dure environ trois mois.
L’aromate qui leur eſt particulier ne s’acquiert que par la préparation.
Elle conſiſte à enfiler pluſieurs gouſſes, à les tremper un moment dans une chaudière d’eau bouillante pour les blanchir.
On les ſuſpend enſuite dans un lieu expoſé à l’air libre & aux rayons du ſoleil.
Il découle alors de leur extrémité une liqueur viſqueuſe, ſurabondante, dont on facilite la ſortie par une preſſion légère, réitérée deux ou trois fois le jour.
Pour retarder la deſſiccation qui doit ſe faire lentement, on les enduit à pluſieurs repriſes d’huile, qui conſerve leur molleſſe & les préſerve des inſectes.
On les entoure auſſi d’un fil de coton pour empêcher qu’elles ne s’ouvrent.
Lorſqu’elles ſont ſuffiſamment deſſéchées, on les paſſe dans des mains ointes d’huile, & on les met dans un pot verniſſé pour les conſerver fraîchement.
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La récolte des gousses commence vers la fin de septembre, et dure environ trois mois.
L’aromate qui leur est particulier ne s’acquiert que par la préparation.
Elle consiste à enfiler plusieurs gousses, à les tremper un moment dans une chaudière d’eau bouillante pour les blanchir.
On les suspend ensuite dans un lieu exposé à l’air libre et aux rayons du soleil.
Il découle alors de leur extrémité une liqueur visqueuse, surabondante, dont on facilite la sortie par une pression légère, réitérée deux ou trois fois le jour.
Pour retarder la dessication, qui doit se faire lentement, on les enduit, à plusieurs reprises, d’huile, qui conserve leur mollesse et les préserve des insectes.
On les entoure aussi d’un fil de coton pour empêcher qu’elles ne s’ouvrent.
Lorsqu’elles sont suffisamment desséchées, on les passe dans des mains ointes d’huile, et on les met dans un pot vernissé pour les conserver fraîchement.
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Voilà tout ce qu’on ſait ſur la vanille particuliérement deſtinée à parfumer le chocolat dont l’uſage a paſſé des Mexicains aux Eſpagnols, & des Eſpagnols aux autres peuples ; & encore ces notions, tout-à-fait modernes, ſont-elles dues à un naturaliſte François.
Il n’eft pas poſſible que malgré l’indifférence qu’ils ont montrée juſqu’ici pour l’hiſtoire de la nature, les maîtres de cette partie du Nouveau-Monde n’aient des connoiſſances plus approfondies.
S’ils ne les ont pas communiquées, c’eſt ſans doute qu’ils ont voulu ſe réſerver excluſivement cette production quoiqu’il n’en vienne annuellement en Europe que cinquante quintaux & qu’elle n’y ſoit pas vendue au-deſſus de 431,568 livres.
Le tems de la révélation des lumières arrivera un jour, & alors la vanille ſera auſſi généralement connue que l’eſt maintenant l’indigo.
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Voilà tout ce qu’on sait sur la vanille, particulièrement destinée à parfumer le chocolat, dont l’usage a passé des Mexicains aux Espagnols, et des Espagnols aux autres peuples ; et encore ces notions, tout-à-fait modernes, sont-elles dues à un naturaliste français.
Il n’est pas possible que, malgré l’indifférence qu’ils ont montrée jusqu’ici pour l’histoire de la nature, les maîtres de cette partie du Nouveau-Monde n’aient des connaissances plus approfondies.
S’ils ne les ont pas communiquées, c’est sans doute qu’ils ont voulu se réserver exclusivement cette production, quoiqu’il n’en vienne annuellement en Europe que cinquante à soixante quintaux, et quelle n’y soit pas vendue au-dessus de cinq à six cent mille livres.
Le temps de la révélation des lumières arrivera un jour, et alors la vanille sera aussi généralement connue que l’est maintenant l’indigo.
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L’indigotier eſt une plante droite & aſſez touffue.
De ſa racine s’élève une tige ligneuſe, caſſante, haute de deux pieds, ramifiée dès ſon origine, blanche à l’intérieur & couverte d’une écorce griſâtre.
Les feuilles ſont alternes, compoſées de pluſieurs folioles, diſpoſées ſur deux rangs le long d’une côte commune, terminée par une foliole impaire & garnie à ſa baſe de deux petites membranes que l’on nomme ſtipules.
A l’extrémité de chaque rameau ſe trouvent des épis de fleurs rougeâtres, papillionacées, aſſez petites & compoſées de quantité de pétales.
Les étamines au nombre de dix, & le piſtil ſurmonté d’un ſeul ſtyle, ſont diſpoſés comme dans la plupart des fleurs légumineuſes.
Le piſtil ſe change en une petite gouſſe arrondie, légérement courbe, d’un pouce de longueur & d’une ligne & demie de largeur, remplie de ſemences cylindriques, luiſantes & rembrunies.
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L’indigotier est une plante droite et assez touffue.
De sa racine s’élève une tige ligneuse, cassante, haute de deux pieds, ramifiée dès son origine, blanche à l’intérieur, et couverte d’une écorce grisâtre.
Les feuilles sont alternes, composées de plusieurs folioles disposées sur deux rangs le long d’une côte commune, terminée par une foliole impaire, et garnie à sa base de deux petites membranes que l’on nomme stipules.
A l’extrémité de chaque rameau se trouvent des épis de fleurs rougeâtres, papilionacées, assez petites, et composées de quantité de pétales.
Les étamines, au nombre de dix, et le pistil surmonté d’un seul style, sont disposés comme dans la plupart des fleurs légumineuses.
Le pistil se change en une petite gousse arrondie, légèrement courbe, d’un pouce de longueur et d’une ligne et demie de largeur, remplie de semences cylindriques, luisantes et rembrunies.
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Cette plante veut une terre légère, bien labourée & qui ne ſoit jamais inondée.
L’on préfère pour cette raiſon des lieux qui ont de la pente, parce que cette poſition préſerve les champs du ſéjour des pluies qui flétriroient l’indigotier, & des inondations qui le couvriroient d’un limon nuiſible.
Les terreins bas & plats peuvent être encore employés pour cette culture, ſi l’on pratique des rigoles & des foſſés pour l’écoulement des eaux, & ſi l’on a la précaution de ne planter qu’après la ſaiſon des pluies qui occaſionnent ſouvent des débordemens.
On jette la graine dans de petites foſſes faites avec la houe, de deux ou trois pouces de profondeur, éloignées d’un pied les unes des autres, & en ligne droite le plus qu’il eſt poſſible.
Il faut avoir une attention continuelle à arracher les mauvaiſes herbes qui étoufferoient aiſément l’indigotier.
Quoiqu’on le puiſſe ſemer en toutes les ſaiſons, on préfère communément le printems.
L’humidité fait lever la plante dans trois ou quatre jours.
Elle eſt mûre au bout de deux mois.
On la coupe avec des couteaux courbés en ſerpettes, lorſqu’elle commence à fleurir ; & les coupes continuent de ſix en ſix ſemaines, ſi le tems eſt un peu pluvieux.
Sa durée eſt d’environ deux ans.
Après ce terme elle dégénère.
On l’arrache, & on la renouvelle.
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Cette plante veut une terre légère, bien labourée, et qui ne soit jamais inondée.
L’on préfère pour cette raison des lieux qui ont de la pente, parce que cette position préserve les champs du séjour des pluies, qui flétriraient l’indigotier, et des inondations, qui le couvriraient d’un limon nuisible.
Les terrains bas et plats peuvent être encore employés pour cette culture, si l’on pratique des rigoles et des fossés pour l’écoulement des eaux, et si l’on a la précaution de ne planter qu’après la saison des pluies, qui occasionnent souvent des débordemens.
On jette la graine dans de petites fosses faites avec la houe, de deux ou trois pouces de profondeur, éloignées d’un pied les unes des autres, et en ligne droite le plus qu’il est possible.
Il faut avoir une attention continuelle à arracher les mauvaises herbes, qui étoufferaient aisément l’indigotier.
Quoiqu’on le puisse semer en toutes les saisons, on préfère communément le printemps.
L’humidité fait lever la plante dans trois ou quatre jours.
Elle est mûre au bout de deux mois.
On la coupe avec des couteaux courbés en serpettes lorsqu’elle commence à fleurir, et les coupes continuent de six en six semaines, si le temps est un peu pluvieux.
Sa durée est d’environ deux ans.
Après ce terme elle dégénère.
On l’arrache et on la renouvelle.
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Comme cette plante épuiſe bientôt le ſol, parce qu’elle ne pompe pas aſſez d’air & de roſée par ſes feuilles pour humecter la terre, il eſt avantageux au cultivateur d’avoir un vaſte eſpace qui demeure couvert d’arbres, juſqu’à ce qu’il convienne de les abattre, pour faire occuper leur place par l’indigo : car il faut ſe repréſenter les arbres comme des ſiphons par leſquels la terre & l’air ſe communiquent réciproquement leur ſubſtance fluide & végétative, des ſiphons où les vapeurs & les ſucs s’attirant tour-à-tour, ſe mettent en équilibre.
Ainſi, tandis que la ſève de la terre monte par les racines juſqu’aux branches, les feuilles aſpirent l’air & les vapeurs qui circulant par les fibres de l’arbre redeſcendent dans la terre, & lui rendent en roſée ce qu’elle perd en ſève.
C’eſt pour obéir à cette influence réciproque, qu’au défaut des arbres qui conſervent les champs vierges pour y ſemer de l’indigo, on couvre ceux qui ſont uſés par cette plante de patates ou de lianes, dont les branches rampantes conſervent la fraîcheur de la terre, & dont les feuilles brûlées renouvellent la fertilité.
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Comme cette plante épuise bientôt le sol, parce qu’elle ne pompe pas assez d’air et de rosée par ses feuilles pour humecter la terre, il est avantageux au cultivateur d’avoir un vaste espace qui demeure couvert d’arbres jusqu’à ce qu’il convienne de les abattre pour faire occuper leur place par l’indigo ; car il faut se représenter les arbres comme des siphons par lesquels la terre et l’air se communiquent réciproquement leur substance fluide et végétative, des siphons où les vapeurs et les sucs, s’attirant tour à tour, se mettent en équilibre.
Ainsi, tandis que la sève de la terre monte par les racines jusqu’aux branches, les feuilles aspirent l’air et les vapeurs, qui, circulant par les fibres de l’arbre, redescendent dans la terre et lui rendent en rosée ce qu’elle perd en sève.
C’est pour obéir à cette influence réciproque qu’au défaut des arbres qui conservent les champs vierges pour y semer de l’indigo on, couvre ceux qui sont usés par cette plante de patates ou de lianes, dont les branches rampantes conservent la fraîcheur de la terre, et dont les feuilles brûlées renouvellent la fertilité.
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On diſtingue pluſieurs eſpèces d’indigo, mais on n’en cultive que deux.
Le franc dont nous venons de parler, & le bâtard qui en diffère par ſa tige beaucoup plus élevée, plus ligneuſe & plus durable ; par ſes folioles plus longues & plus étroites ; par ſes gouſſes plus courbes ; par ſes ſemences noirâtres.
Quoique l’un obtienne un plus haut prix, il eſt communément avantageux de cultiver l’autre, parce qu’on le renouvelle moins ſouvent, qu’il eſt plus peſant, qu’il donne plus de feuilles dont le produit eſt cependant moindre, à volume égal.
On trouve un plus grand nombre de terres propres au premier ; le ſecond réuſſit mieux dans celles qui ſont plus expoſées à la pluie.
Tous deux ſont ſujets à de grands accidens dans le premier âge.
Ils ſont quelquefois brûlés par l’ardeur du ſoleil ou étouffés ſous une toile dont un ver particulier à ces régions les entoure.
On en voit dont le pied ſèche & tombe par la piquûre d’un autre ver fort commun, ou dont les feuilles qui font leur prix ſont dévorées en vingt-quatre heures par les chenilles.
Ce dernier accident trop ordinaire a fait dire que les cultivateurs d’indigo ſe couchoient riches & ſe levoient ruinés.
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On distingue plusieurs espèces d’indigo ; mais on n’en cultive que deux : le franc, dont nous venons de parler ; et le bâtard, qui en diffère par sa tige beaucoup plus élevée, plus ligneuse et plus durable, par ses folioles plus longues et plus étroites, par ses gousses plus courbes, par ses semences noirâtres.
Quoique l’un obtienne un plus haut prix, il est communément avantageux de cultiver l’autre, parce qu’on le renouvelle moins souvent, qu’il est plus pesant, qu’il donne plus de feuilles, dont le produit est cependant moindre, à volume égal.
On trouve un plus grand nombre de terres propres au premier ; le second réussit mieux dans celles qui sont plus exposées à la pluie.
Tous deux sont sujets à de grands accidens dans le premier âge.
Ils sont quelquefois brûlés par l’ardeur du soleil, ou étouffés sous une toile dont un ver particulier à ces régions les entoure.
On en voit dont le pied sèche et tombe par la piqûre d’un autre ver fort commun, ou dont les feuilles, qui font leur prix, sont dévorées en vingt-quatre heures par les chenilles.
Ce dernier accident, trop ordinaire, a fait dire que les cultivateurs d’indigo se couchaient riches et se levaient ruinés.
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Cette production doit être ramaſſée avec précaution, de peur qu’en la ſecouant on ne faſſe tomber la farine attachée aux feuilles, qui eſt très-précieuſe.
On la jette dans la trempoire.
C’eſt une grande cuve, remplie d’eau.
Il s’y fait une fermentation qui, dans vingt-quatre heures au plus tard, arrive au degré qu’on deſire.
On ouvre alors un robinet pour faire couler l’eau dans une ſeconde cuve, appellée la batterie.
On nettoie auſſi-tôt la trempoire afin de lui faire recevoir de nouvelles plantes, & de continuer le travail ſans interruption.
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Cette production doit être ramassée avec précaution, de peur qu’en la secouant on ne fasse tomber la farine attachée aux feuilles, qui est trèsprécieuse.
On la jette dans la trempoire.
C’est une grande cuve remplie d’eau.
Il s’y fait une fermentation qui, dans vingt-quatre heures au plus tard, arrive au degré qu’on désire.
On ouvre alors un robinet pour faire couler l’eau dans une seconde cuve, appelée la batterie.
On nettoie aussitôt la trempoire, afin de lui faire recevoir de nouvelles plantes, et de continuer le travail sans interruption.
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L’eau qui a paſſé dans la batterie ſe trouve imprégnée d’une terre très-ſubtile qui conſtitue ſeule la fécule ou ſubſtance bleue que l’on cherche, & qu’il faut ſéparer du ſel inutile de la plante, parce qu’il fait ſurnager la fécule.
Pour y parvenir, on agite violemment l’eau avec des ſeaux de bois percés & attachés à un long manche.
Cet exercice exige la plus grande précaution.
Si on ceſſoit trop tôt de battre, on perdroit la partie colorante qui n’auroit pas encore été ſéparée du ſel.
Si au contraire, on continuoit de battre la teinture après l’entière ſéparation, les parties ſe rapprocheroient, formeroient une nouvelle combinaiſon ; & le ſel par ſa réaction ſur la fécule, exciteroit une ſeconde fermentation qui altéreroit la teinture, en noirciroit la couleur, & feroit ce qu’on appelle indigo brûlé.
Ces accidens ſont prévenus par une attention ſuivie aux moindres changemens que ſubit la teinture, & par la précaution que prend l’ouvrier d’en puiſer un peu, de tems en tems, avec un vaſe propre.
Lorſqu’il s’apperçoit que les molécules colorées ſe raſſemblent en ſe ſéparant du reſte de la liqueur, il fait ceſſer le mouvement des ſeaux pour donner le tems à la fécule bleue de ſe précipiter au fond de la cuve, où on la laiſſe ſe raſſeoir juſqu’à ce que l’eau ſoit totalement éclaircie.
On débouche alors ſucceſſivement des trous percés à différentes hauteurs, par leſquels cette eau inutile ſe répand en-dehors.
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L’eau qui a passé dans la batterie se trouve imprégnée d’une terre très-subtile, qui constitue seule la fécule ou substance bleue que l’on cherche, et qu’il faut séparer du sel inutile de la plante, parce qu’il fait surnager la fécule.
Pour y parvenir, on agite violemment l’eau avec des seaux de bois percés et attachés à un long manche.
Cet exercice exige la plus grande précaution.
Si on cessait trop tôt de battre, on perdrait la partie colorante qui n’aurait pas encore été séparée du sel.
Si, au contraire, on continuait de battre la teinture après l’entière séparation, les parties se rapprocheraient, formeraient une nouvelle combinaison, et le sel, par sa réaction sur la fécule, exciterait une seconde fermentation qui altérerait la teinture, en noircirait la couleur, et ferait ce qu’on appelle indigo brûlé.
Ces accidens sont prévenus par une attention suivie aux moindres changemens que subit la teinture, et par la précaution que prend l’ouvrier d’en puiser un peu de temps en temps avec un vase propre.
Lorsqu’il s’aperçoit que les molécules colorées se rassemblent en se séparant du reste de la liqueur, il fait cesser le mouvement des seaux pour donner le temps à la fécule bleue de se précipiter au fond de la cuve, où on la laisse se rasseoir jusqu’à ce que l’eau soit totalement éclaircie.
On débouche alors successivement des trous percés à différentes hauteurs, par lesquels cette eau inutile se répand en dehors.
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La fécule bleue qui eſt reſtée au fond de la batterie, ayant acquis la conſiſtance d’une boue liquide, on ouvre des robinets qui la font paſſer dans le repoſoir.
Après qu’elle s’eſt encore dégagée de beaucoup d’eau ſuperflue dans cette troiſième & dernière cuve, on la fait égoutter dans des ſacs ; d’où, quand il ne filtre plus d’eau au travers de la toile, cette matière devenue plus épaiſſe, eſt miſe dans des caiſſons où elle achève de perdre ſon humidité.
Au bout de trois mois, l’indigo eſt en état d’être vendu.
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La fécule bleue qui est restée au fond de la batterie ayant acquis la consistance d’une boue liquide, on ouvre des robinets qui la font passer dans le reposoir.
Après qu’elle s’est encore dégagée de beaucoup d’eau superflue dans cette troisième et dernière cuve, on la fait égoutter dans des sacs, d’où, quand il ne filtre plus d’eau au travers de la toile, cette matière, devenue plus épaisse, est mise dans des caissons, où elle achève de perdre son humidité.
Au bout de trois mois, l’indigo est en état d’être vendu.
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Les blanchiſſeuſes l’emploient pour donner une couleur bleuâtre au linge.
Les peintres s’en ſervent dans leurs détrempes.
Les teinturiers ne ſauroient faire de beau bleu ſans indigo.
Les anciens le tiroient de l’Inde Orientale.
Il a été tranſplanté, dans des tems modernes, en Amérique.
Sa culture eſſayée ſucceſſivement en différens endroits, paroît fixée à la Caroline, à la Géorgie, à la Floride, à la Louyſiane, à Saint-Domingue & au Mexique.
Ce dernier, le plus recherché de tous, eſt connu ſous le nom de Guatimala, parce qu’il croît ſur le territoire de cette cité fameuſe.
On ſe l’y procure d’une manière qui mérite d’être remarquée.
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Les blanchisseuses l’emploient pour donner une couleur bleuâtre au linge.
Les peintres s’en servent dans leurs détrempes.
Les teinturiers ne sauraient faire de beau bleu sans indigo.
Les anciens le tiraient de l’Inde orientale.
Il a été transplanté, dans des temps modernes, en Amérique.
Sa culture, essayée successivement en différens endroits, paraît fixée à la Caroline, à la Géorgie, à la Floride, à la Louisiane, à Saint-Domingue et au Mexique.
Ce dernier, le plus recherché de tous, est connu sous le nom de Guatimala, parce qu’il croît sur le territoire de cette cité fameuse.
On se l’y procure d’une manière qui mérite d’être remarquée.
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Dans ces belles contrées où chaque propriété a quinze ou vingt lieues d’étendue, une portion de ce vaſte eſpace eſt employé tous les ans à la culture de l’indigo.
Pour l’obtenir, les travaux ſe réduiſent à brûler les arbuſtes qui couvrent les campagnes, à donner aux terres un ſeul labour fait avec négligence.
Ces opérations ont lieu dans le mois de mars, ſaiſon où il ne pleut que trèsrarement dans ce délicieux climat.
Un homme à cheval jette enſuite la graine de cette plante de la même manière qu’on ſème le bled en Europe.
Perſonne ne s’occupe plus de cette riche production juſqu’à la récolte.
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Dans ces belles contrées où chaque propriété a quinze ou vingt lieues d’étendue, une portion de ce vaste espace est employée tous les ans à la culture de l’indigo.
Pour l’obtenir, les travaux se réduisent à brûler les arbustes qui couvrent les campagnes, à donner aux terres un seul labour fait avec négligence.
Ces opérations ont lieu dans le mois de mars, saison où il ne pleut que trèsrarement dans ce délicieux climat.
Un homme à cheval jette ensuite la graine de cette plante de la même manière qu’on sème le blé en Europe.
Personne ne s’occupe plus de cette riche production jusqu’à la récolte.
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Il arrive de-là que l’indigo lève dans un endroit & qu’il ne lève point dans d’autres ; que celui qui eſt levé eſt ſouvent étouffé par les plantes paraſites dont des ſarclages faits à propos l’auroient débarraſſé.
Auſſi les Eſpagnols recueillent-ils moins d’indigo ſur 3 ou 4 lieues de terrein que les nations rivales dans quelques arpens bien travaillés.
Auſſi leur indigo, quoique fort ſupérieur à tous les autres n’a-t-il pas toute la perfection dont il ſeroit ſuſceptible.
L’Europe en reçoit annuellement ſix mille quintaux, qu’elle paie 7,626,960 liv.
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Il arrive de là que l’indigo lève dans un endroit et qu’il ne lève pas dans d’autres ; que celui qui est levé est souvent étouffé par les plantes parasites dont des sarclages faits à propos l’auraient débarrassé.
Aussi les Espagnols recueillent-ils moins d’indigo sur trois ou quatre lieues de terrain que les nations rivales dans quelques arpens bien travaillés.
Aussi leur indigo, quoique fort supérieur à tous les autres, n’a-t-il pas toute la perfection dont il serait susceptible.
L’Europe en reçoit annuellement six à sept mille quintaux, qu’elle paie huit ou neuf millions de livres.
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Cette proſpérité augmenteroit infailliblement, ſi la cour de Madrid mettoit les naturels du pays en état de cultiver l’indigo pour leur propre compte.
Cet intérêt perſonnel, ſubſtitué à un intérêt étranger, les rendroit plus actifs, plus intelligens ; & il eſt vraiſemblable que l’abondance & la bonté de l’indigo du Mexique banniroient, avec le tems, celui des autres colonies de tous les marchés.
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Cette prospérité augmenterait infailliblement, si la cour de Madrid mettait les naturels du pays en état de cultiver l’indigo pour leur propre compte.
Cet intérêt personnel, substitué à un intérêt étranger, les rendrait plus actifs, plus intelligens ; et il est vraisemblable que l’abondance et la bonté de l’indigo du Mexique banniraient, avec le temps, celui des autres colonies de tous les marchés.
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La cochenille, à laquelle nous devons nos belles couleurs de pourpre & d’écarlate, n’a exiſté juſqu’ici qu’au Mexique.
J’avois avancé d’après les meilleurs auteurs, même Eſpagnols, que la nature de cette couleur étoit inconnue avant le commencement du ſiècle.
En remontant aux originaux, j’ai trouvé qu’Acoſta, en 1530, & Herrera, en 1601, l’avoient auſſi bien décrite que nos modernes naturaliſtes.
Je me retracte donc ; & je ſuis bien fâché de ne m’être pas trompé plus ſouvent dans ce que j’ai écrit des Eſpagnols.
Grace à l’ignorance des voyageurs & à la légéreté avec laquelle ils conſidèrent les productions de la nature dans tous les règnes, ſon hiſtoire ſe remplit de fauſſetés qui paſſent d’un ouvrage dans un autre, & que des auteurs qui ſe copient ſucceſſivement, tranſmettent d’âge en âge.
On n’examine guère ce qu’on croit bien ſavoir ; & c’eſt ainſi qu’après avoir propagé les erreurs, les témoignages qui retardent l’obſervation en prolongent encore la durée.
Un autre inconvénient, c’eſt que les philoſophes perdent un tems précieux à élever des ſyſtêmes qui nous en impoſent juſqu’à ce que les prétendus faits qui leur ſervoient de baſe aient été démentis.
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La cochenille, à laquelle nous devons nos belles couleurs de pourpre et d’écarlate, n’a existé jusqu’ici qu’au Mexique.
J’avais avancé, d’après les meilleurs auteurs, même espagnols, que la nature de cette couleur était inconnue avant le commencement du siècle.
En remontant aux originaux, j’ai trouvé qu’Acosta, en 1530, et Herréra, en 1601, l’avaient aussi bien décrite que nos modernes naturalistes.
Je me rétracte donc ; et je suis bien fâché de ne m’être pas trompé plus souvent dans ce que j’ai écrit des Espagnols.
Grâce à l’ignorance des voyageurs et à la légèreté avec laquelle ils considèrent les productions de la nature dans tous les règnes, son histoire se remplit de faussetés qui passent d’un ouvrage dans un autre, et que des auteurs qui se copient successivement transmettent d’âge en âge.
On n’examine guère ce qu’on croit bien savoir ; et c’est ainsi qu’après avoir propagé les erreurs, les témoignages qui retardent l’observation en prolongent encore la durée.
Un autre inconvénient, c’est que les philosophes perdent un temps précieux à élever des systèmes qui nous en imposent jusqu’à ce que les prétendus faits qui leur servaient de base aient été démentis.
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La cochenille eſt un inſecte de la groſſeur & de la forme d’une punaiſe.
Les deux ſexes y ſont diſtincts, comme dans la plupart des autres animaux.
La femelle, fixée ſur un point de la plante preſqu’au moment de ſa naiſſance, y reſte toujours attachée par une eſpèce de trompe & ne préſente qu’une croute preſque hémiſphérique qui recouvre toutes les autres parties.
Cette enveloppe change deux fois en vingt-cinq jours & eſt enduite d’une pouſſière blanche, graſſe, impénétrable à l’eau.
A ce terme, qui eſt l’époque de la puberté, le mâle, beaucoup plus petit & dont la forme eſt plus dégagée, ſort d’un tuyau farineux, à l’aide d’aîles dont il eſt pourvu.
Il voltige au-deſſus des femelles immobiles & s’arrête ſur chacune d’elles.
La même femelle eſt ainſi viſitée par pluſieurs mâles qui périſſent bientôt après la fécondation.
Son volume augmente ſenſiblement juſqu’à ce qu’une goutte de liqueur, échappée de deſſous elle, annonce la ſortie prochaine des œufs qui ſont en grand nombre.
Les petits rompent leur enveloppe en naiſſant & ſe répandent bientôt ſur la plante pour choiſir une place favorable & pour s’y fixer.
Ils cherchent ſur-tout à ſe mettre à l’abri du vent d’Eſt.
Auſſi l’arbriſſeau ſur lequel ils vivent, vu de ce côté-là, paroît-il tout vert ; tandis qu’il eſt blanc du côté oppoſé ſur lequel les inſectes ſe ſont portés de préférence.
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La cochenille est un insecte de la grosseur et de la forme d’une punaise.
Les deux sexes y sont distincts comme dans la plupart des autres animaux.
La femelle, fixée sur un point de la plante presqu’au moment de sa naissance, y reste toujours attachée par une espèce de trompe, et ne présente qu’une croûte presque hémisphérique qui recouvre toutes les autres parties.
Cette enveloppe change deux fois en vingt-cinq jours, et est enduite d’une poussière blanche, grasse, impénétrable à l’eau.
A ce terme, qui est l’époque de la puberté, le mâle, beaucoup plus petit, et dont la forme est plus dégagée, sort d’un tuyau farineux, à l’aide d’ailes dont il est pourvu.
Il voltige au-dessus des femelles immobiles, et s’arrête sur chacune d’elles.
La même femelle est ainsi visitée par plusieurs mâles, qui périssent bientôt après la fécondation.
Son volume augmente sensiblement jusqu’à ce qu’une goutte de liqueur, échappée de dessous elle, annonce la sortie prochaine des œufs, qui sont en grand nombre.
Les petits rompent leur enveloppe en naissant, et se répandent bientôt sur la plante pour choisir une place favorable et pour s’y fixer.
Ils cherchent surtout à se mettre à l’abri du vent d’est.
Aussi l’arbrisseau sur lequel ils vivent, vu de ce côté-là, paraît-il tout vert, tandis qu’il est blanc du côté opposé sur lequel les insectes se sont portés de préférence.
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Cet arbriſſeau, connu ſous le nom de nopal, de raquette & de figue d’Inde, a environ cinq pieds de haut.
Sa tige eſt charnue, large, applatie, veloutée, un peu âpre, couverte de houppes d’épine répandues ſymétriquement ſur ſa ſurface.
Elle ſe ramifie beaucoup & ſe retrécit, ainſi que les rameaux, dans chacun de ſes points de diviſion : ce qui donne aux diverſes portions de la plante, ainſi étranglée, la forme d’une feuille ovale, épaiſſe & épineuſe.
Cette plante n’a point d’autres feuilles.
Ses fleurs éparſes ſur les jeunes tiges ſont compoſées d’un calice écailleux qui ſupporte beaucoup de pétales & d’étamines.
Le piſtil, ſurmonté d’un ſeul ſtyle & caché dans le fond du calice, devient avec lui un fruit bon à manger, ſemblable à une figue, rempli de ſemences nichées dans une pulpe rougeâtre.
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Cet arbrisseau, connu sous le nom de nopal, de raquette et de figuier d’Inde, a environ cinq pieds de haut.
Sa tige est charnue, large, aplatie, veloutée, un peu âpre, couverte de houppes d’épine répandues symétriquement sur sa surface.
Elle se ramifie beaucoup, et se rétrécit, ainsi que les rameaux, dans chacun de ses points de division ; ce qui donne aux diverses portions de la plante ainsi étranglée la forme d’une feuille ovale, épaisse et épineuse.
Cette plante n’a point d’autres feuilles.
Ses fleurs, éparses sur les jeunes tiges, sont composées d’un calice écailleux qui supporte beaucoup de pétales et d’étamines.
Le pistil, surmonté d’un seul style, et caché dans le fond du calice, devient avec lui un fruit bon à manger, semblable à une figue, rempli de semences nichées dans une pulpe rougeâtre.
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Il y a pluſieurs eſpèces de nopal.
Ceux qui ont la tige liſſe les épines nombreuſes & trop rapprochées ne ſont point propres à l’éducation de la cochenille.
Elle ne réuſſit bien que ſur celui qui a peu d’épines & une ſurface veloutée, propre à lui donner une aſſiette plus aſſurée.
Il craint les vents, les pluies froides & la trop grande humidité.
La méthode de le recéper n’eſt pas avantageuſe.
On gagne plus à le replanter tous les ſix ans en mettant pluſieurs portions de tiges dans des foſſes aſſez profondes, diſpoſées en quinconce ou en quarré, à ſix ou huit pieds de diſtance.
Un terrein ainſi planté, connu ſous le nom de nopalerie, n’a ordinairement qu’un ou deux arpens d’étendue, rarement trois.
Chaque arpent produit juſqu’à deux quintaux de cochenille, & un homme ſuffit pour le cultiver.
Il doit ſarcler ſouvent, mais avec précaution, pour ne pas déranger l’inſecte qui ne ſurvit pas à ſon déplacement.
Il détruira encore avec ſoin les animaux deſtructeurs, dont le plus redoutable eſt une chenille qui fait des traînées dans l’intérieur même de la plante, & attaque l’inſecte en-deſſous.
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Il y a plusieurs espèces de nopal.
Ceux qui ont la tige lisse, les épines nombreuses et trop rapprochées, ne sont point propres à l’éducation de la cochenille.
Elle ne réussit bien que sur celui qui a peu d’épines et une surface veloutée, propre à lui donner une assiette plus assurée.
Il craint les vents, les pluies froides et la trop grande humidité.
La méthode de le recéper n’est pas avantageuse.
On gagne plus à le replanter tous les six ans, en mettant plusieurs portions de tiges dans des fosses assez profondes, disposées en quinconce ou en carré, à six ou huit pieds de distance.
Un terrain ainsi planté, connu sous le nom de nopalerie, n’a ordinairement qu’un ou deux arpens d’étendue, rarement trois.
Chaque arpent produit jusqu’à deux quintaux de cochenille, et un homme suffit pour le cultiver.
Il doit sarcler souvent, mais avec précaution, pour ne pas déranger l’insecte, qui ne survit pas à son déplacement.
Il détruira encore avec soin les animaux destructeurs, dont le plus redoutable est une chenille qui fait des traînées dans l’intérieur même de la plante, et attaque l’insecte en dessous.
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Dix-huit mois après la plantation, on couvre le nopal de cochenilles : mais pour les distribuer plus réguliérement ſur toute la plante, & empêcher qu’elles ne ſe nuiſent par leur rapprochement, on attache aux épines, de diſtance en diſtance, de petits nids faits avec la bourre de coco, ouverts du côté de l’Oueſt, remplis de douze à quinze mères prêtes à pondre.
Les petits qui en ſortent s’attachent au nopal, & parviennent à leur plus grande conſiſtance en deux mois qui ſont la durée de leur vie.
On en fait alors la récolte qui ſe renouvelle tous les deux mois depuis octobre juſqu’en mai.
Elle peut être moins avantageuſe s’il y a un mêlange d’une autre cochenille de moindre prix, ou s’il y a abondance de mâles dont on fait peu de cas, parce qu’ils ſont plus petits & qu’ils tombent avant le tems.
Cette récolte doit précéder de quelques jours le moment de la ponte, ſoit pour prévenir la perte des œufs qui ſont riches en couleur, ſoit pour empêcher les petits de ſe répandre ſur une plante déja épuiſée, qui a beſoin de quelques mois de repos.
En commençant par le bas, on détache ſucceſſivement les cochenilles avec un couteau, & on les fait tomber dans un baſſin placé au-deſſous, dont un des bords applati s’applique exactement contre la plante que l’on nettoie enſuite avec le même couteau ou avec un linge.
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Dix-huit mois après la plantation, on couvre le nopal de cochenilles ; mais pour les distribuer plus régulièrement sur toute la plante, et empêcher qu’elles ne se nuisent par leur rapprochement, on attache aux épines, de distance en distance, de petits nids faits avec la bourre de coco, ouverts du côté de l’ouest, remplis de douze à quinze mères prêtes à pondre.
Les petits qui en sortent s’attachent au nopal, et parviennent à leur plus grande consistance en deux mois, qui sont la durée de leur vie.
On en fait alors la récolte, qui se renouvelle tous les deux mois, depuis octobre jusqu’en mai.
Elle peut être moins avantageuse, s’il y a un mélange d’une autre cochenille de moindre prix, ou s’il y a abondance de mâles, dont on fait peu de cas, parce qu’ils sont plus petits, et qu’ils tombent avant le temps.
Cette récolte doit précéder de quelques jours le moment de la ponte, soit pour prévenir la perte des œufs qui sont riches en couleur, soit pour empêcher les petits de se répandre sur une plante déjà épuisée, qui a besoin de quelques mois de repos.
En commençant par le bas, on détache successivement les cochenilles avec un couteau, et on les fait tomber dans un bassin placé audessous, dont un des bords, aplati, s’applique exactement contre la plante, que l’on nettoie ensuite avec le même couteau ou avec un linge.
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Immédiatement avant la ſaiſon des pluies, pour prévenir la deſtruction totale des cochenilles qui pourroit être occaſionnée par l’intempérie de l’air, on coupe les branches de nopal chargées d’inſectes encore jeunes.
On les ſerre dans les habitations, où elles conſervent leur fraîcheur comme toutes les plantes qu’on nomme graſſes.
Les cochenilles y croiſſent pendant la mauvaiſe ſaiſon.
Dès qu’elle eſt paſſée, on les met ſur des arbres extérieurs où la fraîcheur vivifiante de l’air leur fait bientôt faire leurs petits.
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Immédiatement avant la saison des pluies, pour prévenir la destruction totale des cochenilles, qui pourrait être occasionnée par l’intempérie de l’air, on coupe les branches du nopal chargées d’insectes encore jeunes.
On les serre dans les habitations, où elles conservent leur fraîcheur comme toutes les plantes qu’on nomme grasses.
Les cochenilles y croissent pendant la mauvaise saison.
Dès qu’elle est passée, on les met sur des arbres extérieurs, où la fraîcheur vivifiante de l’air leur fait bientôt faire leurs petits.
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La cochenille ſylveſtre, eſpèce différente de la cochenille fine ou meſteque dont on vient de parler, mais cultivée dans les mêmes lieux & ſur la même plante, n’exige pas les mêmes ſoins & les mêmes précautions.
Elle a la vie moins délicate, réſiſte mieux aux injures de l’air.
Sa récolte eſt conſéquemment moins variable pour le produit & peut ſe faire toute l’année.
Elle diffère de l’autre en ce qu’elle eſt plus petite, plus vorace, moins chargée en couleur, enveloppée d’un coton qu’elle étend à deux lignes autour d’elle.
Elle ſe multiplie plus facilement, ſe répand plus loin & plus vîte ſans aucun ſecours étranger ; de ſorte qu’une nopalerie en eſt bientôt couverte.
Comme ſon produit eſt plus ſûr, que ſon prix équivaut aux deux tiers de celui de la meſteque, & qu’elle ſe propage ſur toutes les eſpèces de nopal, on peut la cultiver avec ſuccès, mais ſéparément, parce que ſon voiſinage affameroit l’autre qui ſeroit auſſi étouffée ſous ſon duvet.
On retrouve cette eſpèce au Pérou ſur un nopal très-épineux qui y eſt fort commun.
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La cochenille sylvestre, espèce différente de la cochenille fine ou mestèque, dont on vient de parler, mais cultivée dans les mêmes lieux et sur la même plante, n’exige pas les mêmes soins et les mêmes précautions.
Elle a la vie moins délicate, résiste mieux aux injures de l’air.
Sa récolte est conséquemment moins variable pour le produit, et peut se faire toute l’année.
Elle diffère de l’autre en ce qu’elle est plus petite, plus vorace, moins chargée en couleur, enveloppée d’un coton qu’elle étend à deux lignes autour d’elle.
Elle se multiplie plus facilement, se répand plus loin et plus vite sans aucun secours étranger ; de sorte qu’une nopalerie en est bientôt couverte.
Comme son produit est plus sûr, que son prix équivaut aux deux tiers de celui de la mestèque, et qu’elle se propage sur toutes les espèces de nopal, on peut la cultiver avec succès, mais séparément.
parce que son voisinage affamerait l’autre, qui serait aussi étouffée sous son duvet.
On retrouve cette espèce au Pérou sur un nopal très-épineux, qui y est fort commun.
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Les cochenilles n’ont pas été plutôt recueillies, qu’on les plonge dans l’eau chaude pour les faire mourir.
Il y a différentes manières de les ſécher.
La meilleure eſt de les expoſer pendant pluſieurs jours au ſoleil, où elles prennent une teinte de brun roux, ce que les Eſpagnols appellent renegrida.
La ſeconde eſt de les mettre au four, où elles prennent une couleur griſâtre, veinée de pourpre, ce qui leur fait donner le nom de jafpeada.
Enfin, la plus imparfaite, qui eſt celle que les Indiens pratiquent le plus communément, conſiſte à les mettre ſur des plaques avec leurs gâteaux de maïs : elles s’y brûlent ſouvent.
On les appelle negra.
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Les cochenilles n’ont pas été plus tôt recueillies, qu’on les plonge dans l’eau chaude pour les faire mourir.
Il y a différentes manières de les sécher.
La meilleure est de les exposer pendant plusieurs jours au soleil, où elles prennent une teinte de brun roux, ce que les Espagnols appellent renegrida.
La seconde est de les mettre au four, où elles prennent une couleur grisâtre, veinée de pourpre ; ce qui leur fait donner le nom de jaspeada.
Enfin la plus imparfaite, qui est celle que les Indiens pratiquent le plus communément, consiste à les mettre sur des plaques avec leurs gâteaux de maïs : elles s’y brûlent souvent.
On les appelle negra.
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Quoique la cochenille appartienne au règne animal qui eſt l’eſpèce la plus périſſable, elle ne ſe gâte jamais.
Sans autre attention que celle de l’enfermer dans une boëte, on la garde des ſiècles entiers avec toute ſa vertu.
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Quoique la cochenille appartienne au règne animal, qui est l’espèce la plus périssable, elle ne se gâte jamais.
Sans autre attention que celle de l’enfermer dans une boîte, on la garde des siècles entiers avec toute sa vertu.
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Cette riche production réussit mieux sur un terrain aride, où le nopal se plaît, que sur un sol naturellement fécond ; elle éprouve moins d’accidens dans des expositions agréablement tempérées que dans celles où le froid et le chaud se font sentir davantage.
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Cette riche production réuſſiroit vraiſemblablement dans différentes parties du Mexique : mais juſqu’à nos jours, il n’y a eu guère que la province d’Oaxaca qui s’en ſoit ſérieuſement occupée.
Les récoltes ont été plus abondantes ſur un terrein aride, où le nopal ſe plaît, que ſur un ſol naturellement fécond ; elles ont éprouvé moins d’accidens dans les expoſitions agréablement tempérées, que dans celles où le froid & le chaud ſe faiſoient ſentir davantage.
Les Mexicains connoiſſoient la cochenille avant la deſtruction de leur empire.
Ils s’en ſervoient pour peindre leurs maiſons & pour teindre leur coton.
On voit dans Herrera que, dès 1523, le miniſtère ordonnoit à Cortès de la multiplier.
Les conquérans repouſſèrent ce travail comme ils mépriſoient tous les autres ; & il reſta tout entier aux Indiens.
Eux ſeuls s’y livrent encore : mais trop ſouvent avec les fonds avancés par les Eſpagnols, à des conditions plus ou moins uſuraires.
Le fruit de leur induſtrie eſt tout porté dans la capitale de la province, qui ſe nomme auſſi Oaxaca.
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Les Mexicains connurent la cochenille longtemps avant la destruction de leur empire.
Ils s’en servaient pour peindre leurs maisons et pour teindre leur coton.
On lit dans Herréra que, dès 1523, le ministère ordonnait à Cortez de la multiplier.
Les conquérans repoussèrent ce travail comme ils dédaignaient tous les autres ; et il resta tout entier aux Indiens.
Eux seuls continuèrent à s’y livrer, mais trop souvent avec les fonds avancés par les Espagnols, à des conditions plus ou moins usuraires.
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Cette ville où l’on arrive par de beaux chemins, & où l’on jouit d’un printems continuel, s’élève au milieu d’une plaine ſpacieuſe, couverte de jolis hameaux & bien cultivée.
Ses rues ſont larges, tirées au cordeau, & formées par des maiſons un peu baſſes, mais agréablement bâties.
Ses places, ſon aqueduc, ſes édifices publics ſont d’aſſez bon goût.
Elle a quelques manufactures de ſoie & de coton.
Les marchandiſes d’Aſie & celles d’Europe y ſont d’un uſage général.
Nous avons eu occaſion de voir pluſieurs voyageurs que les circonſtances avoient conduits à Oaxaca.
Tous nous ont aſſuré que de tous les établiſſemens formés par les Eſpagnols dans le NouveauMonde , c’étoit celui où l’eſprit de ſociété avoit fait le plus de progrès.
Tant d’avantages paroiſſent une ſuite du commerce de la cochenille.
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Indépendamment de ce que conſomment l’Amérique & les Philippines, l’Europe reçoit tous les ans quatre mille quintaux de cochenille fine, deux cens quintaux de granille, cent quintaux de pouſſière de cochenille, & trois cens quintaux de cochenille ſylveſtre, qui, rendus dans ſes ports, ſont vendus 8,610,140 liv.
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Indépendamment de ce que consomment l’Amérique et l’Asie, l’Europe reçoit tous les ans quatre mille quintaux de cochenille fine, deux cents quintaux de granille, cent quintaux de poussière de cochenille, et trois cents quintaux de cochenille sylvestre, qui, rendus dans ses ports, sont vendus neuf à dix millions de livres.
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Cette riche production n’a crû juſqu’ici qu’au profit de l’Eſpagne.
M. Thiery, botaniſte François, bravant plus de dangers qu’on n’en ſauroit imaginer, l’a enlevée à Oaxaca même, & l’a tranſplantée à Saint-Domingue, où il la cultive avec une perſévérance digne de ſon premier courage.
Ses premiers ſuccès ont ſurpaſſé ſon attente, & tout porte à eſpérer que la ſuite répondra à de ſi heureux commencemens.
Puiſſe ce genre de culture, puiſſent les autres s’étendre plus loin encore & occuper de nouvelles nations.
Eh ! ne ſommes-nous pas tous frères ?
enfans du même père, ne ſommes-nous pas appellés à une deſtinée commune ?
Faut-il que je traverſe la proſpérité de mon ſemblable, parce que la nature a placé une rivière ou une montagne entre lui & moi ?
Cette barrière m’autoriſet-elle à le haïr, à le perſécuter ?
O combien cette prédilection excluſive pour des ſociétés particulières, a coûté de calamités au globe, combien il lui en coûtera dans la ſuite, ſi la ſaine philoſophie n’éclaire enfin des eſprits trop long-tems égarés par des ſentimens factices !
Ma voix eſt trop foible, ſans doute, pour diſſiper le preſtige.
Mais il naîtra, n’en doutons point, il naîtra des écrivains, dont le raiſonnement & l’éloquence perſuaderont tôt ou tard aux générations futures, que le genre humain eſt plus que la patrie, ou plutôt que le bonheur de l’une eſt étroitement lié à la félicité de l’autre.
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Cette riche production n’a crû jusqu’ici qu’au profit de l’Espagne.
Puisse ce genre de culture, puissent les autres cultures, sans en excepter aucune, occuper toutes les nations.
Eh ! ne sommes-nous pas tous frères ?
Enfans du même père, ne sommes-nous pas appelés à une destinée commune ?
Faut-il que je traverse la prospérité de mon semblable parce que la nature a placé une rivière ou une montagne entre lui et moi ?
Cette barrière m’autorise-t-elle à le haïr, à le persécuter ?
O combien cette prédilection exclusive pour des sociétés particulières a coûté de calamités au globe ! combien il lui en coûtera dans la suite, si la saine philosophie n’éclaire enfin des esprits trop long-temps égarés par des sentimens factices !
Ma voix est trop faible sans doute pour dissiper le prestige.
Mais il naîtra, n’en doutons point, il naîtra des écrivains dont le raisonnement et l’éloquence persuaderont tôt ou tard aux générations futures que le genre humain est plus que la patrie, ou plutôt que le bonheur de l’une est étroitement lié à la félicité de l’autre.
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Aux grandes exportations dont on a parlé, il faut ajouter l’envoi que fait le Mexique de dix mille trois cens cinquante quintaux de bois de campêche, qui produiſent 112,428 liv.
; de trois cens dix quintaux de breſillet, qui produiſent 4,266 liv.
; de quarante-ſept quintaux de carmin, qui produiſent 81,000 liv.
; de ſix quintaux d’écaille, qui produiſent 24,300 liv.
; de quarante-ſept quintaux de rocou, qui produiſent 21,600 liv.
; de trente quintaux de ſalſe-pareille, qui produiſent 4,147 liv.
; de quarante quintaux de baume, qui produiſent 45,920 liv.
; de cinq quintaux de ſang de dragon, qui produiſent 270 liv.
; de cent cuirs en poil, qui produiſent 1,620 liv.
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Aux grandes exportations dont on a parlé il faut ajouter l’envoi que fait le Mexique de onze à douze mille quintaux de bois de Campêche ; de trois à quatre cents quintaux de brésillet ; de cinquante quintaux de carmin ; de six à sept quintaux d’écaille ; de cinquante à soixante quintaux de rocou ; de trente à quarante quintaux de salsepareille ; de quarante à cinquante quintaux de baume ; de cinq à six quintaux de sangdragon ; de quelques cuirs en poil : objets peu importans, et qui, rendus dans la métropole, ne valent pas plus de quatre ou cinq cent mille livres.
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Mais, comme ſi la nature n’avoit pas fait aſſez pour l’Eſpagne, en lui accordant preſque gratuitement tous les tréſors de la terre que les autres nations ne doivent qu’aux travaux les plus rudes, elle lui a encore prodigué, ſur-tout au Mexique, l’or & l’argent qui ſont le véhicule ou le ſigne de toutes les productions.
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Mais, comme si la nature n’avait pas fait assez pour l’Espagne en lui accordant presque gratuitement tous les trésors de la terre que les autres nations ne doivent qu’aux travaux les plus rudes, elle lui a encore prodigué, surtout au Mexique, l’or et l’argent, qui sont le véhicule ou le signe de toutes les productions.
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Tel eſt ſur nous l’empire de ces brillans & funeſtes métaux, qu’ils ont balancé l’infamie & l’exécration que méritoient les dévaſtateurs de l’Amérique.
Les noms du Mexique, du Pérou, du Potoſi, ne nous font pas friſſonner ; & nous ſommes des hommes !
Aujourd’hui même que l’eſprit de juſtice & le ſentiment de l’humanité ſont devenus l’ame de nos écrits, la règle invariable de nos jugemens ; un navigateur qui deſcendroit dans nos ports avec un vaiſſeau chargé de richeſſes notoirement acquiſes par des moyens auſſi barbares, ne paſſeroit-il pas de ſon bord dans ſa maiſon, au milieu du bruit général de nos acclamations ?
Quelle eſt donc cette ſageſſe dont notre ſiècle s’enorgueillit ſi fort ?
Qu’eſt-ce donc que cet or, qui nous ôte l’idée du crime & l’horreur du ſang ?
Sans doute qu’un moyen d’échange entre les nations, un ſigne repréſentatif de toutes les ſortes de valeurs, une évaluation commune de tous les travaux, a quelques avantages.
Mais ne vaudroit-il pas mieux que les nations fuſſent demeurées ſédentaires, iſolées, ignorantes & hoſpitalières, que de s’être empoiſonnées de la plus féroce de toutes les paſſions ?
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Tel est sur nous l’empire de ces brillans et funestes métaux, qu’ils ont balancé l’infamie et l’exécration que méritaient les dévastateurs de l’Amérique.
Les noms du Mexique, du Pérou, du Potosi, ne nous font pas frissonner, et nous sommes des hommes !
Aujourd’hui même que l’esprit de justice et le sentiment de l’humanité sont devenus l’âme de nos écrits, la règle invariable de nos jugemens, un navigateur qui descendrait dans nos ports avec un vaisseau chargé de richesses notoirement acquises par des moyens aussi barbares ne passerait-il pas de son bord dans sa maison au milieu du bruit général de nos acclamations ?
Quelle est donc cette sagesse dont notre siècle s’enorgueillit si fort ?
Qu’est-ce donc que cet or qui nous ôte l’idée du crime et l’horreur du sang ?
Sans doute qu’un moyen d’échange entre les nations, un signe représentatif de toutes les sortes de valeurs, une évaluation commune de tous les travaux a quelques avantages.
Mais ne vaudrait-il pas mieux que les nations fussent demeurées sédentaires, isolées, ignorantes et hospitalières, que de s’être empoisonnées de la plus féroce de toutes les passions ?
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L’origine des métaux n’a pas été toujours bien connue.
On a cru long-tems qu’ils étoient auſſi anciens que le monde.
On penſe aujourd’hui, avec plus de raiſon, qu’ils ſe forment ſucceſſivement.
Il n’eſt pas poſſible en effet de douter que la nature ne ſoit dans une action continuelle, & que ſes reſſorts ne ſoient auſſi puiſſans ſous nos pieds que ſur notre tête.
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L’origine des métaux n’a pas été toujours bien connue.
On a cru long-temps qu’ils étaient aussi anciens que le monde.
On pense aujourd’hui, avec plus de raison, qu’ils se forment successivement.
Il n’est pas possible en effet de douter que la nature ne soit dans une action continuelle, et que ses ressorts ne soient aussi puissans sous nos pieds que sur notre tête.
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Chaque métal, ſuivant les chymiſtes, a pour principe une terre qui le conſtitue, & qui lui eſt particulière.
Il ſe montre à nous, tantôt ſous la forme qui le caractériſe, & tantôt ſous des formes variées, dans leſquelles il n’y a que des yeux exercés qui puiſſent le reconnoître.
Dans le premier cas, on l’appelle vierge, & dans le ſecond minéraliſé.
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Chaque métal, suivant les chimistes, a pour principe une terre qui le constitue, et qui lui est particulière.
Il se montre à nous, tantôt sous la forme qui le caractérise, et tantôt sous des formes variées, dans lesquelles il n’y a que des yeux exercés qui puissent le reconnaître.
Dans le premier cas, on l’appelle vierge ; et dans le second, minéralisé.
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Soit vierges, ſoit minéraliſés, les métaux ſont quelquefois épars par fragmens, dans les couches horizontales ou inclinées de la terre.
Ce n’eſt pas le lieu de leur origine.
Ils y ont été entraînés par les embraſemens, les inondations, les tremblemens qui bouleverſent ſans interruption notre miſérable planète.
Ordinairement on les trouve, tantôt en veines ſuivies, & tantôt en maſſes détachées, dans le ſein des rochers & des montagnes où ils ont été formés.
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Soit vierges, soit minéralisés, les métaux sont quelquefois épars par fragmens dans les couches horizontales ou inclinées de la terre.
Ce n’est pas le lieu de leur origine.
Ils y ont été entraînés par les embrasemens, les inondations, les tremblemens qui bouleversent sans interruption notre misérable planète.
Ordinairement on les trouve tantôt en veines suivies, et tantôt en masses détachées, dans le sein des rochers et des montagnes où ils ont été formés.
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Selon les conjectures des naturaliſtes, dans ces grands atteliers toujours échauffés, s’élèvent perpétuellement des exhalaiſons.
Ces liqueurs ſulfureuſes & ſalines, agiſſent ſur les molécules métalliques, les atténuent, les diviſent, & les mettent en état de voltiger dans les cavités de la terre.
Elles ſe réuniſſent.
Devenues trop peſantes pour ſe ſoutenir dans l’air, elles tombent & s’entaſſent les unes ſur les autres.
Si, dans leurs différens mouvemens, elles n’ont pas rencontré d’autres corps, elles forment des métaux purs.
Il n’en eſt pas de même, ſi elles ſe ſont combinées avec des matières étrangères.
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Selon les conjectures des naturalistes, dans ces grands ateliers toujours échauffés s’élèvent perpétuellement des exhalaisons.
Ces liqueurs sulfureuses et salines agissent sur les molécules métalliques, les atténuent, les divisent, et les mettent en état de voltiger dans les cavités de la terre.
Elles se réunissent.
Devenues trop pesantes pour se soutenir dans l’air, elles tombent et s’entassent les unes sur les autres.
Si dans leurs différens mouvemens elles n’ont pas rencontré d’autres corps, elles forment des métaux purs.
Il n’en est pas de même si elles se sont combinées avec des matières étrangères.
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La nature, qui ſembloit vouloir les cacher, n’a pu les dérober à l’avidité de l’homme.
En multipliant les obſervations, on eſt parvenu à connoître les lieux où ſe trouvent les mines.
Ce ſont, pour l’ordinaire, des montagnes, où les plantes croiſſent foiblement & jauniſſent vîte ; où les arbres ſont petits & tortueux ; où l’humidité des roſées, des pluies, des neiges même ne ſe conſerve pas ; où s’élèvent des exhalaiſons ſulfureuſes & minérales ; où les eaux ſont chargées de ſels vitrioliques ; où les ſables contiennent des parties métalliques.
Quoique chacun de ces ſignes, pris ſolitairement, ſoit équivoque, il eſt rare qu’ils ſe réuniſſent tous, ſans que le terrein renferme quelque mine.
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La nature, qui semblait vouloir les cacher, n’a pu les dérober à l’avidité de l’homme.
En multipliant les observations, on est parvenu à connaître les lieux où se trouvent les mines.
Ce sont pour l’ordinaire des montagnes où les plantes croissent faiblement et jaunissent vite ; où les arbres sont petits et tortueux ; où l’humidité des rosées, des pluies, des neiges même, ne se conserve pas ; où s’élèvent des exhalaisons sulfureuses et minérales ; où les eaux sont chargées de sels vitrioliques ; où les sables contiennent des parties métalliques.
Quoique chacun de ces signes, pris solitairement, soit équivoque, il est rare qu’ils se réunissent tous sans que le terrain renferme quelque mine.
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Mais à quelles conditions tirons-nous cette richeſſe ou ce poiſon des abîmes où la nature l’avoit renfermé ?
Il faut percer des rochers à une profondeur immenſe ; creuſer des canaux ſouterreins qui garantiſſent des eaux qui affluent & qui menacent de toutes parts ; entraîner dans d’immenſes galeries des forêts coupées en étais ; ſoutenir les voûtes de ces galeries, contre l’énorme peſanteur des terres qui tendent ſans ceſſe à les combler & à enfouir ſous leur chûte les hommes avares & audacieux qui les ont conſtruites ; creuſer des canaux & des aqueducs ; inventer ces machines hydrauliques ſi étonnantes & ſi variées, & toutes les formes diverſes de fourneaux ; courir le danger d’être étouffé ou conſumé par une exalaiſon qui s’enflamme à la lueur des lampes qui éclairent le travail ; & périr enfin d’une phtiſie qui réduit la vie de l’homme à la moitié de ſa durée.
Si l’on examine combien tous ces travaux ſuppoſent d’obſervations, de tentatives & d’eſſais, on reculera l’origine du monde bien au-delà de ſon antiquité connue.
Nous montrer l’or, le fer, le cuivre, l’étain & l’argent employés par les premiers hommes, c’eſt nous bercer d’un menſonge qui ne peut en impoſer qu’à des enfans.
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Mais à quelles conditions tirons-nous cette richesse ou ce poison des abîmes où la nature l’avait renfermé ?
Il faut percer des rochers à une profondeur immense ; creuser des canaux souterrains qui garantissent des eaux qui affluent et qui menacent de toutes parts ; entraîner dans d’immenses galeries des forêts coupées en étais ; soutenir les voûtes de ces galeries contre l’énorme pesanteur des terres qui tendent sans cesse à les combler, et à enfouir sous leur chute les hommes avares et audacieux qui les ont construites ; creuser des canaux et des aquéducs ; inventer ces machines hydrauliques si étonnantes et si variées, et toutes les formes diverses de fourneaux ; courir le danger d’être étouffé ou consumé par une exhalaison qui s’enflamme à la lueur des lampes qui éclairent le travail, et périr enfin d’une phthisie qui réduit la vie de l’homme à la moitié de sa durée.
Si l’on examine combien tous ces travaux supposent d’observations, de tentatives et d’essais, on reculera l’origine du monde bien au-delà de son antiquité connue.
Nous montrer l’or, le fer, le cuivre, l’étain et l’argent employés par les premiers hommes, c’est nous bercer d’un mensonge qui ne peut en imposer qu’à des enfans.
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Lorſque le travail de la minéralogie eſt fini, celui de la métallurgie commence.
Son objet eſt de ſéparer les métaux les uns des autres, & de les dégager des matières étrangères qui les enveloppent.
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Lorsque le travail de la minéralogie est fini, celui de la métallurgie commence.
Son objet est de séparer les métaux les uns des autres, et de les dégager des matières étrangères qui les enveloppent.
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Pour ſéparer l’or des pierres qui le contiennent, il ſuffit de les écraſer & de les réduire en poudre.
On triture enſuite la matière pulvériſée avec du vif argent, qui s’unit avec ce précieux métal, mais ſans s’unir, ni avec le roc, ni avec le ſable, ni avec la terre qui s’y trouvoient mêlés.
Avec le ſecours du feu, on diſtille enſuite le mercure, qui, en partant, laiſſe l’or au fond du vaſe dans l’état d’une poudre qu’on purifie à la coupelle.
L’argent vierge n’exige pas d’autres préparations.
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Pour séparer l’or des pierres qui le contiennent, il suffit de les écraser et de les réduire en poudre.
On triture ensuite la matière pulvérisée avec du vif-argent qui s’unit avec ce précieux métal, mais sans s’unir, ni avec le roc, ni avec le sable, ni avec la terre qui s’y trouvaient mêlés.
Avec le secours du feu on distille ensuite le mercure, qui, en partant, laisse l’or au fond du vase dans l’état d’une poudre qu’on purifie à la coupelle.
L’argent vierge n’exige pas d’autres préparations.
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Mais quand l’argent eſt combiné avec des ſubſtances étrangères, ou avec des métaux d’une nature différente, il faut une grande capacité & une expérience conſommée pour le purifier.
Tout autoriſe à penſer qu’on n’a pas ce talent dans le Nouveau-Monde.
Auſſi eſt-il généralement reçu, que des mineurs Allemands ou Suédois, trouveroient dans le minéral déja exploité, plus de richeſſes que l’Eſpagnol n’en a déja tirées.
Ils éleveroient leur fortune ſur des mines, qu’un défaut d’intelligence a fait rejetter comme inſuffiſantes pour payer les dépenſes qu’elles exigeoient.
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Mais, quand l’argent est combiné avec des substances étrangères, ou avec des métaux d’une nature différente, il faut une grande capacité et une expérience consommée pour le purifier.
Tout autorise à penser qu’on n’a pas ce talent dans le NouveauMonde ; aussi est-il généralement reçu que des mineurs allemands ou suédois trouveraient dans le minéral déjà exploité plus de richesses que l’Espagnol n’en a déjà tiré.
Ils éleveraient leur fortune sur des mines qu’un défaut d’intelligence a fait rejeter comme insuffisantes pour payer les dépenses qu’elles exigeaient.
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Avant l’arrivée des Caſtillans, les Mexicains n’avoient d’or que ce que les torrens en détachoient des montagnes ; ils avoient moins d’argent encore, parce que les haſards qui pouvoient en faire tomber dans leurs mains, étoient infiniment plus rares.
Ces métaux n’étoient pas pour eux un moyen d’échange, mais de pur ornement & de ſimple curioſité.
Ils y étoient peu attachés.
Auſſi prodiguèrent-ils d’abord le peu qu’ils en avoient à une nation étrangère qui en faiſoit ſon idole ; auſſi en jettoient-ils aux pieds de ſes chevaux, qui, en mâchant leurs mords, devoient paroître s’en nourrir.
Mais, lorſque les hoſtilités entre les deux peuples eurent commencé, & à meſure que l’animoſité augmentoit, ces perfides tréſors furent jettés en partie dans les lacs & dans les rivières, pour en priver un ennemi implacable qui ſembloit n’avoir paſſé tant de mers que pour en obtenir la poſſeſſion.
Ce fut ſur-tout dans la capitale & à ſon voiſinage qu’on prit ce parti.
Après la ſoumiſſion, le conquérant parcourut l’empire pour ſatisfaire ſa paſſion dominante .
Les temples, les palais, les maiſons des particuliers, les moindres cabanes : tout fut viſité, tout fut dépouillé.
Cette ſource épuiſée, il fallut recourir aux mines.
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Celles qui pouvoient donner des plus grandes eſpérances ſe trouvoient dans des contrées qui n’avoient jamais ſubi le joug Mexicain.
Nuno de Guſman fut chargé en 1530, de les aſſervir.
Ce que ce capitaine devoit à un nom illuſtre ne l’empêcha pas de ſurpaſſer en férocité tous les aventuriers, qui juſqu’alors avoient inondé de ſang les infortunées campagnes du Nouveau-Monde.
Sur des milliers de cadavres, il vint à bout, en moins de deux ans, d’établir une domination très-étendue, dont on forma l’audience de Guadalaxara.
Ce fut toujours la partie de la Nouvelle-Eſpagne la plus abondante en métaux.
Ces richeſſes ſont ſur-tout communes dans la Nouvelle-Galice, dans la NouvelleBiſcaye, & principalement dans le pays de Zacatecas.
Du ſein de ces arides montagnes ſort la plus grande partie des 80,000,000 liv.
qu’on fabrique annuellement dans les monnoies du Mexique.
La circulation intérieure, les Indes Orientales, les iſles nationales & la contrebande, abſorbent près de la moitié de ce numéraire.
On en porte dans la métropole 44,196,047 liv.
à quoi il faut ajouter cinq mille ſix cens trente-quatre quintaux de cuivre qui ſont vendus en Europe 453,600 l.
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Celles qui dans la nouvelle Espagne pouvaient donner de plus grandes espérances se trouvaient dans des contrées qui n’avaient jamais subi le joug mexicain.
Nuno de Gusman fut chargé en 1530 de les asservir.
Ce que ce capitaine devait à un nom illustre ne l’empêcha pas de surpasser en férocité tous les aventuriers qui jusqu’alors avaient inondé de sang les infortunées campagnes du Nouveau-Monde.
Sur des milliers de cadavres il vint à bout, en moins de deux ans, d’établir une domination très-étendue, dont on forma l’audience de Guadalaxara.
Ce fut toujours la partie de la nouvelle Espagne la plus abondante en métaux.
Ces richesses sont surtout communes dans la Nouvelle-Galice, dans la NouvelleByscaie, et principalement dans le pays de Zacatecas.
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Dans les premières années qui ſuivirent la conquête, tous les paiemens ſe faiſoient avec des lingots d’argent, avec des morceaux d’or, dont le poids & la valeur avoient reçu la ſanction du gouvernement.
Le beſoin d’une monnoie régulière ne tarda pas à ſe faire ſentir, & vers 1542 ces premiers métaux furent convertis en eſpèces de différentes grandeurs.
On en fabriqua même de cuivre, mais les Indiens les dédaignèrent.
Forcés d’en recevoir, ils les jettoient avec mépris dans les lacs & dans les rivières.
En moins d’un an il en diſparut pour plus d’un million ; & ce fut une néceſſité de renoncer à un moyen d’échange qui révoltoit les dernières claſſes du peuple.
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Quoique l’éducation des troupeaux, les cultures & l’exploitation des mines ſoient reſtées, au Mexique, fort loin du terme où une nation active n’eût pas manqué de les porter, les manufactures y ſont dans un plus grand déſordre encore.
Celles de laine & de coton ſont aſſez généralement répandues : mais comme elles ſont entre les mains des Indiens, des métis, des mulâtres, & qu’elles ne ſervent qu’aux vêtemens des gens peu riches, leur imperfection ſurpaſſe tout ce qu’on peut dire.
Il ne s’en eſt formé de moins défectueuſes qu’à Quexetaco où l’on fabrique d’aſſez beaux draps.
Mais c’eſt ſur-tout dans la province de Tlaſcala que les travaux ſont animés.
Sa poſition entre Vera-Crux & Mexico, la douceur du climat, la beauté du pays, la fertilité des terres y ont fixé la plupart des ouvriers qui paſſoient de l’ancien dans le Nouveau-Monde.
On en a vu ſortir ſucceſſivement des étoffes de ſoie, des rubans, des galons, des dentelles, des chapeaux qu’ont conſommés ceux des métis, ceux des Eſpagnols qui n’étoient pas en état de payer les marchandiſes apportées d’Europe.
C’eſt losAngèles, ville étendue, riche & peuplée qui eſt le centre de cette induſtrie.
Toute la fayence, la plupart des verres & des cryſtaux qui ſe vendent dans l’empire, ſortent de ſes atteliers.
Le gouvernement y fait même fabriquer des armes à feu.
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Quoique l’éducation des troupeaux, les cultures et l’exploitation des mines soient restées au Mexique fort loin du terme où une nation active n’eût pas manqué de les porter, les manufactures y sont dans un plus grand désordre encore.
Celles de laine et de coton sont assez généralement répandues ; mais comme elles sont entre les mains des Indiens, des métis, des mulâtres, et qu’elles ne servent qu’aux vêtemens des gens peu riches, leur imperfection surpasse tout ce qu’on peut dire.
Il ne s’en est formé de moins défectueuse qu’à Queretaro.
Mais c’est surtout dans la province de Tlascala que les travaux sont animés.
Sa position entre Véra-Cruz et Mexico, la douceur du climat, la beauté du pays, la fertilité des terres, y ont fixé la plupart des ouvriers qui passaient de l’ancien dans le Nouveau-Monde.
On en a vu sortir successivement des étoffes de soie, des rubans, des galons, des dentelles, des chapeaux, qu’ont consommés ceux des métis, ceux des Espagnols qui n’étaient pas en état de payer les marchandises apportées d’Europe.
C’est Puébla-de-los-Angelès, ville étendue, riche et peuplée, qui est le centre de cette industrie.
Toute la faïence, la plupart des verres et des cristaux qui se vendent dans l’empire sortent de ses ateliers.
Le gouvernement y fait même fabriquer des armes à feu.
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L’indolence des peuples qui habitent la Nouvelle-Eſpagne, doit être une des principales cauſes qui ont retardé les proſpérités de cette région fameuſe, mais elle n’eſt pas la ſeule ; & la difficulté des communications doit avoir beaucoup ajouté à cette inertie.
La circulation eſt continuellement arrêtée par toutes les entraves qu’a pu imaginer une adminiſtration injuſte & fiſcale.
Il y a au plus deux rivières qui puiſſent porter de foibles canots, & aucune n’a même ce genre d’utilité dans toutes les ſaiſons.
On ne voit quelques traces de chemin qu’auprès des grandes villes ; par-tout ailleurs, il faut voiturer les denrées ou les marchandiſes à dos de mulet, & ſur la tête des Indiens tout ce qui eſt fragile.
Dans la plupart des provinces, la police fixe au voyageur ce qu’il doit payer pour le logement, les chevaux, les guides, pour la nourriture ; & cet uſage, tout barbare qu’on le trouvera, eſt encore préférable à ce qui ſe pratique dans les lieux où la liberté paroît plus reſpectée.
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L’indolence des peuples qui habitent la Nouvelle-Espagne doit être une des principales causes qui ont retardé les prospérités de cette region fameuse ; mais elle n’est pas la seule ; et la difficulté des communications doit avoir beaucoup ajouté à cette inertie.
La circulation est continuellement arrêtée par toutes les entraves qu’a pu imaginer une administration injuste et fiscale.
Il y a au plus deux rivières qui puissent porter de faibles canots, et aucune n’a même ce genre d’utilité dans toutes les saisons.
On ne voit quelques traces de chemin qu’auprès des grandes villes ; partout ailleurs il faut voiturer les denrées ou les marchandises à dos de mulet, et sur la tête des Indiens tout ce qui est fragile.
Dans la plupart des provinces, la police fixe au voyageur ce qu’il doit payer pour le logement, les chevaux, les guides, pour la nourriture ; et cet usage, tout barbare qu’on le trouvera, est encore préférable à ce qui se pratique dans les lieux où la liberté paraît plus respectée.
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Ces obſtacles à la proſpérité publique ont été fortifiés par le joug rigoureux ſous lequel des maîtres oppreſſeurs tenoient les Indiens chargés de tous les travaux pénibles.
Le mal eſt devenu plus grand par la diminution des bras employés au ſervice de la cupidité Européenne.
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Ces obstacles à la prospérité publique ont été fortifiés par le joug rigoureux sous lequel des maîtres oppresseurs tenaient les Indiens chargés de tous les travaux pénibles.
Le mal est devenu plus grand par la diminution des bras employés au service de la cupidité européenne.
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Les premiers pas des Caſtillans au Mexique furent ſanglans.
Le carnage s’étendit durant le mémorable ſiège de Mexico ; & il fut pouſſé au-delà de tous les excès dans les expéditions entrepriſes pour remettre dans les fers des peuples déſeſpérés qui avoient tenté de briſer leurs chaînes.
L’introduction de la petite-vérole, accrut la dépopulation, qui fut encore bientôt après augmentée par les épidémies de 1545 & de 1576, dont la première coûta huit cens mille habitans à l’empire, & la ſeconde deux millions, ſi l’on veut adopter les calculs du crédule, de l’exagérateur Torquemada.
Il eſt même démontré que ſans aucune cauſe accidentelle, le nombre des indigènes s’eſt inſenſiblement réduit à très-peu de choſe.
Selon les regiſtres de 1600, il y avoit cinq cens mille Indiens tributaires dans le diocèſe de Mexico ; & il n’y en reſtoit plus que cent dix-neuf mille ſix cens onze, en 1741.
Il y en avoit deux cens cinquantecinq mille dans le diocèſe de los-Angèles ; & il n’en reſtoit que quatre-vingt-huit mille deux cens quarante.
Il y en avoit cent cinquante mille dans le diocèſe de Oaxaca ; & il n’en reſtoit plus que quarante-quatre mille deux cens vingt-deux.
Nous ignorons les révolutions arrivées dans les ſix autres égliſes : mais il eſt vraiſemblable qu’elles ont été partout les mêmes.
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Les premiers pas des Castillans au Mexique furent sanglans.
Le carnage s’étendit durant le mémorable siége de Mexico ; et il fut poussé audelà de tous les excès dans les expéditions entreprises pour remettre dans les fers des peuples désespérés qui avaient tenté de briser leurs chaînes.
L’introduction de la petite-vérole accrut la dépopulation, qui fut encore bientôt après augmentée par les épidémies de 1545 et de 1576, dont la première coûta huit cent mille habitans à l’empire, et la seconde deux millions, si l’on veut adopter les calculs du crédule, de l’exagérateur Torquémada.
Il est même démontré que, sans aucune cause accidentelle, le nombre des indigènes s’est insensiblement réduit à très-peu de chose.
Selon les registres de 1600, il y avait cinq cent mille Indiens tributaires dans le diocèse de Mexico ; et il n’y en restait plus que cent dixneuf mille six cent onze en 1741.
Il y en avait deux cent cinquante-cinq mille dans le diocèse de los-Angelès ; et il n’en restait que quatre-vingthuit mille deux cent quarante.
Il y en avait cent cinquante mille dans le diocèse de Guaxaca, et il n’en restait plus que quarante-quatre mille deux cent vingt-deux.
On n’a pas les mêmes détails sur les autres parties de l’empire, mais trèsvraisemblablement ils ne diffèrent que peu de ceux que nous venons de transcrire.
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L’uſage où étoient où ſont encore les Eſpagnols, les métis, les mulâtres, les nègres de prendre ſouvent leurs femmes parmi les Indiennes, tandis qu’aucune de ces races n’y a jamais ou preſque jamais choiſi des maris, a contribué ſans doute à l’affoibliſſement de cette nation : mais cette influence a dû être aſſez bornée ; & ſi nous ne nous trompons, une tyrannie permanente a produit des effets beaucoup plus étendus.
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On ne diſſimulera pas qu’à meſure que le peuple origène voyoit diminuer ſa population, celle des races étrangères augmentoit dans une progreſſion très-remarquable.
En 1600, le diocèſe de Mexico ne comptoit que ſept mille de ces familles ; & leur nombre s’éleva en 1741 à cent dix-neuf mille cinq cens onze.
Le diocèſe de los-Angèles n’en comptoit que quatre mille ; & il s’éleva à trente mille ſix cens.
Le diocèſe de Oaxaca n’en comptoit que mille ; & il s’éleva à ſept mille deux cens quatre-vingt-ſeize.
Cependant les anciens habitans n’ont été qu’imparfaitement remplacés par les nouveaux.
La culture des terres & l’exploitation des mines étoient l’occupation ordinaire des Indiens.
Les Eſpagnols, les métis, les mulâtres, les noirs même ont dédaigné, la plupart, ces grands objets.
Pluſieurs vivent dans l’oiſiveté.
Un plus grand nombre donnent quelques momens aux arts & au commerce.
Le reſte eſt employé au ſervice des gens riches.
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L’usage où étaient, où sont encore les Espagnols, les métis, les mulâtres, les nègres, de prendre souvent leurs femmes parmi les Indiennes, tandis qu’aucune de ces races n’y a jamais ou presque jamais choisi des maris, a contribué sans doute à l’affaiblissement de cette nation ; mais il est démontré que ces races étrangères ne se sont pas autant accrues que le peuple aborigène a diminué.
L’eussent-elles égalé en nombre, elles ne l’auraient pas remplacé dans les travaux.
La culture des terres et l’exploitation des mines étaient l’occupation ordinaire des Indiens.
Les Espagnols, les métis, les mulâtres, les noirs même ont dédaigné, la plupart, ces grands objets.
Plusieurs vivent dans l’oisiveté.
Un plus grand nombre donnent quelques momens aux arts et au commerce.
Le reste est employé au service des gens riches.
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C’eſt ſur-tout dans la capitale de l’empire qu’on eſt révolté de ce dernier ſpectacle.
Mexico, qui put, quelque tems, douter ſi les Caſtillans étoient un eſſaim de brigands ou un peuple conquérant, ſe vit preſque totalement détruit par les cruelles guerres dont il fut le théâtre.
Cortès ne tarda pas à le rebâtir d’une manière fort ſupérieure à ce qu’il étoit avant ſon déſaſtre.
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La ville s’élève au milieu d’un grand lac dont les rives offrent des ſites heureux qui ſeroient charmans, ſi l’art y ſecondoit un peu la nature.
Sur le lac même, l’œil contemple avec ſurpriſe & ſatisfaction des iſles flottantes.
Ce ſont des radeaux formés avec des roſeaux entrelacés & aſſez ſolides pour porter de fortes couches de terre, & même des habitations légérement conſtruites.
Quelques Indiens font là leur demeure & y cultivent une aſſez grande abondance de légumes.
Ces jardins ſinguliers n’occupent pas toujours le même eſpace.
Ils changent de ſituation, lorſque ce changement convient à leurs poſſeſſeurs.
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Des levées fort larges & bâties ſur pilotis conduiſent à la cité.
Cinq ou ſix canaux portent à ſon centre & dans ſes plus beaux quartiers toutes les productions de la campagne.
Une eau ſalubre qu’on tire d’une montagne éloignée ſeulement de cinq à ſix mille toiſes eſt diſtribuée dans toutes les maiſons & même à leurs différens étages par des aqueducs très-bien entendus.
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L’air qu’on reſpire dans cette ville eſt trèstempéré.
On y peut porter toute l’année des vêtemens de laine.
Les moindres précautions ſuffiſent pour n’avoir rien à ſouffrir de la chaleur.
Charles-Quint demandoit à un Eſpagnol qui arrivoit de Mexico combien il y avoit de tems entre l’hiver & l’été : autant, répondit-il avec vérité & avec eſprit, qu’il en faut pour paſſer du ſoleil à l’ombre.
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L’avantage qu’a cette cité d’être le cheflieu de la Nouvelle-Eſpagne en a ſucceſſivement multiplié les habitans.
En 1777, le nombre des naiſſances s’y éleva à cinq mille neuf cens quinze & celui des morts à cinq mille onze ; d’où l’on peut conclure que ſa population ne s’éloigne guère de deux cens mille ames.
Tous les citoyens ne ſont pas opulens : mais pluſieurs le ſont plus peutêtre qu’en aucun lieu du globe.
Ces richeſſes accumulées très-rapidement eurent bientôt une influence remarquable.
La plupart des choſes, qui ſont ailleurs de fer ou de cuivre, furent d’argent ou d’or.
On fit ſervir ces brillans métaux à l’ornement des valets, des chevaux, des meubles les plus communs, aux plus vils offices.
Les mœurs, qui ſuivent toujours le cours du luxe, ſe montèrent au ton de cette magnificence romaneſque.
Les femmes, dans leur intérieur, furent ſervies par des milliers d’eſclaves, & ne parurent en public qu’avec un cortège réſervé parmi nous à la majeſté du trône.
Les hommes ajoutoient à ces profuſions des profuſions encore plus grandes pour des négreſſes qu’ils élevoient publiquement au rang de leurs maîtreſſes.
Ce luxe ſi effréné dans les actions ordinaires de la vie, paſſoit toutes les bornes à l’occaſion de la moindre fête.
L’orgueil général étoit alors en mouvement, & chacun prodiguoit les millions pour juſtifier le ſien.
Les crimes néceſſaires pour ſoutenir ces extravagances étoient effacés d’avance : la ſuperſtition déclaroit ſaint & juſte tout homme qui donneroit beaucoup aux égliſes.
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Tout prit l’empreinte d’une oſtentation, inconnue juſqu’alors dans les deux hémiſphères.
Les citoyens ne ſe contentèrent plus d’une habitation modeſte placée ſur des rues larges & bien alignées.
Il fallut, à la plupart, des hôtels qui eurent plus d’étendue que de commodités ou d’élégance.
On multiplia les édifices publics, ſans que preſqu’aucun rappellât à l’eſprit les beaux jours de l’architecture, pas même les bons tems gothiques.
Les places principales eurent toutes la même forme, la même régularité, une fontaine ſemblable avec des ornemens de mauvais goût.
Des arbres mal choiſis & d’un vilain feuillage ôtèrent aux promenades ce que des allées bien diſtribuées & des eaux jailliſſantes auroient pu leur donner d’agrément.
Dans les cinquante-cinq couvens qu’une crédulité digne de pitié avoit fondés, on en voyoit fort peu qui ne révoltâſſent par les vices de leur conſtruction.
Les innombrables temples où les tréſors du globe entier étoient entaſſés, manquoient généralement de majeſté & n’inſpiroient pas à ceux qui les fréquentoient des idées & des ſentimens dignes de l’Être-ſuprême qu’on y venoit adorer.
Dans cette multitude d’immenſes conſtructions, il n’y a que deux monumens dignes de fixer l’attention d’un voyageur.
L’un eſt le palais du vice-roi où s’aſſemblent auſſi les tribunaux, où l’on fabrique la monnoie, où eſt le dépôt du vifargent.
Un peuple, que la famine pouſſoit au déſeſpoir, le brûla en 1692.
On l’a rebâti depuis ſur un meilleur plan.
C’eſt un quarré qui a quatre tours & ſept cens cinquante pieds de long ſur ſix cens quatre-vingt-dix de large.
La cathédrale commencée en 1573 & finie en 1667 feroit également honneur aux meilleurs artiſtes.
Sa longueur eſt de quatre cens pieds, ſa largeur de cent quatre-vingtquinze ; & elle a coûté 9,460,800 liv.
Malheureuſement, ces édifices n’ ont pas la ſolidité qu’on leur deſireroit.
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On a vu que Mexico eſt ſitué dans un lac conſidérable qu’une langue de terre fort étroite diviſe en deux parties, l’une remplie d’eaux douces & l’autre d’eaux ſalées.
Ces eaux paroiſſent également ſortir d’une haute montagne ſituée à peu de diſtance de la ville, avec cette différence que les dernières doivent traverſer des mines qui leur communiquent leur qualité.
Mais indépendamment de ces ſources régulières, il exiſte un peu plus loin quatre petits lacs qui, dans le tems des orages, ſe déchargent quelquefois dans le grand avec une violence deſtructive.
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C’est surtout dans la capitale de l’empire qu’on est révolté de ce dernier spectacle.
Mexico, qui put quelque temps douter si les Espagnols étaient un essaim de brigands ou un peuple conquérant, avait été presque totalement détruit par les combats multipliés et opiniâtres qui s’étaient livrés dans ses murs mêmes durant un siége des plus singuliers dont l’histoire ait conservé le souvenir.
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Cortez jugea cependant le chef-lieu de l’état qu’il venait de renverser propre à être aussi le centre de celui qu’il se proposait de fonder.
Seulement il pensa que la nouvelle cité devait être autant supérieure à l’ancienne que le gouvernement qui allait se former serait au-dessus de celui qui venait de finir.
Échauffé par cette idée, il traça lui-même le plan d’une ville immense, où il voulut que tout fût digne du monarque qu’il représentait, de la nation dont il était membre, et de la réputation qu’il avait acquise.
La difficulté était de la peupler.
On y réussit en déterminant à y continuer leur séjour les combattans que le fer, que la famine, que la contagion avaient épargnés.
Ceux des auxiliaires dont l’attachement pour la Castille n’était pas douteux leur furent associés.
Quelques Mexicains des plus distingués et des plus actifs se chargèrent de bâtir des rues entières et d’y attirer des habitans.
La plupart des aventuriers acceptèrent les meilleurs quartiers, et, à l’exemple de leur général, élevèrent des demeures magnifiques pour eux et pour leurs familles.
On tint en réserve de vastes espaces pour les hommes avides que l’appât d’une grande fortune ne manquerait pas d’attirer, et de plus grands encore pour les places, pour les fontaines, pour les églises, pour les couvens, pour les édifices publics de tous les genres que la succession des temps amènerait.
Le succès ne se fit pas attendre.
Le nouveau Mexico devint très-rapidement et est resté jusqu’à nos jours la ville de l’autre hémisphère la plus belle, la plus opulente, et la plus peuplée.
En 1777 le nombre des naissances s’y éleva à cinq mille neuf cent quinze, et celui des morts à cinq mille onze ; d’où on peut inférer que sa population approche de deux cent mille âmes.
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Les anciens habitans avoient été toujours expoſés à des inondations qui leur faiſoient payer fort cher les avantages que leur procuroit l’emplacement qu’ils avoient choiſi pour en faire le centre de leur puiſſance.
Aux calamités inſéparables de ces débordemens trop répétés ſe joignit pour leur vainqueur le chagrin de voir ſes bâtimens plus peſans s’enfoncer, quoiqu’élevés ſur pilotis, en fort peu de tems, de quatre, de cinq, de ſix pieds dans un terrein qui n’avoit pas aſſez de ſolidité pour les porter.
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Malheureusement les eaux, qui, dans la saison des pluies, tombent en torrens des montagnes, et font sortir de leur lit les lacs qui entourent Mexico, y causent souvent de grands ravages.
Ses anciens habitans furent toujours exposés à ces inondations, qui leur faisaient acheter fort cher les avantages que leur procurait l’emplacement qu’ils avaient choisi pour en faire le centre de leur puissance.
Aux calamités inséparables de ces débordemens trop répétés se joignit, pour leur vainqueur, le chagrin de voir ses bâtimens plus pesans s’enfoncer, quoique élevés sur pilotis, en fort peu de temps, de quatre, cinq, et six pieds, dans un terrain qui n’avait pas assez de solidité pour les porter.
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On eſſaya à pluſieurs repriſes de détourner des torrens ſi terribles : mais les directeurs de ces grands ouvrages n’avoient pas des connoiſſances ſuffiſantes pour employer les méthodes les plus efficaces, ni les agens ſubalternes aſſez de zèle pour ſuppléer par leurs efforts à l’incapacité des chefs.
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L’ingénieur Martinès eut, en 1607, l’idée d’un grand canal qui parut généralement préférable à tous les moyens mis en uſage juſqu’à cette époque.
Pour fournir à cette dépenſe, on exigea le centième du prix des maiſons, des terres, des marchandiſes : impôt inconnu dans le Nouveau-Monde.
Quatre cens ſoixante-onze mille cent cinquantequatre Indiens furent occupés pendant ſix mois à ce travail, & l’entrepriſe fut jugée enſuite impraticable.
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On essaya à plusieurs reprises de détourner ces torrens destructeurs ; mais les artistes qui s’en chargèrent n’avaient ni le génie ni les connaissances qu’exigeait une entreprise de sa nature si difficile.
L’ingénieur Martinès eut en 1607 l’idée d’un grand canal qui parut généralement préférable à tous les moyens mis en usage jusqu’à cette époque.
Pour fournir à cette dépense, on exigea le centième du prix des maisons, des terres, des marchandises ; impôt inconnu dans le NouveauMonde.
Quatre cent soixante-onze mille cent cinquante-quatre Indiens furent occupés pendant six mois à ce travail, et l’entreprise fut jugée ensuite impraticable.
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Le besoin d’un meilleur plan que celui qui avait échoué ne se fit pas attendre.
Il devint plus urgent que jamais en 1629.
L’inondation fit à cette époque de si grands ravages, qu’il ne resta sur pied ni cabane, ni palais, ni monument public.
Des ruines, c’était tout ce qui restait des travaux d’un siècle ; et, pour nous servir des propres termes d’une relation avouée par le gouvernement, on était réduit à chercher Mexico dans Mexico même.
Dans la ville seule, trente mille Indiens, vingt mille Espagnols furent les victimes de ce désastre, ou de la peste et de la famine qui le suivirent.
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La cour fatiguée de la diverſité des opinions & des troubles qu’elle occaſionnoit, arrêta en 1631 que Mexico ſeroit abandonné & qu’on conſtruiroit ailleurs une nouvelle capitale.
L’avarice qui ne vouloit rien ſacrifier ; la volupté qui craignoit d’interrompre ſes plaiſirs ; la pareſſe qui redoutoit les ſoins : toutes les paſſions ſe réunirent pour faire changer les réſolutions du miniſtère, & leur eſpérance ne fut pas trompée.
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La cour de Madrid, désespérant de trouver un remède à tant de maux, arrêta en 1631 que Mexico serait abandonné, et qu’on construirait ailleurs une nouvelle capitale.
L’avarice qui ne voulait rien sacrifier, la volupté qui craignait d’interrompre ses plaisirs, la paresse qui redoutait les soins, toutes les passions se réunirent pour faire changer les résolutions du ministère, et leur espérance ne fut pas trompée.
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Il ſe paſſa un ſiècle & plus, ſans que le gouvernement s’occupât de l’obligation de prévenir des malheurs dont les peuples avoient à gémir ſans ceſſe.
A la fin, les eſprits ſe ſont réveillés.
On s’eſt déterminé en 1763 à couper une montagne où l’on s’étoit contenté juſqu’alors de faire quelques excavations ; & depuis les eaux ont eu tout l’écoulement que la ſûreté publique pouvoit exiger.
C’eſt le commerce qui s’eſt chargé de ce grand ouvrage pour 4,320,000.
liv.
Lui-même il a voulu ſupporter tout ce que cette entrepriſe coûteroit de plus, & que ſi on faiſoit des économies, elles tournâſſent au profit du fiſc.
Cette généroſité n’a pas été une vertu d’oſtentation.
Il en a coûté 1,890,000 livres aux négocians pour avoir ſervi leur patrie.
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Il se passa un siècle et plus sans que le gouvernement s’occupât de l’obligation de prévenir des malheurs dont les peuples avaient à gémir sans cesse.
A la fin les esprits se réveillèrent.
On se détermina en 1763 à couper une montagne où l’on s’était contenté jusqu’alors de faire quelques excavations, et depuis les eaux eurent tout l’écoulement que la sûreté publique pouvait exiger.
Ce fut le commerce qui se chargea de ce grand ouvrage pour 4,000,000 de liv.
Lui-même il voulut supporter tout ce que cette entreprise coûterait de plus, et que, si on faisait des économies, elles tournassent au profit du fisc.
Cette générosité ne fut pas une vertu d’ostentation.
Il en coûta un million cinq à six cent mille livres aux négocians pour avoir servi leur patrie.
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On médite d’autres travaux.
Le projet de deſſécher le grand lac qui entoure Mexico paroît arrêté ; & les gens de l’art demandent 8,100,000 liv.
pour conduire le nouveau plan à un heureux terme.
C’eſt beaucoup.
Mais qu’eſt-ce que l’argent, quand il s’agit de la ſalubrité de l’air, de la conſervation des hommes, de la multiplication des denrées ?
O que les maîtres du monde feront de biens, qu’ils ſeront honorés lorſque l’or qu’ils prodiguent à un luxe giganteſque, à d’avides favoris, à de vains caprices, ſera conſacré à l’amélioration de leur empire !
Un hôpital ſain, conſtruit avec intelligence & bien adminiſtré ; la ceſſation de la mendicité ou l’emploi de l’indigence ; l’extinction de la dette de l’état ; une impoſition modérée & équitablement répartie ; la réforme des loix par la confection d’un code ſimple & clair : ces inſtitutions feroient plus pour leur gloire que des palais magnifiques ; que la conquête d’une province, après des batailles gagnées ; que tous les bronzes, tous les marbres & toutes les inſcriptions de la flatterie.
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On médite d’autres travaux.
Le projet de dessécher le grand lac qui entoure Mexico paraît arrêté ; et les gens de l’art demandent huit à neuf millions pour conduire le nouveau plan à un heureux terme.
C’est beaucoup.
Mais, qu’est-ce que l’argent quand il s’agit de la salubrité de l’air, de la conservation des hommes, de la multiplication des denrées ?
O que les maîtres du monde feront de bien ! qu’ils seront honorés lorsque l’or qu’ils prodiguent à un luxe gigantesque, à d’avides favoris, à de vains caprices, sera consacré à l’amélioration de leur empire !
Un hôpital sain, construit avec intelligence et bien administré ; la cessation de la mendicité ou l’emploi de l’indigence ; l’extinction de la dette de l’état ; une imposition modérée et équitablement répartie ; la réforme des lois par la confection d’un code simple et clair : ces institutions feraient plus pour leur gloire que des palais magnifiques, que la conquête d’une province après des batailles gagnées, que tous les bronzes, tous les marbres et toutes les inscriptions de la flatterie.
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Si la cour de Madrid, à qui cet eſpoir eſt ſpécialement permis, fait pour Mexico ce qu’elle s’eſt propoſé, elle verra bien-tôt cette cité fameuſe, le ſiège du gouvernement, le lieu de la fabrication des monnoies, le ſéjour des plus grands propriétaires, le centre de toutes les affaires importantes ; elle la verra prendre un plus grand eſſor encore, communiquer aux provinces de ſa dépendance l’impulſion qu’elle aura reçue, donner de l’activité à l’induſtrie, à la circulation intérieures, & par une ſuite néceſſaire étendre ou multiplier les liaiſons étrangères.
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Si la cour de Madrid, à qui cet espoir est spécialement permis, fait pour Mexico ce qu’elle s’est proposé, elle verra bientôt cette cité fameuse, le siége du gouvernement, le lieu de la fabrication des monnaies, le séjour des plus grands propriétaires, le centre de toutes les affaires importantes ; elle la verra prendre un plus grand essor encore, communiquer aux provinces de sa dépendance l’impulsion qu’elle aura reçue, donner de l’activité à l’industrie, à la circulation intérieures , et, par une suite nécessaire, étendre ou multiplier les liaisons étrangères.
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La plus connue de celles que le Mexique entretient par la mer du Sud a été formée avec les iſles Philippines.
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La plus connue de celles que le Mexique entretient par la mer du Sud a été formée avec les îles Philippines.
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Lorſque la cour de Madrid, dont les ſuccès étendoient de plus en plus l’ambition, eut conçu le plan d’un grand établiſſement en Aſie, elle s’occupa ſérieuſement des moyens de le faire réuſſir.
Ce projet devoit rencontrer de grandes difficultés.
Les richeſſes de l’Amérique attiroient ſi puiſſamment les Eſpagnols qui conſentoient à s’expatrier, qu’il ne paroiſſoit pas poſſible d’engager même les plus miſérables à s’aller fixer aux Philippines ; à moins qu’on ne conſentît a leur faire partager ces tréſors.
On ſe détermina à ce ſacrifice.
La colonie naiſſante fut autoriſée à envoyer tous les ans dans le Nouveau-Monde des marchandiſes de l’Inde pour y être échangées contre des métaux.
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Lorsque la cour de Madrid, dont les succès étendaient de plus en plus l’ambition, eut conçu le plan d’un grand établissement en Asie, elle s’occupa sérieusement des moyens de le faire réussir.
Ce projet devait rencontrer de grandes difficultés.
Les richesses de l’Amérique attiraient si puissamment les Espagnols qui consentaient à s’expatrier, qu’il ne paraissait pas possible d’engager même les plus misérables à s’aller fixer aux Philippines, à moins qu’on ne consentît à leur faire partager ces trésors.
On se détermina à ce sacrifice.
La colonie naissante fut autorisée à envoyer tous les ans dans le Nouveau-Monde des marchandises de l’Inde pour y être échangées contre des métaux.
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Tous les étrangers, tous les habitans même du Nouveau-Monde sont exclus de ce négoce.
Il n’est permis qu’aux Espagnols inscrits à l’hôtel-deville de Manille.
C’est dans une assemblée, présidée par le gouverneur, que la part de chaque citoyen est fixée.
Elle est proportionnée à la naissance, aux places, à la faveur.
Ceux que la misère met hors d’état d’exercer leur droit, ceux qui ne veulent pas courir le risque de l’exercer, cèdent à un prix convenu leur place à des colons plus riches ou plus hardis.
Ces hommes entreprenans empruntent pour ce voyage, qui dure un an, les sommes dont ils ont besoin à un intérêt de vingt-cinq ou trente pour cent.
Les dépôts des legs pieux sont leur ressource la plus ordinaire.
Depuis trois siècles, les gardiens de ces largesses destinées au soulagement de l’humanité souffrante les font servir à l’accroissement de leur scandaleuse opulence.
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Cette liberté illimitée eut des ſuites ſi conſidérables qu’elle excita la jalouſie de la métropole.
On parvint à calmer un peu les eſprits, en bornant un commerce qu’on croyoit & qui étoit en effet immenſe.
Ce qu’il devoit être permis d’en faire dans la ſuite fut partagé en douze mille actions égales.
Chaque chef de famille en avoit une & les gens en place un nombre proportionné à leur élévation.
Les communautés religieuſes furent compriſes dans l’arrangement, ſuivant l’étendue de leur crédit ou l’opinion qu’on avoit de leur utilité.
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Les vaiſſeaux qui partoient d’abord de l’iſle de Cebu & enſuite de celle de Luçon, prirent, dans les premiers tems, la route du Pérou.
La longueur de cette navigation étoit exceſſive.
On découvrit des vents aliſés qui ouvroient au Mexique un chemin plus court ; & cette branche de commerce ſe porta ſur ces côtes où il s’eſt fixé.
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Les vaisseaux, qui partaient d’abord de l’île de Cébu, et ensuite de celle de Luçon, prirent dans les premiers temps la route du Pérou.
La longueur de cette navigation était excessive.
On découvrit des vents alisés qui ouvraient au Mexique un chemin plus court ; et cette branche de commerce se porta sur ces côtes, où il s’est fixé.
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On expédie tous les ans du port de Manille un vaiſſeau d’environ deux mille tonneaux.
Selon les loix actuellement arrêtées & qui ont ſouvent varié, ce bâtiment ne devroit porter que quatre mille balles de marchandiſes, & on le charge au-moins du double.
Les frais de conſtruction, d’armement, de navigation, toujours infiniment plus conſidérables qu’ils ne devroient l’être, ſont ſupportés par le gouvernement qui ne reçoit pour tout dédommagement que 75,000 piaſtres ou 405,000 liv.
par navire.
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Le départ eſt fixé au mois de juillet.
Après s’être débarraſſé d’une foule d’iſles & de rochers, toujours incommodes, quelquefois dangereux, le galion fait route au Nord juſqu’au trentième degré de latitude.
Là commencent à régner des vents aliſés qui le mènent à ſa deſtination.
On penſe aſſez généralement que s’il avançoit plus loin, il trouveroit des vents plus forts & plus réguliers qui précipiteroient ſa marche : mais il eſt défendu ſous les peines les plus graves à ceux qui le commandent de s’écarter de la ligne qu’on leur a tracée.
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Le départ du navire expédié tous les ans du port de Manille est fixé au mois de juillet.
Après s’être débarrassé d’une foule d’îles et de rochers, toujours incommodes, quelquefois dangereux, le galion fait route au nord jusqu’au trentième degré de latitude.
Là commencent à régner des vents alisés qui le mènent à sa destination.
On pense assez généralement que, s’il avançait plus loin, il trouverait des vents plus forts et plus réguliers qui précipiteraient sa marche ; mais il est défendu, sous les peines les plus graves, à ceux qui le commandent de s’écarter de la ligne qu’on leur a tracée.
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Telle est sans doute la raison qui, pendant deux siècles, a empêché les Espagnols de faire la moindre découverte sur un océan qui aurait offert tant d’objets d’instruction et d’utilité à des nations plus éclairées ou moins circonspectes ; mais pourquoi ce peuple, autrefois si actif, ne le redeviendrait-il pas ?
Si c’était à des marchands qu’il fallût inspirer ce nouvel esprit, ce seraient des mines, ce seraient des perles, ce seraient des diamans qu’il leur faudrait promettre : l’intérêt a toujours été, l’intérêt sera toujours le grand mobile de leur profession.
De l’or, de l’or, et de l’or encore, voilà le terme de leurs espérances.
Pourvu que le pilote conduise leurs navires dans les ports où se fera le meilleur débit de leurs marchandises, dans les ports où ils recevront des retours plus riches, tout est bien.
Le navigateur qui s’écarterait un moment de ce but si cher à leur cœur, serait à leurs yeux un fou indigne de toute confiance.
Les gouvernemens eux-mêmes eurent trop long-temps des idées presque aussi bornées.
Ils ne voyaient dans leurs expéditions lointaines qu’une augmentation de puissance, qu’une augmentation de fortune ; ils n’y voyaient que des richesses qui les mettaient en état de faire massacrer quelques milliers d’hommes pour agrandir d’une ville ou d’une province un territoire qui les accablait déjà de son étendue.
Ce n’est qu’après plusieurs siècles d’aveuglement que la lumière a commencé à luire.
Quelques souverains, plus éclairés que leurs semblables, ont enfin compris qu’il serait moins dispendieux de tirer leurs sujets, de tirer le globe même entier de la barbarie que d’entretenir cinq cents assassins en campagne, que de donner une fête d’un jour, que de fournir aux révoltantes profusions d’un favori sans mérite.
Aussitôt ont été ordonnées des navigations sur les mers les plus éloignées, sur les mers les plus orageuses, sur les mers les plus inconnues.
L’amour de la gloire, qu’une politique soupçonneuse avait éteint ou comprimé dans toutes les âmes, s’est exalté dans les instrumens destinés à ces entreprises.
Ils ont compté pour rien les plus rudes travaux, la perte de la santé, le risque de la vie, lorsqu’il s’est agi de dissiper les ténèbres, dont la paresse, l’orgueil, la superstition voulaient perpétuer la durée.
Un succès plus ou moins grand a couronné une audace digne de tant d’estime.
L’univers s’est agrandi ; la figure de la terre a été connue.
L’astronomie, diverses branches de physique, les principes de morale, ces objets et beaucoup d’autres ont acquis une extension, une perfection nouvelles.
L’enthousiasme s’est étendu ; il est arrivé jusqu’à la cour de Madrid, que la situation de ses domaines met plus à portée que ses guides ou ses rivaux d’étendre la sphère de nos connaissances.
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Telle eſt ſans doute la raiſon qui, pendant deux ſiècles, a empêché les Eſpagnols de faire la moindre découverte ſur un océan qui auroit offert tant d’objets d’inſtruction & d’utilité à des nations plus éclairées ou moins circonſpectes.
Le voyage dure ſix mois ; parce que le vaiſſeau eſt ſurchargé d’équipages & de marchandiſes, & que ceux qui le montent, navigateurs timides, font toujours trèspeu de voile pendant la nuit, & ſouvent, quoique ſans néceſſité, n’en font point du tout.
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Cependant elle n’a jusqu’ici rien changé à la marche de son galion des Philippines.
Le voyage dure encore six mois, parce que le vaisseau est surchargé d’équipages et de marchandises, et que ceux qui le montent, navigateurs timides, font toujours très-peu de voile pendant la nuit, et souvent, quoique sans nécessité, n’en font point du tout.
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Le port d’Acapulco, où le vaiſſeau aborde, a deux embouchures, dont une petite iſle forme la ſéparation.
On y entre de jour par un vent de mer, & l’on en ſort de nuit par un vent de terre.
Un mauvais fort, cinquante ſoldats, quarante-deux pièces de canon, & trente-deux hommes du corps de l’artillerie le défendent.
Il eſt également étendu, ſûr & commode.
Le baſſin qui forme cette belle rade eſt entouré de hautes montagnes ſi arides, qu’elles manquent même d’eau.
Son air embrâſé ; lourd & mal-ſain, n’eſt habituellement reſpiré que par quatre cens familles de Chinois, de mulâtres & de nègres, qui forment trois compagnies de milice.
Cette foible & malheureuſe population eſt groſſie à l’arrivée du galion par les négocians de toutes les provinces du Mexique, qui viennent échanger leur argent & leur cochenille contre les épiceries , les mouſſelines, les porcelaines, les toiles peintes, les ſoieries, les aromates, les ouvrages d’orfévrerie de l’Aſie.
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Le port d’Acapulco, où le vaisseau aborde, a deux embouchures, dont une petite île forme la séparation.
On y entre de jour par un vent de mer, et l’on en sort de nuit par un vent de terre.
Un mauvais fort, cinquante soldats, quarantedeux pièces de canon, et trente-deux hommes du corps de l’artillerie le défendent.
Il est également étendu, sûr et commode.
Le bassin qui forme cette belle rade est entouré de hautes montagnes, arides, privées d’eau, et remplies de volcans qui occasionnent de fréquens tremblemens de terre.
Son air embrasé, lourd et malsain, n’est habituellement respiré que par quatre cents familles de Chinois, de mulâtres et de nègres, qui forment trois compagnies de milice.
Cette faible et malheureuse population est grossie à l’arrivée du galion par les négocians de toutes les provinces du Mexique, qui viennent échanger leur argent et leur cochenille contre les épiceries, les mousselines, les porcelaines, les toiles peintes, les soieries, les aromates, les ouvrages d’orfévrerie de l’Asie.
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L’étendue de ces échanges ne fut pas originairement fixée.
Cette liberté illimitée ne tarda pas à exciter la jalousie de la métropole.
Pour calmer les esprits, on réduisit le privilége à très-peu de chose.
Ce commerce a été depuis tantôt resserré, tantôt étendu, sans qu’il soit possible d’assigner les motifs de ces variations.
Au temps où nous écrivons, la loi ne permet qu’un vaisseau de six cents tonneaux, et il est toujours de dix-huit cents ou de deux mille ; la loi ne permet qu’une vente de cinq cent mille piastres, ou de deux millions cinq cent mille livres, et elle s’élève constamment à deux millions de piastres ou à dix millions de livres.
Les droits de la douane ne sont pas plus respectés.
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A ce marché eſt audacieuſement conſommée dans le Nouveau-Monde, la fraude audacieuſement commencée dans l’ancien.
Les ſtatus ont borné la vente à 2,700,000 liv.
& elle paſſe 10,800,000 livres.
Tout l’argent provenant de ces échanges devroit dix pour cent au gouvernement ; & les fauſſes déclarations le privent des trois quarts du revenu que devroient lui former ſes douanes.
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Après un ſéjour d’environ trois mois, le galion reprend la route des Philippines avec quelques compagnies d’infanterie deſtinées à recruter la garniſon de Manille.
Il a été intercepté trois fois par les Anglois dans ſa traverſée.
Ce fut Cawendish qui s’en empara en 1587, Rogers en 1709, & Anſon en 1742.
La moindre partie des richeſſes dont il eſt chargé s’arrête dans la colonie.
Le reſte eſt diſtribué aux nations qui avoient contribué à former ſa cargaiſon.
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Après un séjour d’environ trois mois, le galion reprend la route des Philippines avec quelques compagnies d’infanterie destinées à recruter la garnison de Manille.
Il a été intercepté trois fois par les Anglais dans sa traversée, qui, par la faveur continuelle du vent d’est, ne dure que deux mois.
Ce fut Cawendish qui s’en empara en 1587, Rogers en 1709, et Anson en 1742.
La moindre partie des richesses dont il est chargé s’arrête dans la colonie.
Le reste est distribué aux nations qui avaient contribué à former sa cargaison.
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L’eſpace immenſe que les galions avoient à parcourir, fit deſirer un port où ils puſſent ſe radouber & ſe rafraîchir.
On le trouva ſur la route d’Acapulco aux Philippines, dans un archipel connu ſous le nom d’iſles Marianes.
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L’espace immense que les galions avaient à parcourir fit désirer un port où ils pussent se radouber et se rafraîchir.
On le trouva sur la route d’Acapulco aux Philippines, dans un archipel connu sous le nom d’îles Marianes.
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Ces iſles forment une chaîne qui s’étend depuis le treizième degré juſqu’au vingtdeuxième.
Pluſieurs ne ſont que des rochers : mais on en compte neuf qui ont de l’étendue.
C’eſt-là que la nature riche & belle offre une verdure éternelle, des fleurs d’un parfum exquis, des eaux de cryſtal tombant en caſcade, des arbres chargés de fleurs & de fruits en même tems, des ſituations pittoreſques que l’art n’imitera jamais.
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Ces îles forment une chaîne qui s’étend depuis le treizième degré jusqu’au vingt-deuxième.
Plusieurs ne sont que des rochers ; mais on en compte neuf qui ont de l’étendue.
C’est là que la nature riche et belle offre une verdure éternelle, des fleurs d’un parfum exquis, des eaux de cristal tombant en cascade, des arbres chargés de fleurs et de fruits en même temps, des situations pittoresques que l’art n’imitera jamais.
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Dans cet archipel, ſitué ſous la Zone Torride, l’air eſt pur, le ciel ſerein & le climat aſſez tempéré.
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Dans cet archipel, situé sous la zone torride, l’air est pur, le ciel serein et le climat assez tempéré.
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On y voyoit autrefois des peuples nombreux.
Rien n’indique d’où ils étoient ſortis.
Sans doute, qu’ils avoient été jettés par quelque tempête ſur ces côtes, mais depuis ſi long-tems, qu’ils avoient oublié leur origine, qu’ils ſe croyoient les ſeuls habitans du monde.
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On y voyait autrefois des peuples nombreux.
Rien n’indique d’où ils étaient sortis.
Sans doute qu’ils avaient été jetés par quelque tempête sur ces côtes, mais depuis si long-temps, qu’ils avaient oublié leur origine, qu’ils se croyaient les seuls habitans du monde.
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Quelques habitudes, la plupart ſemblables à celles des autres ſauvages de la mer du Sud, leur tenoient lieu de culte, de loix de gouvernement.
Ils couloient leurs jours dans une indolence perpétuelle ; & c’étoit aux bananes, aux noix de coco, ſur-tout au rima, qu’ils devoient ce malheur ou cet avantage.
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Quelques habitudes, la plupart semblables à celles des autres sauvages de la mer du Sud, leur tenaient lieu de culte, de lois, de gouvernement.
Ils coulaient leurs jours dans une indolence perpétuelle ; et c’était aux bananes, aux noix de coco, surtout au rima, qu’ils devaient ce malheur ou cet avantage.
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Le rima, célébré par quelques voyageurs ſous le nom d’arbre à pain, n’eſt pas encore bien connu des botaniſtes.
C’eſt un arbre dont la tige élevée & droite ſe diviſe vers la cime en pluſieurs branches.
Ses feuilles ſont alternes, grandes, fermes, épaiſſes, ſinuées profondément vers les bords latéraux.
Les plus jeunes, avant leur développement, ſont enfermées dans une membrane qui ſe deſſèche & laiſſe en tombant une impreſſion circulaire autour de la tige.
Elles rendent, ainſi que les autres parties de l’arbre, une liqueur laiteuſe très-tenace.
De l’aiſſelle des feuilles ſupérieures ſort un corps ſpongieux, long de ſix pouces, tout couvert de petites fleurs mâles très-ſerrées.
Plus bas, on trouve d’autres corps chargés de fleurs femelles, dont le piſtil devient une baie alongée remplie d’une amande.
Ces baies, portées ſur un axe commun, ſont ſi rapprochées, qu’elles ſe confondent & forment, par leur aſſemblage, un fruit très-gros & haut de dix pouces de longueur, hériſſé de pointes groſſes, courtes & émouſſées.
Il paroît qu’il exiſte deux eſpèces ou variétés du rima.
L’un a le fruit intérieurement pulqueux, rempli d’amandes bonnes à manger, qui ont la forme & le goût de la châtaigne.
Le fruit de l’autre eſt plus petit : il n’a point d’amandes, parce qu’elles avortent lorſqu’il eſt parfaitement mûr.
Sa chair eſt molle, doucereuſe & malſaine.
Mais quand on le cueille un peu avant ſa maturité, il a le goût d’artichaut, & on le mange comme du pain, ce qui lui a fait donner le nom de fruit à pain.
Ceux qui veulent le conſerver une ou pluſieurs années, le coupent par tranches & le font ſécher au four ou au ſoleil.
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Le rima, célébré par quelques voyageurs sous le nom d’arbre à pain, n’est pas encore bien connu des botanistes.
C’est un arbre dont la tige élevée et droite se divise vers la cime en plusieurs branches.
Ses feuilles sont alternes, grandes, fermes, épaisses, sinuées profondément vers les bords latéraux.
Les plus jeunes, avant leur développement , sont enfermées dans une membrane qui se dessèche, et laisse en tombant une impression circulaire autour de la tige.
Elles rendent, ainsi que les autres parties de l’arbre, une liqueur laiteuse très-tenace.
De l’aisselle des feuilles supérieures sort un corps spongieux, long de six pouces, tout couvert de petites fleurs mâles très-serrées.
Plus bas on trouve d’autres corps chargés de fleurs femelles, dont le pistil devient une baie allongée remplie d’une amande.
Ces baies, portées sur un axe commun, sont si rapprochées, qu’elles se confondent et forment par leur assemblage un fruit très-gros et haut de dix pouces de longueur, hérissé de pointes grosses, courtes et émoussées.
Il paraît qu’il existe deux espèces ou variétés du rima.
L’un a le fruit intérieurement pulpeux, rempli d’amandes bonnes à manger, qui ont la forme et le goût de la châtaigne.
Le fruit de l’autre est plus petit ; il n’a point d’amandes, parce qu’elles avortent lorsqu’il est parfaitement mûr.
Sa chair est molle, doucereuse et malsaine.
Mais, quand on le cueille un peu avant sa maturité, il a le goût de l’artichaut, et on le mange comme du pain ; ce qui lui a fait donner le nom de fruit à pain.
Ceux qui veulent le conserver une ou plusieurs années le coupent par tranches, et le font sécher au four ou au soleil.
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On trouve dans l’hiſtoire des Marianes trois choſes qui paroiſſent dignes d’être remarquées.
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On trouve dans l’histoire des Marianes trois choses qui paraissent dignes d’être remarquées.
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L’uſage du feu y étoit totalement ignoré.
Aucun de ces volcans terribles, dont les veſtiges deſtructeurs ſont ineffaçablement gravés ſur la ſurface du globe ; aucun de ces phénomènes céleſtes qui allument ſouvent des flammes dévorantes & inattendues dans tous les climats ; aucun de ces haſards heureux qui, par frottement ou par colliſion, font ſortir de brillantes étincelles de tant de corps : rien n’avoit donné aux paiſibles habitans des Marianes, la moindre idée d’un élément ſi familier aux autres nations.
Pour le leur faire connoître, il falloit que le reſſentiment des premiers Eſpagnols, arrivés ſur ces côtes ſauvages, brûlât quelques centaines de cabanes.
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L’usage du feu y était totalement ignoré.
Aucun de ces volcans terribles dont les vestiges destructeurs sont ineffaçablement gravés sur la surface du globe ; aucun de ces phénomènes célestes qui allument souvent des flammes dévorantes et inattendues dans tous les climats ; aucun de ces hasards heureux qui, par frottement ou par collision, font sortir de brillantes étincelles de tant de corps, rien n’avait donné aux paisibles habitans des Marianes la moindre idée d’un élément si familier aux autres nations.
Pour le leur faire connaître, il fallait que le ressentiment des premiers Espagnols arrivés sur ces côtes sauvages brûlât quelques centaines de cabanes.
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Cet uſage du feu n’étoit guère propre à leur en donner une idée favorable, à leur faire deſirer de le reproduire.
Auſſi le prirent-ils pour un animal qui s’attachoit au bois & qui s’en nourriſſoit.
Ceux que l’ignorance d’un objet ſi nouveau avoit porté à en approcher s’étant brûlés, leurs cris inſpirèrent de la terreur aux autres qui n’oſèrent plus le regarder que de très-loin.
Ils appréhendèrent la morſure de cette bête féroce, qu’ils croyoient capable de les bleſſer par la ſeule violence de ſa reſpiration.
Cependant, ils revinrent par degrés de la conſternation dont ils avoient été frappés ; leur erreur ſe diſſipa peu-à-peu, & on les vit s’accoutumer enfin à un bien précieux dont tous les autres peuples connus étoient dans une poſſeſſion immémoriale.
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Cet usage du feu n’était guère propre à leur en donner une idée favorable, à leur faire désirer de le reproduire ; aussi le prirent-ils pour un animal qui s’attachait au bois et qui s’en nourrissait.
Ceux que l’ignorance d’un objet si nouveau avait portés à en approcher s’étant brûlés, leurs cris inspirèrent de la terreur aux autres, qui n’osèrent plus le regarder que de très-loin.
Ils appréhendèrent la morsure de cette bête féroce, qu’ils croyaient capable de les blesser par la seule violence de sa respiration.
Cependant ils revinrent par degrés de la consternation dont ils avaient été frappés ; leur erreur se dissipa peu à peu, et on les vit s’accoutumer enfin à un bien précieux dont tous les autres peuples connus étaient dans une possession immémoriale.
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Un autre ſpectacle digne d’attention, c’étoit la ſupériorité que le ſexe le plus délicat avoit pris ſur le plus fort dans les Marianes.
L’aſcendant y étoit tel, que les femmes jouiſſoient d’une puiſſance illimitée dans leur intérieur ; qu’on ne pouvoit diſpoſer de rien ſans leur aveu, & qu’elles avoient la libre diſpoſition de tout ; que dans aucun cas, même celui d’une infidélité publiquement connue, on n’étoit pas autoriſé à manquer aux égards qui leur étoient dus ; que pour peu qu’elles jugeâſſent elles-mêmes qu’un époux n’avoit pas aſſez de douceur, de complaiſance & de ſoumiſſion, un nouveau choix leur étoit permis ; que ſi elles ſe croyoient trahies, elles pouvoient piller la cabane, couper les arbres du parjure, ou faire commettre ces dégâts par leurs parens ou par leurs compagnes.
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Un autre spectacle digne d’attention, c’était la supériorité que le sexe le plus délicat avait prise sur le plus fort dans les Marianes.
L’ascendant y était tel, que les femmes jouissaient d’une puissance illimitée dans leur intérieur ; qu’on ne pouvait disposer de rien sans leur aveu, et qu’elles avaient la libre disposition de tout ; que dans aucun cas, même celui d’une infidélité publiquement connue, on n’était pas autorisé à manquer aux égards qui leur étaient dus ; que pour peu qu’elles jugeassent elles-mêmes qu’un époux n’avait pas assez de douceur, de complaisance et de soumission, un nouveau choix leur était permis ; que, si elles se croyaient trahies, elles pouvaient piller la cabane, couper les arbres du parjure, ou faire commettre ces dégâts par leurs parens ou par leurs compagnes.
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Mais, comment des coutumes ſi bizarres avoient-elles pu s’établir & s’enraciner ?
Si l’on en croit les relations anciennes ou modernes, les hommes de cet archipel étoient noirs, laids, mal faits ; ils avoient la plupart une maladie hideuſe de la peau, malgré l’uſage journalier du bain.
Les femmes, au contraire, avoient un teint aſſez clair, des traits réguliers, un air aiſé, quelques graces, le goût du chant & de la danſe.
Eſt-il étonnant qu’avec tant de moyens de plaire, elles aient acquis un empire abſolu & inébranlable ?
Ce qui eſt vraiment extraordinaire, c’eſt qu’il y ait eu des contrées, & ſur-tout des contrées ſauvages, où l’on ait trouvé une différence ſi marquée entre les deux ſexes.
L’unanimité des hiſtoriens pourra-t-elle jamais étouffer les doutes que doit faire naître une narration ſi peu vraiſemblable ?
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Mais comment des coutumes si bizarres avaientelles pu s’établir et s’enraciner ?
Si l’on en croit les relations anciennes ou modernes, les hommes de cet archipel étaient noirs, laids, mal faits : ils avaient la plupart une maladie hideuse de la peau, malgré l’usage journalier du bain.
Les femmes, au contraire, avaient un teint assez clair, des traits réguliers, un air aisé, quelques grâces, le goût du chant et de la danse.
Est-il étonnant qu’avec tant de moyens de plaire elles aient acquis un empire absolu et inébranlable ?
Ce qui est vraiment extraordinaire, c’est qu’il y ait eu des contrées, et surtout des contrées sauvages, où l’on ait trouvé une différence si marquée entre les deux sexes.
L’unanimité des historiens pourrat-elle jamais étouffer les doutes que doit faire naître une narration si peu vraisemblable ?
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Les témoignages réunis de tant d’écrivains qu’on voudra, ne ſauroient prévaloir contre une loi bien connue, générale & conſtante de la nature.
Or, par-tout, excepté aux iſles Marianes, on a trouvé & l’on a dû trouver la femme ſoumiſe à l’homme.
Si l’on veut que je me prête à cette exception, il faut l’appuyer d’une autre : c’eſt que dans cette contrée, les femmes l’emportoient ſur les hommes, non-ſeulement en intelligence, mais en force de corps.
Si l’on ne m’aſſure pas l’un de ces faits, je nie l’autre ; à moins toutefois que quelque dogme ſuperſtitieux n’ait rendu leurs perſonnes ſacrées.
Car il n’y a rien que la ſuperſtition ne dénature, point d’uſage ſi monſtrueux qu’elle n’établiſſe, point de forfaits auxquels elle ne détermine, point de ſacrifices qu’elle n’obtienne.
Si elle dit à l’homme, Dieu veut que tu te mutiles, il ſe mutilera.
Si elle lui dit, Dieu veut que tu aſſaſſines ton fils, il l’aſſaſſinera.
Si elle lui a dit, aux iſles Marianes, Dieu veut que tu rampes devant la femme, il rampera devant la femme.
La beauté, les talens & l’eſprit, dans toutes les contrées du monde ſauvages ou policées, proſterneront un homme aux pieds d’une femme : mais ces avantages particuliers à quelques femmes n’établiront nulle part la tyrannie générale du ſexe foible ſur le ſexe robuſte.
L’homme commande à la femme, même dans les pays où la femme commande à la nation.
Le phénomène des iſles Marianes ſeroit dans l’ordre moral ce que l’équilibre de deux poids inégaux, ſuſpendus à des bras égaux de levier, ſeroit dans l’ordre phyſique.
Aucune ſorte d’autorité ne doit nous amener à la croyance d’une abſurdité.
Mais, dira-t-on, ſi les femmes ont mérité là cette autorité par quelques ſervices importans dont la mémoire s’eſt perdue ?
eh bien ! l’homme reconnoiſſant le premier jour, aura été ingrat le ſecond.
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Les témoignages réunis de tant d’écrivains qu’on voudra ne sauraient prévaloir contre une loi bien connue, générale et constante de la nature.
Or partout, excepté aux îles Marianes, on a trouvé et l’on a dû trouver la femme soumise à l’homme.
Si l’on veut que je me prête à cette exception, il faut l’appuyer d’une autre : c’est que dans cette contrée les femmes l’emportaient sur les hommes, non-seulement en intelligence, mais en force de corps.
Si l’on ne m’assure pas l’un de ces faits, je nie l’autre ; à moins toutefois que quelque dogme superstitieux n’ait rendu leurs personnes sacrées ; car il n’y a rien que la superstition ne dénature, point d’usage si monstrueux qu’elle n’établisse, point de forfaits auxquels elle ne détermine, point de sacrifices qu’elle n’obtienne.
Si elle dit à l’homme, Dieu veut que tu te mutiles, il se mutilera ; si elle lui dit, Dieu veut que tu assassines ton fils, il l’assassinera ; si elle lui a dit, aux îles Marianes, Dieu veut que tu rampes devant la femme, il rampera devant la femme.
La beauté, les talens et l’esprit, dans toutes les contrées du monde, sauvages ou policées, prosterneront un homme aux pieds d’une femme ; mais ces avantages particuliers à quelques femmes n’établiront nulle part la tyrannie générale du sexe foible sur le sexe robuste.
L’homme commande à la femme, même dans les pays où la femme commande à la nation.
Le phénomène des îles Marianes serait dans l’ordre moral ce que l’équilibre de deux poids inégaux, suspendus à des bras égaux de lévier, serait dans l’ordre physique.
Aucune sorte d’autorité ne doit nous amener à la croyance d’une absurdité.
Mais, dira-t-on, si les femmes ont mérité là cette autorité par quelques services importans dont la mémoire s’est perdue ?
Eh bien ! l’homme reconnaissant le premier jour, aura été ingrat le second.
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La troiſième choſe remarquable dans les Marianes, c’étoit un proſs ou canot, dont la forme ſingulière a toujours fixé l’attention des navigateurs les plus éclairés.
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La troisième chose remarquable dans les Marianes, c’était un pros ou canot, dont la forme singulière a toujours fixé l’attention des navigateurs les plus éclairés.
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Ces peuples occupoient des iſles ſéparées par des intervalles conſidérables.
Quoique ſans moyens & ſans deſir d’échanges, ils vouloient communiquer entre eux.
Ils y réuſſirent avec le ſecours d’un bâtiment d’une ſûreté entière, quoique très-petit ; propre à toutes les évolutions navales, malgré la ſimplicité de ſa conſtruction ; ſi facile à manier, que trois hommes ſuffiſoient pour toutes les manœuvres ; recevant le vent de côté, mérite abſolument néceſſaire dans ces parages ; ayant l’avantage unique d’aller & de venir, ſans jamais virer de bord & en changeant ſeulement la voile ; d’une telle marche qu’il faiſoit douze ou quinze milles en moins d’une heure, & qu’il alloit quelquefois plus vîte que le vent.
De l’aveu de tous les connoiſſeurs, ce proſs appellé volant à cauſe de ſa légéreté, eſt le plus parfait bateau qui ait jamais été imaginé ; & l’invention n’en ſauroit être diſputée aux habitans des Marianes, puiſqu’on n’en a trouvé le modèle dans aucune mer du monde.
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Ces peuples occupaient des îles séparées par des intervalles considérables.
Quoique sans moyens et sans désir d’échanges, ils voulaient communiquer entre eux.
Ils y réussirent avec le secours d’un bâtiment d’une sûreté entière, quoique trèspetit, propre à toutes les évolutions navales, malgré la simplicité de sa construction ; si facile à manier, que trois hommes suffisaient pour toutes les manœuvres ; recevant le vent de côté, mérite absolument nécessaire dans ces parages ; ayant l’avantage unique d’aller et de venir sans jamais virer de bord, et en changeant seulement la voile ; d’une telle marche, qu’il faisait douze ou quinze mille en moins d’une heure, et qu’il allait quelquefois plus vite que le vent.
De l’aveu de tous les connaisseurs, ce pros, appelé volant à cause de sa légèreté, est le plus parfait bateau qui ait jamais été imaginé ; et l’invention n’en saurait être disputée aux habitans des Marianes, puisqu’on n’en a trouvé le modèle dans aucune mer du monde.
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S’il étoit raiſonnable de prononcer ſur le génie d’une nation par un art iſolé, on ne pourroit s’empêcher d’avoir la plus grande opinion de ces ſauvages qui, avec des outils groſſiers & ſans le ſecours du fer, ont obtenu à la mer des effets que des moyens multipliés n’ont pu procurer aux peuples les plus éclairés.
Mais pour aſſeoir un jugement ſolide, il faudroit d’autres preuves qu’un talent que le haſard peut avoir donné ; & ces preuves ne ſont conſignées dans aucune hiſtoire.
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S’il était raisonnable de prononcer sur le génie d’une nation par un art isolé, on ne pourrait s’empêcher d’avoir la plus grande opinion de ces sauvages qui, avec des outils grossiers et sans le secours du fer, ont obtenu à la mer des effets que des moyens multipliés n’ont pu procurer aux peuples les plus éclairés.
Mais, pour asseoir un jugement solide, il faudrait d’autres preuves qu’un talent que le hasard peut avoir donné, et ces preuves ne sont consignées dans aucune histoire.
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Les iſles Marianes furent découvertes, en 1521, par Magellan.
Ce célèbre navigateur les nomma iſles des Larrons, parce que leurs ſauvages habitans, qui n’avoient pas la moindre notion du droit de propriété, inconnu dans l’état de nature, enlevèrent ſur ſes vaiſſeaux quelques bagatelles qui tentèrent leur curioſité.
On négligea long-tems de s’établir dans cet archipel où il n’y avoit aucune de ces riches mines qui enflammoient alors les Eſpagnols.
Ce fut en 1668 ſeulement que les vaiſſeaux qui y relâchoient de tems en tems, en allant du Mexique aux Indes Orientales, y dépoſèrent quelques miſſionnaires.
Dix ans après, la cour de Madrid jugea que les voies de la perſuaſion ne lui donnoient pas aſſez de ſujets ; & elle appuya par des ſoldats les prédications de ſes apôtres.
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Les îles Marianes furent découvertes en 1521 par Magellan.
Ce célèbre navigateur les nomma îles des Larrons, parce que leurs sauvages habitans, qui n’avaient pas la moindre notion du droit de propriété, inconnu dans l’état de nature, enlevèrent sur ses vaisseaux quelques bagatelles qui tentèrent leur curiosité.
On négligea long-temps de s’établir dans cet archipel, où il n’y avait aucune de ces riches mines qui enflammaient alors les Espagnols.
Ce fut en 1668 seulement que les vaisseaux qui y relâchaient de temps en temps, en allant du Mexique aux Indes orientales, y déposèrent quelques missionnaires.
Dix ans après, la cour de Madrid jugea que les voies de la persuasion ne lui donnaient pas assez de sujets, et elle appuya par des soldats les prédications de ses apôtres.
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Des ſauvages iſolés, que guidoit un farouche inſtinct ; auxquels l’arc & la flèche étoient même inconnus, qui n’avoient pour toute défenſe que de gros bâtons : ces ſauvages ne pouvoient pas réſiſter aux armes & aux troupes de l’Europe.
Cependant la plupart d’entre eux ſe firent maſſacrer plutôt que de ſe ſoumettre.
Un grand nombre furent la victime des maladies honteuſes que leurs inhumains vainqueurs leur avoient portées.
Ceux qui avoient échappé à tous ces déſaſtres prirent le parti déſeſpéré de faire avorter leurs femmes, pour ne pas laiſſer après eux des enfans eſclaves.
La population diminua, dans tout l’archipel, au point qu’il fallut, il y a vingtcinq ou trente ans, en réunir les foibles reſtes dans la ſeule iſle de Guam.
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Des sauvages isolés que guidait un farouche instinct, auxquels l’arc et la flèche étaient même inconnus, qui n’avaient pour toute défense que de gros bâtons, ces sauvages ne pouvaient pas résister aux armes et aux troupes de l’Europe.
Cependant la plupart d’entre eux se firent massacrer plutôt que de se soumettre.
Un grand nombre furent la victime des maladies honteuses que leurs inhumains vainqueurs leur avaient portées.
Ceux qui avaient échappé à tous ces désastres prirent le parti désespéré de faire avorter leurs femmes, pour ne pas laisser après eux des enfans esclaves.
La population diminua dans tout l’archipel, au point qu’il fallut, il y a quarante ou cinquante ans, en réunir les faibles restes dans la seule île de Guam.
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Elle a quarante lieues de circonférence.
Son port, ſitué dans la partie occidentale & défendu par une batterie de huit canons, eſt formé d’un côté par une langue de terre qui s’avance deux lieues dans la mer, & de l’autre par un recif de même étendue qui l’embraſſe preſque circulairement.
Quatre vaiſſeaux peuvent y mouiller à l’abri de tous les vents, excepté de celui d’Oueſt qui ne ſouffle jamais violemment dans ces parages.
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Elle a quarante lieues de circonférence.
Son port, situé dans la partie occidentale et défendu par une batterie de huit canons, est formé d’un côté par une langue de terre qui s’avance deux lieues dans la mer, et de l’autre par un rescif de même étendue qui l’embrasse presque circulairement.
Quatre vaisseaux peuvent y mouiller à l’abri de tous les vents, excepté de celui d’ouest, qui ne souffle jamais violemment dans ces parages
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A quatre lieues de la rade, ſur les bords de la mer, dans une ſituation heureuſe, s’élève l’agréable bourgade d’Agana.
C’eſt dans ce chef-lieu de la colonie & dans vingt-un petits hameaux, diſtribués autour de l’iſle, que ſont répartis quinze cens habitans, reſtes infortunés d’un peuple autrefois nombreux.
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A quatre lieues de la rade, sur les bords de la mer, dans une situation heureuse, s’élève l’agréable bourgade d’Agana.
C’est dans ce chef-lieu de la colonie et dans vingt-un petits hameaux, distribués autour de l’île, que sont répartis quinze cents habitans, restes infortunés d’un peuple autrefois nombreux.
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L’intérieur de Guam ſert d’aſyle & de pâture aux chèvres, aux porcs, aux bœufs, aux volailles qu’au tems de la conquête y portèrent les Eſpagnols, & qui depuis ſont devenus ſauvages.
Ces animaux, qu’il faut tuer à coup de fuſil ou prendre au piège, formoient la principale nourriture des Indiens & de leurs oppreſſeurs, lorſque tout-à-coup les choſes ont changé de face.
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L’intérieur de Guam sert d’asile et de pâture aux chèvres, aux porcs, aux bœufs, aux volailles qu’au temps de la conquête y portèrent les Espagnols, et qui depuis sont devenus sauvages.
Ces animaux, qu’il faut tuer à coups de fusil ou prendre au piége, formaient la principale nourriture des Indiens et de leurs oppresseurs, lorsque tout à coup les choses ont changé de face.
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Un homme actif, humain, éclairé a compris enfin que la population ne ſe rétabliroit pas, qu’elle s’affoibliroit même encore, à moins qu’il ne réuſſît à rendre ſon iſle agricole.
Cette idée élevée l’a fait cultivateur lui-même.
A ſon exemple, les naturels du pays ont défriché les terres dont il leur avoit aſſuré la propriété.
Leurs champs ſe ſont couverts de riz, de cacao, de maïs, de ſucre, d’indigo, de coton, de fruits, de légumes, dont, depuis un ſiècle ou deux, on leur laiſſoit ignorer l’uſage.
Le ſuccès a augmenté leur docilité.
Ces enfans d’une nature brute, dans qui la tyrannie & la ſuperſtition avoient achevé de dégrader l’homme, ont exercé, dans des atteliers, quelques arts de néceſſité première, & fréquenté, ſans une répugnance trop marquée, les écoles ouvertes pour leur inſtruction.
Leurs jouiſſances ſe ſont multipliées avec leurs occupations ; & ils ont été enfin heureux dans un des meilleurs pays du monde : tant il eſt vrai qu’il n’y a rien dont on ne vienne à bout avec de la douceur & par la bienfaiſance, puiſque ces vertus peuvent éteindre le reſſentiment dans l’ame même du ſauvage.
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Un homme actif, humain, éclairé, a compris enfin que la population ne se rétablirait pas, qu’elle s’affaiblirait même encore, à moins qu’il ne réussît à rendre son île agricole.
Cette idée élevée l’a fait cultivateur lui-même.
A son exemple, les naturels du pays ont défriché les terres dont il leur avait assuré la propriété.
Leurs champs se sont couverts de riz, de cacao, de maïs, de sucre, d’indigo, de coton, de fruits, de légumes, dont, depuis un siècle ou deux, on leur laissait ignorer l’usage.
Le succès a augmenté leur docilité.
Ces enfans d’une nature brute, dans qui la tyrannie et la superstition avaient achevé de dégrader l’homme, ont exercé dans des ateliers quelque arts de nécessité première, et fréquenté, sans une répugnance trop marquée, les écoles ouvertes pour leur instruction.
Leurs jouissances se sont multipliées avec leurs occupations, et ils ont été enfin heureux dans un des meilleurs pays du monde ; tant, il est vrai, qu’il n’y a rien dont on ne vienne à bout avec de la douceur et par la bienfaisance, puisque ces vertus peuvent éteindre le ressentiment dans l’âme même du sauvage.
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Cette révolution ineſpérée a été l’ouvrage de M. Tobias qui, en 1772, gouvernoit encore les Marianes.
Puiſſe ce vertueux & reſpectable Eſpagnol obtenir un jour ce qui combleroit ſa félicité, la conſolation de voir diminuer la paſſion de ſes enfans chéris pour le vin de cocotier, & de voir augmenter leur goût pour le travail !
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Cette révolution inespérée a été l’ouvrage de M. Tobias, qui, en 1772, gouvernait encore les Marianes.
Puisse ce vertueux et respectable Espagnol obtenir un jour ce qui comblerait sa félicité, la consolation de voir diminuer la passion de ses enfans chéris pour le vin de cocotier, et de voir augmenter leur goût pour le travail !
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Si, dès l’origine, les Eſpagnols avoient eu les vues raiſonnables du ſage Tobias, les Marianes auroient été civiliſées & cultivées.
Ce double avantage auroit procuré à cet archipel une ſûreté qu’il ne ſauroit ſe promettre d’une garniſon de cent cinquante hommes concentrée dans Guam.
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Si, dès l’origine, les Espagnols avaient eu les vues raisonnables du sage Tobias, les Marianes auraient été civilisées et cultivées.
Ce double avantage aurait procuré à cet archipel une sûreté qu’il ne saurait se promettre d’une garnison de cent cinquante hommes concentrée dans Guam.
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Tranquilles pour leurs poſſeſſions, les conquérans ſe ſeroient livrés à l’amour des découvertes qui étoient alors le génie dominant de la nation.
Secondés par le talent de leurs nouveaux ſujets pour la navigation, leur activité auroit porté les arts utiles & l’eſprit de ſociété dans les nombreuſes iſles qui couvrent l’océan Pacifique & plus loin encore.
L’univers eût été, pour ainſi dire, agrandi par de ſi glorieux travaux.
Sans doute que toutes les nations commerçantes auroient tiré, avec le tems, quelque utilité des relations formées avec ces régions, juſqu’alors inconnues, puiſqu’il eſt impoſſible qu’un peuple s’enrichiſſe ſans que les autres participent à ſes proſpérités : mais la cour de Madrid auroit toujours joui plutôt & plus conſtamment des productions de ſes nouveaux établiſſemens.
Si nous ne nous trompons, cet ordre de choſes valoit mieux pour l’Eſpagne qu’une combinaiſon qui réduit les Marianes à fournir des rafraîchiſſemens aux galions qui retournent du Mexique aux Philippines, comme la Californie à ceux qui vont des Philippines au Mexique.
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Tranquilles pour leurs possessions, les conquérans se seraient livrés à l’amour des découvertes, qui était alors le génie dominant de la nation.
Secondés par le talent de leurs nouveaux sujets pour la navigation, leur activité aurait porté les arts utiles et l’esprit de société dans les nombreuses îles qui couvrent l’Océan pacifique, et plus loin encore.
L’univers eût été, pour ainsi dire, agrandi par de si glorieux travaux.
Sans doute que toutes les nations commerçantes auraient tiré, avec le temps, quelque utilité des relations formées avec ces régions jusqu’alors inconnues, puisqu’il est impossible qu’un peuple s’enrichisse sans que les autres participent à ses prospérités ; mais la cour de Madrid aurait toujours joui plus tôt et plus constamment des productions de ses nouveaux établissemens.
Si nous ne nous trompons, cet ordre de choses valait mieux pour l’Espagne qu’une combinaison qui réduit les Marianes à fournir des rafraîchissemens aux galions qui retournent du Mexique aux Philippines, comme la Californie à ceux qui vont des Philippines au Mexique.
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La Californie eſt proprement une longue pointe de terre qui ſort des côtes ſeptentrionales de l’Amérique, & s’avance entre l’Eſt & le Sud juſqu’à la Zone Torride.
Elle eſt baignée des deux côtés par la mer Pacifique.
La partie connue de cette péninſule a trois cens lieues de longueur, ſur dix, vingt, trente & quarante de large.
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La Californie est proprement une longue pointe de terre qui sort des côtes septentrionales de l’Amérique et s’avance entre l’est et le sud jusqu’à la zone torride.
Elle est baignée des deux côtés par la mer Pacifique.
La partie connue de cette péninsule a trois cents lieues de longueur sur dix, vingt, trente et quarante de large.
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Il eſt impoſſible que dans un ſi grand eſpace, la nature du ſol & la température de l’air ſoient par-tout les mêmes.
On peut dire cependant, qu’en général le climat y eſt ſec & chaud à l’excès ; le terrein nud, pierreux, montueux, ſablonneux, ſtérile par conſéquent, & peu propre au labourage & à la multiplication des beſtiaux.
Parmi le petit nombre d’arbres qu’on y trouve, le plus utile eſt le pita-haya, dont les fruits ſont la principale nourriture des Californiens.
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Il est impossible que dans un si grand espace la nature du sol et la température de l’air soient partout les mêmes.
On peut dire cependant qu’en général le climat y est sec et chaud à l’excès ; le terrain nu, pierreux, montueux, sablonneux, stérile par conséquent, et peu propre au labourage et à la multiplication des bestiaux.
Parmi le petit nombre d’arbres qu’on y trouve, le plus utile est le pita-haya, dont les fruits sont la principale nourriture des Californiens.
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C’eſt une eſpèce de cierge qui, comme les autres, n’a point de feuilles.
Ses tiges droites & cannelées ont les côtes chargées d’épines & ſupportent immédiatement des fleurs blanchâtres, ſemblables à celles du nopal ſur lequel vit la cochenille, mais beaucoup plus alongées.
Les fruits qui ſuccèdent à ſes fleurs ont à leur ſurface des inégalités produites par la baſe ſubſiſtante des écailles du calice.
Ils ſont de la groſſeur d’un œuf de poule, rouges en-dehors & remplis intérieurement d’une pulpe blanche bonne à manger, plus douce & plus délicate que celle de la figue ordinaire.
On trouve dans cette pulpe des petites ſemences noires & luiſantes.
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C’est une espèce de cierge ou cactus qui, comme les autres, n’a point de feuilles.
Ses tiges droites et cannelées, ont les côtes chargées d’épines et supportent immédiatement des fleurs blanchâtres, semblables à celles du nopal sur lequel vit la cochenille, mais beaucoup plus allongées.
Les fruits qui succèdent à ses fleurs ont à leur surface des inégalités produites par la base subsistante des écailles du calice.
Ils sont de la grosseur d’un œuf de poule, rouges en-dehors et remplis intérieurement d’une pulpe blanche, bonne à manger, plus douce et plus délicate que celle de la figue ordinaire.
On trouve dans cette pulpe des petites semences noires et luisantes.
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La mer, plus riche que la terre, offre des poiſſons de toutes ſortes, dans la plus grande abondance & du goût le plus exquis.
Mais ce qui rend le golfe de la Californie plus digne d’attention, ce ſont les perles, qui, dans la ſaiſon favorable, y attirent de diverſes provinces du Mexique des hommes avides auxquels on a impoſé la loi de donner au gouvernement le quint de leur pêche.
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La mer, plus riche que la terre, offre des poissons de toutes sortes dans la plus grande abondance et du goût le plus exquis.
Mais ce qui rend le golfe de la Californie plus digne d’attention, ce sont les perles, qui, dans la saison favorable, y attirent de diverses provinces du Mexique des hommes avides, auxquels on a imposé la loi de donner au gouvernement le quint de leur pêche.
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Les Californiens ſont bien faits & fort robuſtes.
Une puſillanimité extrême, l’inconſtance, la pareſſe, la ſtupidité, & même l’inſenſibilité, forment leur caractère.
Ce ſont des enfans, en qui la raiſon n’eſt pas encore développée.
Ils ſont plus baſannés que les Mexicains.
Cette différence de couleur prouve que la vie policée de la ſociété, renverſe ou change entiérement l’ordre & les loix de la nature, puiſqu’on trouve ſous la Zone Tempérée un peuple ſauvage plus noir que ne le ſont les nations civiliſées de la Zone Torride.
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Les Californiens sont bien faits et fort robustes.
Une pusillanimité extrême, l’inconstance, la paresse, la stupidité, et même l’insensibilité, forment leur caractère.
Ce sont des enfans en qui la raison n’est pas encore développée.
Ils sont plus basanés que les Mexicains.
Cette différence de couleur prouve que la vie policée de la société renverse ou change entièrement l’ordre et les lois de la nature, puisqu’on trouve sous la zone tempérée un peuple sauvage plus noir que ne le sont les nations civilisées de la zone torride.
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Avant qu’on eût pénétré chez les Californiens, ils n’avoient aucune pratique de religion ; & leur gouvernement étoit tel qu’on devoit l’attendre de leur ignorance.
Chaque nation étoit un aſſemblage de pluſieurs cabanes, plus ou moins nombreuſes, toutes unies entre elles par des alliances, mais ſans aucun chef.
L’obéiſſance filiale n’y étoit pas même connue, quoique ce ſentiment ſoit, ſinon plus vif, du moins plus pur dans l’état de nature que dans celui de ſociété.
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Avant qu’on eût pénétré chez les Californiens, ils n’avaient aucune pratique de religion, et leur gouvernement était tel qu’on devait l’attendre de leur ignorance.
Chaque nation était un assemblage de plusieurs cabanes, plus ou moins nombreuses, toutes unies entre elles par des alliances, mais sans aucun chef.
L’obéissance filiale n’y était pas même connue, quoique ce sentiment soit, sinon plus vif, du moins plus pur dans l’état de nature que dans celui de société.
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En effet, les ſecours qu’une police régulière aſſure à tous les individus chez les nations civiliſées, les jeunes ſauvages ne les attendent que de leur père.
C’eſt lui qui pourvoit à leur ſubſiſtance, quand ils ſont enfans ; c’eſt lui qui veille à leur ſûreté.
Comment ne rechercheroient-ils pas ſa bienveillance ?
comment n’éviteroient-ils pas avec ſoin ce qui pourroit les priver de ſon appui ?
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En effet, les secours qu’une police régulière assure à tous les individus chez les nations civilisées, les jeunes sauvages ne les attendent que de leur père.
C’est lui qui pourvoit à leur subsistance quand ils sont enfans, c’est lui qui veille à leur sûreté.
Comment ne rechercheraient-ils pas sa bienveillance ?
comment n’éviteraient-ils pas avec soin ce qui pourrait les priver de son appui ?
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Un reſpect qui n’eſt point exigé ne ſauroit guère s’affoiblir dans des enfans qu’une habitude animale plus encore que le beſoin ramène toujours dans la cabane qui les a vu naître, & dont ils ne s’éloignent jamais à de grandes diſtances.
Les ſéparations que l’éducation, l’induſtrie, le commerce occaſionnent ſi fréquemment parmi nous, & qui ne peuvent que relâcher les liens de la parenté, les ſauvages ne les connoiſſent point.
Ils reſtent à côté de celui qui leur a donné l’exiſtence, tant qu’il vit.
Comment s’écarteroient-ils de l’obéiſſance ?
Rien ne leur eſt impérieuſement ordonné.
Point d’être plus libre que le petit ſauvage.
Il naît émancipé.
Il va, il vient, il ſort, il rentre, il découche ſans qu’on lui demande ce qu’il a fait, ce qu’il eſt devenu.
Jamais on ne s’aviſeroit d’employer l’autorité de la famille pour le ramener, s’il lui plaiſoit de diſparoître.
Rien de ſi commun dans les villes que les mauvais pères.
Il n’y en a point au fond des forêts.
Plus les ſociétés ſont opulentes, & plus il y a de luxe, moins la voix du ſang s’y fait entendre.
Le dirai-je ?
La ſévérité de notre éducation, ſa variété, ſa durée, ſes fatigues aliènent la tendreſſe de nos enfans.
Il n’y a que l’expérience qui les reconcilie avec nous.
Nous ſommes obligés d’attendre long-tems la reconnoiſſance de nos ſoins & l’oubli de nos réprimandes.
Le ſauvage n’en entendit jamais dans la bouche de ſes parens.
Jamais il n’en fut châtié.
Lorſqu’il ſut frapper l’animal dont il avoit à ſe nourrir, il n’eut preſque plus rien à apprendre.
Ses paſſions étant naturelles, il les ſatisfait ſans redouter l’œil des ſiens.
Mille motifs contraignent nos parens à s’oppoſer aux nôtres.
Croit-on qu’il n’y ait point d’enfant parmi nous à qui le deſir de jouir promptement d’une grande fortune ne faſſe trouver la vie de leurs pères trop longue ?
J’aimerois à me le perſuader.
Le cœur du ſauvage à qui ſon père n’a rien à laiſſer eſt étranger à cette eſpèce de parricide.
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Un respect qui n’est point exigé ne saurait guère s’affaiblir dans des enfans qu’une habitude animale, plus encore que le besoin, ramène toujours dans la cabane qui les a vus naître, et dont ils ne s’éloignent jamais à de grandes distances.
Les séparations que l’éducation, l’industrie, le commerce, occasionnent si fréquemment parmi nous, et qui ne peuvent que relâcher les liens de la parenté, les sauvages ne les connaissent point.
Ils restent à côté de celui qui leur a donné l’existence, tant qu’il vit.
Comment s’écarteraient-ils de l’obéissance ?
Rien ne leur est impérieusement ordonné.
Point d’être plus libre que le petit sauvage.
Il naît émancipé.
Il va, il vient, il sort, il rentre, il découche sans qu’on lui demande ce qu’il a fait, ce qu’il est devenu.
Jamais on ne s’aviserait d’employer l’autorité de la famille pour le ramener, s’il lui plaisait de disparaître.
Rien de si commun dans les villes que les mauvais pères.
Il n’y en a point au fond des forêts.
Plus les sociétés sont opulentes, et plus il y a de luxe, moins la voix du sang s’y fait entendre.
Le diraije ?
la sévérité de notre éducation, sa variété, sa durée, ses fatigues, aliènent la tendresse de nos enfans.
Il n’y a que l’expérience qui les réconcilie avec nous.
Nous sommes obligés d’attendre long-temps la reconnaissance de nos soins et l’oubli de nos réprimandes.
Le sauvage n’en entendit jamais dans la bouche de ses parens.
Jamais il n’en fut châtié.
Lorsqu’il sut frapper l’animal dont il avait à se nourrir, il n’eut presque plus rien à apprendre.
Ses passions étant naturelles, il les satisfait sans redouter l’œil des siens.
Mille motifs contraignent nos parens à s’opposer aux nôtres.
Croit-on qu’il n’y ait point d’enfans parmi nous à qui le désir de jouir promptement d’une grande fortune ne fasse trouver la vie de leurs pères trop longue ?
J’aimerais à me le persuader.
Le cœur du sauvage, à qui son père n’a rien à laisser, est étranger à cette espèce de parricide.
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Dans nos foyers, les pères âgés radotent ſouvent au jugement de leurs enfans.
Il n’en eſt pas ainſi dans la cabane du ſauvage.
On y parle peu, & l’on y a une haute opinion de la prudence des pères.
Ce ſont leurs leçons qui ſuppléent au défaut d’obſervations ſur les ruſes des animaux, ſur les forêts giboyeuſes, ſur les côtes poiſſonneuſes, ſur les ſaiſons & ſur les tems propres à la chaſſe & à la pêche.
Le vieillard raconte-t-il quelques particularités de ſes guerres ou de ſes voyages ?
rappelle-t-il les combats qu’il a livrés, les périls qu’il a courus, les embuches qu’il a évitées ?
s’élève-t-il à l’explication des phénomènes les plus ſimples de la nature ?
le ſoir, dans une nuit étoilée, à l’entrée de la cabane, leur trace-t-il du doigt le cours des aſtres qui brillent au-deſſus de leur tête, d’après les connoiſſances bornées qu’il en a ?
il eſt admiré.
S’il ſurvient une tempête, quelque révolution ſur la terre, dans les airs, ſur les eaux, quelque événement agréable ou fâcheux ?
tous s’écrient, notre père nous l’avoit prédit ; & la ſoumiſſion pour ſes conſeils, la vénération pour ſa perſonne en ſont augmentés.
Lorſqu’il approche de ſes derniers momens, l’inquiétude & la douleur ſe peignent ſur les viſages, les larmes coulent à ſa mort, & un long ſilence règne autour de ſa couche.
On le dépoſe dans la terre, & l’endroit de ſa ſépulture eſt ſacré.
On lui rend des honneurs annuels ; & dans les circonſtances importantes ou douteuſes, on va quelquefois interroger ſa cendre.
Hélas ! les enfans ſont livrés à tant de diſtractions parmi nous, que les pères en ſont promptement oubliés.
Ce n’eſt pas toutefois que je préférâſſe l’état ſauvage à l’état civiliſé.
C’eſt une proteſtation que j’ai déja faite plus d’une fois.
Mais plus j’y réfléchis, plus il me ſemble que depuis la condition de la nature la plus brute juſqu’à l’état le plus civiliſé, tout ſe compenſe à-peu-près, vices & vertus, biens & maux phyſiques.
Dans la forêt, ainſi que dans la ſociété, le bonheur d’un individu peut être moins ou plus grand que celui d’un autre individu : mais je ſoupçonne que la nature a poſé des limites à celui de toute portion conſidérable de l’eſpèce humaine, au-delà deſquelles il y a à-peu-près autant à perdre qu’à gagner.
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Dans nos foyers, les pères âgés radotent souvent au jugement de leurs enfans.
Il n’en est pas ainsi dans la cabane du sauvage.
On y parle peu, et l’on y a une haute opinion de la prudence des pères.
Ce sont leurs leçons qui suppléent au défaut d’observations sur les ruses des animaux, sur les forêts giboyeuses, sur les côtes poissonneuses, sur les saisons et sur les temps propres à la chasse et à la pêche.
Le vieillard raconte-t-il quelques particularités de ses guerres ou de ses voyages ; rappelle-t-il les combats qu’il a livrés, les périls qu’il a courus ; les embûches qu’il a évitées ; s’élève-t-il à l’explication des phénomènes les plus simples de la nature ; le soir, dans une nuit étoilée, à l’entrée de la cabane, leur tracet-il du doigt le cours des astres qui brillent audessus de leur tête d’après les connaissances bornées qu’il en a, il est admiré.
S’il survient une tempête, quelque révolution sur la terre, dans les airs, sur les eaux, quelque événement agréable ou fâcheux, tous s’écrient, notre père nous l’avait prédit ! et la soumission pour ses conseils, la vénération pour sa personne, en sont augmentées.
Lorsqu’il approche de ses derniers momens l’inquiétude et la douleur se peignent sur les visages, les larmes coulent à sa mort, et un long silence règne autour de sa couche.
On le dépose dans la terre, et l’endroit de sa sépulture est sacré.
On lui rend des honneurs annuels ; et, dans les circonstances importantes ou douteuses, on va quelquefois interroger sa cendre.
Hélas ! les enfans sont livrés à tant de distractions parmi nous, que les pères en sont promptement oubliés.
Ce n’est pas toutefois que je préférasse l’état sauvage à l’état civilisé.
C’est une protestation que j’ai déjà faite plus d’une fois.
Mais plus j’y réfléchis, plus il me semble que, depuis la condition de la nature la plus brute jusqu’à l’état le plus civilisé, tout se compense à peu près, vices et vertus, biens et maux physiques.
Dans la forêt, ainsi que dans la société, le bonheur d’un individu peut être moins ou plus grand que celui d’un autre individu ; mais je soupçonne que la nature a posé des limites à celui de toute portion considérable de l’espèce humaine, au-delà desquelles il y a à peu près autant à perdre qu’à gagner.
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Le Mexique n’eut pas été plutôt réduit & pacifié, que Cortès forma le projet d’ajouter à ſa conquête la Californie.
Lui-même, il ſe chargea, en 1526 de l’expédition, mais elle ne fut pas heureuſe.
Celles qui ſe ſuccédèrent rapidement, pendant deux ſiècles, eurent le même ſort, ſoit que les particuliers en ſupportâſſent les frais, ſoit qu’elles ſe fiſſent aux dépens du gouvernement ; & cette continuité de revers n’eſt pas inexplicable.
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Le Mexique n’eut pas été plus tôt réduit et pacifié, que Cortez forma le projet d’ajouter à sa conquête la Californie.
Lui-même il se chargea, en 1526, de l’expédition ; mais elle ne fut pas heureuse.
Celles qui se succédèrent rapidement pendant deux siècles eurent le même sort, soit que les particuliers en supportassent les frais, soit qu’elles se fissent aux dépens du gouvernement ; et cette continuité de revers n’est pas inexplicable.
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L’uſage de lever les vues, les plans, les cartes des lieux qu’on parcouroit n’étoit pas alors fort commun.
Si quelque aventurier plus intelligent ou plus laborieux que ſes compagnons écrivoit une relation de ſon voyage, cet écrit étoit rarement placé dans les dépôts publics.
L’y mettoit-on ?
Enſeveli dans la pouſſière, il étoit oublié.
L’impreſſion auroit remédié à cet inconvénient, mais la crainte que les étrangers ne fuſſent inſtruits de ce qu’on croyoit important de leur cacher, faiſoit rejetter ce moyen de communication.
De cette manière, les peuples n’acquéroient aucune expérience.
Les abſurdités ſe perpétuoient ; & les derniers entrepreneurs échouèrent par les mêmes fautes qui avoient empêché le ſuccès des premiers.
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L’usage de lever les vues, les plans, les cartes des lieux qu’on parcourait, n’était pas alors fort commun.
Si quelque aventurier, plus intelligent ou plus laborieux que ses compagnons, écrivait une relation de son voyage, cet écrit était rarement placé dans les dépôts publics.
L’y mettaiton, enseveli dans la poussière, il était oublié.
L’impression aurait remédié à cet inconvénient, mais la crainte que les étrangers ne fussent instruits de ce qu’on croyait important de leur cacher faisait rejeter ce moyen de communication.
De cette manière les peuples n’acquéraient aucune expérience.
Les absurdités se perpétuaient ; et les derniers entrepreneurs échouèrent par les mêmes fautes qui avaient empêché le succès des premiers.
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On avoit entiérement renoncé à l’acquiſition de la Californie, lorſque les Jéſuites demandèrent en 1697, qu’il leur fût permis de l’entreprendre.
Dès qu’ils eurent obtenu le conſentement du gouvernement, ils commencèrent l’exécution du plan de légiſlation qu’ils avoient formé, d’après des notions exactes de la nature du ſol, du caractère des habitans, de l’influence du climat.
Le fanatiſme ne guidoit point leurs pas.
Ils arrivèrent chez les ſauvages qu’ils vouloient civiliſer, avec des curioſités qui puſſent les amuſer, des grains deſtinés à les nourrir, des vêtemens propres à leur plaire.
La haîne de ces peuples pour le nom Eſpagnol, ne tint pas contre ces démonſtrations de bienveillance.
Ils y répondirent autant que leur peu de ſenſibilité & leur inconſtance le pouvoient permettre.
Ces vices furent vaincus en partie, par les religieux inſtituteurs qui ſuivoient leur projet avec la chaleur & l’opiniâtreté particulières à leur corps.
Ils ſe firent charpentiers, maçons, tiſſerands, cultivateurs, & réuſſirent par ces moyens à donner la connoiſſance, & juſqu’à un certain point, le goût des premiers arts à ces peuples ſauvages.
On les a tous réunis ſucceſſivement.
En 1745, ils formoient quarante-trois villages, ſéparés par la ſtérilité du terrein & la diſette d’eau.
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On avait entièrement renoncé à l’acquisition de la Californie, lorsque les jésuites demandèrent, en 1697, qu’il leur fût permis de l’entreprendre.
Dès qu’ils eurent obtenu le consentement du gouvernement, ils commencèrent l’exécution du plan de législation qu’ils avaient formé d’après des notions exactes de la nature du sol, du caractère des habitans, de l’influence du climat.
Le fanatisme ne guidait point leurs pas.
Ils arrivèrent chez les sauvages, qu’ils voulaient civiliser, avec des curiosités qui pussent les amuser, des grains destinés à les nourrir, des vêtemens propres à leur plaire.
La haine de ces peuples pour le nom espagnol ne tint pas contre ces démonstrations de bienveillance.
Ils y répondirent autant que leur peu de sensibilité et leur inconstance le pouvaient permettre.
Ces vices furent vaincus en partie par les religieux instituteurs, qui suivaient leur projet avec la chaleur et l’opiniâtreté particulières à leur corps.
Ils se firent charpentiers, maçons, tisserands, cultivateurs, et réussirent par ces moyens à donner la connaissance et, jusqu’à un certain point, le goût des premiers arts à ces peuples sauvages.
On les a tous réunis successivement.
En 1745 ils formaient quarante-trois villages, séparés par la stérilité du terrain et la disette d’eau.
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La ſubſiſtance de ces bourgades a pour baſe le bled & les légumes qu’on y cultive, les fruits & les animaux domeſtiques de l’Europe, qu’on travaille tous les jours à y multiplier.
Les Indiens ont chacun leur champ & la propriété de ce qu’ils récoltent : mais telle eſt leur peu de prévoyance, qu’ils diſſiperoient en un jour ce qu’ils auroient recueilli, ſi leur miſſionnaire ne s’en chargeoit pour le leur diſtribuer à propos.
Ils fabriquent déja quelques étoffes groſſières.
Ce qui peut leur manquer, eſt acheté avec les perles qu’ils pêchent dans le golfe, avec le vin, aſſez approchant de celui de Madère, qu’ils vendent à la Nouvelle-Eſpagne & aux galions, & dont l’expérience a appris qu’il étoit important de leur interdire l’uſage.
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La subsistance de ces bourgades a pour base le blé et les légumes qu’on y cultive, les fruits et les animaux domestiques de l’Europe, qu’on travaille tous les jours à y multiplier.
Les Indiens ont chacun leur champ et la propriété de ce qu’ils récoltent ; mais telle est leur peu de prévoyance, qu’ils dissiperaient en un jour ce qu’ils auraient recueilli, si leur missionnaire ne s’en chargeait pour le leur distribuer à propos.
Ils fabriquent déjà quelques étoffes grossières.
Ce qui peut leur manquer est acheté avec les perles qu’ils pêchent dans le golfe, avec le vin, assez approchant de celui de Madère, qu’ils vendent à la NouvelleEspagne et aux galions, et dont l’expérience a appris qu’il était important de leur interdire l’usage.
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Une douzaine de loix fort ſimples, ſuffiſent pour conduire cet état naiſſant.
Le miſſionnaire choiſit pour les faire obſerver, l’homme le plus intelligent du village ; & celui-ci peut infliger le fouet & la priſon, les ſeuls châtimens que l’on connoiſſe.
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Une douzaine de lois fort simples suffisent pour conduire cet état naissant.
Le missionnaire choisit pour les faire observer l’homme le plus intelligent du village, et celui-ci peut infliger le fouet et la prison, les seuls châtimens que l’on connaisse.
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Trop de ſcènes cruelles & deſtructives ont juſqu’ici affligé nos regards, pour qu’il ne nous ſoit pas permis de les arrêter un moment ſur des travaux inſpirés par l’humanité & dirigés par la bienfaiſance.
Toutes les autres conquêtes ont été faites par les armes.
Nous n’avons vu que des hommes qui égorgeoient des hommes ou qui les chargeoient de chaînes.
Les contrées que nous avons parcourues ont été ſucceſſivement autant de théâtres de la perfidie, de la férocité, de la trahiſon, de l’avarice & de tous les crimes auxquels on eſt porté par la réunion & la violence des paſſions effrénées.
Notre plume, ſans ceſſe trempée dans le ſang, n’a tracé que des lignes ſanglantes.
La contrée où nous ſommes entrés eſt la ſeule que la raiſon ait conquiſe.
Aſſeyons-nous & reſpirons.
Que le ſpectacle de l’innocence & de la paix diſſipe les idées lugubres dont nous avons été juſqu’à préſent obſédés, & ſoulage un moment notre ame des ſentimens douloureux qui l’ont ſi conſtamment oppreſſée, flétrie, déchirée.
Hélas !
La jouiſſance nouvelle que j’éprouve durera trop peu pour qu’elle me ſoit enviée.
Lecteurs, bientôt ces grandes cataſtrophes qui bouleverſent ce globe & dont la peinture vous plaît, par les ſecouſſes violentes que vous en recevez, & par les larmes moitié délicieuſes, moitié amères qu’elles arrachent de vos yeux ſouilleront la ſuite de ces déplorables annales.
Etes-vous méchant ?
êtesvous bons ?
Si vous étiez bons, vous vous refuſeriez, ce me ſemble, au récit des calamités ; ſi vous étiez méchans, vous l’entendriez ſans pleurer.
Cependant vous pleurez.
Vous voulez être heureux, & c’eſt du malheur qu’il faut vous entretenir pour vous intéreſſer.
Je crois en entrevoir la raiſon.
Les peines des autres vous conſolent des vôtres, & l’eſtime de vous-même s’accroît par la compaſſion que vous leur accordez.
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Trop de scènes cruelles et destructives ont jusqu’ici affligé nos regards pour qu’il ne nous soit pas permis de les arrêter un moment sur des travaux inspirés par l’humanité et dirigés par la bienfaisance.
Toutes les autres conquêtes ont été faites par les armes.
Nous n’avons vu que des hommes qui égorgeaient des hommes ou qui les chargeaient de chaînes.
Les contrées que nous avons parcourues ont été successivement autant de théâtres de la perfidie, de la férocité, de la trahison, de l’avarice, et de tous les crimes auxquels on est porté par la réunion et la violence des passions effrénées.
Notre plume, sans cesse trempée dans le sang, n’a tracé que des lignes sanglantes.
La contrée où nous sommes entrés est la seule que la raison ait conquise.
Asseyonsnous, et respirons.
Que le spectacle de l’innocence et de la paix dissipe les idées lugubres dont nous avons été jusqu’à présent obsédés, et soulage un moment notre âme des sentimens douloureux qui l’ont si constamment oppressée, flétrie, déchirée.
Hélas ! la jouissance nouvelle que j’éprouve durera trop peu pour qu’elle me soit enviée.
Lecteurs, bientôt ces grandes catastrophes qui bouleversent ce globe, et dont la peinture vous plaît par les secousses violentes que vous en recevez, et par les larmes moitié délicieuses, moitié amères, qu’elles arrachent de vos yeux, souilleront la suite de ces déplorables annales.
Êtes-vous méchans ?
êtes-vous bons ?
Si vous étiez bons, vous vous refuseriez, ce me semble, au récit des calamités ; si vous étiez méchans, vous l’entendriez sans pleurer.
Cependant vous pleurez.
Vous voulez être heureux, et c’est du malheur qu’il faut vous entretenir pour vous intéresser.
Je crois en entrevoir la raison.
Les peines des autres vous consolent des vôtres, et l’estime de vous-mêmes s’accroît par la compassion que vous leur accordez.
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Il n’y a dans toute la Californie que deux garniſons de trente hommes chacune, & un ſoldat auprès de chaque miſſionnaire.
Ces troupes étoient choiſies par les légiſlateurs & à leurs ordres, quoique payées par le gouvernement.
La cour de Madrid n’avoit pas vu d’inconvénient à laiſſer ces foibles moyens à des prêtres qui avoient acquis ſa confiance, & on l’avoit bien convaincue que c’étoit le ſeul expédient qui pût préſerver ſes nouvelles conquêtes d’une oppreſſion entiérement deſtructive.
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Il n’y a dans toute la Californie que deux garnisons de trente hommes chacune, et un soldat auprès de chaque missionnaire.
Ces troupes étaient choisies par les législateurs et à leurs ordres, quoique payées par le gouvernement.
La cour de Madrid n’avait pas vu d’inconvénient à laisser ces faibles moyens à des prêtres qui avaient acquis sa confiance, et on l’avait bien convaincue que c’était le seul expédient qui pût préserver ses nouvelles conquêtes d’une oppression entièrement destructive.
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Tel étoit l’état des choſes, lorſqu’en 1767 la cour de Madrid chaſſa de la Californie les Jéſuites, comme elle les expulſoit de ſes autres provinces.
Ces miſſionnaires avoient formé le projet de pouſſer leurs travaux ſur les deux rives de la mer juſqu’à la chaîne de montagnes qui lie la Californie à la Nouvelle-Eſpagne.
Ils vouloient élever l’empire dont ils multiplioient les ſujets à un degré de puiſſance qui lui permît de voir d’un œil tranquille la navigation des Ruſſes & la découverte du paſſage que les Anglois cherchent depuis ſi long-tems au Nord-Oueſt.
Loin d’avoir abandonné ces grands projets, le miniſtère Eſpagnol leur a donné, dit-on plus d’étendue.
Les deux mondes ne doivent pas même tarder à les voir exécutés, à moins que des événemens imprévus n’y oppoſent des obſtacles inſurmontables.
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Tel était l’état des choses lorsque la cour de Madrid chassa de la Californie, comme de ses autres possessions, les jésuites qui avaient formé le projet de pousser leurs travaux sur les deux rives de la mer jusqu’à la chaîne de montagnes qui lie la péninsule au Mexique.
Le ministère espagnol a-t-il adopté ce beau plan ?
qui le sait ?
Réussira-t-il à l’exécuter ?
qui peut le prévoir ?
Ce qui est connu, c’est que les religieux instituteurs n’eurent pas été plus tôt solennellement proscrits, qu’ils furent accusés dans l’un et l’autre hémisphère d’avoir fait partout un abus énorme de l’autorité qu’ils avaient usurpée.
On leur reprocha en particulier d’avoir décrié la Californie pour détourner le gouvernement de songer jamais à la prendre sous sa juridiction immédiate.
Le plus grand de leurs crimes fut d’avoir caché que le pays était rempli de métaux précieux.
Aucune expérience n’a encore prouvé qu’il y ait en effet des mines.
Mais la démonstration en eûtelle été acquise, quel est l’homme de bien qui ne pensât que les missionnaires avaient rempli un devoir sacré en n’immolant pas à des richesses fictives des nations qui se reposaient sur eux de leur destinée ?
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En attendant que ces vaſtes ſpéculations ſoient ou détruites ou réaliſées, la Californie ſert de lieu de relâche aux vaiſſeaux qui vont des Philippines au Mexique.
Le cap Saint-Lucas, ſitué à l’extrémité méridionale de la péninſule eſt le lieu où ils s’arrêtent.
Ils y trouvent un bon port, des rafraîchiſſemens & des ſignaux qui les avertiſſent s’il a paru quelque ennemi dans ces parages les plus dangereux pour eux.
Ce fut en 1734 que le galion y aborda pour la première fois.
Ses ordres & ſes beſoins l’y ont toujours amené depuis.
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Quoi qu’il en soit, la Californie sert de lieu de relâche aux vaisseaux qui vont des Philippines au Mexique.
Le cap Saint-Lucas, situé à l’extrémité méridionale de la péninsule, est le lieu où ils s’arrêtent.
Ils y trouvent un bon port, des rafraîchissemens et des signaux qui les avertissent s’il a paru quelque ennemi dans ces parages, les plus dangereux pour eux.
Ce fut en 1734 que le galion y aborda pour la première fois.
Ses ordre et ses besoins l’y ont toujours amené depuis.
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Le système adopté par tous les gouvernemens de l’Europe, de tenir les colonies dans la dependance la plus absolue de la métropole, a toujours rendu suspectes à beaucoup de politiques espagnols les liaisons du Mexique avec l’Asie.
Combien les maximes d’Alberoni étaient différentes !
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Cet homme, né de lui-même, était parvenu, par des événemens presque romanesques, à mettre la cour de Madrid dans sa dépendance.
Soit inquiétude naturelle, soit sentiment de ses forces, il voulut redonner aux conseils qu’il dirigeait l’influence dans les affaires générales qu’ils avaient perdue depuis plus d’un siècle.
Le souverain, le ministère, la nation, tout se prêta à cette illusion ou à cet espoir.
Les ressorts de l’état furent remontés.
Une machine, qu’on croyait généralement usée, reprit ses fonctions ; peut-être même ses mouvemens furent-ils trop rapides.
Cette impulsion intérieure fut secondée au-dehors par des intrigues compliquées, et cependant vivement conduites.
Les meilleurs esprits se remplirent d’incertitude et de défiance.
On vit se brouiller les puissances liées de temps immémorial par des intérêts communs ; les puissances divisées par des haines éternelles se rapprochèrent.
L’activité, l’audace, l’ambition du seul Alberoni assemblaient ces nuages, qui menaçaient nos régions d’un bouleversement universel, des plus étonnantes révolutions.
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Le ſyſtême adopté par tous les gouvernemens de l’Europe, de tenir les colonies dans la dépendance la plus abſolue de la métropole, a toujours rendu ſuſpectes à beaucoup de politiques Eſpagnols les liaiſons du Mexique avec l’Aſie.
Loin de penſer comme eux, Alberoni vouloit donner à cette liberté une extenſion illimitée.
Il lui paroiſſoit trèsſage de faire habiller les deux Amériques par les Indes.
Les colons, diſoit-il, ſeroient vêtus plus agréablement, à meilleur marché, d’une manière plus analogue au climat.
Les guerres de l’Europe ne les expoſeroient pas à manquer ſouvent des choſes les plus néceſſaires.
Ils ſeroient plus riches, plus affectionnés à la patrie principale, plus en état de ſe défendre contre les ennemis qu’elle leur attire.
Ces ennemis eux-mêmes ſeroient moins redoutables, parce qu’ils perdroient peu-à-peu les forces que l’approviſionnement du Mexique & du Pérou leur procure.
Enfin l’Eſpagne, en percevant ſur les marchandiſes des Indes les mêmes droits qu’elle perçoit ſur celles que fourniſſent, ſes rivaux, ne perdroit aucune branche de ſes revenus.
Elle pourroit même, ſi ſes beſoins l’exigeoient, obtenir de ſes colonies des ſecours qu’elles n’ont actuellement ni la volonté, ni le pouvoir de lui fournir.
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L’ancien monde ne suffisait pas aux magnifiques spéculations d’un homme qui avançait toujours tant qu’il voyait quelque chose au-delà de ce qu’il avait vu.
Le nouveau entra pour beaucoup dans ses immenses combinaisons.
Loin de penser qu’il fallût borner les relations de la nouvelle Espagne avec les Philippines, il voulait donner à cette liberté une extension illimitée.
Il lui paraissait très-sage de faire habiller les deux Amériques par les Indes.
Les colons, disait-il, seraient vêtus plus agréablement, à meilleur marché, d’une manière plus analogue au climat.
Les guerres de l’Europe ne les exposeraient pas à manquer souvent des choses les plus nécessaires.
Ils seraient plus riches, plus affectionnés à la patrie principale, plus en état de se défendre contre les ennemis qu’elle leur attire.
Ces ennemis euxmêmes seraient moins redoutables, parce qu’ils perdraient peu à peu les forces que l’approvisionnement du Mexique et du Pérou leur procure.
Enfin l’Espagne, en percevant sur les marchandises des Indes les mêmes droits qu’elle perçoit sur celles que fournissent ses rivaux, ne perdrait aucune branche de ses revenus.
Elle pourrait même, si ses besoins l’exigeaient, obtenir de ses colonies des secours qu’elles n’ont actuellement ni la volonté ni le pouvoir de lui fournir.
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Les vues du miniſtre hardi & entreprenant s’étendoient plus loin encore.
Il vouloit que la métropole elle-même formât des liaiſons immenſes avec l’Orient par la voie de ſes colonies d’Amérique.
Selon lui, les Philippines, qui juſqu’alors avoient payé un tribut énorme à l’activité des nations Européennes ou Aſiatiques qui leur portoient des manufactures ou des productions, pouvoient les aller chercher ſur leurs propres vaiſſeaux & les obtenir de la première main.
En livrant la même quantité de métaux que leurs concurrens, les habitans de ces iſles acheteroient à meilleur marché, parce que ces métaux venant directement d’Amérique, auroient moins ſupporté de frais que ceux qu’il faut voiturer dans nos régions, avant de les faire paſſer aux Indes.
Les marchandiſes embarquées à Manille arriveroient à Panama ſur une mer conſtamment tranquille, par une ligne trèsdroite & avec les mêmes vents.
Au moyen d’un canal très-court, ſollicité depuis longtems par le commerce, on feroit enſuite arriver aiſément les cargaiſons à l’embouchure du Chagre où elles ſeroient chargées pour l’Europe.
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Les vues du ministre hardi et entreprenant s’étendaient plus loin encore.
Il voulait que la Métropole elle-même formât des liaisons immenses avec l’Orient par la voie de ses colonies d’Amérique.
Selon lui, les Philippines, qui jusqu’alors avaient payé un tribut énorme à l’activité des nations européennes ou asiatiques qui leur portaient des manufactures ou des productions, pouvaient les aller chercher sur leurs propres vaisseaux et les obtenir de la première main.
En livrant la même quantité de métaux que leurs concurrens, les habitans de ces îles acheteraient à meilleur marché, parce que ces métaux, venant directement d’Amérique, auraient moins supporté de frais que ceux qu’il faut voiturer dans nos régions avant de les faire passer aux Indes.
Les marchandises embarquées à Manille arriveraient au Mexique ou au Pérou, où elles seraient chargées pour l’Europe.
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Alberoni s’attendoit bien que les puiſſances, dont cet arrangement bleſſeroit les intérêts & ruineroit l’induſtrie, chercheroient à le traverſer : mais il ſe croyoit en état de braver leur courroux dans les mers d’Europe, & il avoit déja donné ſes ordres, pour qu’on mît les côtes & les ports de la mer du Sud en état de ne rien craindre des eſcadres fatiguées qui pourroient les attaquer.
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Alberoni s’attendait bien que les puissances dont cet arrangement blesserait les intérêts et ruinerait l’industrie chercheraient à le traverser ; mais il se croyait en état de braver leur courroux dans les mers d’Europe, et il avait déjà donné ses ordres pour qu’on mît les côtes et les ports de la mer du Sud en état de ne rien craindre des escadres fatiguées qui pourraient les attaquer.
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Ces combinaiſons trouvèrent des approbateurs.
Aux yeux des enthouſiaſtes d’Alberoni, & il y en avoit beaucoup, c’étoient les efforts ſublimes d’un puiſſant génie pour la proſpérité & pour la gloire de la monarchie qu’il reſſuſcitoit.
D’autres, en plus grand nombre, ne virent dans ces projets ſi grands en apparence, que les délires d’une imagination déréglée qui s’exageroit les reſſources d’un état ruiné, & qui ſe promettoit de donner le commerce du monde entier à une nation réduite depuis deux ſiècles à l’impoſſibilité de faire le ſien.
La diſgrace de cet homme extraordinaire calma la fermentation qu’il avoit excitée dans les deux mondes.
Les liaiſons des Philippines avec le Mexique continuèrent ſur l’ancien pied, ainſi que celles que cette grande province entretenoit avec le Pérou par la mer du Sud.
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Ces combinaisons trouvèrent des approbateurs.
Aux yeux des enthousiastes d’Alberoni, et il y en avait beaucoup, c’étaient les efforts sublimes d’un puissant génie pour la prospérité et pour la gloire de la monarchie qu’il ressuscitait.
D’autres, en plus grand nombre, ne virent dans ces projets, si grands en apparence, que les délires d’une imagination déréglée qui s’exagerait les ressources d’un état ruiné, et qui se promettait de donner le commerce du monde entier à une nation réduite depuis deux siècles à l’impossibilité de faire le sien.
La disgrâce de cet homme extraordinaire calma la fermentation qu’il avait excitée dans les deux mondes.
Les liaisons des Philippines avec le Mexique continuèrent sur l’ancien pied, ainsi que celles que cette grande province entretenait avec le Pérou par la mer du Sud.
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Les côtes du Mexique ne reſſemblent pas à celles du Pérou, où le voiſinage & la hauteur des Cordelières font régner un printems éternel, des vents réguliers & doux.
Auſſitôt qu’on a paſſé la ligne à la hauteur de Panama, la libre communication de l’atmoſphère de l’Eſt à l’Oueſt n’étant plus interrompue par cette prodigieuſe chaîne de montagnes, le climat devient différent.
A la vérité, la navigation eſt facile & ſûre dans ces parages depuis le milieu d’octobre juſqu’à la fin de mai : mais, durant le reſte de l’année, les calmes & les orages y rendent alternativement la mer fâcheuſe & dangereuſe.
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Les côtes du Mexique ne ressemblent pas à celles du Pérou, où le voisinage et la hauteur des Andes font régner un printemps éternel, des vents réguliers et doux.
Aussitôt qu’on a passé la ligne à la hauteur de Panama, la libre communication de l’atmosphère de l’est à l’ouest n’étant plus interrompue par cette prodigieuse chaîne de montagnes, le climat devient différent.
A la vérité, la navigation est facile et sûre dans ces parages depuis le milieu d’octobre jusqu’à la fin de mai ; mais, durant le reste de l’année, les calmes et les orages y rendent alternativement la mer fâcheuse et dangereuse.
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La côte qui borde cet océan a ſix cens lieues.
Autrefois, il ne ſortoit des rades que la nature y a formées, ni un bâtiment pour le commerce, ni un canot pour la pêche.
Cette inaction étoit bien en partie la ſuite de l’indolence des peuples : mais les funeſtes diſpoſitions faites par la cour de Madrid y avoient plus de part encore.
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La côte qui borde cet océan a six cents lieues.
Autrefois il ne sortait des rades que la nature y a formées ni un bâtiment pour le commerce, ni un canot pour la pêche.
Cette inaction était bien en partie la suite de l’indolence des peuples ; mais les funestes dispositions faites par la cour de Madrid y avaient plus de part encore.
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La communication, entre les empires des incas & de Montezuma devenus provinces Eſpagnoles, fut libre dans les premiers tems par la mer du Sud.
On la borna quelque tems après à deux navires.
Elle fut abſolument prohibée en 1636.
Des repréſentations preſſantes & réitérées déterminèrent à la rouvrir au bout d’un demi-ſiècle, mais avec des reſtrictions qui la rendoient nulle.
Ce n’eſt qu’en 1774, qu’il a été permis à l’Amérique Méridionale & Septentrionale de faire tous les échanges que leur intérêt mutuel pourroit comporter.
Les différentes contrées de ces deux régions tireront, ſans doute, de grands avantages de ce nouvel ordre de choſes.
On peut prédire cependant qu’il ſera plus utile au pays de Guatimala qu’à tous les autres.
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La communication entre les empires des Incas et de Montézuma, devenus provinces espagnoles, fut libre dans les premiers temps par la mer du Sud.
On la borna quelque temps après à deux navires.
Elle fut absolument prohibée en 1636.
Des représentations pressantes et réitérées déterminèrent à la rouvrir au bout d’un demi-siècle, mais avec des restrictions qui la rendaient nulle.
Ce n’est qu’en 1774 qu’il a été permis à l’Amérique méridionale et septentrionale de faire tous les échanges que leur intérêt mutuel pourrait comporter.
Les différentes contrées de ces deux régions tireront sans doute de grands avantages de ce nouvel ordre de choses.
On peut prédire cependant qu’il sera plus utile au pays de Guatimala qu’à tous les autres.
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La juridiction de cette audience s’étend douze lieues à l’ouest, soixante à l’est, cent au nord, et trois cents au sud.
Sur ce vaste espace se trouvent, comme dans le reste du Mexique, des montagnes, des volcans, des lacs, des déserts, des rivières alternativement débordées et sans eau, des contrées salubres et malsaines, d’innombrables troupeaux, des mines, des tyrans et des esclaves, l’extrême misère à côté de la plus scandaleuse opulence, l’indolence avec tous les genres de corruption.
Mais ce département a sur ceux de Mexico et de Guadalaxara quelques avantages.
Il récolte un blé supérieur au leur.
Ce n’est que sur son territoire que croît l’indigo.
Son cacao de Soconusco est le plus parfait que l’on connaisse.
Aussi n’en permet-on l’exportation que pour l’approvisionnement du souverain.
Le peu qui peut s’en échapper en fraude est vendu le double de celui de Caraque même.
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Sur la mer du Sud Guatimala possède plusieurs ports, dont celui de Sonsonate ou de la Trinité est le principal.
De ces diverses rades il peut expédier des bâtimens pour les parages de Guadalaxara.
C’est la région du globe la plus féconde en métaux.
A l’époque de la conquête, on parla de ces richesses avec l’enthousiasme que ne manquent guère d’exciter les objets nouveaux.
Une politique bien ou mal entendue défendit depuis de rien écrire sur la source de ces grands trésors ; et l’on n’en sait que ce que les premiers historiens en publièrent.
Ils seront mieux connus lorsque les côtes, dont la plupart des mines ne sont que peu éloignées, verront aborder un plus grand nombre de navigateurs.
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En continuant leur route, les vaisseaux atteignent Acapulco, où se trouvent réunies toutes les étoffes, toutes les productions, toutes les voluptés de l’Asie.
Ils s’y chargent de la quantité de ces précieuses marchandises, dont ils peuvent espérer un débit avantageux.
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Plus loin est la mer Vermeille, anciennement célèbre par l’abondante pêche des belles perles qui s’y fait, et de nos jours par les riches mines ouvertes sur ses rivages.
La Californie, qui forme ce golfe, quoique assez récemment sortie d’un état purement sauvage, a déjà quelques-uns des besoins des sociétés civilisées depuis long-temps ; et on lui connaît un superflu suffisant pour se procurer le nécessaire.
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Ce que Guatimala a obtenu de son territoire, ce qu’il tient de ses échanges ne peut manquer de trouver un débouché avantageux à Panama, à Guayaquil, sur les côtes du Pérou ou du Chili, et jusque dans le Paraguay.
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Les mers du nord n’offrent à Guatimala qu’un port de mer, et il est au golfe Dolcé.
C’est là, et là seulement, que l’or, que l’argent, que l’indigo destinés pour notre continent sont portés à dos de mulet, et déposés à Saint-Thomas, bourgade située à soixante lieues de la ville.
Tant de richesses sont échangées dans cet entrepôt contre les marchandises arrivées d’Europe dans les mois de juillet et d’août.
Ce marché est aussi le point de communication d’une partie du Mexique avec les autres possessions espagnoles de l’Amérique septentrionale.
Le lieu est entièrement ouvert, quoiqu’il eût été facile de le mettre à l’abri de toute insulte.
On le pouvait d’autant plus aisément, que son entrée est rétrécie par deux rochers élevés qui s’avancent des deux côtes, à la portée du canon.
Il est vraisemblable que l’Espagne ne changera de conduite que lorsqu’elle aura été punie de sa négligence.
Rien, dit-on, ne serait plus facile.
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Les vaisseaux qui formeraient cette entreprise resteraient en sûreté dans la rade.
Mille ou douze cents hommes débarqués à Saint-Thomas traverseraient quinze lieues de montagnes, où ils trouveraient des chemins commodes et des subsistances.
Le reste de la route se ferait à travers des plaines peuplées et abondantes.
On arriverait à Guatimala, qui n’a ni fortifications ni troupes.
Ses quarante mille Indiens, nègres, métis, espagnols, qui n’ont jamais vu d’épée, seraient incapables de la moindre résistance.
Ils livreraient à l’ennemi, pour sauver leur vie, les richesses qu’ils accumulent depuis trois siècles, et la contribution serait au moins de trente millions.
Les aventuriers regagneraient leurs bâtimens avec le butin, et, s’ils le voulaient, avec des otages qui assureraient la tranquillité de leur retraite.
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Cette audience domine ſur douze lieues à l’Oueſt, ſoixante à l’Eſt, cent au Nord, & trois cens au Sud.
Sept ou huit provinces forment cette grande juriſdiction.
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Celle de Coſta-Ricca eſt très-peu peuplée, très-peu cultivée & n’offre guère que des troupeaux.
Une grande partie des anciens habitans s’y ſont juſqu’ici refuſés au joug.
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Six mois d’une pluie qui tombe en torrens & ſix mois d’une ſéchereſſe dévorante affligent Nicaragua réguliérement chaque année.
Ce ſont les hommes les plus efféminés de la Nouvelle-Eſpagne quoique des moins riches.
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Les Caſtillans n’exercèrent nulle part plus de cruautés qu’à Honduras.
Ils en firent un déſert.
Auſſi n’en tire-t-on qu’un peu de caſſe & quelque ſalſe-pareille.
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Vera-Paz étoit en poſſeſſion de fournir à l’ancien Mexique les plumages éclatans dont on compoſoit ces tableaux ſi long-tems vantés.
La province a perdu toute ſon importance, depuis que ce genre d’induſtrie a été abandonné.
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Soconuſco n’eſt connu que par la perfection de ſon cacao.
La plus grande partie de ce fruit ſert à l’Amérique même.
Les deux cens quintaux qu’on en porte en Europe appartiennent au gouvernement.
S’il y en a plus que la cour ne peut conſommer, on le vend au public le double de ce que coûte celui de Caraque.
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Quoiqu’au centre du Mexique, Chiapa formoit un état indépendant de cet empire à l’arrivée des Eſpagnols : mais ce canton plia auſſi devant des armes que rien n’arrêtoit.
Il y eut là peu de ſang répandu, & les Indiens y ſont encore plus nombreux qu’ailleurs.
Comme la province n’eſt abondante qu’en grains, en fruits, en pâturages, peu des conquérans s’y fixèrent ; & c’eſt peut-être pour cela que l’homme y eſt moins dégradé, moins abruti que dans les contrées remplies de mines ou avantageuſement ſituées pour le commerce.
Les origènes montrent de l’intelligence, ont quelque aptitude pour les arts, & parlent une langue qui a de la douceur, même une ſorte d’élégance.
Ces qualités ſont ſur-tout remarquables à Chiapa de losIndios, ville aſſez importante où leurs familles les plus conſidérables ſe ſont réfugiées, qu’ils occupent ſeuls, & où ils jouiſſent de grands privilèges.
Sur la rivière qui baigne ſes murs s’exercent habituellement l’adreſſe & le courage de ces hommes moins opprimés que leurs voiſins.
Avec des bateaux, ils forment des armées navales.
Ils combattent entre eux, ils s’attaquent & ils ſe défendent avec une agilité ſurprenante.
Ils bâtiſſent des châteaux de bois qu’ils couvrent de toile peinte & qu’ils aſſiègent.
Ils n’excellent pas moins à la courſe des taureaux, au jeu des cannes, à la danſe, à tous les exercices de corps.
Combien ces détails feront regretter que les Indiens ſoient tombés au pouvoir d’un vainqueur qui a reſſerré les liens de leur ſervitude au lieu de les relâcher.
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La province de Guatimala a, comme les autres provinces de ſa dépendance, des troupeaux, des mines, du bled, du maïs, du ſucre, du coton : mais aucune ne partage avec elle l’avantage de cultiver l’indigo.
C’eſt ſur ſon territoire qu’eſt placée une ville de ſon nom, où ſont réunis les adminiſtrateurs & les tribunaux néceſſaires au gouvernement d’un ſi grand pays.
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Cette cité célèbre fut, bien ou mal-àpropos bâtie, dans une vallée large d’environ trois milles, & bornée par deux montagnes aſſez élevées.
De celle qui eſt au Sud coulent des ruiſſeaux & des fontaines qui procurent aux villages ſitués ſur la pente, une fraîcheur délicieuſe, & y entretiennent perpétuellement des fleurs & des fruits.
L’aſpect de la montagne qui eſt au Nord eſt effroyable.
Il n’y paroît jamais de verdure.
On n’y voit que des cendres, des pierres calcinées.
Une eſpèce de tonnerre, que les habitans attribuent au bouillonnement des métaux mis en fuſion dans les cavernes de la terre, s’y fait entendre continuellement.
Il ſort de ces fourneaux intérieurs des flammes, des torrens de ſouffre qui rempliſſent l’air d’une infection horrible.
Guatimala, ſelon une expreſſion très-uſitée, eſt ſitué entre le paradis & l’enfer.
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La célèbre et importante cité qui reste ainsi exposée au pillage fut, bien ou mal à propos, originairement bâtie dans une vallée large d’environ trois milles, et bornée par deux montagnes assez élevées.
De celle qui est au sud coulent des ruisseaux et des fontaines qui procurent aux villages situés sur la pente une fraîcheur délicieuse, et y entretiennent perpétuellement des fleurs et des fruits.
L’aspect de la montagne qui est au nord est effroyable.
Il n’y paraît jamais de verdure.
On n’y voit que des cendres, des pierres calcinées.
Une espèce de tonnerre, que les habitans attribuent au bouillonnement des métaux mis en fusion dans les cavernes de la terre, s’y fait entendre continuellement.
Il sort de ces fourneaux intérieurs des flammes, des torrens de soufre qui remplissent l’air d’une infection horrible.
Guatimala, selon une expression très-usitée, est situé entre le paradis et l’enfer.
Des tremblemens de terre lui causèrent de grands dommages à des époques plus ou moins reculées.
Celui de 1772 ne lui laissa que des ruines.
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Les objets que demande le Pérou ſont expédiés de cette capitale par la mer du Sud.
L’or, l’argent, l’indigo deſtinés pour notre continent, ſont portés, à dos de mulet, au bourg Saint-Thomas, ſitué à ſoixante lieues de la ville dans le fond d’un lac très-profond qui ſe perd dans le golfe de Honduras.
Tant de richeſſes ſont échangées dans cet entrepôt contre les marchandiſes arrivées d’Europe dans les mois de juillet ou d’août.
Ce marché eſt entiérement ouvert, quoiqu’il eût été facile de le mettre à l’abri de toute inſulte.
On le pouvoit d’autant plus aiſément, que ſon entrée eſt retrécie par deux rochers élevés qui s’avancent des deux côtés à la portée du canon.
Il eſt vraiſemblable que l’Eſpagne ne changera de conduite que lorſqu’elle aura été punie de ſa négligence.
Rien ne ſeroit plus aiſé.
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Les vaiſſeaux qui entreprendroient cette expédition reſteroient en ſûreté dans la rade.
Mille ou douze cens hommes débarqués à Saint-Thomas, traverſeroient quinze lieues de montagnes où ils trouveroient des chemins commodes & des ſubſiſtances.
Le reſte de la route ſe feroit à travers des plaines peuplées & abondantes.
On arriveroit à Guatimala, qui n’a pas un ſoldat, ni la moindre fortification.
Ses quarante mille ames, Indiens, nègres, métis, Eſpagnols, qui n’ont jamais vu d’épée, ſeroient incapables de la moindre réſiſtance.
Ils livreroient à l’ennemi, pour ſauver leur vie, les richeſſes qu’ils accumulent depuis trois ſiècles ; & la contribution ſeroit au moins de trente millions.
Les troupes regagneroient leurs bâtimens avec ce butin ; & ſi elles le vouloient avec des ôtages qui aſſureroient la tranquillité de leur retraite.
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Le danger n’eſt plus malheureuſement le même.
Un affreux tremblement à détruit Guatimala de fond en comble en 1772.
Cette ville, une des plus riches de l’Amérique, n’offre plus que des ruines.
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Elle renaîtroit bientôt dans d’autres contrées : car, que ne peuvent point les nations actives & induſtrieuſes ?
Par elles des régions qu’on croyoit inhabitables ſont peuplées.
Les terres les plus ingrates ſont fécondées.
Les eaux ſont repouſſées, & la fertilité s’élève ſur le limon.
Les marais portent des maiſons.
A travers des monts entr’ouverts, l’homme ſe fait des chemins.
Il ſépare à ſon gré ou lie les rochers par des ponts qui reſtent comme ſuſpendus ſur la profondeur obſcure de l’abîme, au fond duquel le torrent courroucé ſemble murmurer de ſon audace.
Il oppoſe des digues à la mer & dort tranquillement dans le domicile qu’il a fondé au-deſſous des flots.
Il aſſemble quelques planches ſur leſquelles il s’aſſied ; il dit aux vents de le porter à l’extrémité du globe, & les vents lui obéiſſent.
Homme, quelquefois ſi puſillanime & ſi petit, que tu te montres grand, & dans tes projets, & dans tes œuvres !
Avec deux foibles leviers de chair, aidés de ton intelligence, tu attaques la nature entière & tu la ſubjugues.
Tu affrontes les élémens conjurés, & tu les aſſervis.
Rien ne te réſiſte, ſi ton ame eſt tourmentée par l’amour ou le deſir de poſſéder une belle femme que tu haïras un jour ; par l’intérêt ou la fureur de remplir tes coffres d’une richeſſe qui te promette des jouiſſances que tu te refuſeras ; par la gloire ou l’ambition d’être loué par tes contemporains que tu mépriſes, ou d’une poſtérité que tu ne dois pas eſtimer davantage.
Si tu fais de grandes choſes par paſſion, tu n’en fais pas de moindres par ennui.
Tu ne connoiſſois qu’un monde.
Tu ſoupçonnas qu’il en étoit un autre.
Tu l’allas chercher & tu le trouvas.
Je te ſuis pas à pas dans ce monde nouveau.
Si la hardieſſe de tes entrepriſes m’en dérobe quelquefois l’atrocité, je ſuis toujours également confondu, ſoit que tes forfaits me glacent d’horreur, ſoit que tes vertus me tranſportent d’admiration.
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La ville renaîtrait bientôt dans d’autres contrées ; car que ne peuvent point les nations actives et industrieuses !
Par elles des régions qu’on croyait inhabitables sont peuplées.
Les terres les plus ingrates sont fécondées.
Les eaux sont repoussées, et la fertilité s’élève sur le limon.
Les marais portent des maisons.
A travers des monts entr’ouverts l’homme se fait des chemins.
Il sépare ou lie à son gré les rochers par des ponts qui restent comme suspendus sur la profondeur obscure de l’abîme, au fond duquel le torrent courroucé semble murmurer de son audace.
Il oppose des digues à la mer, et dort tranquillement dans le domicile qu’il a fondé au-dessous des flots.
Il assemble quelques planches sur lesquels il s’assied ; il dit aux vents de le porter aux extrémités du globe, et les vents lui obéissent.
Homme, quelquefois si pusillanime et si petit, que tu te montres grand, et dans tes projets et dans tes œuvres !
Avec deux faibles leviers de chair, aidés de ton intelligence, tu attaques la nature entière, et tu la subjugues.
Tu affrontes les élémens conjurés, et tu les asservis.
Rien ne te résiste, si ton âme est tourmentée par l’amour ou le désir de posséder une belle femme que tu haïras un jour ; par l’intérêt ou la fureur pour remplir tes coffres d’une richesse qui te promette des jouissances que tu te refuseras ; par la gloire ou l’ambition d’être loué par tes contemporains que tu méprises, ou d’une postérité que tu ne dois pas estimer davantage ; si tu fais de grandes choses par ambition, tu n’en fais pas de moindres par ennui.
Tu ne connaissais qu’un monde, tu soupçonnas qu’il en était un autre.
Tu l’allas chercher, et le trouvas.
Je te suis pas à pas dans ce monde nouveau.
Si la hardiesse de tes entreprises m’en dérobe quelquefois l’atrocité, je suis toujours également confondu, soit que tes forfaits me glacent d’horreur, soit que tes vertus me transportent d’admiration.
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Tels étoient ces fiers Eſpagnols qui conquirent l’Amérique : mais le climat, une mauvaiſe adminiſtration, l’abondance de toutes choſes énervèrent leurs deſcendans.
Tout ce qui portoit l’empreinte de la difficulté ſe trouva au-deſſus de leurs ames corrompues ; & leurs bras amollis ſe refuſèrent à tous les travaux.
Durant ce long période, ce fut un engourdiſſement dont on voit peu d’exemples dans l’hiſtoire.
Comment une cité, engloutie par des volcans, ſeroit-elle alors ſortie de ces décombres ?
Mais, depuis quelques années la nation ſe régénère.
Déja l’on a tracé le plan d’une autre ville, plus vaſte, plus commode, plus belle que celle qui exiſtoit : & elle ſera élevée à huit lieues de l’ancienne ſur une baſe plus ſolide.
Déja la cour de Madrid, s’écartant de ſes meſures ordinairement trop lentes, a aſſigné les fonds néceſſaires pour la conſtruction des édifices publics.
Déja e s citoyens déchargés des tributs qui pouvoient ſervir de raiſon ou de prétexte à leur inaction, ſe prêtent aux vues du gouvernement.
Un nouveau Guatimala embellira bientôt la Nouvelle-Eſpagne.
Si cette activité ſe ſoutient, ſi elle augmente, les Anglois ſeront vraiſemblablement chaſſés des établiſſemens qu’ils ont commencés entre le lac de Nicaragua & le cap Honduras.
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Tels étaient ces fiers Espagnols qui conquirent l’Amérique ; mais le climat, une mauvaise administration, l’abondance de toutes choses, énervèrent leurs descendans.
Tout ce qui portait l’empreinte de la difficulté se trouva au-dessus de leurs armes corrompues ; et leurs bras amollis se refusèrent à tous les travaux.
Comment une cité engloutie par des volcans serait-elle alors sortie de ses décombres ?
Mais depuis quelques années la nation se régénère.
Déjà l’on a tracé le plan d’une autre ville plus vaste, plus belle, plus commode que celle qui existait, et elle est élevée à huit lieues de l’ancienne sur une base plus solide.
Déjà la cour de Madrid, s’écartant de ses mesures ordinairement trop lentes, a assigné les fonds nécessaires pour la construction des édifices publics.
Déjà les citoyens, déchargés des tributs qui pouvaient servir de raison ou de prétexte à leur inaction, se prêtent aux mesures du gouvernement.
Un nouveau Guatimala embellira bientôt la nouvelle Espagne.
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Cette contrée occupe cent quatre-vingts lieues de côtes, & s’enfonce dans l’intérieur des terres juſqu’à des montagnes fort hautes, plus ou moins éloignées de l’océan.
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Le climat de cette région eſt ſain & aſſez tempéré.
Le ſol en eſt communément uni, très-bien arroſé, &paroît propre à toutes les productions cultivées entre les tropiques.
On n’y eſt pas expoſé à ces fréquentes ſéchereſſes, à ces terribles ouragans qui détruiſent ſi ſouvent, dans les iſles du Nouveau-Monde les eſpérances les mieux fondées.
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Le pays eſt principalement habité par les Moſquites.
Ces Indiens furent autrefois nombreux : mais la petite-vérole a conſidérablement diminué leur population.
On ne penſe pas qu’actuellement leurs diverſes tribus puſſent mettre plus de neuf ou dix mille hommes ſous les armes.
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Une nation, encore moins multipliée, eſt fixée aux environs du cap Gracias-àDios.
Ce ſont les Samboes deſcendus, diton, d’un navire de Guinée qui fit autrefois naufrage ſur ces parages.
Leur teint, leurs traits, leurs cheveux, leurs inclinations ne permettent guère de leur donner une autre origine.
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Les Anglois ſont les ſeuls Européens que leur cupidité ait fixés dans ces lieux ſauvages.
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Leur premier établiſſement fut formé vers 1730, vingt-ſix lieues à l’Eſt du cap Honduras.
Sa poſition à l’extrémité de la côte & ſur la rivière Black, qui n’a que ſix pieds d’eau à ſon embouchure, retardera & empêchera peut-être toujours ſes progrès.
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A cinquante-quatre lieues de cette colonie eſt Gracias-à-Dios, dont la rade, formée par un bras de mer, eſt immenſe & aſſez ſûre.
C’eſt tout près de ce cap fameux que ſe ſont placés les Anglois ſur une rivière navigable & dont les bords ſont très-fertiles.
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Soixante-dix lieues plus loin, cette nation entreprenante a trouvé à Blew-Field des plaines vaſtes & fécondes, un fleuve acceſſible, un port commode & un rocher qu’on rendroit aiſément inexpugnable.
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On s’est permis jusqu’ici de prononcer sur un peuple par la nature des habitations qu’il occupait.
Si ses maisons étaient sales, mal entretenues, grossièrement construites, on affirmait sans balancer qu’il gémissait dans la misère ou sous l’oppression.
Si avec des richesses il fermait les yeux sur les agrémens d’une demeure propre et commode, on l’accusait de stupidité.
S’il se passionnait pour des ornemens bizarres plus propres à empêcher le but des logemens qu’à les embellir, c’était de caprice ou d’extravagance qu’il était convaincu.
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Cependant, si l’on nous jugeait d’après ces principes, en apparence si raisonnables, peut-être serions-nous jugés trop sévèrement.
Sous plusieurs points de vue la multitude est à peu de chose près ce que furent ses pères.
Les générations se sont plus ou moins rapidement remplacées sans que les usages journaliers aient suivi le cours des lumières .
L’habitude de voir, d’occuper, de respecter peut-être les monumens d’une barbarie héréditaire, a jeté un voile épais et obscur sur ce qu’ils avaient de plus dégoûtant.
Le siècle des arts a été trop indulgent pour beaucoup d’objets que des siècles d’ignorance lui avaient transmis.
Il fallait que l’eau, la terre, le feu ; que les élémens conjurés nous avertissent par leurs ravages que le temps de tout changer était arrivé.
Alors nous nous sommes réveillés ; alors nos facultés se sont développées ; alors nous avons senti nos forces ; alors notre génie a pris son essor ; alors des édifices dignes du roi de la nature se sont élevés sur de vieilles ruines ; alors enfin le mal est devenu la source du bien ; et cette heureuse révolution sera peut-être plus entière à Guatimala que partout ailleurs.
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Dans la juridiction de cette ville se trouve le golfe de Honduras, auquel on accorde cent cinquante lieues de long sur quatre-vingt de large.
C’était, selon le témoignage de las Cazas, au temps de la conquête, une des contrées les plus peuplées du Nouveau-Monde.
Le fer, le feu, les mines, les rigueurs de l’esclavage ne tardèrent pas à rendre absolument déserte la partie qui tomba au pouvoir des Espagnols.
Ils n’y possèdent plus que trois ou quatre bourgades, le fort d’Omoa, avantageusement situé sur les bords de l’Océan, et la petite île de Rattan, qui a un assez bon port.
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Les Mosquites sont toujours restés en possession de la côte orientale, qui s’étend depuis la rivière Saint-Jean jusqu’au cap de Honduras, et dans l’intérieur des terres, de l’espace qui se trouve entre une chaîne de montagnes et l’Océan.
L’air que ce peuple respire est sain et assez tempéré.
Son sol est communément uni, très-bien arrosé, et propre à toutes les productions cultivées entre les tropiques.
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Le gouvernement de ces sauvages est républicain.
Dans les guerres qu’ils ont à soutenir contre d’autres Américains ou contre les Espagnols, ils choisissent pour chefs les plus intrépides, les plus expérimentés de leurs soldats ; mais l’autorité qui leur a été confiée n’a de durée que celle des hostilités.
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Toutes les traditions attestent que les Mosquites furent autrefois nombreux.
Les guerres, la petite-vérole, et d’autres calamités ont extrêmement diminué leur population.
On ne pense pas qu’actuellement leurs diverses tribus puissent mettre plus de dix ou douze mille hommes sous les armes.
Cette force n’est que peu grossie par les Sambos, descendus des nègres de Guinée, qu’une violente tempête poussa autrefois sur ces parages.
Leur teint, leurs traits, leurs cheveux, leurs inclinations ne permettent pas de leur donner une autre origine.
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Les premiers aventuriers européens qui infestèrent les mers d’Amérique de leurs brigandages allaient quelquefois renouveler leur eau et leurs vivres chez les Mosquites.
L’accueil qu’ils en recevaient les décida à en embarquer avec eux quelques-uns des plus intrépides.
Une haine commune contre l’Espagnol, et le butin qu’on faisait sur lui, ne tardèrent pas à former entre eux des liaisons intimes.
Cependant aucun des hommes féroces que la mer avait vomis sur cet autre hémisphère n’avait songé à fixer son domicile dans une contrée où il pouvait se promettre une liberté entière.
Ce ne fut qu’en 1730 qu’un petit nombre d’Anglais s’y déterminèrent.
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Leur premier établissement fut formé vingt-six lieues à l’est du cap Honduras.
Sa position sur la rivière Black, qui n’a que six à sept pieds d’eau à son embouchure, ne paraissait pas l’appeler à de très-grandes prospérités.
A cinquante lieues de ce poste est Gracias-a-Dios.
Ce fut près de ce promontoire fameux que les Anglais se placèrent sur un fleuve navigable, dont les bords sont fertiles.
Soixante-dix lieues plus loin, ces hommes entreprenans trouvèrent à Blew-Fields des plaines vastes et fécondes, un port commode, et un rocher qu’il était facile de rendre imprenable.
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Les trois comptoirs n’occupoient, en 1769, que deux cens ſix blancs, autant de mulâtres & neuf cens eſclaves.
Sans compter les mulets & quelques autres objets envoyés à la Jamaïque, ils expédièrent cette année, pour l’Europe, huit cens mille pieds de bois de Mahagoni, deux cens mille livres peſant de ſalſe-pareille & dix mille livres d’écailles de tortue.
Les bras ont été multipliés depuis.
On a commencé à planter des cannes ; dont le premier ſucre s’eſt trouvé d’une qualité ſupérieure.
De bons obſervateurs affirment qu’une poſſeſſion tranquille du pays des Moſquites, vaudroit mieux un jour pour la Grande-Bretagne, que toutes les iſles qu’elle occupe actuellement dans les Indes Occidentales.
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Les trois comptoirs n’occupaient en 1769 que deux cent six blancs, un nombre à peu près égal de mulâtres, et neuf cents esclaves.
Ils expédièrent cette année pour l’Europe huit cent mille pieds de bois de mahagoni, deux cent mille livres pesant de salsepareille, et dix mille livres d’écaille de tortue.
Leurs autres produits, ainsi que les mulets qu’ils avaient élevés, passèrent à la Jamaïque.
Les bras se multiplièrent très-rapidement les années suivantes, et leur action fut tournée vers le sucre.
Ce fut avec un tel succès que de bons observateurs ne craignirent pas d’affirmer que la possession tranquille du pays des Mosquites vaudrait mieux un jour pour la GrandeBretagne que toutes les îles qu’elle occupe actuellement dans les Indes occidentales.
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La nation ne paroît former aucun doute ſur ſon droit de propriété.
Jamais, diſent ſes écrivains, l’Eſpagne ne ſubjugua ces peuples, & jamais ces peuples ne ſe ſoumirent à l’Eſpagne.
Ils étoient indépendans, de droit & de fait, lorſqu’en 1670 leurs chefs ſe jettèrent d’eux-mêmes dans les bras de l’Angleterre, & reconnurent ſa ſouveraineté.
Cette ſoumiſſion étoit ſi peu forcée qu’elle fut renouvellée à pluſieurs repriſes.
A leur ſollicitation, la cour de Londres envoya ſur leur territoire en 1741, un corps de troupes, que ſuivit bientôt une adminiſtration civile.
Si, après la pacification de 1763, on retira la milice & le magiſtrat, ſi l’on ruina les fortifications élevées pour la ſûreté des ſauvages & de leurs défenſeurs, ce fut par l’ignorance du miniſtère qui ſe laiſſa perſuader que le pays des Moſquites faiſoit partie de la baie de Honduras.
Cette erreur ayant été diſſipée, il a été formé de nouveau, dans ces contrées, un gouvernement régulier au commencement de 1776.
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Le cabinet de Saint-James ne paraissait former aucun doute sur son droit de propriété.
Jamais, disaient ses écrivains, l’Espagne ne subjugua les Mosquites, et jamais les Mosquites ne se soumirent à l’Espagne.
Ils étaient indépendans de droit et de fait, lorsqu’en 1670 leurs chefs se jetèrent d’eux-mêmes dans les bras de l’Angleterre, et reconnurent sa souveraineté.
Cette soumission était si peu forcée, qu’elle fut renouvelée à plusieurs reprises.
A leur sollicitation la cour de Londres envoya sur leur territoire, en 1741 un corps de troupes que suivit bientôt une administration civile.
Si, après la pacification de 1763, on retira la milice et le magistrat, si l’on ruina les fortifications élevées pour la sûreté des sauvages et de leurs défenseurs, ce fut par l’ignorance du ministère, qui se laissa persuader que le pays des Mosquites faisait partie de la baie de Honduras.
Cette erreur ayant été dissipée, il fut formé de nouveau dans ces contrées un gouvernement régulier au commencement de 1776.
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Les démêlés de l’Amérique septentrionale avec sa métropole amenèrent une rupture entre l’Espagne et l’Angleterre.
La cour de Madrid fit attaquer un établissement qui coupait ses possessions, ouvrait une porte facile au commerce interlope, et pouvait avec le temps acquérir une grande force.
Une colonie naissante ne pouvait opposer et n’opposa en effet qu’une faible résistance.
Les nations, occupées des grandes scènes qui à cette époque ensanglantaient le globe, aperçurent à peine cet événement ; mais il n’échappa pas aux yeux attentifs de l’homme de bien, pour qui rien de ce qui peut intéresser ses semblables n’est indifférent.
Il s’affligea de voir les Mosquites enchaînés ou massacrés.
Il s’affligea de voir ceux de ces malheureux qui avaient échappé au glaive ou à la servitude exposés à périr de misère dans les forêts.
Il s’affligea de voir des peuples entiers proscrits sur leur terre natale.
Il s’affligea de voir des champs nouvellement défrichés rentrer dans le néant où ils avaient langui depuis l’origine du monde.
Il s’affligea de voir étouffer au berceau de nombreuses générations qui pouvaient un jour prospérer sur ce sol fertile.
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Enveloppée d’ennemis, la Grande-Bretagne se vit obligée d’acheter, en 1783, la paix par des sacrifices.
Un de ceux qu’on exigea le plus impérieusement fut une renonciation formelle à ses droits ou ses prétentions sur le district qu’elle avait occupé presqu’au centre du Mexique.
La cession fut-elle de bonne foi ?
Se promit-on intérieurement de recouvrer dans des circonstances plus heureuses ce qu’arrachait le malheur des temps ?
L’avenir résoudra peut-être ce problème.
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On ne balanceroit pas à s’occuper de la diſcuſſion de ces grands intérêts, ſi les puiſſances ſe conduiſoient par la raiſon ou la juſtice : mais c’eſt la force & la convenance qui décident tout entre elles, bien qu’aucune d’elles n’ait eu juſqu’à préſent le front d’en convenir.
Souverains, qu’eſt-ce que cette mauvaiſe honte qui vous arrête ?
Puiſque l’équité n’eſt pour vous qu’un vain nom, déclarez-le.
A quoi ſervent ces traités qui ne garantiſſent point de paix, auxquels le plus foible eſt contraint d’accéder ; qui ne marquent dans l’un & dans l’autre des contractans que l’épuiſement des moyens de continuer la guerre, & qui ſont toujours enfreints ?
Ne ſignez que des ſuſpenſions d’armes, & n’en fixez point la durée.
Si vous avez réſolu d’être injuſtes, ceſſez au-moins d’être perfides.
La perfidie eſt ſi lâche, ſi odieuſe.
Ce vice ne convient pas à des potentats.
Le renard ſous la peau du lion, le lion ſous la peau du renard ſont deux animaux également ridicules.
Mais, au lieu de parler à des ſourds qu’on ne convainc de rien & qu’on peut irriter, diſons quelque choſe des baies de Honduras, de Campêche, & de la péninſule d’Yucatan qui les ſépare.
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Rarement les puissances se conduisent-elles par la raison ou par la justice.
C’est la force, c’est la convenance qui décident tout entre elles, bien qu’aucune d’elles n’ait eu jusqu’à présent le front d’en convenir.
Souverains, qu’est-ce que cette mauvaise honte qui vous arrête ?
Puisque l’équité n’est pour vous qu’un vain nom, déclarez-le.
A quoi servent ces traités, qui ne garantissent point de paix, auxquels le plus faible est contraint d’accéder, qui ne marquent dans l’un et dans l’autre des contractans que l’épuisement des moyens de continuer la guerre, et qui sont toujours enfreints ?
Ne signez que des suspensions d’armes, et n’en fixez point la durée.
Si vous avez résolu d’être injustes, cessez au moins d’être perfides.
La perfidie est si lâche, si odieuse !
Ce vice ne convient pas à des potentats.
Le renard sous la peau du lion, le lion sous la peau du renard, sont deux animaux également ridicules.
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Quelles que soient ou puissent devenir les dispositions des cours de Londres et de Madrid, celles des Mosquites ne sont pas douteuses.
On sait qu’en 1787, leurs guerriers, tous leurs guerriers sans exception, se rassemblèrent.
On sait que dans leur conférence ils jurèrent d’une voix unanime de ne jamais reconnaître les Espagnols pour maîtres, de n’en pas même souffrir un seul sur leur territoire.
On sait qu’ils jurèrent d’être éternellement fidèles à leur alliance avec la GrandeBretagne.
On sait qu’ils jurèrent de verser jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour la défense des Anglais qui étaient encore parmi eux, ou qui viendraient s’y fixer un jour.
On sait que, pour n’être pas gênés dans leurs mouvemens, ils placèrent leurs femmes et leurs enfans dans des gorges et sur des montagnes inaccessibles.
On sait que ceux de leurs chefs qui avaient eu la faiblesse de recevoir des armes du gouvernement espagnol les renvoyèrent avec hauteur et indignation, résolus à ne se servir désormais que de celles qu’ils tiendraient d’une main amie.
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L’Yucatan, situé entre les golfes de Honduras et de Campèche, s’avance en pointe à l’entrée des mers du Mexique, dont il est la partie la plus méridionale.
On lui donne cent lieues de long sur vingt et vingt-cinq de large.
Tout paraît indiquer que l’Océan couvrait il n’y a pas long-temps la péninsule entière.
Ses terres basses sont encore partout couvertes de mangliers, partout submergées.
Il faut beaucoup s’éloigner des côtes pour trouver un sol qui ne soit inondé que dans la saison des pluies.
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Herréra assure que, lorsque le pays fut découvert en 1517, les hommes y portaient des miroirs d’une pierre brillante où ils se contemplaient sans cesse, tandis que les femmes ne se servaient pas de cet instrument si cher à la beauté.
C’est un fait trop bizarre pour être cru sur le témoignage d’un écrivain qui, quoique le plus exact, le moins crédule des historiens de sa nation, n’a pas été toujours assez en garde contre la passion que les premiers aventuriers de son pays avaient pour le merveilleux.
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Comme l’Yucatan n’offrit aux dévastateurs du Nouveau-Monde aucun des riches métaux qu’on y allait chercher, ils le méprisèrent.
Le petit nombre d’entre eux que le sort y fixa ne tarda pas à contracter l’indolence des aborigènes.
L’oppresseur s’accoutuma à vivre, ainsi que les opprimés, de cacao et de maïs, auxquels il joignit la ressource facile et commode des troupeaux tirés de l’ancien hémisphère.
Pour payer son vêtement, qu’il ne voulait ou ne savait pas faire, il fit cultiver par les peuplades asservies le tabac, qui croissait sans soin dans le pays, et qui ne tarda pas à être naturalisé avec plus ou moins de succès sur le reste du globe ; il fit couper par les mêmes mains un bois de teinture connu dans tous les marchés sous le nom de bois de Campèche.
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Cette péninſule a cent lieues de long ſur vingt & vingt-cinq de large.
Le pays eſt entiérement uni.
On n’y voit, ni rivière, ni ruiſſeau : mais par-tout l’eau eſt ſi près de la terre, par-tout les coquillages ſont en ſi grande abondance, que ce grand eſpace a dû faire autrefois partie de la mer.
Les premiers Eſpagnols qui parurent ſur ces côtes y trouvèrent établi, au rapport d’Herrera, un uſage très-particulier.
Les hommes y portoient généralement des miroirs d’une pierre brillante, dans leſquels ils ſe contemploient ſans ceſſe, tandis que les femmes ne ſe ſervoient pas de cet inſtrument ſi cher à la beauté.
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Si l’uſage continu que les femmes font du miroir dans nos contrées, ne montre que le deſir de plaire aux hommes, en ajoutant aux attraits qu’elles ont reçus de la nature, ce que l’art peut leur donner de piquant ; les hommes feroient à Yucatan les mêmes frais pour plaire aux femmes.
Mais c’eſt un fait ſi bizarre qu’on peut le rejetter en doute, à moins qu’on ne l’étaie d’un fait plus bizarre encore, c’eſt que les hommes ſe livrent à l’oiſiveté, tandis que les femmes ſont condamnées aux travaux.
Lorſque les fonctions propres aux deux ſexes ſeront perverties, je ne ſerai point étonné de trouver à l’un la frivolité de l’autre.
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Yucatan, Honduras, Campêche n’offrirent pas aux dévaſtateurs du nouvel hémiſphère ces riches métaux qui leur faiſoient traverſer tant de mers.
Auſſi négligèrent-ils, mépriſèrent-ils ces contrées.
Peu d’entre eux s’y fixèrent ; & ceux que le ſort y jetta ne tardèrent pas à contracter l’indolence Indienne.
Aucun ne s’occupa du ſoin de faire naître des productions dignes d’être exportées.
Ainſi que les peuplades qu’on avoit détruites ou aſſervies, ils vivoient de cacao, de maïs auxquels ils avoient ajouté la reſſource facile & commode des troupeaux tirés de l’ancien monde.
Pour payer leur vêtement qu’ils ne vouloient pas ou ne ſavoient pas fabriquer eux-mêmes & quelques autres objets de médiocre valeur que leur fourniſſoit l’Europe, ils n’avoient proprement de reſſource qu’un bois de teinture connu dans tous les marchés ſous le nom de bois de Campêche.
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L’arbre qui le fournit, aſſez élevé, a des feuilles alternes, compoſées de huit folioles taillées en cœur & diſpoſées ſur deux rangs le long d’une côte commune.
Ses fleurs petites & rougeâtres ſont raſſemblées en épis aux extrémités des rameaux.
Elles ont chacune un calice d’une ſeule pièce, du fond duquel s’élèvent cinq pétales & dix étamines diſtinctes.
Le piſtil placé dans le centre devient une petite gouſſe ovale, applatie, partagée dans ſa longueur en deux ovales & remplies de deux ou trois ſemences.
La partie la plus intérieure du bois, d’abord rouge, devient noire quelque tems après que le bois a été abattu.
Il n’y a que le cœur de l’arbre qui donne le noir & le violet.
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L’arbre qui le fournit, assez élevé, a des feuilles alternes, composées de huit folioles taillées en cœur, et disposées sur deux rangs le long d’une côte commune.
Ses fleurs, petites et rougeâtres, sont rassemblées en épis aux extrémités des rameaux.
Elles ont chacune un calice d’une seule pièce, du fond duquel s’élèvent cinq pétales et dix étamines distinctes.
Le pistil, placé dans le centre, devient une petite gousse ovale, aplatie, partagée dans sa longueur en deux ovales, et remplies de deux ou trois semences.
La partie la plus intérieure du bois, d’abord rouge, devient noire quelque temps après que le bois a été abattu.
Il n’y a que le cœur de l’arbre qui donne le noir et le violet.
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Le goût de ces couleurs qui étoit plus répandu, il y a deux ſiècles, qu’il ne l’eſt peut-être aujourd’hui, procura un débouché conſidérable à ce bois précieux.
Ce fut au profit des Eſpagnols ſeuls juſqu’à l’établiſſement des Anglois à la Jamaïque.
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Le goût de ces couleurs, qui était plus répandu il y a deux siècles qu’il ne l’est peut-être aujourd’hui, procura un débouché considérable à ce bois précieux.
Ce fut au profit des Espagnols seuls jusqu’à l’établissement des Anglais à la Jamaïque.
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Dans la foule des corſaires qui ſortoient tous les jours de cette iſle devenue célèbre, pluſieurs allèrent croiſer dans les deux baies & ſur les côtes de la péninſule, pour intercepter les vaiſſeaux qui y naviguoient.
Ces brigands connoiſſoient ſi peu la valeur de leur chargement, que lorſqu’ils en trouvoient des barques remplies, ils n’emportoient que les ferremens.
Un d’entre eux ayant enlevé un gros bâtiment qui ne portoit pas autre choſe, le conduiſit dans la Tamiſe avec le ſeul projet de l’armer en courſe ; & contre ſon attente, il vendit fort cher un bois dont il faiſoit ſi peu de cas, qu’il n’avoit ceſſé d’en brûler pendant ſon voyage.
Depuis cette découverte, les corſaires qui n’étoient pas heureux à la mer, ne manquoient jamais de ſe rendre à la rivière de Champeton, où ils embarquoient les piles de bois qui ſe trouvoient toujours formées ſur le rivage.
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Dans la foule des corsaires qui sortaient tous les jours de cette île devenue célèbre, plusieurs allèrent croiser dans les deux baies et sur les côtes de la péninsule pour intercepter les vaisseaux qui y naviguaient.
Ces brigands connaissaient si peu la valeur de leur chargement, que, lorsqu’ils en trouvaient des barques remplies, ils n’emportaient que les ferremens.
Un d’entre eux ayant enlevé un gros bâtiment qui ne portait pas autre chose, le conduisit dans la Tamise avec le seul projet de l’armer en course ; et, contre son attente, il vendit fort cher un bois dont il faisait si peu de cas, qu’il n’avait cessé d’en brûler pendant son voyage.
Depuis cette découverte, les corsaires qui n’étaient pas heureux à la mer ne manquaient jamais de se rendre à la rivière de Champeton, où ils embarquaient les piles de bois qui se trouvaient toujours formées sur le rivage.
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La paix de leur nation avec l’Eſpagne ayant mis des entraves à leurs violences, pluſieurs d’entre eux ſe livrèrent à la coupe du bois d’Inde.
Le cap Catoche leur en fournit d’abord en abondance.
Dès qu’ils le virent diminuer, ils allèrent s’établir entre Tabaſco & la rivière de Champeton, autour du lac Triſte, & dans l’iſle aux Bœufs qui en eſt fort proche.
En 1675 ils y étoient deux cens ſoixante.
Leur ardeur, d’adord extrême, ne tarda pas à ſe ralentir.
L’habitude de l’oiſiveté reprit le deſſus.
Comme ils étoient la plupart excellens tireurs, la chaſſe devint leur paſſion la plus forte ; & leur ancien goût pour le brigandage, fut réveillé par cet exercice.
Bientôt ils commencèrent à faire des courſes dans les bourgs Indiens, dont ils enlevoient les habitans.
Les femmes étoient deſtinées à les ſervir, & on vendoit les hommes à la Jamaïque, ou dans d’autres iſles.
L’Eſpagnol tiré de ſa léthargie par ces excès, les ſurprit au milieu de leurs débauches, & les enleva la plupart dans leurs cabanes.
Ils furent conduits priſonniers à Mexico, où ils finirent leurs jours dans les travaux des mines.
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La paix de leur nation avec l’Espagne ayant mis des entraves à leurs violences, plusieurs d’entre eux se livrèrent à la coupe du bois d’Inde.
Le cap Catoche leur en fournit d’abord en abondance.
Dès qu’ils le virent diminuer, ils allèrent s’établir entre Tabasco et la rivière de Champeton, autour du lac Triste, et dans l’île aux Bœufs, qui en est fort proche.
En 1675, ils y étaient deux cent soixante.
Leur ardeur, d’abord extrême, ne tarda pas à se ralentir.
L’habitude de l’oisiveté reprit le dessus.
Comme ils étaient la plupart excellens tireurs, la chasse devint leur passion la plus forte, et leur ancien goût pour le brigandage fut réveillé par cet exercice.
Bientôt ils commencèrent à faire des courses dans les bourgs indiens, dont ils enlevaient les habitans.
Les femmes étaient destinées à les servir, et on vendait les hommes à la Jamaïque, ou dans d’autres îles.
L’Espagnol, tiré de sa léthargie par ces excès, les surprit au milieu de leurs debauches, et les enleva la plupart dans leurs cabanes.
Ils furent conduits prisonniers à Mexico, où ils finirent leurs jours dans les travaux des mines.
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Ceux qui avoient échappé, ſe réfugièrent dans le golfe de Honduras, où ils furent joints par des vagabonds de l’Amérique Septentrionale.
Ils parvinrent, avec le tems, à former un corps de quinze cens hommes.
L’indépendance, le libertinage, l’abondance où ils vivoient, leur rendoit agréable le pays marécageux qu’ils habitoient.
De bons retranchemens aſſuroient leur ſort & leurs ſubſiſtances ; & ils ſe bornoient aux occupations, que leurs malheureux compagnons gémiſſoient d’avoir négligées.
Seulement ils avoient la précaution de ne jamais entrer dans l’intérieur du pays pour couper du bois, ſans être bien armés.
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Ceux qui avaient échappé se réfugièrent dans le golfe de Honduras, où ils furent joints par des vagabonds de l’Amérique septentrionale.
Ils parvinrent avec le temps à former un corps de quinze cents hommes.
L’indépendance, le libertinage, l’abondance où ils vivaient, leur rendaient agréable le pays marécageux qu’ils habitaient.
De bons retranchemens assuraient leur sort et leurs subsistances, et ils se bornaient aux occupations que leurs malheureux compagnons gémissaient d’avoir négligées.
Seulement ils avaient la précaution de ne jamais entrer dans l’intérieur du pays pour couper du bois sans être bien armés.
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Leur travail fut ſuivi du plus grand ſuccès.
A la vérité, la tonne qui s’étoit vendue juſqu’à neuf cens livres, étoit tombée inſenſiblement à une valeur médiocre : mais on ſe dédommageoit par la quantité de ce qu’on perdoit ſur le prix.
Les coupeurs livroient le fruit de leurs peines ; ſoit aux Jamaïcains qui leur portoient du vin de Madère, des liqueurs fortes, des toiles, des habits ; ſoit aux colonies Angloiſes du nord de l’Amérique, qui leur fourniſſoient leur nourriture.
Ce commerce toujours interlope, & qui fut l’objet de tant de déclamations, devint licite en 1763.
On aſſura à la Grande-Bretagne la liberté de couper du bois, mais ſans pouvoir élever des fortifications, avec l’obligation même de détruire celles qui avoient été conſtruites.
La cour de Madrid fit rarement des ſacrifices auſſi difficiles que celui d’établir au milieu de ſes poſſeſſions une nation active, puiſſante, ambitieuſe.
Auſſi chercha-t-elle immédiatement après la paix, à rendre inutile une conceſſion que des circonſtances fâcheuſes lui avoient arrachée.
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Leur travail fut suivi du plus grand succès.
A la vérité, la marchandise diminua de valeur ; mais on se dédommageait par la quantité de ce qu’on perdait sur le prix.
Les coupeurs livraient le fruit de leurs peines, soit aux Jamaïcains, qui leur portaient du vin de Madère, des liqueurs fortes, des toiles, des habits ; soit aux colonies anglaises du nord de l’Amérique, qui leur fournissaient leur nourriture.
Ce commerce, toujours interlope, et qui fut l’objet de tant de déclamations, devint licite en 1763.
On assura à la Grande-Bretagne la liberté de couper du bois, mais sans pouvoir élever des fortifications, avec l’obligation même de détruire celles qui avaient été construites.
La cour de Madrid fit rarement des sacrifices aussi difficiles que celui d’établir au milieu de ses possessions une nation active, puissante, ambitieuse ; aussi chercha-t-elle, immédiatement après la paix, à rendre inutile une concession que des circonstances fâcheuses lui avaient arrachée.
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Le bois qui croît ſur le terrein ſec de Campêche eſt fort ſupérieur à celui qu’on coupe dans les marais de Honduras.
Cependant le dernier étoit d’un uſage beaucoup plus commun, parce que le prix du premier avoit depuis long-tems paſſé toutes les bornes.
Ce défaut de vente étoit une punition de l’aveuglement, de l’avidité du fiſc.
Le miniſtère Eſpagnol comprit à la fin cette grande vérité.
Il déchargea ſa marchandiſe de tous les droits dont on l’avoit accablée, il la débarraſſa de toutes les entraves qui gênoient ſa circulation ; & alors elle eut un grand débit dans tous les marchés.
Bientôt les Anglois ne trouveront plus de débouché.
Sans avoir manqué à ſes engagemens, la cour de Madrid ſe verra délivrée d’une concurrence qui lui rendoit inutile la poſſeſſion de deux grandes provinces.
Quelquefois Cadix tire le bois directement du lieu de ſon origine ; plus ſouvent il eſt envoyé à la Vera-Crux, qui eſt le vrai point d’union du Mexique avec l’Eſpagne.
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Le bois qui croît sur le terrain sec de Campèche est fort supérieur à celui qu’on coupe dans les marais de Honduras.
Cependant le dernier était d’un usage beaucoup plus commun, parce que le prix du premier était excessif.
Ce défaut de vente était une punition de l’aveuglement, de l’avidité du fisc.
Le ministère espagnol comprit à la fin cette grande vérité.
Il déchargea sa marchandise de tous les droits dont on l’avait accablée ; il la débarrassa de toutes les entraves qui gênaient sa circulation ; et alors elle eut un grand débit dans tous les marchés.
Peu à peu les Anglais trouvèrent moins de débouchés.
Ils en perdront encore avec le temps, quoiqu’en les privant de leurs établissemens, la paix de 1783 les ait maintenus dans la coupe du bois depuis la rivière de Bellize ou Wally jusqu’à celle de RioHondo.
Quelquefois Cadix tire le bois directement du lieu de son origine ; plus souvent il est envoyé à la Véra-Cruz, qui est le vrai point d’union du Mexique avec l’Espagne.
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Vieja Vera-Crux ſervit d’abord d’entrepôt.
Cette ville, fondée par Cortès ſur la plage où il aborda d’abord, eſt placée ſur les bords d’une rivière qui manque d’eau une partie de l’année, mais qui dans la ſaiſon des pluies peut recevoir les plus grands vaiſſeaux.
Le danger auquel ils étoient expoſés, dans une poſition où rien ne les défendoit contre la violence des vents ſi communs dans ces parages, fit chercher un abri plus ſûr, & on le trouva dix-huit milles plus bas ſur la même côte.
On y bâtit Vera-Crux Nueva, à ſoixantedouze lieues de la capitale de l’Empire.
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Vieja-Véra-Cruz servit d’abord d’entrepôt.
Cette ville, fondée par Cortez sur la plage où il aborda d’abord, est placée sur les bords d’une rivière qui manque d’eau une partie de l’année, mais qui dans la saison des pluies peut recevoir les plus grands vaisseaux.
Le danger auquel ils étaient exposés, dans une position où rien ne les défendait contre la violence des vents, si communs dans ces parages, fit chercher un abri plus sûr, et on le trouva dix-huit milles plus bas sur la même côte.
On y bâtit Véra-Cruz-Nueva, à soixante-douze lieues de la capitale de l’empire.
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Vera-Crux Nueva eſt ſituée ſous un ciel qu’un ſoleil brûlant & de fréquens orages rendent déſagréable & mal-ſain.
Des ſables arides la bornent au Nord & des marais infects à l’Oueſt.
Tous les édifices y ſont en bois.
Elle n’a pour habitans qu’une garniſon médiocre, quelques agens du gouvernement, les navigateurs arrivés d’Europe & ce qu’il faut de commiſſionnaires pour recevoir & pour expédier les cargaiſons.
Son port eſt formé par la petite iſle de Saint-Jean d’Ulua.
Il a l’inconvénient de ne pouvoir contenir que trente ou trente-cinq bâtimens, encore ne les met-il pas entiérement à l’abri des vents du Nord.
On n’y entre que par deux canaux ſi reſſerrés, qu’il n’y peut paſſer à la fois qu’un navire.
Les approches même en ſont rendues extrêmement dangereuſes par un grand nombre de rochers à fleur d’eau.
Les pilotes du pays croyoient généralement que des connoiſſances locales acquiſes par une expérience de pluſieurs années, pouvoient ſeules faire éviter tant d’écueils.
Des corſaires audacieux ayant ſurpris la place en 1712, on conſtruiſit ſur le rivage des tours, où des ſentinelles attentifs veillent continuellement à la ſûreté commune.
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Véra-Cruz-Nueva est située sous un ciel qu’un soleil brûlant et de fréquens orages rendent désagréable et malsain.
Des sables arides la bornent au nord, et des marais infects à l’ouest.
Tous les édifices y sont en bois.
Elle n’a pour habitans qu’une garnison médiocre, quelques agens du gouvernement, les navigateurs arrivés d’Europe, et ce qu’il faut de commissionnaires pour recevoir et pour expédier les cargaisons.
Son port est formé par la petite île de Saint-Jean-d’Ulua.
Il a l’inconvénient de ne pouvoir contenir que trente ou trente-cinq bâtimens, encore ne les met-il pas entièrement à l’abri des vents du nord.
On n’y entre que par deux canaux si resserrés, qu’il n’y peut passer à la fois qu’un navire.
Les approches même en sont rendues extrêmement dangereuses par un grand nombre de rochers à fleur d’eau.
Les pilotes du pays croyaient généralement que des connaissances locales acquises par une expérience de plusieurs années pouvaient seules faire éviter tant d’écueils.
Des corsaires audacieux ayant surpris la place en 1712, on construisit sur le rivage des tours, où des sentinelles attentives veillent continuellement à la sûreté commune.
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C’eſt dans cette mauvaiſe rade, la ſeule proprement qui ſoit dans le golfe, qu’arrivent les objets deſtinés pour l’approviſionnement du Mexique.
Les navires qui les y portent n’abordent pas ſucceſſivement.
On les expédie de Cadix, en flotte, tous les deux, trois ou quatre ans, ſelon les beſoins & les circonſtances.
Ce ſont communément douze à quatorze gros bâtimens marchands, eſcortés par deux vaiſſeaux de ligne, ou par un grand nombre ſi la tranquillité publique eſt troublée ou menacée.
Pour prévenir les dangers que les ouragans leur feroient courir à l’atterrage, ils partent d’Eſpagne dans les mois de février ou de mai & de juin, prennent dans leur marche des rafraîchiſſemens à Porto-Rico, & arrivent, après ſoixante-dix ou quatrevingts jours de navigation, à Vera-Crux, d’où leur chargement entier eſt porté à dos de mulet à Xalapa.
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C’est dans cette mauvaise rade, la seule proprement qui soit dans le golfe, qu’arrivent les objets destinés pour l’approvisionnement du Mexique.
Les navires qui les y portent n’abordent pas successivement.
On les expédie de Cadix en flotte tous les deux, trois ou quatre ans, selon les besoins et les circonstances.
Ce sont communément douze à quatorze gros bâtimens marchands, escortés par deux vaisseaux de ligne, ou par un grand nombre, si la tranquillité publique est troublée ou menacée.
Pour prévenir les dangers que les ouragans leur feraient courir à l’attérage, ils partent d’Espagne dans les mois de février, ou de mai et de juin, prennent dans leur marche des rafraîchissemens à Porto-Rico, et arrivent, après soixante-dix ou quatre-vingts jours de navigation, à Véra-Cruz, d’où leur chargement entier est porté à dos de mulet à Xalapa.
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Dans cette ville, ſituée à douze lieues du port, adoſſée à une montagne, & commodément bâtie, ſe tient une foire que les anciens réglemens bornoient à ſix ſemaines, mais qui actuellement dure quatre mois, & que quelquefois on prolonge encore, à la prière des marchands Eſpagnols ou Mexicains.
Lorſque les opérations de commerce ſont terminées, les métaux & les autres objets donnés par le Mexique en échange des productions & des marchandiſes de l’Europe, ſont envoyés à Vera-Crux, où ils ſont embarqués pour notre hémiſphère.
Les ſaiſons pour les faire partir ne ſont pas toutes également favorables.
Il ſeroit dangereux de mettre à la voile dans les mois d’août & de ſeptembre, & impoſſible de le faire en octobre & en novembre.
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Dans cette ville, située à douze lieues du port, adossée à une montagne et commodément bâtie, se tient une foire que les anciens règlemens bornaient à six semaines, mais qui actuellement dure quatre mois, et que quelquefois on prolonge encore à la prière des marchands espagnols ou mexicains.
Lorsque les opérations de commerce sont terminées, les métaux et les autres objets donnés par le Mexique en échange des productions et des marchandises de l’Europe sont envoyés à Véra-Cruz, où ils sont embarqués pour notre hémisphère.
Les saisons pour les faire partir ne sont pas toutes également favorables.
Il serait dangereux de mettre à la voile dans les mois d’août et de septembre, et impossible de le faire en octobre et en novembre.
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La flotte prend toujours la route de la Havane, où elle eſt jointe par les bâtimens qui reviennent de Honduras, de Carthagène, d’autres deſtinations.
Elle s’y arrête dix ou douze jours pour renouveller ſes vivres, pour donner aux navires le tems de charger à fret les ſucres, les tabacs, les autres objets que fournit l’iſle de Cuba.
Le canal de Bahama eſt débouqué.
On remonte juſqu’à la hauteur de la Nouvelle-Angleterre ; & après avoir navigué long-tems par cette latitude de quarante degrés, on tire enfin vers le Sud-Eſt pour reconnoître le cap Saint-Vincent & aboutir à Cadix.
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La flotte prend toujours la route de la Havane, où elle est jointe par les bâtimens qui reviennent de Honduras, de Carthagène, d’autres destinations.
Elle s’y arrête dix ou douze jours pour renouveler ses vivres, pour donner aux navires le temps de charger à fret les sucres, les tabacs, les autres objets que fournit l’île de Cuba.
Le canal de Bahama est débouqué.
On remonte jusqu’à la hauteur de la Nouvelle-Angleterre ; et, après avoir navigué long-temps par cette latitude de quarante degrés, on tire enfin vers le sud-est pour reconnaître le cap Saint-Vincent et aboutir à Cadix.
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Dans l’intervalle d’une flotte à l’autre, la cour de Madrid fait partir un ou deux vaiſſeaux de guerre qu’on appelle azogues, pour porter au Mexique le vif-argent néceſſaire à l’exploitation des mines.
Le Pérou le fourniſſoit originairement : mais les envois étoient ſi lents, ſi incertains, ſi ſouvent accompagnés de fraude, qu’en 1734, il fut jugé plus convenable de les faire d’Europe même.
Les mines de Guadalcanal en fournirent d’abord les moyens.
On les a depuis négligées pour les mines plus abondantes d’Almaden en Eſtramadoure.
Les azogues ſe chargent à leur retour du produit des ventes faites depuis le départ de la flotte, des ſommes rentrées pour les crédits accordés, & des fonds que les négocians Mexicains veulent employer pour leur compte dans l’expédition prochaine.
Le gouvernement permet habituellement que trois ou quatre navires marchands ſuivent ſes vaiſſeaux.
Leur cargaiſon entière devroit être en fruits ou en boiſſons : mais il s’y gliſſe frauduleuſement des objets plus importans.
Ces bâtimens reviennent toujours ſur leur leſt, à moins que, par une faveur ſpéciale, on ne leur permette de prendre quelque cochenille.
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Dans l’intervalle d’une flotte à l’autre la cour de Madrid fait partir un ou deux vaisseaux de guerre qu’on appelle azogués, pour porter au Mexique le vif-argent nécessaire à l’exploitation des mines.
Le Pérou le fournissait originairement ; mais les envois étaient si lents, si incertains, si souvent accompagnés de fraude, qu’en 1734 il fut jugé plus convenable de les faire d’Europe même.
Les mines de Guadalcanal en fournirent d’abord les moyens.
On les a depuis négligées pour les mines plus abondantes d’Almaden.
Les azogués se chargent à leur retour du produit des ventes faites depuis le départ de la flotte, des sommes rentrées pour les crédits accordés, et des fonds que les négocians mexicains veulent employer pour leur compte dans l’expédition prochaine.
Le gouvernement permet habituellement que trois ou quatre navires marchands suivent ses vaisseaux.
Leur cargaison entière devrait être en fruits ou en boissons ; mais il s’y glisse frauduleusement des objets plus importans.
Ces bâtimens reviennent toujours sur leur lest, à moins que, par une faveur spéciale, on ne leur permette de prendre quelque cochenille.
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Si des raiſons de convenance ou de politique retardent le départ d’une nouvelle flotte, la cour fait paſſer de la Havane à la VeraCrux un de ſes vaiſſeaux.
Il s’y charge de tout ce qui appartient au fiſc, & des métaux que les débiteurs ou les ſpéculateurs veulent faire paſſer du nouvel hémiſphère dans l’ancien.
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Si des raisons de convenance ou de politique retardent le départ d’une nouvelle flotte, la cour fait passer de la Havane à la Véra-Cruz un de ses vaisseaux.
Il s’y charge de tout ce qui appartient au fisc, et des métaux que les débiteurs ou les spéculateurs veulent faire passer du nouvel hémisphère dans l’ancien.
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La Nouvelle-Eſpagne envoya à ſa métropole, année commune, depuis 1748 juſqu’en 1753, par la voie de la Vera-Crux & de Honduras, 62,661,466 livres ; dont 574,550 en or ; 43,621,497 en argent ; 18,465,419 en productions, prix d’Europe.
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La Nouvelle-Espagne envoya à sa métropole, année commune, depuis 1748 jusqu’en 1753, par la voie de la Véra-Cruz et de Honduras, 62,661,466 liv.
, dont 574,550 en or, 43,621,497 en argent, 18,465,419 en productions, prix d’Europe.
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Dans les productions, il y avoit 529,200 livres pour la couronne ; 17,936,219 pour les négocians.
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Dans les productions, il y avait 529,200 livres pour la couronne ; 17,936,219 pour les négocians.
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Dans l’or & l’argent il y avoit 25,649,040 livres pour le commerce ; 12,067,007 livres pour les agens du gouvernement ou pour les particuliers qui vouloient faire paſſer leur fortune en Europe ; 6,480,000 livres pour le fiſc.
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Dans l’or et l’argent, il y avait 25,649,040 liv.
pour le commerce ; 12,067,007 livres pour les agens du gouvernement, ou pour les particuliers qui voulaient faire passer leur fortune en Europe ; 6,480,000 livres pour le fisc.
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La cour de Madrid ne doit pas tarder à voir augmenter ce tribut ; & voici ſur quels fondemens eſt appuyée cette conjecture.
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La cour de Madrid ne doit pas tarder à voir augmenter ce tribut ; et voici sur quels fondemens est appuyée cette conjecture.
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Le Mexique étoit anciennement ſans défenſe : car qu’attendre de quelques bourgeois que chaque ville devoit mettre ſous les armes, lorſqu’un péril, plus ou moins grand, menaçoit l’état.
On ne tarda pas à former de ces milices diſperſées, ſix régimens d’infanterie & deux de cavalerie, auxquels on a depuis fait donner des inſtructions par des officiers envoyés d’Europe.
Le tems étendit les idées.
Des hommes, habituellement occupés des arts & du commerce parurent un trop foible appui à l’autorité ; & elle ſe décida à lever, dans le pays même, deux bataillons d’infanterie, deux régimens de dragons qui n’eurent d’autre profeſſion que la profeſſion militaire.
Après la paix de 1763, le gouvernement jugea que des peuples amollis par l’oiſiveté & par le climat, étoient peu propres à la guerre ; & des troupes régulières furent envoyées de la métropole dans la colonie.
Ce ſyſtême eſt ſuivi encore ; & il y a toujours au Mexique trois ou quatre bataillons de notre continent, qui ne ſont relevés qu’après un ſéjour de quatre années.
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Le Mexique était anciennement sans défense ; car qu’attendre de quelques bourgeois que chaque ville devait mettre sous les armes, lorsqu’un péril plus ou moins grand menaçait l’état ?
On ne tarda pas à former de ces milices dispersées six régimens d’infanterie et deux de cavalerie, auxquels on a depuis fait donner des instructions par des officiers envoyés d’Europe.
Le temps étendit les idées.
Des hommes habituellement occupés des arts et du commerce, parurent un trop faible appui à l’autorité, et elle se decida à lever, dans le pays même, deux bataillons d’infanterie, deux régimens de dragons, qui n’eurent d’autre profession que la profession militaire.
Après la paix de 1763, le gouvernement jugea que des peuples amollis par l’oisiveté et par le climat étaient peu propres à la guerre ; et des troupes régulières furent envoyées de la métropole dans la colonie.
Ce système est suivi encore ; et il y a toujours au Mexique trois ou quatre bataillons de notre continent qui ne sont relevés qu’après un séjour de quatre années.
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A ces moyens de conſervation, il en a été ajouté d’autres non moins efficaces.
L’iſle de Saint-Jean d’Ulua, qui forme le port de VeraCrux, & qui doit le défendre, n’avoit que peu & de mauvaiſes fortifications.
On les a raſées.
Sur leurs ruines & dans un roc vif ont été élevés naguère des ouvrages étendus, ſolides, capables de la plus opiniâtre réſiſtance.
Si, contre toute apparence, cette clef du Mexique étoit forcée, le pays, après ce revers, ne ſeroit pas encore ſans défenſe.
A vingtquatre lieues de la mer, au débouché des montagnes, dans une plaine que rien ne domine, furent jettés, en 1770, les fondemens de la magnifique citadelle de Pérote.
Les arſenaux, les caſernes, les magaſins, tout y eſt à l’abri des bombes.
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A ces moyens de conservation il en a été ajouté d’autres non moins efficaces.
L’île de Saint-Jean d’Ulua, qui forme le port de Véra-Cruz, et qui doit le défendre, était encore sans fortification en 1568.
Celles qui, vers cette époque lui furent données, quoique construites sur un mauvais plan, quoique médiocres, quoiqu’en ruine, ont subsisté jusqu’à nos jours sans la moindre amélioration.
On les a enfin rasées.
Sur leurs ruines et dans un roc vif ont été élevés naguère des ouvrages étendus, solides, capables de la plus opiniâtre résistance.
Si, contre toute apparence, cette clef du Mexique était forcée, le pays, après ce revers, ne serait pas encore sans défense.
A vingt-quatre lieues de la mer, au débouché des montagnes, dans une plaine que rien ne domine, furent jetées, en 1770, les fondemens de la magnifique citadelle de Pérote.
Les arsenaux, les casernes, les magasins, tout y est à l’abri des bombes.
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Selon les apparences, la cour de Madrid ne diminuera jamais le nombre des troupes qu’elle entretient dans la Nouvelle-Eſpagne : mais la partie du revenu public qu’abſorboient les fortifications, ne doit pas tarder à groſſir ſes tréſors, à moins qu’elle ne l’emploie, dans la colonie même, à former des établiſſemens utiles.
Déja ſur les bords de la rivière d’Alvarado, où les bois de conſtruc- tion abondent, s’ouvrent de grands chantiers.
Cette nouveauté eſt d’un heureux préſage.
D’autres la ſuivront ſans doute.
Peut-être, après trois ſiècles d’oppreſſion ou de léthargie, le Mexique va-t-il remplir les hautes deſtinées auxquelles la nature l’appelle vainement depuis ſi long-tems.
Dans cette douce eſpérance, nous quitterons l’Amérique Septentrionale pour paſſer dans la Méridionale, où nous verrons, par un ordre de la providence qui ne changera jamais, les mêmes effets produits par les mêmes cauſes ; les mêmes haînes ſuſcitées par la même férocité ; les mêmes précautions ſuggérées par les mêmes alarmes ; les mêmes obſtacles oppoſés par les mêmes jalouſies ; le brigandage engendré par le brigandage ; le malheur vengé par le malheur ; une perſévérance ſtupide dans le mal, & la leçon de l’expérience inutile.
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Selon les apparences, la cour de Madrid ne diminuera jamais le nombre des troupes qu’elle entretient dans la Nouvelle-Espagne ; mais la partie du revenu public qu’absorbaient les fortifications ne doit pas tarder à grossir ses trésors, à moins qu’elle ne l’emploie, dans la colonie même, à former des établissemens utiles.
Déjà sur les bord de la rivière d’Alvarado où les bois de construction abondent, s’ouvrent de grands chantiers.
Cette nouveauté est d’un heureux présage.
D’autres la suivront sans doute.
Peut-être, après trois siècles d’oppression ou de léthargie, le Mexique va-t-il remplir les hautes destinées auxquelles la nature l’appelle vainement depuis si long-temps.
Dans cette douce espérance, nous quitterons l’Amérique septentrionale pour passer dans la méridionale où nous verrons, par un ordre de la Providence qui ne changera jamais, les mêmes effets produits par les mêmes causes ; les mêmes haines suscitées par la même férocité ; les mêmes précautions suggérées par les mêmes alarmes ; les mêmes obstacles opposés par les mêmes jalousies ; le brigandage engendré par le brigandage ; le malheur vengé par le malheur ; une persévérance stupide dans le mal, et la leçon de l’expérience inutile.
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Fin du ſixième Livre.
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FIN DU TROISIÈME VOLUME.
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